218 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PAllLE MENT AIRES [20 juillet 1790.] pas présenté au comité l’apparence d’un doute. Le principe de décision est simple et incontestable. L’Etat ne peut être chargé d’une indemnité envers le concessionnaire, qu’au tant que la concession n’a pas été purement gratuite, c’est-à-dire qu’au tant qu’il n’en a pas reçu un prix quelconque, ou qu’elle n’a pas servi à acquitter une dette légitime. Or, il résulte des titres de M. de Bran-cas, que la triple concession faite à son père et à lui, est une véritable libéralité, une pure grâce pécuniaire. Par la suppression de la redevance dont il a été gratifié, il ne peut donc devenir créancier de l’Etat, et il n’aura aucuoe action ouverte pour répéter une indemnité. Un dernier point de vue doit être présenté, non plus à votre sévérité ou à votre justice, mais à votre bienfaisance. M. de Brancas n’a aucune pension ; sa rente de 20,000 livres sur les juifs de Metz lui en tenait lieu. Cela est si vrai, que, recherché, en 1783, par l’administration des domaines, comme engagiste d’un bien domanial, une décision du conseil déclara qu’il n’était point dans le cas du règlement du 14 janvier 1781, la concession dont il jouissait ne pouvant être considérée que comme une pension. M. de Brancas résigné d’avance à tout ce qu’il vous plaira prononcer à son égard, demande, en tout cas, Messieurs, si son sort doit être différent de celui des autres pensionnaires, et si, lorsque les grâces accordées à ceux-ci pourront n’éprouver que des réductions, il doit perdre en entier le bienfait du gouvernement, parce que ce bienfait était accompagné d’une faveur particulière, c’est-à-dire d’un assignat sur les juifs de Metz. M. de Brancas expose qu’issu d’une famille qui a rendu de grands services à l’Etat, il s’est appliqué à marcher sur les traces de ses ancêtres ; qu’il est depuis trente-deux ans lieutenant général des armées ; qu’il a fait onze campagnes ; qu’il a servi à trois sièges, et qu’il s’est trouvé à deux batailles. Il ajoute qu’il est âgé de soixante-dix-sept ans et accablé d’infirmités ; que sa fortune est médiocre; que tous ses biens sont substitués, et que ses revenus considérablement diminués par la suppression des droits féodaux, sont presque épuisés par différentes délégations à ses cré anciers. Nous avons cru, Messieurs, qu’il était de votre dignité de ne point rejeter ces considérations ; puisque M. de Brancas n’était pas dénué de titres pour solliciter des grâces, et puisque le gouvernement a témoigné, d’une manière expresse, la volonté de le considérer comme pensionnaire, il nous a paru naturel qu’il fût rangé dans la classe des pensionnaires, et qu’il fût soumis aux règles auxquelles elle sera désormais assujettie. Car pourquoi serait-il traité plus sévèrement que tant d’autres dont on trouve le nom sur la liste des pensions, et dont on se demande en vain les services ? Par ce tempérament raisonnable, vous aurez rempli ce que vous devez à la pureté des principes et à cette impartialité exacte qui caractérisent vos décrets. Le comité me charge de vous proposer le projet de décret dont la teneur suit : « L’Assemblée nationale, considérant que la protection de la force publique est due à tous les habitants du royaume indistinctement, sans autre condition que celle d’en acquitter les contributions communes; « Après avoir ouï le rapport de son comité des domaines, a décrété et décrète qu’à compter du jour de la publication du présent décret , la redevance annuelle de 20,000 livres levée sur les juifs de Metz et du pays Messin, sous la dénomination de droit d’habitation, protection ou tolérance, est et demeure supprimée et abolie, sans aucune indemnité pour le concessionnaire et possesseur actuel de ladite redevance. « Décrète en outre que les redevances de même nature qui se lèvent partout ailleurs sur les juifs, sous quelque dénomination que ce soit, sont pareillement abolies et supprimées, soit que les-dites redevances se perçoivent au profit du Trésor public, ou qu’elles soient possédées par des villes, par des communautés, ou par des particuliers, sauf à statuer, ainsi qu’il appartiendra, sur les indemnités qui pourraient être dues aux possesseurs et concessionnaires, d’après l’avis des départements dans le territoire desquels les redevances se perçoivent; à l’effet de quoi les titres leur en seront représentés dans l’année par les possesseurs et concessionnaires. « Décrète enfin que la concession portée par le brevet du 1er mai 1750, en faveur de M. de Brancas, sera considérée comme une pension de 20,000 livres, et soumise aux règles qui seront ci-après décrétées par l’Assemblée nationale, relativement aux pensions. » M. Rewbell. Si le comité des domaines s’était borné à la faveur singulière qui avait été accordée à la famille de Brancas, je ne prendrais pas la parole ; mais le projet de décret qu’on vient de lire présente une question constitutionnelle qui ne devrait pas être mise à la discussion à dix heures du soir, et qui, sans doute, est bien digne d’une Assemblée complète et d’une séance du matin. Les juifs n’ont jamais élevé de réclamation contre le droit qui les frappe, parce qu’ils le regardaient comme une conséquence de ce qu’ils habitaient Metz non comme citoyens, mais comme négociants et comme étrangers. Une voix : Ce n’est pas vrai ! M. Rewbel. Celui qui m’interrompt se trompe et la preuve c’estque les juifs vivent à Metz comme des juifs, c’est-à-dire qu’il3 y ont un autre culte, d’autres usages, une langue différente, des mœurs conformes à leurs lois, qu’ils n’ont aucune analogie avec la manière d’être des habitants de Metz auprès de qui ils vivent. Jamais l’ancien gouvernement n’aurait souffert deux cultes, s’il n’eût pas regardé les juifs comme des étrangers; car les juifs sont juifs en France, comme les Français sont Français partout. Les juifs payent dans tous les lieux qu’ils habitent. Les juifs d’Alsace particulièrement ne payent point d’impôt, parce qu’ils sont redevables d’un droit pour la protection qu’on leur accorde et ils ne payent pas d’impôts, parce qu’ils sont étrangers. Sans entrer dans de longs développements, je considère que vous ne pouvez affranchir les juifs de la redevance qu’ils payent sans les regarder comme des citoyens français, d’où je conclus au renvoi de l’affaire au comité de Constitution. M. Robespierre. Je ne crois pas qu’une société puisse défendre à des hommes quelconques d’habiter son soi lorsqu’ils ne troublent pas l’ordre social. J’en conclus que le titre de possession du droit de M. de Brancas est illégitime et j’adopte la première partie du décret du comité. Quant à [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 juillet 1790.} ft§ la seconde, qui promet une indemnité à la famille de Brancas, je la repousse, parce qu’on ne peut accorder d'indemnité à un possesseur que lorsque le titre du premier propriétaire est juste, ce qui n’est point dans l'hypothèse proposée. M. Dupont (de Nemours ). J’observe que la protection se doit et ne se vend pas. M. Vieillard. Il faut séparer la condition de la famille de Brancas de celle du gouvernement. La première ne peut être frustrée du prix de services rendus, par la suppression pure et simple du droit qui lui avait été concédé en récompense de ses services. M. Bouche. Je ne trouve dans la somme que payent les juifs ni un droit de protection, ni un droit de domaine, ni une servitude personnelle; je n’y vois qu’un cadeau fait par le souverain à des favoris, a des courtisans corrompus ( Des murmures se font entendre). J’ajoute que je parle des siècles passés et nou du temps présent. Je propose donc d’abolir dans tout le royaume le titre de protecteur des juifs. M. Barnave. Je ferai remarquer au comité qu’une indemnité n’est due que lorsqu’il y a acquisition à titre onéreux. M. Rewbell. Dans tous les cas, cette affaire doit être réduite aux seuls juifs de Metz, sans qu’il soit question des autres qui ne sont pas à Tordre du jour. M. Bouche, Lorsqu’il s’agit de la liberté des hommes, elle est toujours à Tordre du jour. M. Martineau propose un amendement sur les mots possesseurs à titre onéreux , qui est adopté. M. Merlin. En supprimant les droits féodaux, on a supprimé aussi toute espèce de recherche commencée, ou à commencer à leur égard. Je demande qu’il en soit de même pour le droit de protection des juifs. (Cet amendement est adopté.) Le projet de décret, avec les modifications qui y ont été apportées est ensuite mis aux voix et adopté en ces termes : « L’Assemblée nationale, considérant que la protection de la force publique est due a tous les habitants du royaume indistinctement, sans autre condition que celle d’en acquitter les contributions communes; « Après avoir oüï le rapport de son comité des domaines, « A décrété et décrète qüe la redevance annuelle de 20,000 livres levée sur les juifs de Metz et du pays Messin, sous la dénomination de droit d’habitation, protection et tolérance, est et demeure supprimée et abolie, sans aucune indemnité pour le concessionnaire et possesseur actuel de ladite redevance ; « Décrète, en outre, que les redevances de même nature, qui se lèvent partout ailleurs sur les juifs, sous quelque dénomination que ce soit, sont pareillement abolies et supprimées sans indemnité de la part des débiteurs, soit que lesdites redevances se perçoivent au profit du Trésor public, ou qu’elles soient possédées par des villes, par des communautés ou par des particuliers; sauf à statuer, ainsi qu’il appartiendra, sur les indemnités qui pourraient être dues par la nation aux concessionnaires du gouvernement à titre onéreux, d’après l’avis des directoires des départements dans le territoire desquels lesdites redevances se perçoivent ; à l’effet de quoi les titres concédés seront représentés 'dans l’année par les possesseurs et concessionnaires; « Décrète enfin qu’il ne pourra être exigé aucun arrérage desdites redevances, et que les poursuites qui seront exercées pour raison d’iceux, sont et demeurent éteintes. » (La séance est levée à dix heures trois quarts.) ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. TRE1LHARD. Séance du mercredi 21 juillet 1790 (1). La séance est ouverte à neuf heures du matin, M. Dupont (de Nemours ), secrétaire, donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier au soir. M. Rewbell. Je demande à présenter une observation sur le décret rendu hier concernant les juifs. L’intention de l’Assemblée est-elle de les décharger de tous impôts? car je la préviens que les juifs d’Alsace n’en payent pas d’autres que ceux qu’elle supprima hier à dix heures trois quarts. Je crois que les membres qui proposent de pareils décrets devraient au moins s’instruire au préalable de ce qui s'appelle les localités. Dans nos campagnes, où les juifs sont répandus comme les sauterelles qui mangent les moissons, ou ne pave point de capitation. Gomment fera-t-on afin de les imposer, surtout pour les années précédentes, puisque vous déclarez les arrérages non exigibles ? M. Rcgnaud (de Saint-Jean-d' Angely). Certainement il est juste que les juifs soient imposés, aussi le seront-ils comme les autres citoyens des campagnes s’ils y ont des possessions foncières, sinon ils seront traités comme les non-propriétaires. Quant aux arrérages échus, ce droit était si odieux que je regarde comme souverainement juste d’en détruire toutes les traces. M. Dupont (de Nemours ). On peut mettre dans l’article : A la charge d’acquitter les imposition� comme les autres citoyens. M. Rewbell. Un moment : ne préjugez pas une question qui mérite une discussion sérieuse. M. Regnaud (de Saint-Jean-d’Angely). Ne perdons pas le temps à une discussion qui est étrangère à Tordre du jour. Les juifs doivent, comme tous les individus, acquitter les impôts, et paver en outre leur part pour prix de la protection que leur accorde la loi. Je demande le renvoi au comité des finances. M. Bouttevîlle-Dumct*. Il faut examiner quel serait leur sort, s’ils n’étaieùt pas juifs ; ils ne possèdent pas d’immeubles ; ils ne payent pas d’impositions ; cela est tout simple. N’est-ce pas un honneur que montrer de l’indignation contre un droit perçu sur des hommes comme (1) Cette séance est incomplète au Moniteur.