683 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 septembre 1790.] L’Assemblée ordonne l’impression, la distribution du rapport et l’ajournement de la discussion. Un de MM. les secrétaires lit : 1° une lettre des députés extraordinaires des manufactures de France qui, n’ayant pu encore recevoir le vœu de toutes les places du commerce sur les assignats-monnaie, supplient l’Assemblée de prolonger la discussion jusqu’au 17 courant ; 2° Plusieurs adresses des chambres et communautés de commerce des villes de Lyon, Rouen, Valenciennes, Orléans, Saint-Malo, Nantes, Tours, etc., qui se refusent à l’émission des assignats ; 3° U’une autre adresse du département de Maine-et-Loire, qui supplie l’Assemblée d’ordonner promptement l’émission des assignats-monnaie. M. Périsse Duluc. fait lecture des mémoires et délibérations des négociants , chambres de commerce et manufacturiers de la ville de Lyon, qui tous regardent cette émission comme très dangereuse. ( Voir ce document annexé à la séance de ce jour, p. 686.) M. Delandlne : Je demande l’impression de ces mémoires. M. de Mirabeau. Il est évident que puisqu’il nous arrive de divers endroits, et souvent des mêmes, des vœux contradictoires, il est évident, dis-je, que l’opinion publique, puisqu’on appelle ainsi des vœux particuliers, n’est point encore formée : dans une question aussi importante, il faut se décider par la puissance des raisons, et non par le nombre des autorités. Moi, qui suis aussi porteur d’une foule de pétitions des plus grandes manufactures du royaume, je demande que l’Assemblée déclare qu’elle ne prendra aucune décision avant le 17 du courant. (On applaudit.) S’il plaisait à l’Assemblée de prononcer ainsi, je demande néanmoins que la discussion soit continuée. Je prierai aussi l’Assemblée de m’accorder la faveur de répliquer à mon tour à toutes les objections qui ont été faites ; je prends l’engagement de n’en omettre aucune, non seulement de celles qui ont été proposées dans l’Assemblée, mais dans toutes les sociétés et dans tous les pamphlets. M. Delandlne. Je demande la même faveur que M. de Mirabeau : j’ai aussi de nouvelles observations à vous présenter contre les assignats. 20,000 exemplaires de l’opinion de M. de Mirabeau circulent dans le public, et pas une seule ligne de l’opinion contraire n’est encore imprimée. Je ne répondrai à M. de Mirabeau que par lui-même ; c’est sous son bouclier que je veux le combattre. Il m’ est permis de préférer l’opinion qu’avait M. j de Mirabeau, il y trois ans, à celle qu’il a aujourd’hui. Je tirerai mes objections du texte si énergique de M-de Mirabeau : une émission de papier-monnaie est un vol ou un impôt mis sur le peuple, le sabre à la main. Je prierai M. de Mirabeau de remettre ce sabre dans le fourreau. Il est profondément pénétré, dit-il, de sa matière; depuis dix ans je m’en suis occupé. Je citerais à M. de Mirabeau d’autres grands hommes, à qui il ne rougira pas d’être accolé, Muratori, Schmidt: qu’il voie ce qu’ils diseutdans leur chapitre des monnaies ; en un mot, je soutiendrai le vœu de mon département, et je ne vois pas qui pourrait m’empêcher de l’émettre. Cependant j’appuie la proposition de M . de Mirabeau, et j e demande qu’on y ajoute que, vu l’importance de la délibération, l’Assemblée attendra le vœu des directoires de département. M. de Mirabeau. Si je suis en contradiction avec moi-même, ce sera sans doute pour le préopinant une jouissance que de le manifester, jouissance d’autant plus délicieuse qu’on a souvent cherché à m’y trouver, et que, si par malheur cela m’arrive, ce sera pour la première fois. On nous parle de grands hommes, on nous parle de Schmidt qui n’a jamais raisonné sur un papier qui avait une hypothèque disponible. (On applaudit.) Le préopinant a supposé que l’Assemblée avait consulté les chambres du commerce, effectivement cette proposition lui a été faite ; mais elle a décidé qu’il n’y avait lieu à délibérer. Ce fait est done faux. Quant à la demande que par analogie il en déduisait, c’est-à-dire qu’il fallait consulter les départements, ce serait seulement la subversion entière de toute législation. Nous voulons des lumières, des lumières pétitionnaires, et des lumières individuelles ; mais nous ne devons pas vouloir, nous ne voulons pas des lois. La proposition de M. üelandine tendrait à intervertir les saines idées de toutes législations nationales. Ce serait un contrôle sur le seul et légitime représentant du souverain. En un mot* car je me hâte de finir, attendu que le préopinant me fait signe qu’il retire sa motion, je demande qu’il soit déclaré que l’Assemblée ne prendra aucun parti avant le 17, ni plus tard que le 24. (On demande la division de cette proposition. — La division est adoptée.) (L’Assemblée décide qu’avant le 17 elle ne prendra aucune décision sur les assignats.) La suite de la discussion est reprise sur la liquidation de la dette publique et les assignats-monnaie. M. Foutrai». Les avantages que présente le système des assignats-monnaie, ont dû faire tant d’impression que je n’abuserai pas de votre patience en les retraçant encore. Une seule objection m’a paru mériter une réponse On a dit que le renchérissement des subsistances ferait souffrir le peuple, augmenterait les dépenses de la monture de l’armée, en accroissant les prix qu’exigeraient les fournisseurs, etc., qu’il faudrait recourir à un nouvel impôt. Mais quelles peuvent être les causes de l’augmentation des denrées ? Leur rareté et l’abondance des choses contre lesquelles elles sont échangées. M.Poutrain examine l’objection sous ces deux rapports. Il conclut de cet examen, dans lequel il rassemble des observations déjà faites, que l’objection n’est pas fondée, et il adopte le mode de liquidation par le moyen de l’émission de deux milliards d’assignats. M. Périer. Autant on a exagéré l’avantage d’une émission de deux milliards d’assignats, autant je serai simple dans le tableau des maux qu’entraînerait l’exécution de ce projet. Pour vous libérer, on vous propose une émission de papier-monnaie, équivalente à la somme totale de la dette exigible. Je la regarde comme un remède qui, pris à trop forte dose, devient un poison mortel et tue le malade qu’il aurait dû sauver. Suivons les assignats dans la société. Il s’en fera une grande et active distribution, qui 684 [Assemblée nationale. J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 septembre 1790.) s’étendra bientôt des villes au fond des campagnes. Cette distribution, dit-on, fera refluer le numéraire. Son effet sera absolument contraire ; quand le papier-monnaie arrive, le numéraire s’enfouit. La disparition du numéraire produit le renchérissement des denrées et l’augmentation du prix des salaires. Si vous doublez les signes représentatifs d’échange, si les objets à échanger restent toujours dans la même proportion, il est évident qu’il faut le double du signe représentatif, pour avoir la même quantité de denrées, consommer un échange dont l’ancienne évaluation n’est nas réellement accrue: ainsi on n’aura opéré la liquidation de l’Etat qu’en renversant le commerce et les fortunes particulières. La rentrée du numéraire ne se fera que lorsque tous les assignats auront été retirés de la circulation; j’ajouterai que cette opération est une véritable banqueroute partielle. En effet, les créanciers de l’Etat seront contraints à acquérir, au-dessous , de leur valeur, des biens dont ils n’ont pas besoin. ou à garder des capitaux oisif*. Les moyens que je proposerais seraient des quittances de finance, produisant up léger intérêt, et concourant avec ces assignats pour l’acquisition des biens nationaux. Il est sans doute juste d’annoncer un intérêt, mais il me paraît qu’il ne doit pas s’élever au-dessus de 2 1/2 0/0 : la fixation de ce taux sera un acte de justice pour tous. Si la nation doit un intérêt, il ne doit pas s’élever au-dessus du produit annuel des biens, qu’elle ne conserve que pour le remettre à ses créanciers. Si cette opération peut se faire avec justice, et sans attaquer le commerce ni l’agriculture, pourquoi s’y opposerait-on? Je répondrai à l’observation, que les créanciers de l’Etat peuvent avoir eux-mêmes des créanciers, en proposant que les titulaires d’office, que les propriétaires de cautionnement et autres créanciers privilégiés puissent se libérer, en faisant offre de leurs quittances de finance, et que leurs créanciers ne puissent les refuser, à moins qu’ils n’aiment mieux conserver leur débiteur. Voici mon projet de décret : « L’Assemblée nationale, délibérant sur la liquidation de la dette publique exigible, après avoir entendu son comité des finances, les adresses et pétitions des différentes villes de commerce du royaume, et les différentes opinions auxquelles cette grande et importante question a donné naissance; éclairée sur les avantages et les inconvénients des différents projets qui lui ont été présentés, décrète ce qui suit : « Art. 1er. Il sera incessamment, et dans les formes qui seront déterminées par une instruction jointe au présent décret, procédé, par des commissaires nommés à cet effet, à la liquidation de la totalité de la dette nationale, exigible ou a terme, sans aucune distinction, et sous quelque dénomination qu’elle subsiste. « Art. 2. En payement des liquidations qui seront faites, il sera expédié à chaque créancier une ou plusieurs quittances de finance au porteur, avec des coupons d’intérêt à 2 1/2 0/0 des capitaux, payables de six en six mois, avec la jouissance du premier jour du mois, dans lequel ladite liquidation aura été faite. « Art. 3. Lesdites quittances de finance seront avec les coupons d’intérêt reçus pour comptant en payement du prix des biens nationaux ; et lors de ce payement, l’acquéreur n’aura d’autre formalité à observer que de mettre son acquit au dos des quittances de finance, dont il fera la remise pour la totalité ou partie du prix de son acquisition. « Art. 4. Les titulaires d’offices, les propriétaires de cautionnements, de finances et autres, qui auront des créanciers privilégiés sur le montant de leur quittance de finance, pourront se libérer envers lesdits créanciers privilégiés seulement, en leur remettant ou faisant offre de quittance de finance, pour une somme égale à celle qui leur est due, sans que ces derniers puissent les refuser, à moins qu’ils ne préfèrent de conserver leur débiteur, auquel cas ils ne pourront faire contre eux que des actes conservatoires, en cas d’aliénation de leur part, ou du remboursement qu’ils pourraient recevoir. « Art. 5. La transmission desdites quittances de finance ne pourra, au surplus, avoir lieu que de gré à gré, dans tout autre cas que celui prévu par l’article précédent. » M. llalouet. A peine trois propositions vous ont été présentées par le rapporteur du comité, qu’il s’est élevé une opinion entraînante, qui a eu de rapides succès. Les molionnaires ambulants, les écrivains et les crieurs publics marquent du sceau de la réprobation tous les adversaires des assignats... {Il s'élève des murmures.) M. Barnave. Il me paraît nécessaire de vous faire connaître un fait qui n’est pas sans importance. On a imprimé chez M. Baudouin, imprimeur de l’Assemblée nationale, un pamphlet intitulé : Effet des assignats sur le prix du pain, par un ami du peuple. Cet écrit a été répandu gratuitement et avec profusion. L’imprimeur a le manuscrit dans ses mains. L’auteur en a corrigé les épreuves. Assurément voilà un fait certain, voilà une véritable motion incendiaire, voilà une dénonciation qui n’est pas dans les usages. (Une partie de l’Assemblée demande que M. Baudouin soit appelé à la barre, pour faire connaître l’auteur de cet écrit.) M. Duval, ci-devant d'Eprémesnü.. Nous devons rendre grâce à M. Barnave de sa dénonciation, puisqu’il fait connaître un bon ouvrage. Je ne suis pas l’auteur de cet écrit ; assurément je l’avouerais. Je déclare que je me propose dans mon opinion d’apprendre au peuple quel sera l’effet des assignats sur le prix du pain. {La partie droite applaudit.) M. Dupont {de Nemours). Si l’Assemblée entend prononcer sur la brochure qu’on lui dénonce, je demande qu’elle en prenne connaissance; si cette motion est incendiaire, son auteur doit être puni, et il ne sera pas difficile à trouver. Mais si elle ne contient que des idées philosophiques et si elle n’est point une motion incendiaire, l’auteur ne sera ni recherché ni puni. La question est donc de savoir si la brochure est coupable. Un de MM. les secrétaires fait lecture de cette brochure qui est conçue en ces termes : Effet des assignats sur le prix du pain , par un ami du peuple. « Le prix du pain, du vin, des autres denrées et de toutes les marchandises, est fixé par la quantité d’écus qu’il faut donner pour avoir un setier de blé, ou un muid de vin, ou une quantité quelconque d’une autre marchandise.