[Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. { � 247 La discussion (1) est interrompue par la lec¬ ture d’une lettre de Fouquier, accusateur public près le tribunal révolutionnaire, qui annonce que Clavière, ci-devant ministre des contributions publiques, qui devait être jugé ce matin, s’est fait justice en se tuant lui-même la nuit der¬ nière. La Convention ordonne l’insertion de cette lettre au « Bulletin » (2). dont lecture vient de vous être donnée. Cla¬ vière, afin d’échapper au supplice qui l’atten¬ dait, s’est lui-même donné la mort. Voici les dernières paroles qu’il a proférées : « Il est inutile que je monte sur la sellette pour entendre les témoins; ils ne seront que trop contre moi. » Ces paroles qu’un détenu dit avoir entendues prouvent combien il se croyait lui-même criminel. Les biens de ce traître ont été confisqués au profit de la République. Suit le texte de la lettre de Fouquier, d’après un document des Archives nationales (3). « Paris, 19 frimaire de l’an II de la Répu¬ blique une et indivisible. « Citoyen Président, « J’ai l’honneur d’informer la Convention qu’ Étienne Clavière, ex-ministre des contribu¬ tions publiques, dont le jugement aurait eu lieu aujourd’hui, s’est jugé lui-même sur la notifica¬ tion de l’acte d’accusation et de la liste des témoins aux termes de la loi. Ce conspirateur et ministre infidèle s’est donné hier, vers neuf heures du soir, un coup de couteau dans la chambre où il était détenu, et sur son lit. Il a été dressé procès-verbal qui constate ces faits. Lec¬ ture en a été donnée publiquement à l’audience, ensemble de l’acte d’accusation, le tout en pré¬ sence du citoyen Cambon et autres députés, qui avaient été cités pour être entendus dans cette affaire. D’après le décret de la Convention qui met les suicidés décrétés d’accusation et contre lesquels il y a acte d’accusation au rang des con¬ damnés par le tribunal, par jugement, les biens du suicidé Clavière ont été déclarés acquis à la République. « Pour éviter à l’avenir que les conspirateurs ne se suicident lorsque je 1601' ferai signifier l’acte d’accusation, je les ferai garder par les gen¬ darmes et fouiller. « L’accusateur public près le tribunal révolu¬ tionnaire, « A.-Q. Fouquier. » Compte rendu du Moniteur universel (4). Un secrétaire fait lecture de la lettre suivante de l’accusateur public près le tribunal révolu¬ tionnaire : ( Suit le texte de la lettre que nous avons insérée ci-dessus d’après le document des Archives na¬ tionales. ) Cambon. J’étais assigné pour déposer dans l’affaire de Clavière; j’ai été le témoin des faits (1) Il s’agit de la discussion sur l’instruction pu¬ blique. Nous avons dû reproduire la discussion sans la scinder, n’ayant pu découvrir à quel moment elle avait été interrompue par la lecture de la lettre de Fouquier. (2) Procès-verbaux de la Convention, t. 27, p. 84. (3) Archives nationales, carton G 283, dossier 800. Supplément au Bulletin de la Convention du 9e jour de la 2e décade du 3e mois de l’an II (lundi 9 dé¬ cembre 1793). (4) Moniteur universel Tn0 81 du 21 frimaire an II (mercredi 11 décembre 1793), p. 327, col. 3]. D’autre part, le Journal des Débats et des Décrets (frimaire an II, nc 447, p. 267) rend compte dans les termes suivants de la discussion à laquelle donna lieu la lecture de la lettre de Fouquier : « L’accusateur public, près le tribunal révolution¬ naire, fait passer à la Convention la lettre suivante: (Suit le texte de la lettre que nous avons insérée ci-dessus d'après un document des Archives nationales.) Cambon. J’étais assigné, ainsi que Dubois-Craneé> pour déposer comme témoin dans la procédure qui devait s’instruire contre Clavière. J’ai été témoin des faits dont on vient de faire lecture. J’ajouterai seulement aux détails qui vous sont donnés, qu’avant de mourir, Clavière dit à son défenseur officieux ces paroles remarquables : « Il est inutile que je monte sur la sellette pour entendre des témoins qui ne seront que trop contre moi. » Ces mots ont été con¬ signés au procès-verbal dressé par le tribunal qui, sur-le-champ, a prononcé la confiscation des biens du suicidé. Immédiatement le tribunal s’est occupé du juge¬ ment de cinq Lillois, accusés d’avoir conspiré contre l’unité et l’indivisibilité de la République. On enten¬ dit les témoins. Je n’avais jamais assisté à la séance du tribunal; je fus témoin de la scène la plus tou¬ chante. Tous les jurés et les juges déclarent unani¬ mement qu’ils étaient convaincus de l’innocence des accusés. Ils furent acquittés, embrassés par les jurés, les juges et les citoyens présents, et reconduits chez eux en triomphe, aux cris de : Vive la République ! Vive la loi ! On demande l’insertion au Bulletin de la lettre de l’accusateur public et des détails rapportés par Cambon. Merlin s’y oppose. Il veut que l’on s’en tienne à l’insertion du fait annoncé par l’accusateur public. « Autrement, dit-il, ce serait paraître s’étonner que le tribunal eût fait son devoir, ce qu’il ne faut pas faire. Il suffira d’apprendre aux ennemis de la Répu¬ blique, qu’enfin les contre-révolutionnaires se font justice eux-mêmes, et qu’ils tremblent à l’aspect de la loi juste et impartiale, a Dubois-Crancé demande encore à énoncer un fait. * J’ai remarqué, dit-il, dans l’acte d’accusation en vertu duquel les cinq Lillois en question ont été traduits au tribunal révolutionnaire, qu’ils y avaient été envoyés par notre collègue Isoré pour un fait reconnu faux par le jugement du tribunal révolu¬ tionnaire, mais qui, fût-il vrai, ne pouvait compro¬ mettre que notre collègue pour avoir porté atteinte au droit qu’ont tous les citoyens d’émettre leurs opinions dans leurs assemblées de sections légalement convoquées. Il s’agissait d’une motion précédem¬ ment faite par ces cinq citoyens, relative à la créa¬ tion de Sociétés populaires dans leurs sections, parce qu’ils s’étaient aperçus que les intrigants, qui four¬ millent à Lille comme dans toutes les places impor¬ tantes, avaient tellement circonvenu la Société populaire de Lille, que chaque jour elle perdait de son civisme et se meublait de membres inconnus, a Dubois-Crancé demande le renvoi de ses obser¬ vations au comité de Salut public, auquel Isoré sera tenu de donner les motifs de sa conduite à l’égard des cinq Lillois. Goupilleau (de Monlaigu). Et moi je demande l’ordre du jour motivé sur le droit qu’ont les ci¬ toyens de se pourvoir contre leurs dénonciateurs. 248 (Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. «J Citoyens, je n’avais jamais assisté à aucune des séances du tribunal révolutionnaire; j’ai été hier témoin d’un jugement qu’il a rendu; je vais vous en donner connaissance, parce qu’il prouve que ce tribunal, tant calomnié, est aussi juste que sévère. Cinq personnes de Lille occu¬ paient le fauteuil redoutable ; elles étaient accu¬ sées d’un crime; après avoir entendu les témoins, les jurés, convaincus de leur innocence, l’ont proclamée unanimement; aussitôt la salle a re¬ tenti des cris mille fois répétés de : Vive la Répu¬ blique! Les accusés se sont précipités dans les bras de leurs juges, qui les ont embrassés. Ce spectacle, vraiment attendrissant, a fait verser des larmes à tous les assistants. Que n’ étiez - vous là, vils calomniateurs, vous eussiez été obligés de rendre justice à l’impartialité de ce tribunal ! Tout le monde est sorti de l’audience, en faisant éclater les marques de la plus grande joie, et en criant : Vive la République ! vive la loi ! Léonard Bourdon. Je demande que la lettre de l’accusateur public, et le fait annoncé par Cambon, soient insérés dans le Bulletin. Romme. Je ne m’oppose pas à ce qu’il soit fait mention dans le Bulletin de la lettre de l’accusateur public; mais quant au fait cité par Cambon, le Bulletin du Tribunal rend compte de tout ce qui se passe dans son sein; je crois que cela suffit. Merlin (de Thionviïle) . Je demande que la lettre du tribunal soit insérée dans le Bulle¬ tin; mais je m’oppose à ce que le discours de Cambon le soit, par la raison seule que le tri¬ bunal a fait son devoir; il semblerait que c’est une chose extraordinaire, de voir le tribunal révolutionnaire remplir avec impartialité les fonctions sacrées que vous lui avez confiées. Dubois-Crancé. J’ai été témoin de la scène qui vient d’être retracée par Cambon, et j’ai partagé la douce sentation qu’elle a fait éprou¬ ver à tous les spectateurs. Mais, citoyens, j’ai fait une remarque pendant le cours de l’ins¬ truction de ce procès, que je dois communiquer à l’assemblée : c’est que les cinq Lillois traduits au tribunal révolutionnaire, par ordre de notre collègue Isoré, étaient accusés d’un fait faux; On fait arrêter sur des soupçons; mais on n’envoie des citoyens au tribunal révolutionnaire que sur une dénonciation précise et écrite. Or, sans doute, Isoré en a reçu une, et, dans ce cas, il a rempli son devoir en envoyant ces citoyens au tribunal, comme le tribunal a fait le sien en les acquittant puisqu’ils n’étaient pas coupables. Je demande l’ordre du jour. Bourdon (de (Oise). S’il était question d’Isoré et de son civisme, comme il est de la même dépu¬ tation que moi, je pourrais répondre de la pureté de ses intentions. Mais il ne s’agit pas de lui; il s’agit des intrigants qui l’entourent, tels que le com¬ mandant des forces de Lille, Lavalette, lequel a épousé une princesse allemande; d’un aide de camp nommé Dufraisse, d’abord appartenant à Dumou-riez, auparavant comédien, homme de très mau¬ vaises mœurs, et autres gens que j’ai dénoncés il y a deux mois et demi, et qui, n’en doutez pas, se servent de tous leurs moyens pour lasser le peuple lillois, le dégoûter de la Révolution, et le porter à livrer ce boulevard de la République à nos ennemis. Merlin (de Thionviïle ) observe que ce système mais, citoyens, quand même ce fait aurait été reconnu vrai par le tribunal, il n’aurait pu compromettre qu’Isoré, pour avoir porté at¬ teinte au droit qu’ont tous les citoyens d’émettre librement leurs opinions dans les assemblées du peuple légalement convoquées. Il s’agissait d’une motion précédemment faite par ces cinq citoyens, relative à la création de sociétés populaires dans leurs sections, parce qu’ils s’étaient aperçus que les intrigants qui four¬ millent à Lille, avaient tellement circonvenu la Société populaire de Lille, que chaque jour elle perdait de son civisme, et se meublait de mem¬ bres inconnus. Je demande que notre collègue Isoré soit tenu de donner les motifs de sa con¬ duite dans cette affaire au comité de Salut public, auquel je demande le renvoi de mes observations. Goupilleau (de Montaigu). Si notre collègue Isoré s’est déterminé à prendre une mesure vigoureuse contre les cinq citoyens dont il est question, ce n’a été, sans doute, que d’après les dénonciations qui lui ont été portées contre eux : car on fait arrêter sur le simple soupçon; mais on n’envoie pas un citoyen au tribunal révo¬ lutionnaire qu’il n’y ait contre lui une dénon¬ ciation exacte. Ainsi notre collègue a fait son devoir; car ce n’était pas à lui à entendre les témoins. D’après ces raisons, je demande l’ordre du jour, motivé sur le droit qu’ont les citoyens de se pourvoir contre leurs dénonciateurs. Bourdon (de l'Oise). S’il était question ici d’Isoré et de son civisme, comme ü est de la même députation que moi, je pourrais répondre de la pureté de ses intentions; il ne s’agit pas de lui, mais bien d’appeler l’attention du comité de Salut public sur les intrigants de Lille qui le circonviennent. Il faut que la Con¬ vention sache que Lavalette, commandant les forces de Lille, a épousé une princesse alle¬ mande, et qu’il a pour aide de camp un nommé Dufraisse, homme sans mœurs, connu pour avoir été l’agent de l’infâme Dumouriez. Ce sont ces gens-là qui ont dénoncé les patriotes dont le tribunal révolutionnaire vient de pro¬ clamer l’innocence. Citoyens, il existe à Lille des malveillants qui mettent en usage toutes sortes de moyens pour lasser le peuple de la Révolution, et le porter à livrer aux ennemis ce boulevard de la République. Merlin (de Thionviïle). J’ajoute que ce système d’intrigue se propage sur toutes les frontières de la République. Dans le départe¬ ment du B as -Rhin, un de nos anciens collègues de l’Assemblée législative, bon patriote, a été destitué de ses fonctions et mis en état d’arres¬ tation par les manœuvres des conspirateurs. Je demande le renvoi de toutes ces observations au comité de Salut public. L’Assemblée adopte cette proposition, et décrète que la lettre de l’accusateur public sera insérée au Bulletin. d’intrigue se propage sur toutes les frontières de la République, et sur celle du Rhin comme sur toutes les autres. J1 appuie le renvoi au comité de Salut public. Le renvoi est décrété. La Iettrefde l’accusateur public sera insérée au Bulletin. � _ J,