SÉANCE DU 5 FRIMAIRE AN III (25 NOVEMBRE 1794) - N° 46 177 puisque l’intention contraire de la Convention nationale était manifestée par les décrets des 19 mars, 10 mai, 5 juillet et 1er août 1793. En conséquence, je demande qu’il en soit fait mention dans l’acte d’accusation. Plusieurs autres membres parlent dans le sens de cette proposition. *** : Je trouve, en effet, dans cette lettre deux délits graves: le premier, d’avoir présenté ces horreurs comme ordonnées par les lois de la Convention; le second, d’avoir ainsi fait périr beaucoup de patriotes ; car le quart de la Vendée, peut-être le tiers, n’était pas en rébellion. Et qu’ont fait les généraux ensuite des ordres de Carrier? Ils faisaient assembler une commune entière; les officiers municipaux avec leurs écharpes étaient en tête: eh bien, quand ils étaient assemblés, on fusillait tout, femmes et enfants ; on pillait la commune, et on la brûlait. Treilhard pense que cette lettre qui explique les pouvoirs donnés par Carrier à Lamberty, doit bien faire preuve au procès ; mais non pas motiver un article de l’accusation. Un membre observe que le Tribunal ne pouvant instruire que sur les articles portés en acte d’accusation, il est nécessaire d’en faire un de cette lettre. LOFFICIAL : Je demande à répondre à mon collègue Treilhard. Il est d’autant plus intéressant que l’acte d’accusation qui vous est présenté établisse un chef d’accusation sur cette lettre, que, d’après la loi sur la garantie de la représentation nationale, la procédure contre Carrier ne peut s’instruire, et le jugement ne doit se prononcer que sur les chefs d’accusation portés contre lui. D’ailleurs, citoyens, je vois deux corps de délit dans cette lettre : le premier est d’avoir calomnié la Convention nationale en disant que l’intention de la Convention nationale était d’exterminer tous les habitants de la Vendée et d’en incendier tous les bâtiments, tandis qu’elle avait manifesté une intention contraire par ses décrets que j’a précédemment cités, et notamment par celui du 1er août 1793. Le second corps de délit naît de ce qu’il est présumable que cette lettre a paru, aux généraux perfides qui commandaient les troupes de la République dans les départements insurgés, une autorisation suffisante pour détruire ce fertile pays, et en égorger tous les habitants sans distinction d’âge ni de sexe, de patriotes ou de rebelles ; car ce n’est que depuis cette lettre que les actes de barbarie les plus atroces, et que la postérité ne pourra pas croire, ont été commis dans ces départements. Il faut que vous sachiez, citoyens, que les généraux, pour détruire plus sûrement et plus promptement les habitants de ce malheureux pays, avaient imaginé d’envoyer à chaque commune l’ordre de se réunir à telle heure, et dans tel champ qu’ils désignaient. Les habitants, qui étaient bien éloignés de soupçonner la perfidie des généraux, pensant obéir aux ordres de la Convention nationale, se rendaient au lieu indiqué, hommes, femmes et enfants, leurs officiers municipaux, décorés de leurs écharpes, en tête; la troupe arrivait; les trop confiants habitants s’attendaient à voir des frères qui venaient recevoir leurs serments de fidélité à la République; mais ils ne trouvaient que des assassins qui les fusillaient lâchement et sans miséricorde, allaient ensuite piller les maisons de la commune et les brûlaient ; les malades et les infirmes étaient inhumainement massacrés dans leurs lits. H est évident que si ces communes avaient été du parti des rebelles, elles n’auraient pas obéi aux ordres des généraux. C’est cette conduite plus qu’atroce, ce sont les expéditions sanglantes faites à Nantes, sous les yeux ou par ordre de Carrier, qui ont allumé de nouveau cette guerre presque éteinte, en forçant la presque totalité des habitants, qui ne voyaient que la mort, à se réunir à Charette pour se conserver la vie. Tous les rapports s’accordent à dire qu’avant ces cruautés Charette n’avait pas sous ses drapeaux plus de quatre ou cinq cents hommes ; une vérité est qu’à cette époque un grand nombre de communes étaient restées fidèles à la République, avaient combattu les rebelles et n’avaient pris aucune part à la révolte ; certainement elles n’ont pas été plus respectées que les autres ; en conséquence, je propose l’article additionnel qui suit : «La Convention nationale accuse Carrier d’avoir écrit au général Haxo le... (120), que l’intention de la Convention nationale était d’exterminer tous les habitants de la Vendée, et d’en incendier toutes les habitations ; que c’est depuis cette lettre que les généraux ont incendié un grand nombre de communes, ainsi que les fermes, et égorgé les habitants, sans distinction d’âge ni de sexe, de patriotes ou de rebelles ». Cet article est adopté (121). La Convention nationale accuse Carrier d’avoir écrit au général Haxo, le 23 frimaire, que l’intention de la Convention nationale étoit d'exterminer tous les habi-tans de la Vendée, et d’en incendier toutes les habitations ; que c’est depuis cette lettre que quelques généraux ont incendié un grand nombre de communes, ainsi que les fermes, et égorgé les habitans, sans distinction d’âge, de sexe, de patriotes ni de rebelles. Un membre [LEFIOT] demande qu’on renvoie au comité, pour examiner si on peut admettre des preuves testimoniales contre un représentant du peuple. Cette proposition est combattue par plusieurs orateurs : on passe à l’ordre du jour (122). (120) Moniteur, XXII, 603. La date est laissée en blanc dans le texte. (121) Moniteur, XXII, 602-603. Rép., n° 67 ; Débats, n° 793, 926-927 ; J. Fr., n° 791 ; J. Perlet, n° 793. (122) P.-V., L, 110.