664 [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, j ”93 Le citoyen Remy-Louis Lecomte, domicilié en cette ville, se présente et dit : « Citoyens, « Je viens déposer en vos mains la croix de Saint-Louis dont j’étais ci-devant décoré, avec le brevet qui m’avait été donné. Tant que cette décoration n’attestait que mes services, je l’ai portée sans rougir, mais puisque cette marque est contraire à l’égalité, j’y renonce sans regret. » Pour copie conforme : « Devilliers, maire; Chevillard, secré¬ taire-greffier. Procès-verbal de la fête civique (1). Aujourd’hui, vingt brumaire de l’an deux de la République une et indivisible, en consé¬ quence de l’arrêté du conseil général de la com¬ mune de Puiseaux, chef-lieu de canton, district de Pithiviers, département du Loiret, du sept du présent mois, portant que le brûlement des titres relatifs aux droits féodaux aurait lieu ce jour-d’hui, et qu’il y aurait, à cette occasion, une fête civique. Les membres du conseil général se sont réunis à la maison commune sur les dix heures du matin, et, de concert avec les commissaires de la Société populaire de cet endroit, ont arrêté l’ordre suivant : Art. 1er. « Le brûlement se fera sur la principale place vis-à-vis la halle. Art. 2. « Les papiers déposés au secrétariat de la municipalité pour être brûlés seront traînés dans un tombereau. Art. 3. « Le maire, le commandant de la garde natio¬ nale et le président de la Société populaire sui¬ vront immédiatement. Art. 4. « Les autres membres des autorités consti¬ tuées, les maires et officiers municipaux des communes du canton, invités à cette fête, les membres de la Société populaire et ceux des autres Sociétés, envoyés par députation, mar¬ cheront en groupe et sans distinction. Art. 5. « La marche sera précédée et terminée par les volontaires de la première réquisition, sous les armes. Art. 6 et dernier. « On se réunira dans la salle de l’ Hôtel-Dieu, à l’heure de midi. » Cet ordre, à l’instant, a été distribué et affiché. (1) Archives nationales, carton G 284, dossier 819. A l’heure de midi, tous les membres du con* seil général se sont rendus à l’ Hôtel-Dieu, où la Société populaire tient ses séances. La Société populaire, les députations des Sociétés populaires de Boynes, Boësse et La-neuville, et les municipalités des communes du canton étaient déjà réunies, ainsi que les citoyens de la première réquisition. Les députations des Sociétés populaires d’Or¬ léans et de Pithiviers n’étaient point arrivées, on a pensé que la pluie du matin pouvait avoir retardé leur arrivée : on décide qu’il faut les attendre. Quelques moments après on annonce la députation de la Société d’Orléans. Les ci¬ toyens Laguette et Bellet entrent au même ins¬ tant et sont reçus aux cris répétés de Vive la République ! vive la Convention nationale ! vive la Montagne ! vivent les sans-culottes d'Orléans. On attend encore la députation de la Société de Pithiviers; à 2 heures on perd l’espoir de les voir et on part à regret. L’ordre se forme, et on marche vers la place du brûlement, aux cris mille fois répétés de Vive la République, vive la Convention natio¬ nale ! vive la Montagne ! Arrivés à l’endroit marqué, on se range autour d’une pyramide de fagots, et on y jette les titres féodaux. Les mêmes cris se répètent et se succèdent longtemps. Le procureur de la commune obtient la parole et dit : « Citoyens, « La liberté du peuple français était incom¬ patible avec le régime féodal établi dans les siècles reculés de l’anarchie, de la barbarie et de l’esclavage. « Ce système odieux et tyrannique, respecté pendant plus de quatorze cents ans, ne tirait sa force que de la patience et de la faiblesse du peuple. « Attaqué de toutes parts, ce colosse hideux ne pouvait résister longtemps aux coups d’un peuple qui a arraché des mains du dernier de ses tyrans le sceptre de sa puissance usurpée. « Que les autres peuples de l’Europe appren¬ nent qu’en un instant tous les préjugés poli¬ tiques et religieux qui courbaient notre âme vers la terre, que ces institutions de l’orgueil et de l’ambition, qu’une race de reptiles avait accueillies et caressées, que ces offensantes variétés de conditions, noblesse, armoiries, dignités, rangs, préséances, grandeurs, enfants du délire et de la vanité, oui, toutes ces chimères de la superstition ont fait place à la liberté et à l’égalité, si longtemps ensevelies sous les ruines du temple de la raison. « Maintenant le sol de la France est aussi libre que les hommes qui l’habitent. Ces restes impurs de la féodalité, baux à cens, terriers, tous ces titres arrachés à la timidité du peuple vont être dévorés par les flammes. « Citoyens, bénissons à jamais la Révolution qui a brisé nos chaînes; affermissons notre li¬ berté sur les débris encore fumants du despo¬ tisme. « Et vous, jeunes guerriers, appelés à la défense de la patrie, et qu’une ardeur républi¬ caine anime, c’est entre vos mains que la France remet ses destinées ; allez combattre ces mons¬ tres coalisés contre nous, et ne posez les armes [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, j !3no™mbrTl793 665 qu’ après avoir donné la liberté et la paix à l’univers. « Vive la République une et indivisible ! « Je requiers, en qualité de procureur de la commune, que tous ces titres relatifs à la féo¬ dalité, et que la municipalité a fait transporter sur cette place soient à l’instant livrés aux flammes, en exécution du décret de la Conven¬ tion nationale du 27 juillet 1793 (vieux style), et que le conseil général constate le brûlement dans ses registres. » Le Président de la Société populaire demande aussi à parler et dit : « Citoyens, frères et amis, « Nous célébrons une' grande fête, et ce jour sera à jamais mémorable pour nos arrière-neveux. « Nos ancêtres ont gémi pendant un grand nombre de siècles sous le joug de la royauté et de la féodalité; nous avons senti tout le poids des impôts arbitrairement établis et répartis injustement; des cens, champart, dîmes, et une infinité d’autres charges enle¬ vaient au peuple le fruit de ses travaux, la plus grande partie de sa subsistance. « Nous avions perdu la jouissance des droits sacrés et imprescriptibles que la nature et la raison accordent également à tous les hommes ; les rois avaient envahi toute l’autorité, ils commettaient et laissaient commettre impuné¬ ment, sous leurs noms, toutes sortes de vexa¬ tions, et nos descendants paraissaient destinés à vivre dans le même esclavage. « Mais le temps est venu où la raison a dissipé les illusions. « L’homme est rentré dans ses droits naturels. La royauté, la féodalité sont abolies, nous allons en brûler les titres, il n’en subsistera aucune trace. Nous sommes républicains, libres et égaux. C’est à la Convention nationale que jious sommes redevables de tous ces avantages. Joignons l’expression de notre reconnaissance à celle de tous les Français; invitons nos légis¬ lateurs à rester à leur poste pour consolider notre bonheur. Mourons tous, s’il le faut, pour trans¬ mettre à nos descendants la République une et indivisible; répétons unanimement à mille et mille reprises, les cris de : Vive la nation ! vive la République! vive la Convention! vive la Mon¬ tagne ! » Le maire demande la parole à son tour et prononce le discours suivant : « Citoyens, « Le despotisme vaincu devait entraîner dans sa chute la féodalité qui lui servait d’appui. La Convention nationale, en terrassant l’hydre, a voulu que l’on coupât toutes ses têtes à la fois et qu’il ne restât aucune trace de la ser¬ vitude et de la féodalité. « Les titres qui grevaient vos propriétés sont dans vos mains, et vont, en brûlant, allumer le flambeau de la liberté. « Ces titres, trophées de la victoire du peuple, attestent son courage et assurent sa liberté. « Ce bienfait de la Révolution était réservé aux défenseurs du peuple et aux courageux efforts de la Montagne. « Vainement l’aristocratie, soutenue par les conspirateurs et les traîtres, essaya mille fois de renverser les fondements de la liberté qui s’élevaient avec une étonnante rapidité à travers les décombres de la monarchie et des préjugés qui la défendaient; vainement les puissances coalisées employèrent leurs efforts en faveur des ennemis de la liberté contre un peuple qui avait juré de la maintenir et de la défendre. « Une justice éclatante et sévère punit les uns et l’intrépidité du soldat français chasse les autres. « Français, avant de nous livrer à la joie que ce jour inspire, consacrons à la reconnaissance, faisons des vœux pour la Convention nationale et pour la Montagne; prions la Convention, au nom du salut public et de la patrie, do rester à son poste jusqu’à la paix. » Le maire cessait à peine de parler que mille et mille - voix, à la fois, expriment le même vœu et la même prière, et répètent longtemps les cris de Vive la Convention nationale! vive la Montagne ! L’impatience était peinte sur les visages, les titres féodaux ne brûlaient point encore. Le maire la partage et présente une torche au doyen de chacune des députations des différentes Sociétés populaires invitées. Le feu est mis à l’instant, et le peuple jette un cri de joie en voyant brûler les restes de l’oppression et de l’esclavage. Le maire de Briare s’avance et livre aux flammes les cueillerets et les déclarations cen-suelles déposés à la municipalité par le ci-devant receveur fermier du lieu. On se prend tous par la main, on jure l’unité et l’indivisibilité de la République et on danse autour du feu. Déjà tout est réduit en cendres, et les en¬ fants les ont aussitôt jetées au vent. On se sépare pour se réunir au banquet fra¬ ternel préparé dans le même lieu. Chacun y apporte, et les tables sont à l’instant couvertes et remplies. Les pauvres ne sont point oubliés et on leur distribue du pain et du vin. Les vieil¬ lards sont placés aux tables. Mille santés sont portées, et le peuple, aban¬ donné tout entier à la joie, bénit ceux qui ont rompu ses chaînes et qui lui ont rendu la liberté. Il jure de mourir pour la défendre, et il crie : Vive la Convention nationale ! vive la Montagne ! Cette fête n’a point fait gronder l’airain, l’expression de la joie et celle du sentiment en ont fait tous les frais. Fait et rédigé en la maison commune, à Pui-seaux, les jour et an que dessus. . Pour copie conforme : Devilliers, maire ; Chevillard, secrétaire - greffier. Les administrateurs du district de Bazas an¬ noncent qu’ils viennent de faire conduire au dépôt 38 cloches, pesant 14,331 livres; ils annon¬ cent qu’ils en ont une plus grande quantité dans une des paroisses du district; que ces contrées sont éclairées, et que 28,662 livres de fonte pour¬ raient bien éclairer l’esprit public en Espagne. Mention honorable, insertion au « Bulletin » (1). (1) Procès-verbaux de la Convention, t. 26, p. 49.