558 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE de Sylla; car il ne s’agissait pas ici d’amis ou d’ennemis du peuple; il s’agissait de proscrire ceux qui ne voulaient pas obéir à tel ou tel individu. Je vais citer un fait qui prouvera que Robespierre, qui, depuis quelque temps, ne parlait que de Marat, a toujours détesté cet ami constant du peuple. A la fête funèbre de Marat, Robespierre parla longtemps à la tribune qu’on avait dressée devant le Luxembourg, et le nom de Marat ne sortit pas une seule fois de sa bouche. Le peuple peut-il croire qu’on aime Marat lorsqu’on déclare avec humeur qu’on ne veut pas lui être assimilé ? Non, ils avaient beau, ces hypocrites, parler sans cesse de Marat, de Chal-lier : ils n’aimaient ni Marat, ni Challier; Challier, dont j’ai vu la conduite, dont j’ai chéri, admiré et respecté les vertus ! Le peuple le sait bien ; c’est dans les vertus de la vie privée qu’on reconnaît les vertus publiques. (On applaudit). FAYAU : Je demande la parole pour un fait. Un des commissaires d’une section a fait demander au directeur d’un atelier des fusils pour en armer les jeunes gens de cette section demain à la fête. Les fusils ont été refusés. (On applaudit). La séance est suspendue (l). F [SAINT-JUST :] (2) Je ne suis d’aucune faction ; je les combattrai toutes. Elles ne s’éteindront jamais que par les institutions qui produiront les garanties, qui poseront la borne de l’autorité, et feront ployer sans retour l’orgueil humain sous le joug de la liberté publique. Le cours des choses a voulu que cette tribune aux harangues fût peut-être la roche tarpéienne pour celui qui viendrait vous dire que des membres du gouvernement ont quitté la route de la sagesse. J’ai cru que la vérité vous étoit due, offerte avec prudence, et qu’on ne pouvoit rompre avec pudeur l’engagement pris avec la conscience de tout oser pour le salut de la patrie. Quel langage vais-je vous parler ? comment vous peindre des erreurs dont vous n’avez aucune idée, et comment rendre sensible le mal qu’un mot décèle, qu’un mot corrige ? Vos comités de sûreté générale et de salut public m’avoient chargé de vous faire un rapport sur les causes de la commotion sensible qu’avoit éprouvée l’opinion publique dans ces derniers temps. La confiance des deux comités m’honorait; mais quelqu’un cette nuit a flétri mon cœur; et je ne veux parler qu’à vous. (l) Moniteur (réimpr.), XXI, 337-338; Débats, 177-180; J. Mont., n°93bis; Ann. patr., nos DLXXIV et suppl1; C. Eg., nos 708, 709; J. Perlet, nos 673, 674; Rép., suppl1 au n°220; Ann. R.F., n°239; Mess Soir, n°708; J. Sablier, n° 1464; J. Fr., nos 671, 672. Mentionné par C. univ., n° 939. Voir P. V, nos 4,9 et 11. (2) Convention nationale. Discours Commencé par Saint-Just, En la séance du 9 thermidor, Dont le dépôt sur le bureau a été décrété, par la Convention nationale, et dont elle a ordonné l’impression par décret du 30 du même mois. J’en appelle à vous de l’obligation que quelques-uns sembloient m’imposer de m’exprimer contre ma pensée. On a voulu répandre que le gouvernement étoit divisé : il ne l’est pas; une altération politique, que je vais vous rendre, a seulement eu lieu. Ils ne sont point passés, tous les jours de gloire ! et je préviens l’Europe de la nullité de ses projets contre la vigueur du gouvernement. Je vais parler de quelques hommes que la jalousie me paraît avoir portés à accroître leur influence, et à concentrer dans leurs mains l’autorité par l’abaissement ou la dispersion de ce qui gênoit leurs desseins, en outre en mettant à leur disposition la milice citoyenne de Paris, en supprimant ses magistrats pour s’attribuer leurs fonctions; qui me paraissent avoir projeté de neutraliser le gouvernement révolutionnaire, et tramé la perte des plus [?] gens de bien (l) pour dominer plus tranquillement. Ces membres avoient concouru à me charger du rapport. Tous les yeux ne m’ont point paru dessillés sur eux. Je ne pouvois pas les accuser en leur propre nom : il eût fallu discuter long-temps dans l’intérieur le problème de leur entreprise; ils croyoient que, chargé par eux de vous parler, j’étois contraint par respect humain de tout concilier, ou d’épouser leurs vues et de parler leur langue. J’ai profité d’un moment de loisir que m’a laissé leur espérance, pour me préparer à leur faire mesurer devant vous toute la profondeur de l’abyme où ils se sont précipités. C’est donc au nom de la patrie que je vous parle. J’ai cru servir mon pays et lui éviter des orages, en n’ouvrant mes lèvres sincères qu’en votre présence. C’est au nom de vous-mêmes que je vous entretiens, puisque je vous dois compte de l’influence que vous m’avez donnée dans les affaires. Je suis donc résolu de fouler aux pieds toutes considérations lâches, et de vider, en un moment, à votre tribunal, une affaire qui eût causé des violences dans l’obscurité du gouvernement. La circonstance où je me trouve eût paru délicate et difficile à quiconque aurait eu quelque chose à se reprocher. On aurait craint le triomphe des factions qui donnent la mort ; mais, certes, ce serait quitter peu de chose qu’une vie dans laquelle il faudrait être ou le complice ou le témoin muet du mal. J’ai prié les membres dont j’ai à vous entretenir, de. venir m’entendre : ils sont prévenus à mes yeux de fâcheux desseins contre la patrie; je ne me sens rien sur le cœur qui m’aît fait craindre qu’ils ne récriminassent, je leur dirai tout ce que je pense d’eux, sans pitié. J’ai parlé du dessein de détruire le gouvernement révolutionnaire. Un complice de cet attentat est arrêté et détenu à la conciergerie : il s’appelle Legray; il avoit été receveur des rentes; il étoit membre du comité révolutionnaire de la section du Muséum : il s’ouvrit de son projet à quelques personnes qu’il crut attirer dans son crime. Le gouvernement révolutionnaire étoit à son gré trop rigoureux; il falloit le détruire : il manifesta qu’on s’en occupoit. Legray ajouta que des discours étoient préparés dans les sections contre la Convention nationale; il (l) Voir B.N., 8° Le 38 871 : « des meilleurs gens de bien » (?). 558 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE de Sylla; car il ne s’agissait pas ici d’amis ou d’ennemis du peuple; il s’agissait de proscrire ceux qui ne voulaient pas obéir à tel ou tel individu. Je vais citer un fait qui prouvera que Robespierre, qui, depuis quelque temps, ne parlait que de Marat, a toujours détesté cet ami constant du peuple. A la fête funèbre de Marat, Robespierre parla longtemps à la tribune qu’on avait dressée devant le Luxembourg, et le nom de Marat ne sortit pas une seule fois de sa bouche. Le peuple peut-il croire qu’on aime Marat lorsqu’on déclare avec humeur qu’on ne veut pas lui être assimilé ? Non, ils avaient beau, ces hypocrites, parler sans cesse de Marat, de Chal-lier : ils n’aimaient ni Marat, ni Challier; Challier, dont j’ai vu la conduite, dont j’ai chéri, admiré et respecté les vertus ! Le peuple le sait bien ; c’est dans les vertus de la vie privée qu’on reconnaît les vertus publiques. (On applaudit). FAYAU : Je demande la parole pour un fait. Un des commissaires d’une section a fait demander au directeur d’un atelier des fusils pour en armer les jeunes gens de cette section demain à la fête. Les fusils ont été refusés. (On applaudit). La séance est suspendue (l). F [SAINT-JUST :] (2) Je ne suis d’aucune faction ; je les combattrai toutes. Elles ne s’éteindront jamais que par les institutions qui produiront les garanties, qui poseront la borne de l’autorité, et feront ployer sans retour l’orgueil humain sous le joug de la liberté publique. Le cours des choses a voulu que cette tribune aux harangues fût peut-être la roche tarpéienne pour celui qui viendrait vous dire que des membres du gouvernement ont quitté la route de la sagesse. J’ai cru que la vérité vous étoit due, offerte avec prudence, et qu’on ne pouvoit rompre avec pudeur l’engagement pris avec la conscience de tout oser pour le salut de la patrie. Quel langage vais-je vous parler ? comment vous peindre des erreurs dont vous n’avez aucune idée, et comment rendre sensible le mal qu’un mot décèle, qu’un mot corrige ? Vos comités de sûreté générale et de salut public m’avoient chargé de vous faire un rapport sur les causes de la commotion sensible qu’avoit éprouvée l’opinion publique dans ces derniers temps. La confiance des deux comités m’honorait; mais quelqu’un cette nuit a flétri mon cœur; et je ne veux parler qu’à vous. (l) Moniteur (réimpr.), XXI, 337-338; Débats, 177-180; J. Mont., n°93bis; Ann. patr., nos DLXXIV et suppl1; C. Eg., nos 708, 709; J. Perlet, nos 673, 674; Rép., suppl1 au n°220; Ann. R.F., n°239; Mess Soir, n°708; J. Sablier, n° 1464; J. Fr., nos 671, 672. Mentionné par C. univ., n° 939. Voir P. V, nos 4,9 et 11. (2) Convention nationale. Discours Commencé par Saint-Just, En la séance du 9 thermidor, Dont le dépôt sur le bureau a été décrété, par la Convention nationale, et dont elle a ordonné l’impression par décret du 30 du même mois. J’en appelle à vous de l’obligation que quelques-uns sembloient m’imposer de m’exprimer contre ma pensée. On a voulu répandre que le gouvernement étoit divisé : il ne l’est pas; une altération politique, que je vais vous rendre, a seulement eu lieu. Ils ne sont point passés, tous les jours de gloire ! et je préviens l’Europe de la nullité de ses projets contre la vigueur du gouvernement. Je vais parler de quelques hommes que la jalousie me paraît avoir portés à accroître leur influence, et à concentrer dans leurs mains l’autorité par l’abaissement ou la dispersion de ce qui gênoit leurs desseins, en outre en mettant à leur disposition la milice citoyenne de Paris, en supprimant ses magistrats pour s’attribuer leurs fonctions; qui me paraissent avoir projeté de neutraliser le gouvernement révolutionnaire, et tramé la perte des plus [?] gens de bien (l) pour dominer plus tranquillement. Ces membres avoient concouru à me charger du rapport. Tous les yeux ne m’ont point paru dessillés sur eux. Je ne pouvois pas les accuser en leur propre nom : il eût fallu discuter long-temps dans l’intérieur le problème de leur entreprise; ils croyoient que, chargé par eux de vous parler, j’étois contraint par respect humain de tout concilier, ou d’épouser leurs vues et de parler leur langue. J’ai profité d’un moment de loisir que m’a laissé leur espérance, pour me préparer à leur faire mesurer devant vous toute la profondeur de l’abyme où ils se sont précipités. C’est donc au nom de la patrie que je vous parle. J’ai cru servir mon pays et lui éviter des orages, en n’ouvrant mes lèvres sincères qu’en votre présence. C’est au nom de vous-mêmes que je vous entretiens, puisque je vous dois compte de l’influence que vous m’avez donnée dans les affaires. Je suis donc résolu de fouler aux pieds toutes considérations lâches, et de vider, en un moment, à votre tribunal, une affaire qui eût causé des violences dans l’obscurité du gouvernement. La circonstance où je me trouve eût paru délicate et difficile à quiconque aurait eu quelque chose à se reprocher. On aurait craint le triomphe des factions qui donnent la mort ; mais, certes, ce serait quitter peu de chose qu’une vie dans laquelle il faudrait être ou le complice ou le témoin muet du mal. J’ai prié les membres dont j’ai à vous entretenir, de. venir m’entendre : ils sont prévenus à mes yeux de fâcheux desseins contre la patrie; je ne me sens rien sur le cœur qui m’aît fait craindre qu’ils ne récriminassent, je leur dirai tout ce que je pense d’eux, sans pitié. J’ai parlé du dessein de détruire le gouvernement révolutionnaire. Un complice de cet attentat est arrêté et détenu à la conciergerie : il s’appelle Legray; il avoit été receveur des rentes; il étoit membre du comité révolutionnaire de la section du Muséum : il s’ouvrit de son projet à quelques personnes qu’il crut attirer dans son crime. Le gouvernement révolutionnaire étoit à son gré trop rigoureux; il falloit le détruire : il manifesta qu’on s’en occupoit. Legray ajouta que des discours étoient préparés dans les sections contre la Convention nationale; il (l) Voir B.N., 8° Le 38 871 : « des meilleurs gens de bien » (?).