240 (Assemblée aationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (19 mars 1190]. des ordres rentés qui voudra vivre dans le cloître sera fixée à 800 livres, et celle de chaque religieux des ordres mendiants à 600 livres. » La question préalable est demandée sur cet amendement, et mise aux voix par assis et levé. M. le Président. L’Assemblée a décrété qu’il y avait lieu à délibérer. (Tout le côté droit delà salle réclame contre ce décret, et demande l’appel nominal.) M. le Président. J’ai prononcé ce décret, non seulement d’après ce que j’ai cru voir, mais encore d’après l’avis de presque tout le bureau. Le bureau est composé de six secrétaires, et cinq ont cru avec moi que l’Assemblée avait décrété qu’il y avait lieu à délibérer. Cependant l’appel nominal est demandé, il va être fait. M. le marquis de Bonnay. La question était de savoir s’il y avait lieu à délibérer sur l’amendement de M. Voidel. Cette question préalable a été mise aux voix. L’épreuve a paru douteuse ; l’appel nominal a été réclamé. Je demande que l’appel nominal soit fait, non sur la question préalable, mais sur l’amendement lui-même. La proposition de M. le marquis de Bonnay est adoptée. L’amendement est relu, et l'appel nominal commencé. On procède à l’appel nominal. — L’amendement de M. Voidel est rejeté. La discussion est reprise. M. Moreau, député de Touraine. Je propose de supprimer de l’article le mot enclos. M. Trellhard. Lorsque le comité a proposé de donner aux religieux qui préféreront rester dans leurs maisons la jouissance des enclos qui en dépendent, il pensait que ces religieux seraient assujettis aux réparations usufruitières; mais comme vous venez de le juger différemment, je crois répondre aux vœux du comité en me joignant à l’auteur de l’amendement. M. Martineau. Il y aurait des inconvénients à adopter l’article purement et simplement. Dans certaines maisons, l’enclos est de fort peu d’étendue; dans d’autres, au contraire, il est très considérable.;. 11 ne faut pas confondre les jardins avec les enclos. Il serait indécent de chercher à priver les moines de leurs jardins pour en retirer au bénéfice. Mais il y a tel enclos qui vaut jusqu’à 10, 15 et 20,000 livres de rente. Plusieurs voix : Gela est faux ! M. Martineau. Je n’entends pas dire que tous les enclos vaillent 20,000 livres ; mais je dis qu’il y en a d’une très grande valeur. Je pourrais citer, par exemple, le clos de Vougeot, en Bourgogne. Je propose donc, par sous-amen-deinent, d’ajouter à l’article, que les religieux auront la jouissance des enclos attenant à leurs maisons, à la charge d’en déduire le produit sur leurs pensions, d’après l’estimation des assemblées de département. Dont Gerle. Il est étonnant que, d’après les pensions modiques qu’on a accordées aux religieux, on veuille encore faire des difficultés pour leur donner une jouissance très légère. Ce n’est point une opération de finances, mais un acte de justice, que vous avez voulu faire en rendant aux moines leur liberté. Laissez-leur donc un honnête nécessaire. Observez que les pauvres n’oublieront pas ces maisons où ils étaient accoutumés à recevoir des secours; n’oubliez pas que ce sera toujours où l’on demandera l’hospitalité, qu’il y faut des chambres garnies, du linge etuncertain nombre de domestiques. D’après toutes ces considéra-rations, que je vous prie de peser dans votre sagesse, je demande que l’amendement et le sous-amendement soient rejetés. M. Charles de Cameth. Sans prétendre soupçonner les intentions du préopinant, qui a tant de fois donné des preuves du patriotisme le plus pur, il me semble que ses raisons ne sont pas du tout concluantes. Il s’agit d’avoir toujours devant les yeux la grande question; car, si nous faisons des fautes dans les détails, nous devons craindre que le gage précieux de la nation ne nous échappe. M. Target. Je penseque si vous accordiez aux religieux la jouissance d’un enclos, s’il y en avait un attenant à leurs maisons, ce serait établir parmi eux-mêmesde grandes disproportions, puisque là où serait un enclos de 1,200 livres, la répartition de cette somme serait une faveur particulière aux religieux de la maison, et que trois religieux seulement pourraient conserver celte jouissance. M. l’abbé Cayla de La Garde. Il est au-dessous de la loyauté française de mesurer à la toise le terrain des individus dont vous possédez tout le bien; écartons donc par la question préalable un amendement aussi minutieux. M. deCaialès. L’observation de M. Target n’est pas juste, puisque, par un de vos décrets, vous avez ordonné que lorsqu’il n’y aurait pas dans les maisons un nombre suffisant de religieux, ils seraient réunis à d’autres maisons. En abolissant les vœux monastiques, vous avez voulu faire un acte d’humanité et de bienfaisance ; mais votre intention n’a pas été de traiter ceux qui apostasieraient plus favorablement que ceux qui resteraient fidèles à la règle à laquelle ils se sont consacrés. Si l’amendement était adopté, il n’en résulterait pour vous qu’un lucre bien peu précieux. L’objet n’est pas assez important pour que vous vouliez vous donner les torts d’une rigueur déplacée ; laissez aux religieux des enclos qui sont plutôt de pur agrément que d’aucune utilité, M. Dubois de Crancé. Je propose de mettre, au lieu d’enclos, « jardins et vergers attenants ». M. Prieur. On n’esl embarrassé que parce qu’on donne trop d’extension au mot enclos. Vous avez voulu attacher quelques douceurs aux habitations des moines ; par enclos, vous avez entendu» non pas le terrain dans lequel il y a des maisons construites, mais les enclos dans lesquels sont les fruits nécessaires à leur consommation. L’amendement de M. Dubois.de Grancé est le plus sage de tous, mais il est encore trop grave. Il faut dire pour plus de précision, « les enclos qui n’excéderont pas quatre arpents ». Plusieurs personnes demandent encore la parole ; d’autres demandent qu’on ferme la discussion. — L’Assemblée déclare que la discussion est fermée. M. de Beauharnais propose, par amendement, que les religieux dans les villes soient restreints avec leurs pensions aux jardins et pota- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19 mars 1790.] 241 gers, et que, dans les campagnes, on leur laisse en outre les endos, quand ils n’excéderont pas six arpents. M. l’abbé DSUon propose d’ajouter, après les mots « six arpents », ceux-ci, « mesure de Paris ». Ges deux amendements, mis aux voix, sont adoptés. L’article, ainsi amendé, est décrété comme il suit: « Les religieux qui préféreront se retirer dans les maisons qui leur seront indiquées jouiront, dans les villes, des bâtiments à leur usage et des jardins potagers; dans les campagnes, ils auront en outre l’enclos y attenant, lorsqu’il n’excédera pas six arpents, mesure de Paris; le tout sous la charge des réparations locatives et des frais de culte divin, excepté pour les églises paroissiales. « Il sera en outre assigné auxdites maisons un traitement annuel, en raison du nombre de religieux qui y résideront: le traitement ne sera pas le même pour les religieux mendiants et pour les religieux non mendiants; il sera proportionné à l’âge des religieux, et en tout conformément au traitement décrété pour les religieux qui sortiront de leurs maisons. « L’Assemblée nationale se réserve de déterminer l’époque et la manière dont les traitements alors seront acquittés. La quête sera interdite à tous les religieux. » M. ©uval d’Eprénicsnil propose d’envoyer au roi et à la reine une députation pour complimenter Leurs Majestés sur la mort de l’empereur et leur témoigner la sensibilité de l’Assemblée nationale sur cet événement. Cette motion est adoptée à l’unanimité. M. le Président est chargé de se retirer dans la journée, par devers le roi, pour demander quel jour et à quel moment Sa Majesté pourra recevoir cette députation. La séance est levée à trois heures du soir. ANNEXE A la séance de V Assemblée nationale du 19 mars 1790. Opinion de M. Mayct, curé de Rochetaillée, député de Lyon , sur l'emploi des biens ecclésiastiques (1). Messieurs, l’Assemblée nationale, depuis qu’elle est en activité , s’est imposé la tâche glorieuse, mais pénible, d’atteindre pour les réformer les abus de tout genre, qui, par le laps des années, l’impéritie ou l’infidélité des agents de l’administration avaient jeté de profondes racines dans toutes les parties politiques de ce vaste empire, et semblaient encore, il n’y a guère, vouloir s’y éterniser pour en consommer la ruine. Au milieu des travaux difficiles auxquels vous vous êtes livrés jusqu’à ce jour, avec un zèle si persévérant, vous n’aviez pu, Messieurs, porter sur le clergé de ce royaume, et sur les besoins de ses membres, qu’un coup d’œil général, qui, (1) Ce document n’a pas été inséré au Moniteur. lre SÉRIE, T. XII. embrassant dans leur ensemble toutes les parties de l’administration temporelle de l’Eglise, ne nous avait pas permis, faute de temps ou d’instruction suffisante, d’entamer sur ce point aucune opération de détail, bientôt cet objet important sera soumis à votre sagesse, et c’est un devoir pour moi d’y rappeler pour un instant votre attention. La majesté du culte catholique d’autant plus cher à la nation française, que son établissement dans les Gaules, remonte à des temps bien antérieurs à la fondation de cette monarchie, l’entretien des temples, la décoration des autels, le soulagement des pauvres, la subsistance des ministres de l’Eglise , tels sont , Messieurs, les grands objets sur lesquels vous aurez successivement à prononcer. Sans doute, l’examen le plus approfondi, les vues les plus judicieuses, par conséquent les mieux appropriées au bien général, présideront au décret qui va régler de si grands intérêts et j’aurais à me reprocher si je pensais qu’il fût nécessaire aujourd’hui de faire entendre en leur faveur la voix de la religion, d’invoquer dans cette cause les sentiments de votre justice et de votre humanité. L’ancienne administration du clergé vous a paru si vicieuse dans le partage des biens ecclésiastiques, et jusqu’à un certain point dans leur emploi, que vous avez mieux aimé anéantir totalement ce régime défectueux, que de chercher à le réparer, en y appliquant les règles d’une réforme, dont il vous a paru n’être plus susceptible. Je n’examinerai pas, Messieurs, jusqu’à quel point les circonstances, et peut-être des passions particulières, ont amené cette étonnante révolution dans le régime administratif du clergé ; je ferai seulement preuve de ma soumission sincère aux décrets de l’Assemblée nationale, en ne lui proposant sur l’emploi des biens ecclésiastiques, que des vues à peu près conformes aux principes qu’elle a consacrés. Mais il me semble que, pour procéder avec méthode dans une matière qui présente de si grands détails, il est indispensable d’embrasser, dans un plan général, toutes les parties du régime économique du clergé, de bien connaître d’abord, de fixer avant tout , la masse totale de ses revenus et l’étendue de ses charges; de descendre ensuite par degré, et d’appliquer à chacun des titulaires de bénéfices ou des établissements ecclésiastiques des moyens de subsistance, honorables, suffisants et assurés. Je commence par examiner les ressources que nous offrent les biens du clergé; je passerai bientôt aux dépenses que ses besoins exigent. Avant le décret fameux du 4 du mois d’août dernier, le clergé jouissait du produit des dîmes, du revenu de ses propriétés territoriales et de la contribution du casuel, ce dernier article spécialement affecté aux pasteurs des paroisses; par un motif dont le principe ne saurait être assez loué, puisqu’il vous était inspiré par le désir de soulager les peuples, vous avez déclaré abolies tes dîmes, et cette portion du casuel dont avaient joui jusqu'alors les curés de la campagne ; de manière qu’aujourd’hui ce n’est guère que dans le produit des propriétés territoriales du clergé, placées d’ailleurs dans la disposition de la nation par le décret du 2 novembre, qu’il faut essayer de trouver des ressources, pour fournir avec dignité aux dépenses du culte national, et à la subsistance de ses ministres. 16