S76 (Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, j f�vembre m prit public, voyant encore, malgré le cours de la révolution, des prêtres qui élevaient des ci¬ toyens, et les dogmes religieux substitués sans cesse à cette morale éternelle, source de tout ce qui est bon sur la terre, vous avez dû vous empresser de détruire ces grands abus, et son¬ ger moins à la première enfance, qu’on ne peut instruire que d’une manière très imparfaite, pour vous occuper spécialement de cette génération d’adolescents qui, dans quelques années, exer¬ cera ses droits politiques, et doit influer sur l’État. Ces motifs vous ont engagés à décréter la formation des écoles primaires, avant de pen¬ ser à la gymnastique, et sans doute ils vous feront sentir la nécessité d’organiser au plus tôt tout ce qui tient à l’enseignement. f Celui des philosophes qui a le mieux connu la véritable théorie de l’éducation, comme il est encore celui qui a le mieux développé les élé¬ ments des sociétés humaines et les principes de la liberté, l’éloquent, le profond, le sensible au¬ teur d’Emile, s’est surtout occupé de la gym¬ nastique. Dans les premiers livres de son im¬ mortel ouvrage, et suivant en cela le système de Platon, ou plutôt l’instinct de la nature, c’est dans les jeux et les exercices du corps qu’il fait consister jusqu’à l’âge de 12 ans, toute l’édu¬ cation de son élève. Vous pouvez réaliser en partie les plans du grand homme; vous pouvez appliquer à l’instruction publique et à la na¬ tion entière la marche que Jean-Jacques a sui¬ vie pour Emile. De cette manière on occuperait les enfants des premiers, des plus simples exer¬ cices de la gymnastique, même avant d’incul¬ quer à leur esprit les notions élémentaires, et tout ce qui exige des combinaisons d’idées. Ce n’est pas à dire que la gymnastique doive être réservée à l’enfance; à mesure que les organes de l’homme se perfectionnent, ce genre d’édu¬ cation doit s’étendre et se développer avec lui. La course, la lutte, l’art de nager, l’exercice du canon, du fusil, le maniement de la pique, du sabre et de l’épée : telle est la gymnastique d’un peuple libre. Tout cela n’est point nécessaire à des esclaves; ils doivent être faibles, puisqu’ils doivent servir. Une race de répubhcains doit être robuste. La vigueur de l’âme tient à celle du corps. Que des prix de gymnastique soient distribués dans les jeux publics. Il serait pué¬ ril de vouloir démontrer combien les différents exercices, dont je viens de parler, se lient na¬ turellement à l’ensemble des fêtes et des récom¬ penses nationales. Toutes ces institutions républicaines pressent l’âme des citoyens et l’environnent d’un triple rempart de patriotisme. C’est à elles qu’il faut rapporter ce que des écrivains célèbres ont trop spécialement attribué à l’influence du climat. La Grèce n’était point une terre privilégiée, ce n’est pas, il faut en convenir, parce que la pe¬ tite vüle d’Athènes était située sous le 39 e degré de latitude qu’elle a produit, dans l’espace d’un siècle et demi, un plus grand nombre d’hommes prodigieux en tout genre, que les plus vastes Etats de l’Europe moderne dans l’espace de quatorze siècles. En effet, aujourd’hui qu’on y cherche vainement l’aréopage et les jardins des philosophes, le climat est resté le même, et néan¬ moins les descendants de Thémistocle et d’Aris¬ tide, les concitoyens de Socrate et de Sophocle courbent également la tête sous la verge d’un pacha et sous la férule évangélique d’un archi¬ mandrite. Le despotisme porte en tous lieux les glaces du Nord; il frappe le sol de stérilité. La liberté ressemble à l’astre du jour, elle anime et féconde la terre, les hommes croissent et s’élèvent par elle, et la nature s’agrandit à son aspect. Mon dessein n’est pas, citoyens, d’opposer un plan d’instruction publique à celui que doit pré¬ senter votre comité, dont je fais profession d’ho-norer les lumières : je veux vous exposer seu¬ lement une partie des idées qui ont dirigé mes travaux particuliers lorsque j’étais membre du comité. Je me borne à demander qu’ après avoir achevé la partie de l’enseignement, partie qui est déjà fort avancée, la Convention place im¬ médiatement, à l’ordre du jour les fêtes natio¬ nales, les récompenses nationales et la gymnas¬ tique. Alors j’oserai présenter quelques vues d’organisation que j’ai préparées et dont je m’occupe encore chaque jour. Si je me suis trompé, chose très possible et très facile, je me ferai un devoir d’employer mon suffrage et mes facultés à faire prévaloir les idées qui semble¬ ront meilleures, c’est-à-dire, plus utiles que les miennes. Fondateurs de la République et d’une Cons¬ titution vraiment populaire, une nouvelle gloire vous attend. Votre génie révolutionnaire dé¬ concerte les rois rebelles à la souveraineté du peuple, et laisse entrevoir aux nations oppri¬ mées le crépuscule de la liberté naissante. Mais l’éducation nationale reste à créer parmi nous. C’est à vous de réparer l’énorme faute de l’As¬ semblée constituante. Vos calomniateurs vous ont reproché de mépriser la philosophie. Vous les avez réfutés en rendant hommage à la mé¬ moire des philosophes et en décrétant des lois sages. Ce n’est pas tout. Conformez vos tra¬ vaux sacrés. Que la rouille des temps anciens ne souille plus nos institutions. Les mauvaises mœurs tuent les bonnes lois. Vous avez fait les lois, faites les mœurs. Continuez à diriger d’une main ferme et rapide le grand mouvement im¬ primé par le peuple français à l’esprit humain, et complétez cet évangile de l’égalité qui doit triompher des préjugés les plus antiques et re¬ nouveler la face du monde. f_ Compte rendu du Moniteur universel (1). Suite de la discussion sur l’instruction publique. Chénier. Citoyens, vous cherchez au milieu des orages révolutionnaires, etc. ( Suit avec quel¬ ques légères variantes, le texte du discours que nous avons inséré ci-dessus d'après un document de la Bibliothèque nationale.) Ce discours est accueilli par les plus vifs ap¬ plaudissements (2). (1) Moniteur universel [n° 47 dii 17 brumaire an II (jeudi 7 novembre 1793), p. 190, col. 1 et n° 48 du 18 brumaire an II (vendredi 8 no¬ vembre 1793), p. 194, col. 2], (2) Tous les journaux de l’époque mentionnent que le discours de Marie-Joseph Chénier fut accueilli par de vifs applaudissements. Voir le Journal des Dé¬ bals el des Décrets (brumaire an II, n° 413, p. 211), le Journal de la Montagne [n° 157 du 16e jour du 2e mois de l’an II (mercredi 6 novembre 1793), p. 1155, col. 2]; le Mercure universel [|16 brumaire an II (mercredi 6 novembre 1793), p. 94, col. 1]; l'Auditeur national [n° 410 du 16 brumaire an II (mercredi 6 novembre 1793), p. 4] et le Journal de Perlel [n° 410 du 16 brumaire an II (mercredi 6 no¬ vembre 1793), p. 291]. (Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. bmmajre an II 377 J ( 5 novembre 1793 La Convention en ordonne l’impression et l’envoi aux départements. Sur la proposition d’un membre [Sergent (1)], « La Convention nationale décrète que le mi¬ nistre de l’intérieur fera exécuter le plus promp¬ tement possible le décret de l’Assemblée consti¬ tuante, qui ordonne qu’il sera élevé dans une des places publiques de Paris une statue de Jean-Jacques Rousseau, en bronze, et de la faire éta¬ blir à la place d’une de celles des anciens tyrans des Français renversées par le peuple le 10 10 août (2). » Compte rendu du Moniteur universel (3). Sergent. Dans le discours que vous venez d’entendre (celui de Chénier), l’orateur, par un penchant irrésistible pour tout homme sensible et tout ami de la liberté, a rendu un éclatant hommage au vertueux, au sublime, à l’immortel J. -J. Rousseau. Ce discours et cet hommage rhe rappellent que l’Assemblée constituante, dans les jours où elle était digne encore de la confiance nationale, a décrété qu’elle ferait élever une statue à l’auteur d 'Emile dans une de nos places publiques. Cette loi est restée sans exécution; pourquoi? Parce qu’un roi fourbe a continuel¬ lement desservi la philosophie, parce qu’ ensuite un ministre jaloux, qui se serait appelé ver¬ tueux, a craint que la gloire de Jean-Jacques ne portât le flambeau sur son hypocrisie. C’est de Roland que je veux parler. Je demande que la (1) D’après la minute du décret qui se trouve aux Archives nationales, carton G 277, dossier 723, et d’après les divers journaux de l’époque. (2) Procès-verbaux de la Convention, t. 24, p. 331. (3) Moniteur universel [n° 48 du 18 brumaire an II (vendredi 8 novembre 1793), p. 195, col. 1]. D’autre part, le Journal de la Montagne [n° 157 du 16e jour du 2e mois de l’an II (mercredi 6 no¬ vembre 1793), p. 1155, col. 2] et le Journal des Débats et des Décrets (brumaire an II, n° 413, p. 211) rendent compte de la motion de Sergent dans les termes suivants ; I. Compte rendu du Journal de la Montagne. Sergent rappelé que l’Assemblée constituante, dans le temps qu’elle était encore digne de sa mis¬ sion, avait ordonné qu’il serait consacré un monu¬ ment public à la mémoire du philosophe, dont le préopinant a fait un éloge si bien senti, de Rous¬ seau, qui s’est acquis tant de droits à la reconnais¬ sance des enfants, des mères et de tous les amis sin¬ cères de la liberté et de l’égalité. Il demande que le décret soit mis à exécution. La proposition est adoptée. II. Compte rendu du Journal des Débats et des Décrets. Chénier venait de rendre hommage au génie de Rousseau. Sergent rappelle qu’un décret de l’Assemblée constituante a décerné une statue à l’auteur d'Emile et du Contrat social; que, depuis, la jalousie avait différé l’exécution de la loi, et qu’il est réservé à la Convention de venger d’un oubli criminel la mé¬ moire de Rousseau. (Décrété.) statue de Rousseau soit enfin élevée dans une de nos places. (On applaudit.) Cette proposition est décrétée. « La Convention nationale charge son comité d’instruction publique (1) de faire incessamment son rapport sur les fêtes publiques que le peuple français doit célébrer les jours de décades, en con¬ sidérant, soit les actes de vertus privées, soit les traits d’héroïsme qui distinguent les armées de la République (2). » Compte rendu du Moniteur universel (3). Charlier. Par le nouveau calendrier vous avez voulu tuer le fanatisme ; vous avez créé un jour de repos; mais un jour de repos pour des républicains doit être un jour utile. Je voudrais donc que la décade fût consacrée à célébrer les belles actions, les actes de vertu, de courage, qui auraient illustré son cours. La Convention renvoie cette proposition au comité d’instruction publique. Sur la proposition d’un membre [Philip-peaux (4)], la Convention nationale ordonne l’envoi aux départements du rapport et du décret concernant le nouveau calendrier (5). Compte rendu du Moniteur universel (6). Philippeaux. Vous avez décrété l’impression et l’envoi du discours de Chénier; je demande que vous ordonniez la même chose du rapport de Fabre d’Églantine, sur la nouvelle computa¬ tion du calendrier. Cette proposition est adoptée. Un membre [Romme (7)] demande que la statue de Rousseau soit placée au-dessus de la pendule décimale sous la tribune de l’orateur, dans la salle de la Convention. Un autre [Maribon-Montaut (8)] observe que s’il existe une place de prédilection, elle appartient à celui qui a servi sa patrie de ses moyens, de sa for¬ tune et de son sang, à Marat : en conséquence, la Convention rend le décret suivant : « La Convention nationale voulant rendre jus¬ tice à Marat, martyr de la liberté, et honorer sa mémoire, décrète que son buste sera placé sur une colonne dans le lieu des séances de la Con¬ vention, et y occupera la première place (9). » (1) L’auteur de cette proposition est Charlier, d’après la minute dm décret qui se trouve aux Archives nationales, carton C 277, dossier 723. (2) Procès-verbaux de la Convention, t. 24, p. 332. (3) Moniteur universel [n° 48 du 18 brumaire an II (vendredi 8 novembre 1793), p. 195, col. 1], (4) D’après le Moniteur. (5) Procès-verbaux de la Convention, t. 24, p. 332. (6) Moniteur universel [n° 48 du 18 brumaire an II (vendredi 8 novembre 1793), p. 195, col. 1]. (7) D’après les divers journaux de l’époque. (8) D’après la minute du décret qui se trouve aux Archives nationales, carton C 277, dossier 731. (9) Procès-verbaux de la Convention, t. 24, p. 332.