196 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [12 juin 1790.] nombre, puisque cela est très possible. (Il s'élève à droite de grands murmures , à gauche de grands applaudissements.) M. le baron d’EIbecq. Il est bien étrange qu’on vienne nous dire ici quun financier ne peut pas se contenter de 16,000 livres, tandis qu’un capitaine d’infanterie, toujours prêt à verser son sang pour la patrie, avait moins de 2,000 livres, et savait s’en contenter. M. Camus présente une rédaction en ces termes: « Toutes les croupes existantes sur les emplois et affaires de finances seront supprimées, à compter du 1er janvier; le décret rendu sur les receveurs et régisseurs de la ferme générale sera rapporté. « Le traitement des vingt-huit administrateurs des domaines sera fixé, à compter du 1er janvier dernier, à la somme totale de 450,000 livres, qui sera répartie entre eux par portion égale et individuelle. » Ces articles, successivement mis aux voix, sont adoptés ainsi qu’il suit : « L’Assemblée nationale décrète : « 1° Que toutes les croupes existantes sur les emplois et affaires de finances sont supprimées à compter du premier janvier dernier ; « 2° Que le traitement des 28 administrateurs des domaines sera fixé, à compter du premier janvier dernier, à 450,000 livres qui seront réparties entre eux par portions égales et individuelles ; « 3° Que le décret concernant la fixation du traitement des régisseurs généraux sera rapporté à l’Assemblée. » M. Ræderer , au nom du comité d'imposition , demande à être entendu sur la question du tabac. (L’Assemblée décide qu’il sera entendu.) M. Ræderer. Il y a environ cinq semaines que M. Dupont vous ayant proposé un projet de décret sur le tabac, vous avez renvoyé cet objet au moment où les comités d’agriculture et de commerce vous auraient fait leur rapport sur les traites et sur le reculement des barrières. Le comité d’impositions avait rédigé son travail sur l’impôt du tabac en moins de huit jours, lorsqu’il a cru devoir entendre les députés de trois grandes provinces infiniment intéressées à cette opération. L’avis a été de conserver cet impôt, qui, quoique établi sur une consommation de fantaisie, mérite cependant trois reproches importants... L’impôt du tabac est un surhaussement de prix, qui consiste à vendre 3 livres 12 sous ce qui vaut un sou. Pour assurer ce surhaussement, il a fallu établir la vente, la fabrication et la culture exclusives. Cet impôt présente encore un grand caractère d’injustice, puisqu’il exige des défenses, des inquisitions et des peines "toujours disproportionnées au délit; puisque le pauvre, qui a mis tout son plaisir dans l’usage du tabac, paie autant que le riche; pourquoi cette jouissance est-elle perdue entre mille autres ? Cependant l’impôt du tabac ne nous a paru pouvoir être productif qu’avec toutes ces prohibitions. Nous avons agité la question de savoir si les provinces qui, jusqu’à ce moment, ont joui de la liberté du commerce et de la culture du tabac, doivent être assujetties à cet impôt. Nous avons été frappés de l’idée, que permettre cette espèce de culture, ce n’est point accorder un privilège, c’est reconnaître les droits de la propriété : ce sont les autres provinces qui ont perdu cet avantage. Si la culture et le commerce du tabac étaient libres dans tout le royaume, l’Alsace et la Flandre perdraient les avantages qu’elles avaient sur les autres provinces. Les provinces méridionales de France ont autrefois cultivé des tabacs, en grande abondance et d’une excellente qualité, tandis que l’Alsace, pays froid, n’en donne que d’une mauvaise qualité, et qui n’est passable qu’en le mélangeant avec du tabac de Virginie. Nous avons pensé que, quand ces considérations ne se présenteraient pas, il faudrait toujours rendre commun le sort de toutes les provinces. Actuellement que la gabelle est supprimée, si vous conservez, dans l’intérieur du royaume, des barrières et des cordons de commis pour le tabac, les frais de perception consommeront une grande partie du produit. Il est donc nécessaire de faire porter ces frais sur une masse considérable. Les établissements qui seront formés pour la perception des traites peuvent servir également pour celui de l’impôt du tabac aux frontières. Votre but est de réaliser ces idées de grande famille, de supprimer ces cloisons de séparation qui divisent les parties d’un même Empire, et qui sont si nuisibles au commerce. D’ailleurs, vous ne pourriez jamais rétablir les gardes pour le tabac, entre la Flandre et l’Alsace et les anciennes provinces, tandis que ce rétablissement sera très facile aux frontières. La Picardie s’opposerait à ce rétablissement ; elle aurait pour elle toute la force de l’esprit de vos décrets. C’est d’après ces raisons que, croyant nécessaire de conserver l’impôt du tabac et de l’étendre à toutes les parties de la France, nous avons appelé les députés des provinces belgiques : ils nous ont annoncé qu’ils ne croiraient pas pouvoir se dispenser de s’opposer fortement à cette proposition. Ils se sont prévalus de cette grande considération, que la liberté de la culture ne peut subsister avec l’impôt, et qu’empêcher la culture, c’est violer la propriété et la liberté. Ils nous ont présenté des considérations très importantes, tirées de l’état actuel de leurs provinces, où les ennemis de la Révolution ont formé de perfides desseins ; et il faut convenir que rien ne les seconderait mieux que d’annoncer aux peuples de ces contrées la perte d’une branche de culture aussi importante ; ce serait les exciter à la révolte, à laquelle on dit que ces provinces ne sont que trop portées. (Il s'élève beaucoup de murmures.) Monsieur le Président, je vous supplie de n’accorder à personne avant moi la faculté de relever une erreur d’expression : j’ai voulu dire à laquelle on veut porter ces provinces. Une raison qui nous engage encore à demander qu’il soit sursis au rapport que le comité doit vous faire sur le tabac, c’est que MM. les députés d’Alsace nous ont interpellés de déclarer s’il n’était pas possible que la France entière fût exempte de cet impôt, et si nous connaissious assez bien quel serait l’état des finances de l’année prochaine pour assurer que le Trésor public aurait besoin de cette perception. Il nous a été impossible de leur répondre, même par approximation. Us ont assuré que si c’était une vérité bien démontrée que les besoins publics l’exigeassent, ils ne �opposeraient pas à ce qu’on votât cet impôt pour toute la France, et ils ont annoncé qu' alors on pourrait compter sur le patriotisme de leurs commettants. Les deux comités ont arrêté unanimement de vous demander qu’il soit sursis à leur rapport. (Cet ajournement est décrété. )