[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 novembre 1790.] 989 soins de la chose publique. Vous lui rappelez la première époque de la Révolution française, vous ' qui, par la force de la confiance, exerçant Ja magistrature populaire au moment où la conduite de la capitale pouvait décider la liberté ou l’esclavage de la nation, sûtes vous en acquitter avec tant de courage et de prudence. Les registres de vos délibérations sont î’histoire de la Révolution. L’Assemblée nationale en reçoit l’hommage avec ce sentiment profond qu’éprouvent les amis de la liberté à l’aspect des monuments qui leur en rappellent la conquête ; vos registres, avec les noms qui y sont inscrits, seront déposés dans les Archives nationales, pour être à jamais l’objet de la reconnaissance et du respect de tous ceux qui sauront apprécier les fruits de notre heureuse Révolution. » On demande, et l’Assemblée décrète que le procès-verbal des séances des électeurs de Paris, en 1789, et la médaille y jointe, seront déposés aux Archives nationales. L’Assemblée invite de plus la députation à assister à la séance et ordonne que son discours et la réponse de M. le Président seront imprimés dans le procès-verbal. Des députés du corps des charpentiers, tonneliers, voiliers et calfats sont introduits à la barre, et présentent la ‘pétition suivante : « Messieurs, nous jouissons paisiblement des fruits de la Révolution que vous avez opérée; nous bénissons dans nos ateliers, à nos travaux, ces décrets qui ont rendu à l’homme ses droits, et au pèuple français sa dignité. Toujours prêts à les détendre, nous n’àvions jamais permis qu’ils fussept attaqués, lorsqu’un ordre arbitraire nous a menacés dans nos foyers; et lorsqu’il est venu y porter l’aspect hideux de l’ancien régime, notre premier mouvement a été le désespoir. Sous le règne du despotisme, il eût éclaté; mais nos regards, bientôt tournés vers cette Assemblée, nous ontmontréjqu’ennemie de toute oppression, nous obtiendrions d’elle la force nécessaire pour repousser celle dont nous étions menacés. Députés par les charpêntiers, tonneliers, voiliers et cal-tats, nous demandons qu’aux termes des articles 7 et 8 du titre X, 14 et 15 du titre XII de l’ordonnance des classes, nous ne soyons embarqués à bord des vaisseaux de guerre, que pour remplir nos diverses professions. Déjà, Messieurs, nous avons été entendus favorablement du comité de la marine, et le nouveau ministre de ce département, M. de Fleurieu, après nous avoir écoutés avec l’intérêt qu’on accorde à des concitoyens, à des frères, a ordonné, dans tous les ports, que les charpentiers, voiliers et calfats ne fussent embarqués dans les vaisseaux de guerre qu’en cette qualité. Le calme ne renaîtra pas dans nos ports, par cette décision, car Tordre n’a pas été troublé ; mais nous y rapporterons la douce satisfaction d’annoncer qu’aujourd’hui la justice est une dette sacrée, dont le pauvre jouit comme le riche, et nous répéterons à nos compatriotes ce qu’ils savent déjà : c’est qu’ils doivent ce changement heureux aux augustes représentants de la nation. « Il nous reste un vœu à former, et c’est au nom de nos commettants que nous vous le présentons : c’est, Messieurs, qu’un décret confirme les dispositions du comité et les ordres ministériels donnés dâns les ports. Le comité de la marine nous a annoncé que nous ne pourrions obtenir ce décret que quand le travail des classes serait achevé. Nous l’attendons avec la plus vive 1" Série. T. XX. impatience. Nous n’aimons, nous ne connaissons, nous ne respectons que les lois que vous dictez, et nous osons vous supplier de hâter le plus possible celles qui doivent assurer notre existence. Les hommes sont à l’Etat pour le défendre contre les entreprises des ennemis de la liberté, et contre les efforts des ennemis extérieurs. Dégagés de tous les liens de l’esclavage, arrachés à Tdppres-sion , ils brûlent de déployer dans les mers cette enseigne de la liberté que vous leur avez accordée, et de porter dans les deux mondes ce pavillon sacré, qui sera à jamais un motif d’émulation pour ceux qui auront à le défendre, et le présage du succès pour la nation qui l’aura adopté. » Signé : Jean Chavaneau, député de Bordeaux et pour les calfats ; Pierre Colinau, député du corps des charpentiers; A. Duconte, député des corps des tonneliers et voiliers. Paris, le 6 novembre 1790. M. le Président répond : « L’Assemblée nationale donnera toujours une attention particulière à la prospérité des arts utiles aux droits et aux intérêts des citoyens estimables qui s’en occupent ; le patriotisme et le respect des lois dont vous lui offrez l’expression, et dont vous avez donné de si honorables preuves, vous donnent de nouveaux titres à sa bienveillance. L’Assemblée nationale, toujours empressée de prêter son appui aux dispositions du pouvoir exécutif, quand elles seront dirigées pour le respect des lois et le maintien des droits des citoyens, prendra dans la plus sérieuse considération les demandes que vous lui présentez. » (L’Assemblée nationale renvoie la pétition des charpentiers, tonneliers, voiliers et calfats, au comité de marine, et permet à leurs députés d’assister à sa séance.) Une députation de l’Assemblée électorale de la Corse est introduite à la barre , et prononce le discours suivant (1) ; VERSION DU PROCÈS-VERBAL. « Messieurs, les représentants du peuple Corse, pour la première fois depuis que la liberté est recouvrée, légalement réunis en l’assemblée de ce département, vous renouvellent de son sein l’hommage de leur respectueuse gratitude. Ils vous le doivent pour le décret mémorable à jamais du 30 novembre de Tannée dernière, par lequel vous avez prononcé sur le sort de la Corse. Ils vous doivent également celui de leur entière adhésion à l’heureuse Constitution par laquelle votre sagesse éclairée, revendiquant les droits de la nation et de l’humanité, a assuré la liberté, et avec elle la puissance et la prospérité de la monarchie française. « Dans un jour aussi fortuné, consacré à la reconnaissance de vos travaux patriotiques, l’idée de l’oppression passée ne s’offre à notre souvenir, que pour donner plus de force au sentiment de notre félicité présente. Il pénètre tous les cœurs ; et c’est de lui que partent les bénédictions que profèrent pour vous les voix de toutes les parties de cette île infortunée, et trop longtemps désolée par les horreurs du plus dur escla-(1) Nous reproduisons d’abord ce discours dans les termes où il a été consigné au procès-verbal ; nous donnons ensuite la version mouvementée du Moniteur. 19 290 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 novembre 1790.] vage. Ces horreurs s’étaient multipliées sur nous, plus que sur aucune autre portion de l’Empire français, par le ressentiment cruel que nous avaient attiré les généreux, mais inutiles efforts que nous eûmes le courage de déployer, dans le temps, contre la hauteur et l’injustice gratuite d’un ministre despotique, pour défendre notre liberté. « L’amour de cette même liberté, qui jamais ne s’éteignit dans nos cœurs, vous assura les vœux les plus fervents de notre part, dès l’instant où nous vîmes sortir brillant, du milieu de. vos déterminations, un rayon d’un destin plus heureux que vous prépariez à la patrie. Ces vœux se changèrent en enthousiasme d’admiration, en transports de gratitude et de joie, lors-u’applaudissant à nos premiers succès àreven-iquer la liberté corse, vous daignâtes la recevoir sous la protection de la monarchie, l’appuyer de ses forces, et associer notre île aux droits ainsi qu’à la gloire du peuple français. « L’opération par laquelle s’est heureusement achevée, en cette Assemblée, notre régénération à la liberté ; la formation de ce département, par laquelle la Constitution s’est consolidée en Corse, établissant pour nous, sur des fondements inébranlables, la jouissance de vos travaux, rendra immortels et votre bienfait et notre gratitude ; elle doit même vous garantir notre pleine et parfaite adhésion à toutes les mesures, à tous les décrets qui forment la gloire de la Constitution, et la félicité de la monarchie. Assurés de ces sentiments de notre part, vous n’attribuerez point à la Corse, nous avons la confiance de le croire, la résistance qu’ont opposée à quelques-uns de vos plus sages décrets constitutionnels deux d’entre nos députés, qui siègent encore parmi vous, comme représentants des ordres annoblis de la noblesse et du clergé. Révoltés de leur conduite en différentes occasions, et singulièrement de leurs déraisonnables protestations, qui ont mérité l’animadversion de tous nos bons patriotes, et qui leur ont attiré des signes non équivoques de l’indignation publique dans presque toutes les parties de l’île, nous en serions très mortifiés, très affligés; mais nous nous rappelons qu’ils ont dû leur nomination à des manœuvres intrigantes et à l’influence irrésistible et accoutumée du régime despotique ; qu’elle n’a point été l’effet de la volonté libre du peuple corse, et qu’il a éprouvé, au contraire, de vifs rerets de n’avoir pu s’y opposer efficacement ; 'ailleurs, nous avons de justes motifs de consolation et de satisfaction dans la conduite patriotique des deux autres députés, qui, concourant avec constance à toutes vos mesures, à toutes vos opérations, ont si bien mérité de la causé publique, ont si pleinement justifié la confiance de la patrie. « Qu’ils en soient les orgaues auprès de vous dorénavant, comme ils ont mérité de l’être pàr le passé, jusqu’à ce que la Constitution achevée raffermisse la renaissance de la liberté. Cette Constitution forme actuellement l’objet de l’attente la plus impatiente de la nation; son travail vous est journellement recommandé par tous vos commettants, et votre sagesse et votre constance sauront le terminer avant que votre séparation ait lieu. « Tous les vœux des bons Français sont pour vous, toutes les forces de l’Empire seront le soutien de vos travaux patriotiques, du majestueux monument que vous préparez à la vénération des siècles. « Connaissant la faiblesse de nos facultés et leur effet presque insensible pour l’accroissement de celles de la monarchie, nous oserions à peine en joindre l’hommage à celui de nos sentiments, si votre magnanimité ne nous laissait espérerque vous ne dédaignerez point l’offre de la vie et des substances d’un peuple, autant pauvre et peu nombreux, que reconnaissant et loyal, qui tant de fois, dans la série des siècles, a cimenté de son sang la liberté de la patrie, et qui saura le verser tout entier pour la défense des droits ?[ui lui sont communs avec ses généreux frères rançais, et pour le maintien de la Constitution, qui le réunit à eux sous la protection d’un roi citoyen, du restaurateur de la liberté corse, ainsi que de la liberté française. « Nous sommes avec le plus profond respect, Messieurs, vos très humbles et très obéissants serviteurs. « Les membres de rassemblée électorale du dé* partement de la Corse , et pour eux, « De Paoli, président, Arena, secrétaire. « Orezza, le 23 septembre 1790. » M. le Président répond : « Il ne m’appartient pas de préjuger l’opinion et la volonté de l’Assemblée nationale, et de caractériser celles de vos expressions qui ont été l’objet, dans son sein, d’une discussion contradictoire. Mais je puis et je dois vous dire, comme aux représentants de la Corse, que parmi les hommages que l'Assemblée nationale a reçus des différentes parties de l’Empire, aucun ne lui a paru plus touchant que celui de votre patrie. C’est à vous d’apprécier la liberté, car vous avez souffert pour elle, vous avez combattu pour elle, et le jour de son triomphe doit être celui de votre bonheur. « La nation française, digne aujourd’hui de sentir le prix de vos vertus, est impatiente d’effacer jusqu’au souvenir des maux que son gouvernement vous avait fait subir, et l’Assemblée nationale se plaît à dire avec vous, que si la force des armes avait donné des sujets à la France, c’est à l’influence des lois de lui donner de nouveaux citoyens. » VERSION DU « MONITEUR.» Députation du corps électoral de l’île de Corse. L’orateur de la députation : « Nous avons été les premiers à donner l’exemple de la liberté. Nous venons renouveler nos serments et rendre un hommage à l’estime et à la reconnaissance. Lorsque le patriotisme des habitants de Pari3, après avoir renversé les tours de la Bastille, donna le signal d’une fête civique, notre empressement fut une preuve éclatante de nos sentiments; la neuvième aurore vit arriver à Paris nos députés. . . Yous avez glorieusement conquis votre liberté, vous nous avez associés à votre triomphe; c’est vous qui nous avez conquis, non pas par la force, mais par des bienfaits. Puisse notre exemple éclairer les rois, et leur apprendre que, si la guerre fait des sujets, les bonnes lois seules font les citoyens... Deux de nos députés sont demeurés fidèles aux vœux de leurs commettants ; nous les trouvons toujours dans le chemin de l’honneur et sur la ligne des meilleurs patriotes ; mais les deux autres. . . » (Une partie du côté droit interrompt l’orateur, quitte les sièges, et demande que les députés corses soient chassés de la salle. — Le côté gauche