190 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 juillet 1789.] d’une lettre qu’il vient de recevoir de la part d’une seconde députation de Saint-Domingue. Extrait de la lettre de la nouvelle députation de Saint-Domingue. « Monseigneur, les colons de Saint-Domingue soussignés, actuellement en France, n’ont pu voir d’un œil nidifièrent le moment où les peuples français sont appelés par un roi généreux à faire leurs doléances et à travailler à la restauration commune. « Plusieurs de nos concitoyens se sont réunis d’effet et d’intention pour travailler au bien général. « Ils ont, sans lettres de convocation, et meme de la capitale, fait assembler quelques particuliers pour les nommer députés aux Etats-généraux. « Le défaut de convocation semblait leur en fermer l’entrée; mais la nation a cru devoir rejeter ce défaut de forme ; elle a reconnu que les colonies, comme toute autre province, avaient et ont le droit d’être représentées dans l’Assemblée de la nation. « Les colons soussignés acceptent avec reconnaissance une pareille déclaration. Relégués au delà des mers, ils se croyaient oubliés. Grâces soient rendues à l’Assemblée nationale qui vient de signaler de la manière la plus éclatante les droits de l’humanité. « L’Assemblée nationale ne s’est pas contentée de cette déclaration généreuse, elle a encore admis provisoirement les députés qui prétendent avoir été nommés à Saint-Domingue. « Rien de plus sage, rien de plus prudent. A la distance de deux mille lieues de la métropole, quelle certitude pouvait-on avoir de la légalité d’une telle nomination? « C’est avec douleur que les colons, malgré leur estime pour les prétendus députés de Saint-Domingue, supplient l’Assemblée nationale de suspendre son jugement définitif jusqu’à ce qu’ils aient eu le temps, par une convocation plus régulière, plus publique, plus libre, de se conformer aux dispositions du règlement de convocation, pour valider les pouvoirs, pour vérifier les élections. * Et si les électeurs ont été bien choisis, si les députés ont le droit de se dire et de pouvoir être regardés comme les vrais représentants de la colonie, s’ils peuvent parler en leur nom, proposer, délibérer et engager en un mot la colonie, ils en appellent sur ce point à la vérité et aux droits de la nature, ils en appellent au serment de MM. les députés. « Mais comment ces messieurs pourraient-ils prétendre représenter Saint-Domingue? Les formes qui rendent valables les élections n’ont pas même été remplies. Les députés ont été nommés dans des assemblées de quinze à vingt personnes. A la vérité, le procès-verbal se trouve chargé de signatures mais ce ne sont que des signatures mendiées et données après coup. « Les mandats mêmes ont été donnés en blanc, et ils ne peuvent jamais engager les colons. « Les soussignés supplient l’Assemblée nationale de prendre en considération et de suspendre le jugement pendant le délai suffisant pour légitimer les pouvoirs donnés aux députés. « Les colons de Saint-Domingue osent déclarer que si l’Assemblée croyait devoir passer outre, ils protestent contre tout ce qui pourrait être fait, et demandent acte de leur protestation. » Cette lettre est signée de plusieurs colons. Elle ne paraît pas faire beaucoup d’impression dans l’Assemblée. • M. de Gouy d’Arcy. J’observe qu’au nombre de ceux qui protestent, on trouve les signatures des comtes d’Agoult et Sanadon, quoiqu’ils aient assisté à toutes nos délibérations. M. ***. J’observe -que cette question a déjà été agitée par toutes les puissances de l’Europe qui ont des colonies, sans que jamais elles aient pensé les admettre. La justice naturelle est ici en opposition avec la politique des Etats. Un membre demande que l’on fasse droit à la protestation des colons. M. de Clermont-Tonnerre. Tous les juge+ ments ne peuvent être que provisoires; si quelf qu’un veut disputer les siens à l’Assemblée, on né pourrait rejeter cette réclamation sans l’examiner. Il faut donc ouvrir la discussion sur ces protesta* tions. M. Pison du Galland. Cejugement n’est pas irrévocable, puisqu’il a été rendu sans contradicteurs. L’Assemblée a persisté dans son dernier jugement, et regarde comme valable la députation de Saint-Domingue. Le bureau s’occupe en conséquence de. la question sur le nombre de députés. Saint-Domingue aura-t-il six ou douze députés? C’est ainsi que M. Chapelier pose la question . M. Mouiller observe que cela est contraire à la liberté des suffrages. L’Assemblée arrête que chaque député aura la liberté de prononcer sur le nombre des députés. On procède à l’appel nominal ; sur 756 votants, 1 vote pour 8 députés ; 9 pour 4 ; 223 pour 12 ; 523 pour 6. La majorité est donc pour le nombre 6. M. le marquis de Gouy d’Arcy. Je demande que l’on délibère si les autres députés auront séance dans l’Assemblée nationale. Cette demande est accordée. M. de Gouy demande s’ils auront voix délibérative. M. Tréteau. Les députés suppléants de toutes les provinces ne méritent pas moins de faveur que les députés de Saint-Domingue ; au contraire, j la députation de ceux-ci, quoique jugée valable, n’en est pas moins incertaine. Cette opinion fait rejeter la demande deM.'le; marquis de Gouy d’Arcy. Eu conséquence l’Assemblé nationale arrêté : . « Que Saint-Domingue aura six représentants j pour la présente session de l’Assemblée nationale, et que les autres membres présentés à la députation auront, comme les suppléants des provinces de France, une place marquée dan3 l’enceinte de la salle, sans voix consultative ni délibérative. » M. Dupont de Nemours, au nom du comité des subsistances. Le comité que vous avez établi pour s’occuper de la cherté des grains et des moyens de faciliter la subsistance du peuple s’est livré avec le zèle que vous avez droit d’attendre de ses membres au travail que vous lui avez imposé. Il a d’abord chargé trois de sesmem- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [4 juillet 1789.] 191 lires de demander à M. le directeur-général des fi-jnances les renseignements nécessaires pour déterminer avec plus de justesse les opérations dans lesquelles votre amour pour vos concitoyens ne Vous permet d’apporter aucun retard. Ce ministre nous adonné les états d’entrée et de sortie, jet il s’est chargé de plus de faire lui-même pour le comité un mémoire qui va être mis sous vos yeux. I : M. lïupout fait lecture de ce mémoire. MÉMOIRE REMIS DE LA PART DU ROT, PAR M. NECKER, DIREC-j TEUR GÉNÉRAL DES FINANCES (l). ; Je ne puis rendre compte des soins que le Roi a pris, relativement aux subsistances, que depuis le moment de ma rentrée dans le ministère, c’est-à-dire depuis le 25 août 1788. I La libre exportation des grains avait été établie par une loi enregistrée le 17 juin 1787; cette loi avait été généralement applaudie, et en conséquence l’on s’était livré au commerce des grains dans tout le royaume avec plus d’activité que jamais, et l’on avait envoyé dans l’étranger une quantité considérable de grains. Cependant, à mon arrivée dans le ministère, je me hâtai de prendre des informations sur le produit de la récolte et sur les besoins des pays étrangers. Ces informations m’ayant donné de l’inquiétude, je proposai à Sa Majesté de défendre l’exportation des grains. On crut dans les premiers moments que ces dispositions tenaient aux opinions particulières du ministre, parce que j’ai fait connaître en plusieurs occasions de quelle importance il est pour la France de veiller sans cesse sur les effets d’une exportation illimitée, et de ine se livrer à cet égard à aucun système exa-jgéré. Quoi qu’il en soit, l’expérience a prouvé combien était convenable l’empressement que j’apportai à solliciter les ordres de Sa Majesté, pour contenir et pour arrêter entièrement l’exportation des grains. Ce fut dans les premiers jours de septembre que je commençai à ordonner aux fermiers généraux, de la part du Roi, d’arrêter à plusieurs; frontières l’exportation des grains, et le 7 du même mois, Sa Majesté lit rendre un arrêt de son conseil qui défendait d’une manière générale et absolue la sortie des grains hors de Son royaume. Cependant de nouvelles notions générales sur l’étendue de la dernière récolte m’ayant fait braindre que son produit, joint aux réserves des Anciens blés, ne fût pas suffisant, Sa Majesté crut prudent d’exciter le commerce à faire venir des grains de l’étranger, et Sa Majesté permit, par lun arrêt de son conseil du 23 novembre dernier, ùne prime de 40 sous par quintal de farine, et de 30 sous par quintal de blé, sur toutes les (quantités de ces denrées qui seraient importées des Etats-Unis d’Amérique dans l’un des ports du royaume. T Cette prime n’avait d’abord été annoncée que pour durer jusqu’à la lin de juin, afin de hâter les secours qui pourraient nous être destinés de cette contrée; mais le Roi, par son arrêt du (1) Le mémoire de M. Necker, n’a pas été inséré an Moniteur. 20 avril dernier, a prolongé cet encouragement jusqu’au 1er septembre prochain. Sa Majesté, par son arrêt du 11 janvier dernier, accorda de semblables encouragements à l’importation des grains qui seraient envoyés en France de tous les pays de l’Europe, et les primes, fixées d’abord à 15 sous par quintal de froment, à 12 sous par quintal de seigle, et à 20 sous par quintal de farine, ont été doublées par l’arrêt du conseil du Roi du 20 avril dernier, et le terme en a été prolongé jusqu'au 1er septembre : enfin, le Roi accorda par le même arrêt une prime d’encouragement pour l’introduction des orges, soit en grains, soit en farines. Toutes ces primes ont été payées comptant dans les ports mêmes et à Farrivée des navires. Cependant Sa Majesté, justement inquiète que le royaume ne reçût pas des secours équivalents à ses besoins, et l’expérience ayant instruit que peu de négociants veulent se mêler du commerce des grains, lorsque les prix sont chers et fixent les inquiétudes du peuple, Sa Majesté crut devoir s’assurer d’un approvisionnement extraordinaire, en faisant acheter dans l’étranger, de ses propres deniers et à ses périls et risques, une quantité considérable de blés et de farines, et le Roi confia ces commissions aux régisseurs des vivres de la guerre. Ils ont été autorisés à faire des achats au dehors dès le mois de novembre, et depuis cette époque iis n’ont jamais été un moment dans l’inaction. La commission pour les farines n’a été exécutée que jusqu’à la concurrence de quatre-vingt-dix mille sacs, parce qu’on n’a pu faire ces achats qu’en Angleterre; et dans le cours de ces opérations le prix de la denrée est monté au terme où les lois du pays ne permettent plus l’exportation. On n’a pas été arrêté de même dans les achats de blés, parce qu’on a pu s’adresser dans plusieurs pays, en Hollande, à Hambourg, à üant-zick, en Irlande, et pendant quelque temps dans la Flandre autrichienne. Le Roi a employé sou crédit et sa puissante intervention pour obtenir, malgré les défenses gé-générales, une extradition particulière de la Sardaigne, de la Sicile et des Etats du pape, ces blés avaient d’abord été destinés pour la Provence et les autres parties méridionales de la France; mais Sa Majesté ayant été informée qu’on pouvait s’y passer de ces secours, le Roi les fait venir au Havre et à Rouen ; mais par un des malheurs qui semblent assaillir la France cette année, une conduite inattendue de la part des Algériens jette l’alarme dans la Méditerranée, et intimide les navigateurs. Je vais donner maintenant un recensement des divers secours dus aux soins bienfaisants de Sa Majesté. A reporter ........ 1,041,633