322 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. ]23 avril 1791. chaque propriélaire à détruire sur son propre champ le gibi r qui nuit à ses récoltes. Vous n’avez pas encore décidé, Messieurs, s’il serait permis à tous les habitants du royaume, sans aucune exception, ce parcourir avec des armes offensives les terres ouvertes, sous prétexte de se procurer le plaisir de la chasse ; eussiez-vous solennellement proclamé cette liberté, ce ne serait point un motif pour rendre la pêche également libre, si des considérations puissantes ne le permettent pas. Devez-vous abandonner la pêche des rivières aux propriétaires des fonds qu’elles avoisinent? Quelques-uns regardent cette prérogative comme l’accessoire naturel de leur propriété, et la réclament à ce titre. Mais vos comités n’ont pas trouvé cette prétention légitime. Le droit du propriétaire de la glèbe ne s’étend pas au delà des limites de son champ; le cours d’eau qui en baigne les bords le confine, mais n’en fait point partie. Quand même ce propriétaire posséderait l’une et l’autre rive, sa propriété particulière se trouverait divisée par l’interposition de la propriété nationale, sur laquelle il ne peut avoir qu’un droit égal à celui de tout autre citoyen. Ecartons encore ici l’exemple de la chasse : le poisson ne sort pas du sein des eaux pour ravager les récoltes du riverain, et si le contraire arrivait, ce serait sur son champ que le riverain devrait venger son injure, il n’aurait pas le droit d’attaquer son ennemi dans le sein de sa retraite. La prétention des municipalités sur la pêche des rivières de leur territoire n’est ni plus légitime ni plus conforme aux principes constitutionnels que la demande des propriétaires riverains. Quelques-unes à la vérité ont exercé ce droit que l’on réclame pour elles, mais leur jouissance était une émanation de la féodalité; elle doit donc cesser avec la féodalité. Gomment en effet concilier la possession exclusive d’une municipalité avec la communion des rivières? Le patrimoine des corps moraux est une véritable propriété civile : ce que la nature destine à Lu-sage de tous, ce qui ne peut être possédé priva-tivement par un seul citoyen, ne peut donc appartenir à un corps qui s’isole de la société. Est-il permis d’élever quelque doute sur cette grande vérité après la confusion solennelle et sainte que tous les corps de l’Empire ont faite de leurs prérogatives particulières? Quelle est donc aujourd’hui la municipalité qui oserait disputer à ses voisins la communion des eaux de sou territoire? On nous a proposé d’adopter la législation de l’ancien régime qui, en ordonnant que les rivières appartenant aux municipalités seraient affermées à leur profit, avait voulu pourvoir à la conservation de la pêche ; mais vos comités n’ont pu se prêter à ce tempérament. 1° L’ancienne législation était fondée sur un titre que vous avez détruit. 2» Les précautions qu’elle avait cru devoir prendre, pour ne pas blesser les propriétés féodales, étaient une illusion : ou sait avec combien peu de soin la pêche des rivières communes a été conservée. 3° Que deviendraient les rivières seigneuriales ? Seraient-elles aussi abandonnées aux munici palités riveraines? A quel titre celles-ci obtiendraient-elles une faveur dont les municipalités éloignées des eaux seraient privées? 4° Enfin pourquoi dérogeriez-vous au principe de la communion pour favoriser les habitants d’un territoire particulier? Ce principe, Messieurs, nous forçait à nous déterminer entre deux partis ; celui d’abandonner la pèche au premier occupant ; celui de la faire exploiter au nom de la nation, et d’en verser le produit dans le Trésor public mous avons adopté le second d’après les considérations que j’ai eu l’honneur de vous indiquer. En supposant la nécessité de conserver cette branche précieuse de subsistances, en supposant aussi qu’il doit entrer dans les vues d’une sage économie ne l’améliorer, il n’est qu’un seul moyen d’obtenir l’un et l’autre avantage; contiez dans chaque canton l’exercice de la pêche à un petit nombre de personnes. Vous soumettrez les fermiers de la pêche à une responsabilité sévère ; vous leur prescrirez les règlemeuts qui conviendront au double objet que vous devez vous proposer ; vous les assujettirez à la surveillance des corps administratifs, vous intéresserez tous les citoyens à la conservation d’un bien dont les fruits seront également partagés par tout le poids des coutribu lions publiques. Considérez, Messieurs, que l’abandon de la pêche ne procurerait aucun avantage réel à vos concitoyens; considérez que la liberté indéfinie de pêcher serait une source intarissable de désordres et même de procès ; considérez que le produit de toutes les rivières du royaume formera dès à présent un revenu très considérable qu’une police sévère et de bonnes lois ne peuvent manquer d’améliorer ; consultez l’état de vos finances ; consultez la masse effrayante de vos impositions : peut-être alors le plan que vos comités vous proposent méritera votre approba-t ion . Voici notre projet de décret ; « L’Assemblée nationale, après avoir ouï le rapport de ses comités féodal, des domaines, d’agriculture et de commerce, sur le cours des fleuves et des rivières, les îles, atterrissements, aliuvions, mortes et relaissées, la pêche, a décrété et décrète ce qui suit : TITRE Ier Des cours d'eau. •« Art. 1er. Les cours d’eau, assez considérables pour transporter naturellement, et sans artifice. les barques et bateaux servant au commerce et à la navigation intérieure du royaume, sont désignés dans le présent décret sous le nom de fleuves; les cours d’eau qui ne sont point navigables sans artifice, mais qui sont assez forts pour faire mouvoir des usines, sont désignés sous le nom de rivières; les autres cours d’eau ne forment que de simples ruisseaux. « Art. 2. Le cours des fleuves est une propriété commune et nationale; nul ne peut s’en approprier les eaux, ni en gêner le cours; l’usage en appartient à tous les habitants de l’Empire; le droit de régler cet usage appartient au Corps lé-< îslatif. >< Art. 3. La dépense nécessaire à l’entretien de la navigation est une charge publique. « Art. 4. La dépense qu’exigent les besoins locaux des villes, des communautés d’habitants, ou des particuliers, pour se défendre contre l’invasion des eaux, est à la charge de ceux à qui elle est nécessaire. « Art. 5. La construction et l’entretien des ponts, et de tous autres moyens établis pour les communications générales, sont une charge de l’Etat. {Assemblée natiqnale.J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. {23 avril 1791. J 323 « Art. G. La construction et l’entretien des ponts, et des autres moyens de communications locales et particulières, sont à la charge de ceux à qui l’établissement est nécessaire. « Art. 7. Nul ne peut construire des usines sur les fleuves, ni en détourner les eaux pour former des écluses, des étangs ou des réservoirs, sans y être autorisé par un décret du Corps legislatif, sanctionné par le roi. « Art. 8. Il serastatué, d’après l’avis motivé des directoires de départements, sur la conservation ou la suppression des usines actuellement existantes, soit dans le lit même des fleuves, soit sur les cours d’eau formés par la construction de digues ou barres. Dans le cas où la suppression desdites usines serait ordonnée, il ne sera dû aucune indemnité à ceux qui les possèdent, à moins qu’ils ne les tiennent à titre d’engagement ou concession faite par le domaine à prix d’argent; auquel cas les deniers par eux versés au Trésor public leur seront rendus. « Art. 9. A la nation seule appartient le droit d’imposer la navigation des fleuves. Toute taxe mise sur le passage des bateaux, les droits de bacs et de pontonages, ceux de ports et autres, sous quelque dénomination qu’ils soient exprimés, ne peuvent être perçus qu’au nom de la nation, ni être autorisés que par elle. La valeur actuelle des bacs, bateaux, ustensiles et agrès servant à l’exploitation desdits droits supprimés, sera payée aux anciens propriétaires, qui en feront remise à la nation. « Art. 10. Les terrains qui bordent les fleuves sont assujettis au service de la navigation pour le tirage des bateaux. « Art. Il-Les digues, chaussées, écluses, portes marinières, pertuis et autres ouvrages d’art construits dans les fleuves aux frais des particuliers, pour le service de la navigation, sans aucun autre objet d’utilité, appartiendront à la nation; les droits perçus pour raison desdits ouvrages, demeurent definitivement supprimés; la valeur actuelle desdits ouvrages sera remboursée à ceux qui les auront fait édifier, suivant l’estimation qui en sera faite par experts. Il en sera de même des ouvrages faits dans les rivières non navigables, pour rendre leur cours propre à lu navigation. <■ Art. 12. Le cours des rivières, comme celui des fleuves, est une propriété commune et nationale; mais les riverains ont droit d’user des eaux, en se conformant, pour l’exercice de cet usage, aux règles qui seront établies par le Corps législatif, et sanctionnées par le roi. « Art. 13. Les riverains peuvent tirer du lit des rivières, par des rigoles ou des retenues, l’eau nécessaire à l’arrosement de leurs héritages, à la charge d’enlever exactement les retenues et de fermer les rigoles après l’irrigation. Ils peuvent aussi conduire l’eau dans leurs rutoirs, mais non déposer les chanvres et lins dans le lit des rivières. « Art. 14. Pour concilier autant qu il sera possible les besoins de l’agriculture avec le service des usines, la manière et la durée des prises d’eau seront réglées par les directoires de districts d’après la demande des municipalités,, en accordant néanmoins la préférence à l’intérêt de l’agriculture sur l’intérêt des usines. « Art. 15. A l’avenir, nul ne pourra construire aucune usine sur le cours des rivières sans y être autorisé par le directoire du district, d’après l’avis des municipalités, et sauf le recours des parties au directoire du département, s’il y a lieu. Sont exceptés de la présente disposition les forges, fourneaux, verreries et autres établissements de ce genre qui seront soumis à des règles spéciales. « Art. 16. Les eaux des usines actuellement existantes seront réglées, à la diligence des procureurs des municipalités, par les directoires des districts, de manière à faire cesser entièrement toute inondation des fonds et héritages riverains et à procurer le dessèchement entier de tous les marais que la trop grande élévation des eaux aurait pu occasionner. La même action pourra être exercée par les particuliers dont les fonds seraient inondés. Pour satisfaire à la présente disposition, il sera établi, s’il en est besoin, à la tête de l’écluse ou bief de chaque usine, des déversoirs capables d’obvier à toute espèce de regonflement nuisible. Ges déversoirs seront construits de manière que les propriétaires des usines ne puissent en aucun temps les tenir fermés, les exhausser ou en empêcher l’effet. Si le terrain sur lequel le cours du déversoir sera établi n’appartient pas au propriétaire de l’usine, celui-ci sera tenu d’en payer la juste valeur. « Art. 17. Les usines qui seraient reconnues ne pouvoir rouler sans être nuisibles, eu les soumettant aux règles ci-dessus, seront démolies ou modifiées de manière à faire cesser toute espèce d’inondations. La permission d’en construire de nouvelles ne sera censée accordée qu’à cette condition expresse, laquelle ne sera sujette à aucune prescription. « Art. 18. Les redevances affectées sur les cours d’eau pour prix de la concession d’iceux demeurent supprimées sans indemnité. Celles affectées tout à la fois sur les cours d’eau, les batiments des usines et leurs accessoires, ou sur des fonds étrangers auxdites usines, subsisteront jusqu’au rachat pour la portion étrangère au cours d’eau ; à l’effet de quoi il en sera fait ventilation entre les parties. « Art. 19. Tous droits établis pour concession des eaux des ruisseaux, ainsi que pour concession des eaux pluviales, faites par les ci-devant seigneurs de fiefs, demeurent supprimés sans indemnité à compter de la publication du présent décret. « Art. 20. Toutes redevances imposées pour permettre la construction des moulins et autres usines à veut sont pareillement supprimées, sans indemnité aussi, à compter de la publication du présent décret. TITRE II. Du lit des fleuves, des îles , atterrissements et alluvions. « Art. 1er. Le lit des fleuves est une propriété nationale : nul n’a droit de se l’approprier, de le restreindre ou de l’obstruer. « Art. 2. Si le fleuve change de lit tout à coup et qu il s’en forme un nouveau sur une propriété privée, le lit que le fleuve abandonne appartiendra aux propriétaires qui auront été dépossédés. Dans le cas où le terrain abandonné par les eaux ne serait réclamé par personne, la nation en disposera. « Art. 3. Les îles, formées d’une portion de terrain séparé tout à coup du contiaent par l’impétuosité du fleuve, appartiennent au propriétaire de ce terrain. « Art. 4. Si l’un des rivages du fleuve est emporté tout à coup par la violence des eaux et que 324 (Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (23 avril 1791.J le rivage opposé demeure à sec, le propriétaire du rivage enlevé pourra se mettre en possession du terrain abandonné par les eaux; s’il néglige de le l'aire, la nation en disposera, et elle disposera pareillement de toutes les relaissées, mortes, marais et autres terrains qui ne seront réclamés par personne. <■ Art. 5. Ceux qui auront été dépossédés par les eai x des fleuves et qui réclameront, à titre d’indemnite,les portions de terrain laissées à sec ou susceptibles de dessèchement seront tenus de se pourvoir dans trois ans au directoire du département qui les autorisera à s’en mettre en possession, après avoir pris l’avis du directoire du district. S’il survient quelques contestations sur la légitimité de la demande, soit entre plusieurs parties privées, soit contre le refus qui serait fait par le directoire du département, ces contestations seront portées par-devant les juges ordinaires, et l’intérêt national y sera défendu par le procureur général du département. <■ Art. 6. Les îles, îlots et atterrissements, formés insensiblement dans les lits des fleuves par des dépôts successifs, appartiennent aux propriétaires riverains les plus voisins de l’atterrissement. « Art. 7. Les accroissances qui se forment insensiblement sur les rivages des fleuves appartiennent au propriétaire du sol accru sur la longueur de la rive de son héritage. «"Art. 8. Les propriétaires actuels des îles, atterrissements, crémeiits, alluvions, mortes et re-lais-ées,dont la possession se trouve cooformeaux règles qui ont eu lieu jusqu’à présent ne pourront y être ti ou blés. « Art. b. Ceux qui jouissent des fonds désignés dans l’article précédent à titre de cens, rentes ou autres droits fonciers pourront en exercer le rachat conformément au décret du 3 mai dernier. TITRE III. De la pêche. « Arl. 1er. La pêche des fleuves et des rivières est une propriété commune et nationale; à la nation appartient le droit d’en régler l’exercice et l’usage. « Art. 2. Toute concession du droit de pêche aile à titre de fief, censive, rente foncière, engagement, échange, ou à tout autre titre, demeure supprimée. Il sera pourvu, s’il y a lieu, à l’indemnité des engagistes et échangistes, ainsi qu’à la restitution des deniers qui auraient été versés au Trésor public par les concessionnaires. « Art. 3. Les fruits de la pêche étant un moyen général de subsistance, la pèche des fleuves et des rivières sera exercée au nom de la nation et au profit du Trésor public. « Art. 4. En conséquence, elle sera affermée, dans chaque canton, par les directoires de districts à la diligence des procureurs syndics ; le prix des baux sera payé chaque année" entre les mains des receveurs de districts, qui en verseront le montant dans la caisse de l’extraordinaire; cependant les baux actuellement existants subsisteront jusqu’à leur expiration. « Art. 5. Il sera pourvu, par un règlement général, à la police et conservation de la pêche; .jusque-là, les règlements actuels seront exécutés; mais les baux qui seront faits à l’avenir contiendront la condition de se soumettre à tous les règlements qui seront faits ci-après. « Art. fi. Les pêcheurs pourront user des marches des fleuves et des bords des rivières pour l'exploitation de la pêche, mais sans porter aucun préjudice soit aux fonds riverains, soit aux fruits dont ces fonds seront emplantés, et sans pouvoir pénétrer dans le-; terrains clos. < Art. 7. La pêche des portions de rivières actuellement renfermées, soit dans des étangs dont leurcours fait partie, soit dans des jardins et enclos attenants a ix habitations, continuera d’appartenir aux propriétaires desdits étangs, jardins et enclos, s’ils en sont en possession ; ce qui aura lieu tant que les étangs et les clôtures subsisteront et seront entretenus. « Art. 8. Défenses sont faites à toutes personne-, autres que les fermiers de la pêche et leurs jpré-posés, de pêcher soit dans les fleuves, soit dans les rivières, de quelque manière et en quelque temps que ce soit, et ce sous les peines portées car les lois actuelles et par celles qui seront établies dans la suite. « Art. 9. La pêche des canaux de navigation, construits par artifice, hors des lits des rivières, continuera d’appartenir aux propriétaires desdits canaux; il en est de même de celle des étangs, réservoirs et pièces d’eaux formant des propriétés privées. (L’Assemblée décrète l’impression de ce rapport.) M. Malouet. Avant que la discussion s’engage, je demande que l’Assemblée décrète que les colonies sont exceptées du décret qui vous est proposé par vos comités. M. Arthur DIHon, député des colonies. Quelque judicieuse que soit cette observation, je la combats, attendu que si l’on prononce l’exception demandée en faveur des colonies quant au décret actuel, il s’ensuivrait que tous les autres décrets antérieurement portés par l’Assemblée nationale, dans lesquels une pareille exception n’a pas été énoncée, seraient applicables aux colonies; ce qui entraînerait les plus grands inconvénients. Je conclus de cette observation, que, conformément au décret du 8 mars 1790, il soit reconnu que les lois faites par l’Assemblée nationale, ne sont applicables aux colonies qu’autant qu’elles les désignent nominativement, ou qu’elles l’ordonnent d’une manière positive. (L’Assemblée adopte cette dernière observation et décrète qu’il en sera fait mention dans le procès-verbal.) M. Bouche. Avant qu’on ouvre cette discussion, je demande à faire une motion d’ordre. Le travail qn’on vous présente renferme des vues excellentes; mais il emporte avec lui la destruction du droit d’arrosage, si précieux pour l’agriculture dans les pays méridionaux ; et je vous annonce qu’un pareil décret porterait la désolation dans nos départements. Je demande donc qu’on se borne à décréter le principe que les fleuves et les rivières navigables sont une propriété nationale. M. d’André. J’appuie cette proposition ; car s’il faut des règlements pour le cours des eaux, cour la pêche, etc., ces règlements font partie des h iis civiles que vous avez renvoyées à la pro-cliaine législature. La seule chose que vous ayez à décréter, c’est un article qui fasse cesser les principaux abus qui s’introduisent dans la pêche-, car il est évident, et il ne faut pas un nouveau décret pour déclarer que la féodalité est détruite sur le s eaux comme dans les campagnes. Quant