236 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (21 avril 1791- J guerre l’obligation de faire des compagnies différentes pour ces deux parties du service, et qu’on lui laisse toute liberté de faire, à cet égard, sous sa responsabilité, ce qui lui paraîtra le plus avantageux. M. d’Aremberg de EaMarck. Il n’v a aucun inconvénient à charger de la fourniture des fourrages, en temps de paix, les différents régiments de troupes a cheval. D’abord, il n’en coûte rien à l’Etat, il n’y a point d’entrepreneurs à payer, et les conseils d’administration sont fort accoutumés à fournir des fourrages à leurs régiments. M. de Tracy. Je m’oppose à la motion de M. d’Aremberg; il faut que le soldat puisse se plaindre des fournisseurs salariés, mais il ne faut point qu’il ait des démêlés d’intérêts pécuniaires avec ses officiers. M. Ee Chapelier. Je demande la priorité pour le projet de M. de Broglie; et je me fonde sur les raisons décisives qu’il en a données. J’observe au reste que par delà l’exception que porte l’article, tout le reste est purement administratif; que par conséquent la latitude la plus absolue doit être donnée au ministre. Nous ne devons faire que des lois générales. Nous avons du lui dire : vous mettrez en adjudication, en temps de paix, toutes les fournitures de la guerre; maintenant les vivres et fourrages sont une exception, et vous pourrez les mettre en régie. Voilà ma raison principale pour demander qu’on aille aux voix sur la proposition de M. de Broglie. M. de Aoaillés. Je n’ai pas demandé la parole pour appuyer la motion de M. Le Chapelier et de M. de Broglie, mais bien pour la combattre. En général, je n’aime pas à me mêler de toute espèce d’administration; cependant je crois devoir présenter à l’Assemblée les motifs d’après lesquels le comité militaire s’est déterminé dans cette disposition. Le ministre de la guerre avait témoigné le désir qu’il n’y eût qu’une seule compagnie pour les vivres et fourrages; mais nous avons su qu’il n’y avait qu’une compagnie aujourd’hui existante qui pût se charger d’une fourniture aussi considérable que celle-là. Nous avons senti que dès lors elle serait maîtresse de l'adjudication, 1 1 qu’il en résulterait un désavantage immense puur la nation. La première idée qui s’est présentée au comité a été celle de faire diminuer les prix en établissant une concurrence non seulement pour les vivres, mais même pour les fourrages. Si l’Assemblée décrète qu’il n’y aura qu’une compagnie de vivres et de fourrages, elle n’a qu’à dire simplement qu’elle veut la donner aux agents actuels qui sont connus, qui sont dans le bureau de la guerre. Ils vous feront la loi, et ils auront un très grand marché. M. le Président. Je mets aux voix l’amendement de M. de Broglie, qui consiste à substituer, dans l’article 3, aux mots ; « à des compagnies séparées », ceux-ci : « à une 021 plusieurs compagnies ». (Cet amendement est adopté.) M. Emmery, rapporteur. Voici comment on pourrait rédiger l’article avec l’amendement de M. de Broglie, quoique ce ne soit pas mon opinion de l’adopter : Art. 3. « Sont exceptées des précédentes dispositions des articles 1 et 2, les fournitures des vivres et des fourrages, qui pourront être confiées par le ministre de la guerre à une ou plusieurs compagnies, composées chacune des personnes qu’il croira les plus capables de bien remplir l’un ou l’autre service. (Adopté.) M. Emmery, rapporteur, donne lecture des articles suivants : Art. 4. « Dans le cas où le ministre de la guerre jugerait à propos de confier la fourniture, soit des vivres, soit des fourrages, à des compagnies de son choix, le prix de l’entreprise sera nécessairement fixé par le prix commun de chaque espèce de denrées, pendant les mois de novembre, décembre, janvier, février et mars. » (Adopté.) Art. 5. « Le prix sera constaté d’après les états que les directoires de département enverront, tous les quinze jours, au ministre, du prix des différentes espèces de denrées, dans tous les marchés de leur département. » (Adopté.) Art. 6. « Le ministre pourra convenir, avec les entrepreneurs des vivres et des fourrages, de toute autre stipulation qu’il croira juste et convenable pour l’intérêt respectif des parties contractantes. » (Adopté.) Un membre propose l’article additionnel suivant : « Les régies, s’il en est formé, seront des régies simples et appointées, sans aucune rétribution. Aucune dépense ne sera allouée, qu’elle ne soit justifiée par des pièces authentiques; et le compte en sera rendu public par la voie de l’impression. » Plusieurs membres réclament la question préalable contre cette disposition. (L’Assemblée, consultée, décrète qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur l’article additionnel). M. Emmery, rapporteur , donne lecture des articles 7 et 8 du projet, qui sont ainsi conçus : Art. 7. « Les traités pour les fournitures des vivres et fourrages, et pour toute autre fourniture mi’.i-taire, seront imprimés. Les seules clauses dont le public aura eu connaissance par la voie de l’impression, seront obligatoires pour l’Etat. » (Adopté.) Art. 8. « Les traités seront d’ailleurs religieusement observes de part et d’autre, et ne pourront être rescindés ou annulés pendant le temps fixé pour leur durée, que pour les causes et parles formes de droit.» (Adopté.) M. le Président annonce l’ordre du jour de la séance de demain qu’il rappelle devoir être ouverte à quatre heures de l’après-midi. M. de Ea Tonr-llaubonrg. Messieurs, lorsque [Assemblée nationale, j ARCHIVES PARLEMENTAIRES» [21 avril 1791.J j’ai demandé, il y a trois mois, un congé pour aller à Avignon, j’avais laissé le comité diplomatique prêt à faire un rapport sur les troubles de ce pays. Pendant mou séjour dans ce pays, depuis mou retour, les troubles n’ont fait que s’accroître; et cependant le comité diplomatique n’a pas encore réuni toutes les pièces nécessaires à l’instruction de l’Assemblée sur cette affaire. Je crois que, si cet état de choses se prolonge encore, il en résultera que le Comtat ne sera plus qu’un monceau de ruines. Je reçois souvent des lettres de ce pays-là; et tous les jours les désordres vont croissant. Je demande que l’Assemblée nationale veuille bien fixer un jour au comité diplomatique pour faire son rapport : que ce soit mardi s’il est possible. M. de Menou, au nom du comité diplomatique. Le comité diplomatique a bien les pièces nécessaires pour rendre compte de ce qui est arrivé à Avignon, si l’Assemblée nationale ne veut rendre qu’un décret pareil à celui qu’elle a rendu il y a 3 ou 4 mois; mais si l’Assemblée nationale veut décider définitivement sur la pétition d’Avignon, le comité diplomatique n’a pas encore toutes les pièces nécessaires pour cela. Voilà ce qui a arrêté son rapport. J’ai été nommé rapporteur du comité. Je m’occupe à faire toutes les recherches possibles, soit à la bibliothèque du roi, soit ailleurs, pour tout ce qui concerne l’historique d’Avignon, et mettre l’Assemblée en état de prononcer. M. Robespierre. J’observe à l’Assemblée que siM. de La Tour-Maubourg avait voulu entrer dans le détail des faits qui ont motivé sa demande, il vous aurait convaincu que vous n’avez pas un moment à perdre pour prévenir les plus grands désordres, non seulement à Avignon et dans le Comlat, mais encore dans les départements méridionaux de la France. Il vous aurait dit que le parti opposéà la majorité du Comtat etd’Avignon qui demande la réunion, a fait une incursion sur les patriotes, et que déjà les maires de plusieurs communes qui ont voté la réunion, que les patriotes les plus distingués du Comtat et d’Avignon, et les plus attachés à la Révolution française, sont égorgés. Il vous aurait dit que les départements voisins prenaient fait et cause dans cette querelle ; que d’un côté, ceux qui agissent sous les ordres du directoire du département de la Drôme volent au sec mis du parti anti-révolutionnaire d’Avignon et du Comtat; et que de l’autre le département des Bouches-du-Rhône est disposé et a fait tous les préparatifs nécessaires pour voler au secours des patriotes du Comtat et d’Avignon. 11 vous aurait dit que déjà un grand nombre de citoyens, de fonctionnaires publics , de gardes nationales du département des Bouches-du-Rhône sont à Avignon; que les maires, et en particulier le maire d’Arles, ont juré à Avignon de venger l’assassinat commis dans la persoune des patriotes avignonais et contadins, dont ils regardent la cause comme liée à celle de la Révolution française. Je puis dire que le rapport est prêt depuis 3 mois ; depuis 3 mois, vous savez tout ce que vous pouvez savoir. La pétition des Avignonais vous avait été développée dans 2 rapports faits, l’un par M. Trouchet, et l’autre par M. Pétion. La réunion est appuyée par tous les moyens du droit positif et du droit des gens. Si l’on veut bien se reporter à cette époque, on se rappellera que l’As-237 semblée avait une conviction profonde de la justice de cette pétition. C’est à vous à juger, Messieurs, d’après ces faits, qui ne peuvent point être démentis, qui sont constatés par des lettres qui arrivent tous les jours de ces contrées, s’il est possible que l’on diffère sous prétexte qu’il faudrait rechercher dans la bibliothèque du roi l'historique d’Avignon. Est-il quelqu’un qui ne sache, sans fouiller une bibliothèque, tout ce qu’il faut savoir sur les rapports des Avignonais avec la France? Est-il quelqu’un qui ne connaisse les pétitions des communes de ce pays, appuyées par les départements voisins? A-t-on oublié que les députés de la ci-devant Provence étaient chargés par leurs mandats de solliciter la réunion du Comtat. Je demande, au nom du salut public, et pour éviter l’effusion du sang français, que le rapport soit fait incessamment; et certes, si vous vouliez écouter tout ce que vous dicte l’intérêt public, dans ce moment même vous concluriez de tous les moyens qui vous ont été présentés dans les 2 rapports précédents, que cette cause est déjà éclaircie à vos yeux; et vous prononceriez sur-le-champ la réunion d’Avignon et du Comtat Ve-naissin a la France. {Murmures ; applaudissements dans les tribunes.) M. de Menou, au nom du comité diplomatique. 11 y a deux moyens d’opérer la réunion d’Avignon et du Comtat Venaissin. Un de ces moyens est de prouver que le Comtat et la ville d’Avignon ne sont qu’un domaine engagé au pape, et de cette manière, il doit être réuni à la France, comme tous les autres domaines qui out été engagés à différents particuliers. En outre, il y a un autre moyen, qui est celui du vœu présenté par Avignon et le Comtat. C’est sur ce second moyen que j’ai dit à l’Assemblée nationale que nous n’avions pas encore toutes les pièces nécessaires ; et, puisqu’on me force de le dire ici, sur environ 60 et quelques communautés qui composent le Comtat Venaissin, il n’y en a que 28 qui aient fait passer leur vœu en faveur de la réunion. M. Rouche. C’est la majorité. M. de Menou. Personne n’est plus empressé que mot de faire ce rapport, car je déclare que, dans mo i opinion particulière, je crois qu’il n’y a que la réunion qui puisse sauver non seulement le Comlat et Avignon, mais les départements voisins. Pour la motiver, il nous faut des pièces légales, et on nous les fait espérer cette semaine; je l’ai entendu dire à quelques députés de Provence et aux députés extraordinaires. Cependant si l’Assemblée nationale croit que les circonstances sont assez pressantes pour faire le rapport sur cette affaire, je suis tout prêt à le faire. M. de La Tour-Maubourg. Si en 3 mois on n’a pas pu réunir les pièces nécessaires, je ne sais pas combien de temps il faudra pour y parvenir. Cependant tout vous engage à vous occuper promptement d’un objet aussi pressant. Je n'aurais pas pu vous donner tous les détails que vous a donnés M. Robespierre sur l’affaire d’Avi-guon, parce que je n’ai point vu les pièces originales; je sais seulement qu’à différentes époques. il y a eu des citoyens égorgés, et que le pays se ruine et se dépeuple journellement. Je voulais ajouter que la ville d’Avignon a décrété, pour tout le temps des troubles, une force 238 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 avril 1791.] publique de 1,300 hommes, dont 1,000 hommes d’infan! erie td 300 de cavalerie. Il est impossible que le pays d’Avignon puisse solder longtemps ces troupes, d’autant plus que les simples soldats ont 24 à 30 sous par jour. Cette armée n’est pas encore complète, elle est composée d’environ 200 ou 250 hommes, déserteurs français avec l’uniforme français. On envoie des émissaires pour faire des engagements aux dépens des régiments qui sont dans les provinces méridionales; et nos soldais auront bien de la peine à résister à la séduction de la licence et d’une solde plus forte. J’ai à répondre encore que, lorsqu’on a désigné le département de la Drôme, comme voulant soutenir ceux qui s’opposeut à la réunion, on n’est pas, je crois, bien instruit de ses dispositions. Ce département est tout autant attaché que celui ti es Bouches-du-Rhône, à la Révolution française. Lorsqu’il a envoyé des gardes nationales à* Car-pentras, ce qui était en effet une mesure inconstitutionnelle, c’était seulement pour (arrêter l’effusion du sang; et quelque improuvée qu’ait été cette démarche, le département de la Drôme ne peut pas s’en repentir, puisque 50 hommes de cette garde nationale ont peut-être empêché la dévastation d’une grande ville. Si ce département fait en ce moment marcher des gardes nationales, je l’ignore; mais je suis sûr que les troupes seraient destinées à protéger également la vie de ceux qui sont et de ceux qui ne sont pas patriotes. Je ne demande pas qu’on fasse un rapport précipité sur le fond de l’affaire. Je demande pour le moment que les comités diplomatiques et d’Avignon réunis vous proposent, mardi prochain, des mesures pour rétablir la paix dans ce pays-là; et j’observe qu’il ne faut point y envoyer des troupes comme l’autre fois. M. de Menou. Si vous envoyez encore des troupes, elles se perdront : il n’y a pas d’autre parti à prendre que de prononcer la reunion, sans attendre l’arrivée de toutes les pièces. M. Bouche. Messieurs, toutes les pièces nécessaires pour avoir le rapport sur le Comtat Ve-naissm et Avignon existent, et voici comment : Vous avez entendu M. de Menou vous dire qu’il avait 28 délibérations de communautés de ce pays-là. Il en existe environ 39 ou 40 qui se sont égarées, je ne sais pas comment; maison les retrouvera. Toujours est-il que ces 28 délibérations donnent un nombre de 1,400 individus en sus de la moitié de ceux qui composent les habitants du Comtat; et certainementtoutes les délibérations des communes du pays Veuaissin seraient actuellement entre les mains du rapporteur, si les aristocrates du pays ( Rires .), je veux dire si les gens d’église et la noblesse n’empêchaient le peuple d’élever la voix. Le peuple, dans ce pays-là, veut être français . mais le peuple a été desarmé, mais les gens d’église l’excommunient et lui annoncent l’euRr. Voici un fait, Messieurs, bien capable de hâter votre détermination. Je viens dans le moment de lire une lettre officielle, écrite aux députés d’Avignon, dans laquelle on leur marque qu’à la suite d’une instruction pastorale de l’abominabR évêque de Vaison, instruction pastorale dans laquelle ce prêtre sacrilège parie l’Évangile d’une main, et le poignard de l’autre, à la suite, dis-je, cle cette instruction pastorale il y a eu un massacre de patriotes; 8 ou 10 d’entre" eux ont été hachés par morceaux. A la suite de cet assassinat, l’évêque de Vaison a fait chanter un Te Deum pour remercier Dieu. ( Murmures (T horreur à gauche ; mouvement à droite.) Une partie du peuple séduite par les gens d’église de ce pays que le ciel, dans sa colère, a jetés sur cotte terre malheureuse, à la suite de cet assassinat et de cette prière, a été danser autour de ces morceaux couverts de sang et de boue, et encore palpitants. (Murmures à gauche .) Voilà, Messieurs, l’effet d’une instruction pastorale. Dans ces circonstances, il n’était guère possible aux départements voisins de ne pas connaître de cette querelle. Les uns se sont armés pour, les autres contre les patriotes. Hé! Messieurs, si vous ne hâtez votre détermination, vous ne verrez-point dans le Midi une guerre civile, non, vous n’en verrez pas, mais vous verrez tout le Comtat inondé de sang; vous verrez tous vos département voisins dans un désordre affreux, par l’effet de t’incendie et du brigandage qui couvrira le Comtat. Oui, vos départements voisins vont être infestés par tous les brigands qui, dans ce moment-ci, composent l’armée papale, qui se débanderont et exerceront dans les pays voisins le meurtre et le pillage. Il vous a été fait deux rapports : le premier concluait à la réunion d’Avignon et du Comtat Veuaissin ; le second concluait à la même chose, sauf à négocier avec le pape pour une indemnité, s’il y a lieu. On a publié des ouvrages très bien faits. On a lu ici deux discours excellents. Que viendra vous apprendre un nouveau rapport? Rien, Messieurs. Tant de mémoires qui vous ont été distribués, tant d’instructions qui ont passé sous vos yeux, tant de rapports si bien faits, tant d’opinions si bien prononcées, peuvent-ils, vous laisser quelque chose à désirer! Messieurs, au nom de la paix publique, au nom de la paix de la France, au nom de la tranquillité de nos départements du Midi, décidez cette question, et décidez-la le plus tôt qu’il sera possible. Le Comtat Venaissin est un dépôt : Avignon n’est qu’un engagement. Comme législateurs, un peuple libre vient librement à vous. Son vœu vous est exprimé : il ne manque que votre décret, et je vous le demande. (Applaudissements prolongés.) M. l’abbé de Bruges. Je fais la motion que M. Rouche remette sur le bureau la lettre qu’il vient de citer, parce qu’il n’est pas vrai que l’évêque de Vaison ait fait chanter un Te Deum après l’assassinat qu’il vient de rapporter. M. le Président. Je vais mettre aux voix la proposition de M. de La Tour-Maubourg. M. de Folleville. J’appuie la motion de M. l’abbé de firuges. (L’Assemblée décrète que l’affaire concernant la réunion à la France d’Avignon et du Comtat Venaissin, sera mise à l’ordre du jour de mardi prochain.) M. le Président lève la séance à neuf heures.