BAILLIAGE DE VITRY-LE-FRANÇOIS-CAHIER Des très-humbles et tr'es-respectueuses remontrances de l'ordre de la noblesse du bailliage de Vi~ try , convoquée par l'ordre du Roi en la ville de Vitry , le 16 mars 1789 et jours suivants (1). La justice est îa première vertu des rois : aussi éminemment distingué par elle que par son amour pour son peuple, uotre auguste monarque a senti que le véritable remède aux maux dont l’Etat est affligé, et dont son cœur paternel est profondément affecté, ne pouvait lui être présenté que par la nation réunie. La solennelle assemblée des Etats généraux a été fixée au 27 avril prochain : le Roi a jugé à propos qu’elle fût précédée de celle des trois ordres dans chaque bailliage, à l’effet d’y rédiger leurs cahiers, et d’y nommer leur députés. La noblesse du bailliage de Yitry s’est assemblée en conséquence, et sa première délibération a été d’enjoindre à ses députés de porter au pied du trône l’hommage de son respect, de son amour et de sa reconnaissance. Après avoir payé ce tribut au Roi, elle a pris d’abord en considérai ion la question de savoir si elle autoriserait ses députés aux Elats généraux à y voter par ordre ou par tôle, et sur cette question importante, elle a résolu et arrêté que ses députés aux Etats généraux voteront par ordre et non par têle, et insisteront à soutenir que ce principe est un des points essentiels de la constitution. Si cependant chacun des trois ordres délibère séparément qu’il pourra être utile aux deux autres, alors les députés ne s’y opposeront pas, et se réuniront pour voter par tête, sur le cas proposé seulement, et sans que l’on puisse en induire aucune dérogation au droit constitutionnel de voter par ordre. La noblesse du bailliage de Yitry a arrêté ensuite qu’elle consentait à la répartition égale des impôts, sans distinction d’ordres, sur tomes les propriétés foncières et mobilières susceptibles de revenus; r Que les sacrifices de la noblesse sont aux conditions que nul impôt ni emprunt ne sera consenti même provisoirement que le retour périodique des Etats généraux ne soit assuré , les Etats provinciaux accordés, qu’en fin on n’ait fait droit aux demandes nationales ; alors le consentement à la dette deviendra ce qu’il faut qu’il soit, le don de la reconnaissance ; Que le retour périodique des Etats généraux sera fixé à quatre ans ; Que l’imposition n’aura de durée que jusqu’à l’époque fixée pour la prochaine tenue des Etats généraux ; Que, la fixité des dépenses ne pouvant s’établir avec certitude qu’en déterminant irrévocablement les sommes destinées à chaque département, (1) Nous publions ce cahier d’après un imprimé de la Biblio thèque impériale. les députés sont autorisés à dire que cette détermination ne peut être que le résultat du travail de la nation formée en Etats généraux, parce qu’elle seule peut connaître les ressources du royaume, et statuer sur l’emploi qu’on en doit faire ; Que, pour les cas fortuits qui peuvent se présenter dans cet intervalle, ou doit accorder une augmentation d’impôts, ou donner une autorisation d’emprunt, mais aux conditions que la somme de Lune ou de l’autre sera très-exactement fixée, et le compte fidèle de l’emploi rendu par les ministres, dans le plus plus grand détail ; Que les dépenses secrètes exigent qu’il soit accordé au Roi une somme déterminée, de laquelle les ministres ne seront pas tenus de rendre compte à la nation, devant seulement porter pour mémoire sa totalité ; Que les députés sont autorisés à demander que tout droit de propriété soit déclaré inviolable, et que nul ne pourra en être privé, même à raison de l’intérêt public, qu’il n’en soit dédommagé au plus haut prix possible et sans délai ; Que le respect le plus absolu pour toute lettre confiée à la poste soit ordonné, et que l’on prenne les plus sûrs moyenspour qu’il n’y soit porté aucune atteinte; Que les députés doivent demander la suppression des lettres de cachet, et qu’ils seront autorisés à délibérer sur les modifications que peut exiger leur entière proscription ; Qu’ils demanderont également la liberté de la presserais établiront, en même temps, combien il est nécessaire que le Roi, conjointement avec les Etats généraux, fasse publier'une loi qui enjoigne aux imprimeurs de mettre leurs noms aux écrits qu’ils publieront, qui ordonne auxdits imprimeurs, cités devant les juges pour répondre sur des ouvrages répréhensibles portant leurs noms, d’en nommer les auteurs. "Les députés, enfin, demanderont que le Roi, conjointement avec les Etats généraux, rende une ldi statuant les punitions les plus sévères contre les réfractaires aux restrictions qui doivent être légalement mises à la liberté indéfinie de la presse; Que les députés demanderont l’établissement d’une commission intermédiaire des Etats généraux ; qu’il est prudent et avantageux que les Etats provinciaux en aient les fonctions, les attributions, en un mot tous les droits ; Que les comptes des ministres à recevoir chaque année exigent que les Etats provinciaux nomment tous les ans dans leur assemblée un membre de chacun des deux premiers ordres, et deux du tiers, plus quatre autres membres pris dans la même proportion dans les trois ordres pour remplacer les, premiers en cas d’accidents. Cette députation se rendrait à Paris pour y recevoir concurremment avec les députations des autres provinces, sous le dénomination de bureau national, tous les comptes que les Elats généraux auront arrêtés devoir lui être soumis. Ce bureau doit être inactif sur tous autres objets que sur ceux relatifs à la comptabilité, être autorisé cependant à remettre par écrit au souverain le 7l6 [Étals gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Baiil. de Vitry-le-François. cahier des représentations des Etats provinciaux. Les députés demanderont formellement que les-actes des Etats généraux soient enregistrés dans toutes les cours, qui ordonneront un semblable enregistrement dans tous les tribunaux de leur ressort. Les députés demanderont avec instance l’établissement des Etats provinciaux, composés ainsi qu’il suit : De l’ordre du clergé, quarante membres; De l’ordre de la noblesse, cinquante ; De celui du tiers, quatre-vingt-dix ; Total, cent quatre-vingt membres. L’introduction de la classe des curés dans l’ordre du clergé exige des contre-forces pour balancer son influence; pour les obtenir, il doit être donné un quart des représentants ecclésiastiques au haut clergé ; un quart aux chapitres, un quart aux curés, un quart aux réguliers. L’ordre de la noblesse doit 'être composé de cinquante membres. La noblesse acquise et transmissible suffira pour être admis au nombre de ces membres. A l’égard du tiers, ses intérêts exigent que le nombre de ses représentants soit gradué en raison de ces mêmes intérêts. D’après ce motif, le tiers doit être ainsi partagé : habitants des campagnes quarante-cinq voix; savoir, trente dans la classe des cultivateurs, quinze pour le commerce et l’industrie des campagnes ; habitants des villes, quarante-cinq voix, savoir: pour les propriétaires fonciers, commerce et industrie, trente ; municipalités, quinze. Total, quatre-vingt-dix. L’agriculture ne pouvant être trop représentée, les députés du tiers rural seront toujours nécessairement et rigoureusement pris et remplacés dans la classe des cultivateurs, laboureurs avec une charrue, propriétaires de vigne, fixés dans les campagnes. La province sera divisée en six départements. On établira dans le chef-lieu de chacun un bureau de correspondance avec la commission intermédiaire des Etats de la province. Ce bureau, sous la dénomination de syndicat , sera composé de sept membres : deux du clergé; deux de la noblesse, et trois du tiers : le nombre de sept est indiqué par la justice et par le droit, tout corps délibérant devant offrir le moyen de départager les voix; d’ailleurs, les curés, admis actuellement à toutes les représentations nationales et provinciales, et leurs intérêts se rapprochant de ceux du tiers, le clergé ne serait pas suffisamment représenté dans le syndicat par un seul membre de son ordre. Un village de cinquante feux et au-dessus nommera un député pour se présenter à rassemblée d’arrondissement. Un village de cent feux et au-dessus, deux; un de deux cents et au-dessus, trois, et ainsi de suite ; les communautés au-dessous de cinquante feux se réuniront aux plus faibles voisines, avec lesquelles elles concourront à nommer un député. Après avoir pris connaissance de la population de la province, chaque arrondissement sera formé de vingt ou trente communautés, plus ou moins, selon qu’il sera convenable, afin de rapprocher, le plus qu’il se pourra, le nombre des représentations de la proportion dans laquelle il doit être avec celui des représentés. Chaque arrondissement ainsi formé, son assemblée se tiendra dans le lieu le plus considérable de l’arrondissement; son président sera nommé par élection, en présence d’un membre du syndicat du département. L’assemblée formée, les "députés qui la composeront se réduiront au quart choisi à la pluralité des voix. Ces nouveaux députés se rendront, au jour indiqué, dans le lieu nommé par l’assemblée de département, pour y procéder à l’élection des députés aux Etats provinciaux. Le nombre de ceux-ci sera de sept, et leur total devant être quarante-cinq pour la province, les trois excédants seront pris dans les trois départements les plus nombreux en communautés. La noblesse de chaque département se rendra au jour et au lieu indiqués par le Roi dans ledit département, afin de procéder à la nomination des députés qui doivent former son ordre aux Etats provinciaux. Le président de la noblesse à l’assemblée de département sera élu par la voix du scrutin, et jusqu’après l’opération du scrutin, la présidence sera dévolue au plus ancien d’âge. La première députation aux Etats provinciaux de Champagne durera trois ans. La voie du sort indiquera le tiers qui devra se retirer. L’année suivante, elle indiquera de même la retraite du second tiers, enfin le troisième se retirera de droit. Un député retiré ne sera susceptible d’une seconde élection qu’après un an d’absence de l’assemblée. Les représentations, les vues, les observations, les plaintes des communautés, des particuliers nobles ou autres, seront adressées au syndicat de chaque département, qui les fera remettre à la commission intermédiaire, qui sera tenue d’en rendre compte aux Etats provinciaux. Les chefs-lieux des départements doivent être, Ghâlons, comprenant Epernay et Sézanne, trois-cent-dix-neuf communautés ; Reims, comprenant trois cent soixante-douze communautés ; Sainte-Menehould , comprenant Rethel , trois cent cinquante-trois communautés ; Chaumont, comprenant Langres, trois cent vingt-deux communautés ; Troyes, comprenant Bar-sur-Aube, quatre cent quarante-cinq communautés. Vitry , comprenant Joinville, deux cent soixante-huit communautés. Pour la commodité des peuples, il sera nécessaire d’égaliser, le plus possible, les départements, en réunissant aux plus faibles et aux plus éloignées les communautés les plus voisines. Les Etats provinciaux seront seuls chargés de l’administration totale et partielle de la province, tous les objets qui regardent la puissance exécutive exceptés. Les Etats provinciaux nommeront leur commission intermédiaire, et l’organiseront comme ils le jugeront convenable. La noblesse ne doit jamais être vénale ; l’émulation, ressort des bons gouvernements, exige cependant qu’elle soit la récompense des services militaires, de ceux de la haute magistrature et du commerce. Pour le premier de ces états, on suivra l’édit de 1751, en suppliant Sa Majesté de rendre la noblesse transmissible du second au troisième degré. De longs et grands services la donneront personnellement à la haute magistrature ; mais elle ne sera transmissible au fils que lorsqu’il restera dans l’état de son père. Les négociants seront susceptibles d’obtenir des titres de noblesse, mais sous l’injonction que le fils et le petit-fils resteront dans le commerce. Les privilèges exclusifs, sans terme d’extinction, étouffent l'émulation, engourdissent l’in- 747 [États gén. 1789. Cahiers. J ARCHIVES PARLEMENTAIRES.. [Bail, tle Vitry-le-François.] dustrie ; en conséquence, les députés demanderont qu’ils soient supprimés, mais que cependant il en soit accordé de gradués pour la durée sur l’utilité de l’invention et les dépenses faites en avance; mais leur terme le plus long sera de quinze ans. Avant de rien statuer, proposer, ni consentir relativement à la quotité d’aucune espèce d’impôts et même à son établissement ou continuation, les députés de l’ordre de la noblesse prendront une connaissance détaillée de la dette actuelle et de ses preuves, des besoins de l’État rigoureusement démontrés, et des réductions dont la dépense sera susceptible, ensuite de la part que la province de Champagne devra justement supporter de la contribution nécessaire pour pourvoir à cette dépense. Ils feront observer que la province, grevée de toutes les espèces d’impôts, dont plusieurs ont essuyé des accroissements arbitraires et illégaux, est, dans la proportion des autres provinces du royaume, imposée beaucoup au delà de ses facultés réelles. 11 est indispensable de redresser ce grief avant de statuer sur la part des contributions qui doit être supportée par la Champagne, et de requérir et d’insister pour que toutes les provinces, sans exception ni privilèges, soient assimilées, relativement aux contributions en tout genre, dans la proportion de l’étendue et plus encore de la fertilité et de la population de chacune d’elles. Le vœu de l’ordre de la noblesse étant que, sans distinction d’aucun des trois ordres, l’imposition soit répartie également sur toutes les propriétés foncières et mobilières susceptibles de revenus, il paraît naître de ce dévouement la nécessité de supprimer les impôts connus sous le nom de taille, capitation foncière, accessoires, vingtièmes, et la capitation de la noblesse, et de les remplacer par un seul et unique impôt en argent, et non en nature sur les biens-fonds. Le désir de borner à cet impôt toutes les contributions aux besoins de l’Etat ne peut, eu égard à la situation actuelle des finances, être regardé que comme un vœu impuissant. La quotité de cet impôt, ainsi que le nombre et l’espèce de ceux qu’il sera nécessaire d’y joindre, ne peut être déterminée qu’après la fixation de la quote-part' des impositions consenties par les Etats généraux que la province de Champagne devra supporter. En attendant que cette connaissance soit acquise, on ne peut que désigner les différentes contributions, auxquelles il paraît qu’il sera nécessaire d’avoir recours pour atteindre aux besoins du gouvernement. Le Roi a annoncé le projet de donner dans le sein des Etats généraux dés Etats particuliers à chaque province. Celle de Champagne, variée à l’infini par la nature de son sol, et par ses productions différentes, a le plus grand intérêt à être régie, du moins quant à l’impôt, par une administration sage, éclairée, et à portée de prendre en considération toutes les circonstances locales de son vaste territoire. Il est donc nécessaire que les Etats de la province soient chargés de l’assiette, de la répartition et de la perception de tous les impôts dont elle devra être grevée, et d’en verser directement le montant total dans le Trésor. Les économies résultantes de ce régime patriotique tourneront du moins au soulagement des contribuables, en attendant que la situation des finances leur permette d’en obtenir sur la masse des impôts. La somme des impôts à répartir paraît devoir se classer en deux portions distinctes et séparées ; la première doit être portée au montant total des dépenses annuelles de l’Etat en tout genre, d’après l’arrêté qui en sera fait par les Etats généraux et celui des rentes, tant perpétuelles que viagères, dont la légitimité aura été constatée et reconnue par ces Etats. Cette portion devra être payée annuellement jusqu’à la nouvelle réunion de l’assemblée nationale. La seconde portion, destinée à éteindre successivement l’excédant de la dépense annuelle, sur la recette annuelle, connu sous les noms de déficit et d'anticipation , devra éprouver une diminution graduelle, en proportion des progrès annuels de la liquidation de cet excédant, et s’éteindre avec lui à l’époque qui aura été fixée par les Etats généraux. Le pair une fois établi entre la recette et la dépense annuelle, le produit des extinctions successives des rentes viagères devra être employé, en entier et à mesure, à l’extinction d’une partie des rentes perpétuelles, et ce, jusqu’à la nouvelle assemblée de la nation. Ces deux parties d’impôts devront être assises : 1° sur les propriétés foncières quelconques, conformément au vœu de la noblesse, sans qu’aucun propriétaire, à quelque titre que ce soit, ou aucune ville ou province, sons prétexte de privilège ou d’abonnement, puisse s’en exempter. On observera, à ce sujet, que dans le cas où l’impôt unique proposé serait adopté, il serait indispensable de supplier le Roi de rendre une loi qui réglât, d’une manière fixe et déterminée, le sort des baux à ferme existants actuellement, pour concilier les intérêts des propriétaires et ceux des fermiers. 2° Les deux mêmes parties d’impôts devront être assises sur la capitation tant industrielle que des domestiques dont on va parler. La capitation, qui était répartie en proportion des propriétés foncières, se trouvant confondue avec l’impôt, il reste à asseoir une imposition sur l’industrie, tant des marchands en gros et en détail, que des artistes, ouvriers et manœuvres de toute espèce, à la seule réserve de la classe utile des laboureurs d’une charrue ou plus qui n’y ont jamais été assujettis Cette imposition, qui doit être proportionnée à l’espèce d’industrie, ne peut être équitablement fixée et répartie que par les Etats provinciaux, et elle doit avec raison supporter en outre un surtaux , équivalent à l’accroissement limité qui portera sur les propriétés foncières, et s’éteindre avec lui. 11 n’est pas moins juste d’imposer sur les domestiques , attachés au service personnel de leurs maîtres, une capitation qui ne devrait pas être moindre de trois livres, pour le premier domestique mâle , et qui devrait être augmenté pour le second, le troisième, etc., dans une progression assez forte, soit pour dégoûter les maîtres d’entretenir à leur suite une multitude de fainéants qui seraient rendus aux travaux de l’agriculture, soit pour leur faire payer chèrement ce faste inutile. Les domestiques de l’autre sexe devraient aussi être imposés à. trois livres, mais on n’estime pas qu’elles doivent être assujetties à la même progression . La capitation de tout domestique employé aux travaux de la campagne, de l’un et l’autre sexe, paraît devoir être bornée à une livre quatre sous; mais toutes capitations devront être assujetties à l’accroissement limité, qui a été indiqué pour la capitation industrielle. L’impôt des aides porte avec lui un caractère 718 [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Baill. de Vitry-le-François.j de réprobation si frappant, que la difficulté d’un remplacement de produit équivalent n’empèehe pas de prononcer, avec toute la province de Champagne, i’anathèmesur cetle odieuse et tyrannique inquisition. On pense qu’une augmentation détaxé sur les vignes, une dîme soit en nature soit en argent, prise sur les fruits qu’elles auront produits, une imposition sur les cabarets, un droit prélevé sur les vins à la sortie du royaume, pourront offrir un ensemble représentatif d’un droit si justement abhorré. D’ailleurs les députés de la noblesse sont autorisés à consulter ceux de la province de Bourgogne, sur le régime qu’elle suit en remplacement des aides pour l’adopter en cas qu’il convienne. Il serait sans doute d’une grande importance de rendre le se! marchand et libre dans tout le royaume à un prix assez modique, pour anéantir tout appât de contrebande en ce genre, et même pour qu'il fût possible d’en donner aux bestiaux; mais, dans l'état actuel des choses, on ne peut proposer raisonnablement la suppression de l’impôt de la gabelle qu’il faudrait, ou remplacer par un autre, ou répartir en augmentation des autres qui ne seront déjà que trop onéreux. On se bornera donc à demander, d’après les principes d’égalité de contributions votés par tous les ordres des citoyens de ce royaume, qu’en anéantissant, à l’égard de l’impôt du sel, tous les privilèges quelconques dont jouissent plusieurs provinces, cantons ou villes, le prix de cette denrée soit uniforme partout, sauf la seule augmentation du prix de transport pour les provinces qui sont éloignées des salines. On demandera de plus qu’il soit pris des mesures efficaces, tant pour que la commodité du public soit plus consultée dans la livraison du sel, que pour constater sa qualité, la fidélité dans le mesurage, et pour réprimer des abus de détail qui ne sont ignorés d’aucun habitant des pays de grandes gabelles. On désire la suppression de la ferme du tabac, et la permission de le cultiver en France, à la charge d’une imposition sur le fond qui le produira, assez forte pour remplacer le montant net de cet impôt, déduction faite des frais de régie. Le contrôle des actes est livré à un arbitraire presque entièrement soumis au caprice des préposés, qui interprètent en faveur de leur cupidilé des lois obscures et ignorées de ceux qui y sont assujettis. Il est donc indispensable et urgent de dresser un tarif clair, précis, à la portée des intelligences les plus bornées, et autoriser par une loi positive que le préposé ne puisse enfreindre impunément. Alors, les citoyens payeront sans répugnance un droit modéré qui a un objet d’utilité réelle, en assurant la date des actes. Le produit augmenterait en raison du peu d’avantage qu’on trouverait à s’y soustraire par des obligations privées qui ne présentent pas les mêmes sûretés. L’égalité de contribution, consentie par les deux premiers ordres, semble exiger la suppression des contrôles et insinuations ecclésiastiques, et l’assujettissement de ces formalités aux contrôles ordinaires. Les droits d’octroi perçus aux portes des villes seront soumis à l’examen des Etals provinciaux qui aviseront aux moyens de réformer les différents abus dont leur établissement et leur perception sont susceptibles. Le reculement des barrières à l’extrémité des frontières est unanimement désiré, et son utilité pour les provinces de l’intérieur est de toute évidence. La limite doit être fixée au plus à deux lieues, et les droits y seront perçus par une régie et non mis en ferme. Les habitants, qui avoisinent ces frontières, ne peuvent recevoir aucun soulagement de cette opération salutaire; mais ils désirent et ont le droit de demander qu’il soit pris des mesures locales, propres à diminuer, autant qu’il sera possible, la gène et Jes entraves que le voisinage de l’étranger rend nécessaires. On ajoute à ce vœu, comme à l’occasion du contrôle des actes, celui d’un tarif et d’une loi, qui soient connus et entendus de ceux sur lesquels ils doivent peser. La masse énorme d’impôts, dont la nation est surchargée sur toutes ses propriétés territoriales, ne pouvant atteindre le capitaliste, il ne participerait aux charges de l’Etat qu’en mesure de ses consommations qui. répondent rarement à ses facultés réelles. Ne serait-il pas possible d’arriver à lui par un impôt de timbre, modifié de manière à en diminuer les inconvénients, et sous la condition que l’exécution de la loi soit confiée aux Etats provinciaux seuls? Les députés mettront cet objet en délibération. il serait à désirer que la vénalité des offices de judicature fut abolie, si ce parti ne présentait pas le danger de les voir devenir le partage de gens sans fortune que le besoin rendrait prévaricateurs. Pour prévenir cet inconvénient, les députés seront autorisés à demander que les finances de ces offices soient fixées à un taux modéré, sans qu’il soit jamais permis aux titulaires ou propriétaires de les vendre à un prix plus haut ; qu’aussitôt après la formation des Etats provinciaux, il soit par eux établi une commission pour s’occuper de la fixation raisonnable du prix des différents offices de judicature de la province ; que nul ne puisse obtenir de provisions d’aucun office de judicature qu’il n’ait été préalablement soumis à l’examen desdits Etats provinciaux, et sur le certificat qu’ils donneront de sa capacité et de ses mœurs. Ces offices rapprochés ainsi d’un plus grand nombre d’individus pourront être remplis à l’avenir par des gentilshommes, même par ceux dont la fortune est médiocre. Les fonctions de la magistrature, même dans les sièges inférieurs, sont, aussi bien que la profession militaire, honorables et respectables ; elles ont l’avantage de rendre nécessaires l’étude et le savoir, que les enfants des gentilshommes s’empresseront d’acquérir, quand ils auront la perspective d’en faire un si noble usage. Qu’il soit établi dans la province de Champagne une cour souveraine sous la dénomination de parlement. Deux motifs dictent cette demande : t’un est l’intérêt commun de tous les justiciables qui se trouveront par là rapprochés de leurs juges, et affranchis des énormes frais qu’entraîne la poursuite des affaires dans la capitale ; l’autre est l’intérêt particulier de la noblesse qui trouvera dans les charges dont cette cour sera composée, une ressource pour ceux de ses membres qui se dévoueront aux nobles et pénibles fonctions de la magistrature. Les députés aux Etats généraux sont autorisés à demander la décision de la question de l’allo-. dialité ou de la non-allodialité de la coutume de Vitry, et cela pour assurer la tranquillité respective des seigneurs et des vassaux, troublée par les vicissitudes de la jurisprudence sur ce point. Que la forme de procéder dans les tribunaux en matière civile et en matière criminelle soit rendue plus simple par un nouveau code, à la rédaction duquel seront appelés non-seulement États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. des magistrats du. conseil et des cours souveraines, mais surtout des avocats d’un bon esprit et d'une capacité connue, avec l’élite des officiers des sièges inférieurs. Qu’il soit procédé à un nouveau tarif des frais de justice, aussi clair et précis qu’il se pourra, afin que les citoyens qui ont à défendre leurs propriétés ne les voient pas dévorer par la chicane. Que les commissions établies pour le jugement des faits de contrebande soient supprimées, et leurs fonctions renvoyées aux juges ordinaires. Que l’usàge des évocations ainsi, que celui des commissions particulières, par lequel l’autorité peut tout livrer à l’arbitraire, soit totalement aboli. Qu’il soit fait un nouvel arrondissement des ressorts des bailliages, de manière que le siège soit autant que faire se pourra au centre de l’arrondissement, dans la vue de placer les juges, le plus qu’il est possible, à la portée des justiciables. Que les justices seigneuriales qui sont le patrimoine des seigneurs, et qui procurent aux justiciables l’avantage d’éteindre souvent les procès dès leur origine, ou du moins d’épargner les frais de transport et ceux de procédure plus considérables dans les sièges royaux, soient conservées sans y porierla moindre atteinte, et que, dans les villages dépendant du chef-lieu de la justice, il soit établi un officier qui puisse pourvoir au maintien de la police. Qu’il n’y ait jamais que trois degrés de juridiction, celui de la justice Seigneuriale, celui du bailliage ou présidial, et celui de la cour souveraine du parlement. Que les justiciables des duchés-pairies portent directement l’appel des sentences de leurs juges particuliers aux bailliages ou présidiaux, sauf l’appel aux parlements. Que le droit de commit timus soit et demeure supprimé à l’égard de tous ordres, corps et particuliers, autres que les princes et pairs et grands officiers de la couronne qui auront leurs causes personnelles, tant au civil qu’au criminel, commises à la cour des pairs, ensemble celles concernant leurs apanages et pairies. Que les charges d’huissiers-priseurs soientsup-primées et remboursées de la manière que les Etals généraux estimeront le plus convenable, afin de rendre à chaque citoyen la liberté de vendre et disposer de sa chose comme il le juge à propos, et sans être soumis à un tribut onéreux. Que les tribunaux d’exceptions, dont les fonctions sont nulles ou du moins peu considérables soient supprimés, sauf le remboursement qui sera effectué sur le pied de l’évaluation faite en 1771, et d’après laquelle on a payé le droit de centième denier, et cela sur les fonds que les Etats généraux trouveront convenable d’appliquer à ce remboursement-, que surtout les tribunaux des trésoriers de France soient supprimés et remboursés pareillement. Leurs privilèges sont à charge, leurs fonctions de juridiction peuvent être rendues aux juges ordinaires, et celles d’administration peuvent et doivent être mieux remplies par les Etats provinciaux; l’administration du domaine deviendra dans les mains des Etals de chaque province la source féconde d’un revenu, dont les impôts ne doivent être que le supplément et puisque ces Etats provinciaux supporteront le fardeau de ce suppléaient, il est clair qu’ils auront intérêt à trouver la meilleure administration possible du domaine. Les députés demanderont instamment un tarif [Baill. de Vitry-le-François.j 7�9 fixe et immuable des droits domaniaux, de contrôle, d’insinuation, etc., auquel il ne puisse être donné aucune extension, ni même aucune interprétation, si elle n’est provoquée judiciairement par-devant les juges ordinaires, auxquels seuls il convient d’attribuer la connaissance et le jugement de ces matières, afin de détruire l’arbitraire des décisions d’un seul homme ou de ses subordonnés. Que toutes les chargesqui confèrent la noblesse au premier degré soient supprimées, et pour parvenir avec certitude et économie à leur extinction, on pense que les Etats généraux doivent autoriser les possesseurs actuels de ces charges à les vendre. Ceux qui les achèteraient jouiraient de la noblesse transmissible, à la condition qu’ils les conserveraient jusqu’à leur mort; alors, ces charges, privées du droit de donner la noblesse, seraient réduites aux fonctions qui leur sont propres. La suppression des charges qui conf èrent la noblesse une fois opérée, il est juste d’admettre dans le militaire, ainsi que dans les assemblées nationales et provinciales, ceux qui ont aujourd’hui la noblesse acquise et transmissible Les députés solliciteront une loi conforme à ce vœu, afin que cette portion de la noblesse cesse de faire un ordre à part dans l’ordre entier. La noblesse de toutes les provinces du royaume a fait le sacrifice de ses privilèges pécuniaires, mais avec la réserve de ses distinctions honorifiques : elle a droit d’attendre que ces distinctions lui seront conservées sans partage. Les députés demanderonten conséquence, que non-seulement les privilèges pécuniaires, mais encore les distinctions honorifiques, soient retranchés aux commensaux de la maison* du Roi et de celle des princes, et à tous les individus non nobles, à moins que ces droits ne leur procèdent de la possession des fiefs ou justices. Que le Roi sera supplié, de concert avec les Etats généraux, de confirmer et rappeler les lois déjà promulguées qui permettent à tous nobles de commercer en gros seulement, sans dérogeance. Les députés demanderont l’établissement dans la province d’une chambre héraldique, dont les membres soient choisis et l’organisation formée par les Etats provinciaux, afin de délivrer les gentilshommes des inquiétudes, des recherches et des dépenses qu’exige la représentation fréquente des originaux ; que ce tribunal ait le pouvoir de repousser les usurpateurs de la noblesse. Qu’à l’avenir, les gentilshommes, dont les enfants désireront concourir pour Saint-Cyr et les écoles pailitaires, seront obligés de représenter des certificais en bonne forme de l’état de leur fortune et des services de leurs pères, certificats que délivreront le tribunal héraldique de la province et les Etats provinciaux, afin d’éviter que ces places soient désormais accordées à la portion de la noblesse que son aisance et son opulence en doivent exclure. Les députés demanderont que l’état des pensions et traitements soit représenté aux Etats généraux, qui supplieront Sa Majesté de considérer que l’état actuel du royaume ne lui permet pas de suivre sans ménagement la bonié de son cœur pour l’avenir, et que ses fidèles sujets espèrent que, sur l’examen qu’elle voudra bien faire des pensions et traitements ci-devant accordés,. elle se décidéra, dans sa justice, à supprimer celles qui auraient été surprises à sa religion, restreindre celles qui seraient trop considérables, 720 [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Baill. de Vitry-le-François.] et confirmer celles accordées au mérite et à la valeur. Que la liste des pensions et traitements soit imprimée tous les ans, avec les noms, les sommes et motifs. La non-résidence des bénéficiers dans le lieu de leurs bénéfices fait un tort inappréciable aux provinces, dont les richesses vont alimenter le luxe des grandes villes ; en conséquence, les députés demanderont avec instance qu’il soit rendu une loi qui pourvoie à ce qu’aucun bénéficier, excepté seulement ceux que des fonctions de leur ministère attachent à la cour, et ceux qui seront dans le cours de leurs études, ne soit dispensé de résider dans le lieu de son bénéfice, et cela, sous les peines qui seront jugées les plus propres à assurer l’exécution de cette loi. t Qu’une autre loi détermine sans équivoque les espèces de fruits qui devront être assujettis au payement de la dîme, afin de tarir la source d’une multitude de procès, que l’incertitude de l’usage et les variations de la jurisprudence engendrent chaque jour. Qu’il soit pareillement statué clairement et sans équivoque sur l’espèce et la mesure des droits honorifiques que pourront prétendre, dans les églises paroissiales, les patrons, seigneurs, hauts justiciers et autres gentilshommes ou chevaliers de Saint-Louis, afin que cette matière cesse encore d’être une source de contestation. Le bien du commerce et l’intérêt public exigent que la jurisprudence des cours soit réformée sur un point sur lequel elle est en contradiction avec l’usage le plus universellement adopté : une loi qui déclarerait légal l’intérêt aux taux du roi, stipulé pour prêt d’argent à temps et sans aliénation du principal, aurait cet avantage, et les députés la solliciteront. Le sacrifice unanime et généreux de la noblesse, intéressant élan de son amour pour le Roi, la manière franche dont elle se dépouille pour secourir l’Etat, exigent une nouvelle preuve de la sensibilité de cet ordre. Une portion de lui-même bien respectable, puisqu’elle est à plaindre, se voit privée de son unique ressource, par l’abandon de ses privilèges pécuniaires. Ils soute-naientdécemmentrexistencedespèresde familles, qui souvent après avoir donné leur sang à la patrie, donnaient à leurs enfants le précepte et l’exemple des vertus ; ils les élevaient, les aidaient dans leurs emplois, avec la seule ressource des droits d’exemptions que leur donnait leur origine, qui, malheureusement dans ce pays, plus elle est ancienne, et plus elle est à plaindre, par les suites des inconvénients que présente la coutume. La noblesse du bailliage, aussi frappée qu’émue des maux qui menacent une partie de son ordre, enjoint à ses députés de recommander aux Etats généraux, avec suite et une véhémente énergie, ces touchantes et nobles victimes d’un dévouement patriotique. La noblesse du bailliage de Yitry enjoint à ses députés de supplier le Roi de retrancher des ordonnances militaires les articles qui humilient nos troupes, dont l’énergie dans tous les temps fit seule toute la force, et de demander quelques perspectives moins circonscrites à l’émulation, mère du mérite. Les jours de fêtes trop multipliés, surtout dans la saison des travaux des champs, nuisent à ces travaux, et fomentent l’ivrognerie et le désordre; les députés aux Etats généraux insisteront pour qu’il soit pourvu à la réforme de cet abus, soit parles Etats généraux eux-mêmes, soit par les évêques, chacun dans leur diocèse. La mendicité étant le fléau des villes et des campagnes, les députés aux Etats généraux sont chargés de demander que les Etats provinciaux s’occupent des moyens de l’empêcher, et de pourvoir à la subsistance des pauvres invalides, en faisant renouveler et exécuter, les ordonnances contre les vagabonds et gens sans aveu, qui peuvent vivre de leur travail, et celles relatives au port d’armes. Les députés aux Etats généraux sont tenus de se conformer à la lettre exacte de leurs cahiers, cependant ils sont autorisés à délibérer sur des objets qu’un très-grand nombre de cahiers réuniraient, et qui seraient omis dans les leurs; mais il leur est enjoint d’être muets sur toutes propositions émanées du trône, autres que celles annoncées dans le résultat du conseil de Sa Majesté, à moins que le plus grand nombre des députés de l’ordre ne les mette en délibération. FIN DU RECUEIL DES CAHIERS DE 1789.