186 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE longtemps la principale source de ce haut degré de splendeur et de prospérité auxquels s’étaient élevés l’industrie et le commerce de la France. Elle trouvait dans ses colonies le débouché le plus avantageux de ses denrées, de ses marchandises, des produits quelconques de son industrie : elle recevait en retour pour 250 à 300 millions par an de denrées coloniales, qui devenaient l’objet de nos jouissances, l’aliment le plus précieux de nos manufactures, la base essentielle de nos échanges les plus importants dans tous les marchés de l’Europe; et leur transport entretenait, vivifiait notre marine commerçante et formait des sujets précieux pour notre marine nationale. En un mot, les Antilles françaises étaient le véritable Pérou du Nouveau-Monde, et l’objet de la jalousie et de l’ambition de toutes les puissances du continent. Aujourd’hui quelques-unes de ces îles ravagées par le feu des discordes civiles, dévastées par les attentats du royalisme et de l’aristocratie, sont tombées en partie au pouvoir de nos ennemis les plus féroces ; mais ce n’est pas la force de leurs armes, c’est la plus lâche trahison qui leur en a valu l’occupation précaire et momentanée. Il est écrit dans le livre des destinées qu’aucune portion du domaine de la République française ne deviendra la propriété incommutable des tyrans coalisés contre son indépendance et son intégrité. L’exemple de toutes les reprises glorieuses, que nos intrépides sans-culottes viennent d’exercer à cet égard sur le continent, doit apprendre à Pitt ce qu’il peut penser de la conservation des conquêtes faciles qu’il a obtenues au-delà du tropique. Les colonies françaises se rattacheront à leur ancienne et puissante métropole, elle s’y rattacheront par le courage indomptable des patriotes, la sagesse et la vigueur de vos mesures, par tous les liens de la confiance et de l’intérêt réciproques, par tous les bienfaits qu’elles doivent attendre d’une législation et d’un régime digne de l’assemblée auguste qui fonda, sur la Déclaration des droits sacrés de l’homme, le premier des gouvernements républicains. Hâtez donc, citoyens, ce moment heureux. Le premier pas doit être de porter enfin le flambeau de la justice et de l’impartialité la plus sévère dans le dédale qui cache encore à vos yeux les véritables causes, ou plutôt les véritables moteurs des troubles qui ont dévasté vos colonies. Voici le projet de décret : La Convention nationale, après avoir entendu le rapport de ses trois comités de Salut public, de Sûreté générale, de Marine et des colonies, décrète : Article premier. — Il sera formé une commission de neuf membres, immédiatement et à l’appel nominal, par la Convention nationale, pour s’occuper de l’examen et du rapport de l’affaire des colonies. Art. II. - Cette commission aura le pouvoir de faire lever les scellés apposés sur les papiers des détenus et autres, mais seulement en leur présence, de retirer ceux qui se trouveraient consignés dans les divers dépôts publics, de les inventorier, de les extraire, de les examiner, d’appeler devant elle tous dénoncés, tous dénonciateurs, tous témoins dans l’affaire des colonies, de leur faire subir tous interrogatoires nécessaires, de les entendre soit contradictoirement, soit particulièrement. Art. III. - Elle ne pourra prononcer la mise en liberté ou la mise en état d’arrestation d’aucuns individus prévenus ou suspects dans l’affaire des colonies. Ce droit reste réservé aux trois comités réunis, conformément au décret du quatrième jour des sans-culottides. La commission n’aura, à cet égard, que le droit de proposer, soit les mises en liberté, soit les arrestations qu’elle jugera nécessaires ; elle en fera les rapports aux trois comités. Art. IV. - L’existence de la commission sera indépendante du renouvellement successif des divers comités de la Convention nationale. Les membres qui composeront la commission y seront maintenus jusqu’au rapport définitif de l’affaire des colonies. Art. V. - Ce rapport ne pourra être présenté par elle à la Convention nationale, qu’après avoir été soumis à l’examen et à la discussion des trois comités réunis (112). Un autre membre donne des détails relatifs à cette affaire. Il conclut à ce qu’aucun député colon ne puisse être membre de la commission. L’impression du discours qu’il prononce sur cette matière est ordonnée (113). La discussion s’ouvre. Un membre prononce un discours très étendu, dans lequel il développe avec détail les moyens employés depuis 89 pour tromper les assemblées constituante, législative et conventionnelle sur l’état politique des colonies ; il fait l’historique de la révolution dans les Iles; il examine les résultats du décret du 8 mars, et termine, comme Marée, par proposer une commission, mais il pense qu’il n’y doit entrer aucun des membres de la députation des colonies. Cet amendement est appuyé. Bourdon (de l’Oise) pense que si la Convention veut savoir la vérité, elle ne doit choisir pour membre ou agent de la commission, ni colon, ni armateur, dont les préjugés influen-ceroient nécessairement sa délibération; il pense aussi que la commission doit être composée de membres en nombre impair; il propose enfin que cette commission soit nommée par appel nominal. On discute le projet de décret article par article; il est adopté (114). Le projet de décret présenté, au nom des comités, est adopté avec quelques amendemens. La Convention nationale, après avoir (112) Moniteur, XXII, 126-127. (113) P.V., XLVI, 196. (114) Débats, n 739, 124-125. SÉANCE DU 9 VENDÉMIAIRE AN III (30 SEPTEMBRE 1794) - Nos 77-78 187 entendu le rapport de ses trois comités de Salut public, de Sûreté générale, et de Marine et des colonies, décrète ce qui suit : Article premier. - Il sera formé une commission de neuf membres nommés immédiatement et à l’appel nominal, par la Convention nationale, pour s’occuper de l’examen et du rapport de l’affaire des colonies. Art. II. - Cette commission aura le pouvoir de faire lever les scellés apposés sur les papiers des détenus et autres, mais seulement en leur présence, de retirer ceux qui se trouveroient consignés dans les divers dépôts publics, de les inventorier, de les extraire, de les examiner, d’appeler devant elle tous dénoncés, tous dénonciateurs, tous témoins dans l’affaire des colonies, de leur faire subir tous interrogatoires nécessaires, de les entendre, soit contradictoirement soit séparément. Art. III. - Elle ne pourra prononcer la mise en liberté ou la mise en arrestation d’aucun individu prévenu ou suspect dans l’affaire des colonies. Ce droit reste réservé aux trois comités réunis, conformément au décret du quatrième jour des sans-culottides. La commission n’aura à cet égard que le droit de proposer, soit les mises en liberté, soit les arrestations qu’elle jugera nécessaires; elle en fera les rapports aux trois comités. Art. IV. - L’existence de la commission sera indépendante du renouvellement successif des divers comités de la Convention nationale. Les membres qui composeront la commission y seront maintenus jusqu’au rapport définitif de l’affaire des colonies. Art. V. - Ce rapport ne pourra être présenté par elle à la Convention nationale, qu’après avoir été soumis à l’examen et à la discussion des trois comités réunis (115). 77 Un membre fait part de nouvelles satisfaisantes relativement à Saint-Domingue; on en demande l’insertion au bulletin. La Convention passe à l’ordre du jour motivé sur ce que ces nouvelles ne sont pas transmises officiellement (116). Dufay annonce à la Convention qu’il a reçu de Saint-Domingue des lettres qui portent (115) P.-V., XLVI, 196-198. C 320, pl. 1329, p. 44. Minute de la main de Marée, rapporteur. Ann. R. F., n° 9 ; Ann. Patr., n' 638 ; C. Eg., n 773 ; Débats, n° 739 ; F. de la Républ., n° 10 ; Gazette Fr., n° 1003 ; J. Fr., n” 735 ; J. Mont., n“ 155 ; J. Paris, n° 10; J. Perlet, n° 737; J. Univ., n° 1771; Mess. Soir, n° 773; M. U., XLIV, 141; Rép., n” 10. (116) P.-V., XLVI, 198. Ann. R. F., n" 9; F. de la Républ., n' 10; Gazette Fr., n° 1003; J. Fr., n° 735; J. Mont., n” 155; J. Perlet, n° 737; J. Univ., n' 1771; Mess. Soir, n° 773; M. U., XLIV, 141. d’heureuses nouvelles. Il en résulte que les Anglais et les Espagnols ont été repoussés avec pertes des colonies. Ces nouvelles n’étant point officielles, l’Assemblée en ordonne la mention honorable ; mais elle passe à l’ordre du jour sur la proposition de les insérer au bulletin (117). 78 Un membre, au nom des comités de Salut public et de Commerce, fait un rapport qui a pour objet de rendre au commerce intérieur et extérieur toute l’activité et toute l’utilité dont il est susceptible; il propose d’augmenter le nombre des membres de la commission chargée de cette partie, et de placer à côté d’elle un conseil composé de douze citoyens choisis dans différentes places de commerce (118). ESCHASSERIAUX l’aîné, au nom des comités de Salut public et de Commerce : Citoyens, vos comités de Salut public et de Commerce réunis, ont jeté des regards attentifs sur tous les moyens qui pourraient accélérer la prospérité nationale de la République; ils sont dans le dessein d’appeler toutes les ressources et tous les talents qui peuvent amener promptement cette prospérité. Un des premiers moyens est de faire sortir le commerce de ses ruines, de recueillir ses débris. Dans le rapport que le comité de Salut pubbe vous a déjà présenté sur l’état pobtique intérieur de la France, il vous a fait sentir l’importance de ranimer les manufactures et les arts. L’industrie attend partout des secours, des encouragements et des lumières; les artistes sont prêts à répondre au signal que va leur donner la législation. Vous avez à créer un vaste plan de commerce intérieur et extérieur, à rendre l’agriculture à un état florissant, à imprimer à la France un mouvement rapide et général, qui annonce à l’univers que, même au milieu de la plus étonnante révolution et des armements les plus formidables, vous pouvez entretenir avec les nations les relations les plus étendues et les plus avantageuses. Mais, pour atteindre ce but de prospérité nationale, vos comités réunis ont dû examiner les moyens et les instruments qui devaient nous y conduire ; ils ont dû examiner l’organisation qui avait fait mouvoir jusqu’ici la vaste machine du commerce. En portant leurs regards sur la commission de commerce, ils ont vu un trop petit nombre d’hommes composer cette commission, et des connaissances trop resserrées pour l’immense étendue d’objets que présentent sans cesse à la délibération, à l’activité et à l’exécution le commerce et tous les genres d’industrie d’une grande nation ; un trop petit nombre (117) Débats, n" 739, 125. (118) P.-V., XLVI, 198. J. Fr., n 735; J. Mont., n“ 155; J. Paris, n° 10; J. Perlet, n° 737; J. Univ., n° 1771; M. U., XLIV, 141; Rép., n" 10.