[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2* septembre 1789.] 147 M. Dupont de Nemours (1). Messieurs, entraîné par mon zèle à cette tribune, je ne puis m’empêcher d’être effrayé d’avoir à vous parler après un orateur si célèbre, et qui vous est si cher, sur un si grand nombre de choses, si importantes et si compliquées, dont il n’en est aucune qui ne demandât, de votre' part, la plus profonde réflexion, et par rapport auxquelles l’excès du danger vous force de vous décider avec promptitude, et pour ainsi dire à l’instant même. Le mal est bien grand, puisqu’un ministre, aussi justement honoré de votre estime et de celle du peuple que le premier ministre des finances, appelle au secours tant d’effosts divers, et contre l’océan de calamités qui nous menace ne dédaigne pas, pour réparer la digue entrouverte et prête à s’écrouler, d’employer toute espèce de matériaux, depuis la roche pesante et difficile à remuer, jusqu’au sablon qui coule entre les doigts. Il n’y a que très-peu de temps que nous avons eu à nous repentir de n’avoir pas exactement suivi le conseil donné par ses lumières; et si nous devons nous garder d’en inférer que nous puissions nous dispenser de remplir le ministère �qui nous est confié par nos concitoyens, d’examiner les plans qu’on nous propose et de joindre le tribut de nos idées au travail du génie d’un homme que l’Europe révère, il en résulte du moins que nous ne devons nous permettre qu’avec une extrême timidité d’ajouter quelque chose à ses projets. Je suis pénétré de ce sentiment; et je me Méfierais encore plus des observations que j’ai à vous soumettre, si je ne considérais que plusieurs d’entre elles coïncident avec les plans du premier ministre des finances, et que les plus importantes tiennent à des objets qui, sans doute, ont dû se présenter à sa pensée, mais dont sa position particulière lui a, en quelque façon, prescrit de détourner les yeux. Cette espèce de gêne individuelle, dans laquelle le premier ministre des finances a pu se trouver, et qui me paraît la seule explication -raisonnable du vide que je crois apercevoir dans les moyens qu’il vous a mis sous les yeux, est une nouvelle preuve de cette grande vérité: que le désordre des finances de l’Etat était devenu irréparable pour un Roi quelque puissant qu’il fût, pour un ministre quelque éclairé qu’il pût être, mais non pas pour la nation elle-même, mais non pas pour vous qui la représentez, et oui seuls avez le droit de ne trouver aucun obstacle invincible. Ainsi, des circonstances qui ne peuvent être maîtrisées que par vous, obligeant le premier ministre des finances à restreindre ses vues, il paraît que malgré son zèle et ses profondes connaissances, il a cru, ' dans les propositions qu’il vous a faites, ne pouvoir en hasarder qu’une qui eût de la grandeur, et qui, propre à era imposer par sa masse, .pût influer sur la confiance. Cette proposition est celle de la contribution, ou, pour mieux dire, de l'imposition" du quart “des revenus déclarés, non pas sous serment, mais en vérité, cé qui en effet pour des Français doit être la même chose. Afin de savoir, Messieurs, si cette grande r _ ' _ (1) Le discours de M. Dupont de Nemours n’a pas été inséré au Moniteur. ressource, très-inconnue, suffit aux besoins connus auxquels on veut l’appliquer, il faut calculer quelle étendue elle peut avoir ; il faut déterminer en quoi consistent les revenus en général, et jusqu’où s’élèvent ceux que l’on peut croire hors de rimpuissance d’acquitter une telle contribution. Car il ne nous est plus permis de marcher autrement qu’à pas assurés ; et ce serait un, grand malheur si après avoir tenté deux fois le crédit, et dans le moment même où nous affaiblissons sans remplacement, sans indemnité le gage de nos prêteurs, nous allions ensuite nous livrer à l’imposition, hors de la mesure de l’imposition, et sans avoir jeté un coup d’œil estimatif sur ce que peuvent les contribuables. On n’accumule pas impunément ces sortes de fautes ; et j’espère que l’extrême intérêt que nos commettants ont à ce que nous puissions les éviter, vous fera supporter avec indulgence le détail ennuyeux des faits positifs que je dois placer sur notre route comme des signaux qui pourront nous avertir des écueils. La valeur moyenne des récoltes du royaume en toute espèce de productions annuellement renaissantes, grains, vins, huiles, fruits, légumes, chanvres, lins, fourrages, bestiaux, bois, pêche en mer, dans les rivières et dans les étangs, et produits des mines et des carrières, a été calculée plusieurs fois, de plusieurs façons différentes qui se confirment l’une l’autre. Les évaluations les plus faibles la portent à trois milliards deux cents millions. Les plus fortes et les plus vraisemblables la font monter à quatre milliards, et c’est peu en comparaison de ce que pourrait rendre un si beau territoire s’il était bien cultivé, c’est peu même en proportion de ce que produit celui d’une nation voisine, qui est loin encore d’avoir un gouvernement pariait. Sur cette récolte d’environ quatre milliards, il y a deux milliards cinq cents millions absorbés par les frais de culture et d’exploitation, qui prennent la subsistance des cultivateurs et des autres agents directs des travaux productifs, de même , v que celle des salariés, ouvriers, marchands et artisans qui vivent sur la dépense des cultivateurs, des pêcheurs et des mineurs. Cette partie du produit de la terre et des eaux n’est pas imposable. C’est le salaire indispensable des travaux productifs : on ne pourrait y porter atteinte sans altérer la source des richesses de la société, et sans payer cette faute par une plus grande perte des revenus : c’est-à-dire, sur la portion des récoltes qui excède les frais d’exploitation. Les frais étant au moins de deux milliards cinq cents millions sur un produit de quatre milliards, , les revenus ne peuvent donc pas excéder quinze cents millions. Ces quinze cents millions se partagent entre le Roi, ou plutôt le Trésor public, les décimateurs qui ont jusqu’à présent la portion de l’impôt destinée au service divin, et les propriétaires des terres, ainsi que les entrepreneurs des autres travaux productifs souterrains ou maritimes. Le partage est fait d’une telle manière que l’impôt, la . dîme, les frais de perception et les dépenses qu’entraînent les vexations y jointes aussi bien que les procès qui en résultent, empor-ten lau moins la moitié du revenu : de sorte que le royaume peut être regardé comme une grande métairie, que, jusqu’à présent, le Roi a fait valoir 148 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 septembre 1789.] par moitié avec ses sujets, les frais de culture prélévés, comme il est juste. 11 n’y a donc que sept à huit cents millions de revenu qui restent entre les mains des propriétaires, et dont la dépense, jointe à celle de l’impôt, à celle des décimateurs et à celle de leurs agents de perceptions, et distribuée par le ministère du commerce et par les diverses manipulations des arts entreune multitude de membres de la société, fait subsister tous ceux que les frais d’exploitation et la dépense de leurs agents n’alimentent pas. Ces données sont exactes ; variez-les, Messieurs, si vous le jugez convenable; mais, quand vous supposeriez que la masse imposable peut s’élever jusqu’à un milliard , vous trouveriez encore que ce milliard est disséminé sur un nombre immense de propriétaires, dont la plupart sont très-pauvres, et totalement hors d’état d’ajouter aux impositions que déjà ils ont à supporter, l’imposition, même passagère, d’un quart de leurs revenus. Quelques riches le pourraient; notre zèle nous porterait tous à nous soumettre volontairement; mais tel qui en prendrait l’engagement, aurait beaucoup de peine à le remplir, et parmi vos commettants, il n’y en a qu’un fort petit nombre par rapport auxquels on y puisse songer. Je croirais exagérer beaucoup si j’accordais que dans les revenus libres il y en ait trois cents millions qui appartinssent à des propriétaires assez riches pour en payer le quart. Cette imposition, d’après l’hypothèse la plus favorable, ne présenterait donc qu’une ressource de soixante-quinze millions; et le premier ministre des finances ayant exposé qu’elle ne serait perçue qu’en dix années, elle ne donnerait donc pas plus de quarante millions pour l’année 1790. Remarquez encore, Messieurs, que la seule raison pour croire qu’en effet la nouvelle imposition rendrait cette somme, est l’nypothèse que ces deux cinquièmes des revenus de la nation appartiennent à des riches pour qui, au delà de toutes les autres impositions, le tribut d’un quart de leurs revenus est possible : or, cette hypothèse me paraît plus que hasardée. Nous croyons en général, Messieurs, qu’il y a beaucoup de riches, parce que nous vivons au milieu d’eux ; j’ose vous assurer que leur nombre est très-petit. Encore est-il trop vrai que nos riches ne sont nullement à leur aise ; que plusieurs calamités physiques ont depuis deux ans détruit leurs richesses dans les mains de leurs fermiers ; que les persécutions éprouvées par ceux-ci dans la présente année, et le trouble apporté dans les villes à l’importante opération des semailles, diminueront les revenus terriens et rendront leur rentrée encore plus difficile dans le courant de celle qui va suivre; que le retard des payements du gouvernement et la suspension de ses remboursements ont de leur côté restreint les moyens de dépenses; que le peu d’argent que les gens économes avaient en caisse, s’est épuisé dans la longueur de l’hiver dernier, en actions presque indispensables de bienfaisance dans les villes et dans les campagnes; que ceux qui sont moins sages ont consumé par anticipation, en continuant leurs dépenses de luxe, quoique la source en fût tarie : de sorte qu’en résultat, et je vous en atteste tous, Messieurs, nos riches sont pauvres, nos riches manquent d’argent, nos riches ne payent pas leurs dettes. Or, l’enthousiasme suffit pour voter, mais il n’y a que la richesse qui puisse payer; et la richesse suffisante, pour payer un quart de ses revenus, ne me paraît pa§ exister à présent chez la plupart de nos riches. Il est évident qu’elle n’est pas chez nos pauvres. Les scènes touchantes qui se renouvellent ici tous les matins, semblent nous indiquer que tous ceux qui sont en état de supporter la contribution proposée s’y soumettront d’eux-mêmes; et je ne puis m’empêcher de craindre qu’à la rendre forcée, il n’y ait bien peu de millions à gagner (1). Sans dédaigner donc, au contraire en encourageant, du prix inestimable de votre reconnaissance, les contributions que le patriotisme viendra déposer a vos pieds, et vous gardant surtout d’exiger quelque chose de l’impuissance, cherchez ailleurs vos riches. C’est l’Etat que vous avez à sauver ; vous ne pouvez dormir sur des incertitudes, le réveil en serait affreux ; nous ne devons pas oublier que dans les affaires, en finances, à la guerre, dans toutes les entreprises humaines, on n’a jamais assez de forces si l’on n’en a pas trop. Où sont-elles vos forces, Messieurs? où sont les riches qui peuvent assurer à la patrie une puissance au-dessus de ses besoins et de ses dangers ? ' Elles sont dans vos arrêtés du 4 août et dans celui du 9 du même mois. Elles sont dans les vastes conséquences que vous en pouvez tirer, et dans la suite d’opéFations économiques et sages auxquelles ces arrêtés importants offrent une base solide. Rappelez-vous, Messieurs, ces jours mémorables où les ministres de la religion, nobles et bienfaisants comme elle, ont reconnu qu’après Dieu l’on ne peut adorer que la patrie ; où ils vous ont dit, par la bouche du prélat vertueux qu’ils avaient choisi pour organe: « Que la religion soit respectée; que les devoirs du culte soient remplis avec décence ; que les pauvres soient soulagés, et nous remettons notre sort personnel entre les mains d’une nation généreuse » . (1) Lorsque je disais ceci, je n’avais pas bien saisi la distinction entre une imposition durable, à laquelle les principes dernièrement adoptés par le ministre et par l’Assemblée nationale, ne permettent pas de soumettre jamais les rentes, et une contribution passagère, une fois payée, qui, regardée comme l’offre du zèle, et comme presque volontaire, paraît aujourd’hui devoir porter sur toute espèce de revenu. Je conviens que la contribution du quart sur les rentes produira cinquante millions, sans déduction d’aucuns frais de perception, puisqu’il suffit d’en ordonner la retenue; et je conviens encôre que cette ressource, que je n’avais pas envisagée, est puissante par elle-même, qu’elle affaiblit beaucoup tout ce qu’on vient de lire relativement au peu de produit de la contribution du quart des revenus, que je n’avais considérée que comme devant être payée par les propriétaires des biens-fonds. Cependant ce secours lui-même ne devant être que pas; sager, et ayant à remplir avec les dons volontaires et les économies les soixante millions qui manquaient pour l’année prochaine lors de la convocation des Etats généraux, les trente millions qu’on a volontairement sacrifiés sur la gabelle, les quinze autres millions au moins qui seront encore inévitablement perdus sur cet impôt par la force des approvisionnements que la contrebande a effectués, on n’fest nullement dispensé de chercher des moyens plus efficaces encore pour remettre les finances au pair, et même dans l’état de supé-« riorité sur les besoins sans lequel une nation û’a ni sûreté, ni dignité, ni puissance, et flotte de malheur en malheur. 149 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 septembre 1789.] Ils ne seront point trompés dans leur attente; la nation, qui est rentrée dans la jouissance de leurs trésors avec respect, saura les répartir avec justice, avec sagesse, avec un amour lilial. Il y a trop longtemps qu’une disproportion révoltante existait entre la fortune des divers pasteurs des âmes qui remplissent avec d’égales vertus un ministère également saint. Vous ferez cesser ce désordre affligeant pour votre pitié, et qui, dans une grande partie du royaume, tarissait la charité dès sa sçurce. Vous ne permettrez pas que le premier des services publics, que la plus respectable des magistratures laisse dans l’indigence aucun de ceux qui en sont honorés. Vous établirez des traitements convenables; vous les proportionnerez à l’étendue, à la population , aux localités, aux besoins des paroisses et des diocèses. On peut estimer que cette dépense si nécessaire et si louable doit se monter annuellement à environ 70 millions (1). Si vous trouvez cette estimation trop faible, (1) Je crois devoir joindre ici un aperçu des bases de cette estimation qu'il faut élever jusqu’à soixante-quatorze millions. J’avais, eu soin, comme on le voit dans le texte, de prévenir l’Assemblée que je ne prétendais qu’indiquer des approximations. Il y a trente et un mille huit cent quarante-cinq paroisses dans le royaume, non compris celle de l’évêché de Strasbourg, dont je n’ai pas le compte, et environ dix mille annexes. Elles sont très-inégales dans leurs proportions. Il y en a qui sont trop grandes et qui demandent à être divisées. Il y en a beaucoup plus qui sont trop petites. Il y a des paroisses de trente feux : ce sont de trop faibles éléments pour un corps politique. Il faut donc ériger en paroisses quelques annexes, et réunir en une seule plusieurs paroisses. Il paraît qu’aucune ne dût être de moins de cinquante feux, et il semble que leur force moyenne devrait être de cent cinquante feux, ou environ sept cent cinquante habitants de tout âge et de tout sexe. Sur ce pied le royaume serait partagé en trente-cinq mille paroisses. On établirait que les curés des plus petites, de cinquante feux et au-dessous, s’il en restait encore de celles-ci, jouiraient de cinquante setiers. de blé froment, mesure de Paris, estimé douze cent livres au prix moyen actuel, et que la valeur des cures augmenterait de six setiers un quart ou de cinquante écus par chaque cinquantaine de feux en plus; de sorte que le traitement ordinaire des curés des campagnes serait ainsi réglé en argent, indépendamment du presbytère et de ses dépendances, comme aussi de ce qui serait accordé de plus aux paroisses divisées en hameaux écartés les uns des autres. Pour une paroisse de 50 feux 1,200 livres. et ainsi du reste, stipulant toujours le traitement en setiers. de blé, et le laissant toujours payer en argent, par privilège, et par douzième tous les mois, sur la caisse des revenus et impositions de la municipalité, d’après le prix moyen que le blé aura eu pendant les six années précédentes au marché le plus voisin. On peut, en suivant cette proportion, fixer le sort de toute espèce de cures de campagne avec la plus grande précision, en raison du plus ou moins grand nombre de feux : Ainsi une paroisse de cent vingt feux vaudrait quatorze cent dix livres de revenu ; une de cent, onze cent quatre-vingt-dix livres. Ce n’est pas une mauvaise vue que d’attacher à toute vertu sa récompense, même temporelle et que d’augmenter le revenu des curés en raison de ce que la cul-Messieurs, vous pouvez ajouter dix millions de plus. Les mesurés que-vous avez à prendre doivent être si étendues, et portent sur de si grands ture et l’industrie plus animées dans leurs paroisses, et le séjour de leurs villages devenu plus agréable par le bon ordre et les bonnes mœurs, y fixeront des familles nouvelles,; y multip lieront les branches des familles anciennes, y augmenteront le nombre des. maisons, des feux, et y accroîtront la population, qui, par elle-même d’ailleurs ajoutera aux soins et aux travaux du curé ; de sorte que cette règle progressive pour les honoraires attribués :à chaque curé, remplirait naturellement toutes les vues de justice et d'utilité publique. Il doit y avoir aussi, comme on* vient de* le remarquer, une autre augmentation indépendante du nombre des feux, et à joindre en surplus pour le service des paroisses qui sont composées de hameaux écartés, et qui par conséquent exigent de la part du curé plus de fatigues et de dépenses. On déterminera, sur l’avis des évêques et des assemblées municipales, provinciales et de départements, quelles paroisses . sont dans ce cas. D’après ce taux le fonds de la subsistance des. curés, sans les extraordinaires, serait cinquante-deux millions cinq cent mille livres ; et supposant que le tiers des paroisses serait au-dessous de cent cinquante; feux, le tiers environ de cette force, et l’autre tiers d’une force plus grande, n’évaluant donc qu’à douze cent soixante-quinze livres la dépense moyenne des petites paroisses, il restera deux millions six cent quatre-vingt-quatre mille livres, pour faire le premier fonds du surplus d'honoraires attiribués aux curés des paroisses plus grandes. On y ajouterait un autre fonds de quatre millions,, pour augmenter hors de la proportion du nombre des feux, le traitement des curés dont les paroisses sont composées de hameaux séparés, et celui des curés des villes où les consommations sont plus chères, et où des multitudes de pauvres artisans accumulés nécessitent de plus grandes charités. Dix-huit mille vicaires ou prêtres habitués pour les paroisses, dont l’étendue réclame leurs services, demanderont dix millions huit cent mille livres . Reste à savoir ce que doivent coûter les évêques et les chapitres. Il est à peu près reconnu que la division actuelle des provinces et des diocèses, relativement à l’administration religieuse, civile, politique, judiciaire, militaire, et surtout à la réprésentation du peuple, ne peut subsister ; qu’il faut que le royaume soit partagé en arrondissements ou cercles à peu près égaux, qui n’obligent aucun citoyen d’aller chercher trop loin la justice dont il a besoin, soit relativement aux impositions, soit par rapport aux contestations d’intérêt entre particuliers, soit contre les attentats que les lois doivent punir; que ces cercles ne doivent pas avoir plus de vingt à vingt-quatre lieues de diamètre, afin que de: dix, douze à quinze lieues au plus, à peu de frais* l’autorité protectrice de la liberté, de la sûreté, de la propriété, et distributrice de l’instruction si nécessaire à tous; Un projet de division du royaume a été tracé d’après ces idées, dont la simplicité, les convenances et la justesse assurent le succès. Il en est résulté soixante-dix cerclés, ayant pour chefs-lieux les soixante-dix villes les plus considérables, et pour limites, celles que la nature indique par les rivières et les montagnes. La population moyenne de ces dix cercles est d’environ trois cent soixante mille âmes. Ils pourront être sous-divisés en quatre ou cinq districts, bailliages ou sénéchaussées, selon les localités. Il est sensible que chacun d’eux doit avoir son évêque, et que des diocèses qui se trouveraient faire partie de plusieurs cercles seraient un grand embarras, comme aussi que plusieurs diocèses dans un même cercle n’auraient pas une étendue suffisante à la dignité épiscopale. La réduction du nombre des évêchés à soixante - dix, ayant chacun environ cinq cents paroisses, ou de quatre cents à six cents cures, sous leur juridiction, est donc, en quelque façon, prescrite par la nature et nécessitée par les circonstances, Le revenu moyen des évêchés ordinaires paraît devoir .J50 [Assemblée nationale.] objets, qu’il ne faut pas qu’elles puissent manquer de dix, vingt, trente millions de plus ou de moins. C’est avec cette largeur qu’il faut préparer être de trente mille livres on de vingt-quatre à trente-six mille livres, selon les localités qui peuvent exiger de plus ou moins grandes dépenses. Il y a maintenant plusieurs évêchés qui n’ont pas ce revenu. Mais il faut de plus un fonds considérable, pour accorder un j traitement particulier, un noble et suffisant accroissement de revenu, tant aux archevêques, qu’aux évêques des villes manufacturières et très -peuplé es, où la sollicitude et la bienfaisance du prélat ont beaucoup d'ocjasions de s’exercer. Nous supposerons que ce fonds, dont la nécessité se fait sentir, doit se monter aux trois septièmes de celui des revenus ordinaires des évêchés, et qu’il sera réparti par l’Assemblée nationale, d’après les observations des évêques et des assemblées principales des cercles, sur les sièges dont l’importance et la situation paraîtra le réclamer, et en proportion des besoins de leur capitale. Ainsi le revenu ordinaire et fondamental des soixante-dix évêchés ou archevêchés exigera deux millions cent mille livres. Et le revenu ordinaire ou de supplément, pour les sièges les plus dispendieux, sera élevé à neuf cent mille francs. De sorte que l’épiscopat coûtera trois millions de rente, et que le revenu moyen des évêques pris en totalité, sera de quarante-deux mille huit livres, mais à la charge de le répartir selon l’exigence des lieux, depuis vingt-quatre mille francs, pour les évéchés du moindre revenu, jusqu’à la somme à laquelle on croira devoir porter1 les sièges dispendieux, tels que ceux de Paris, de Lyon, de Rouen, de Bordeaux, de Tours, de Marseille, de Nantes, d’Orléans, de Nîmes, etc., dont on sent que le revenu ne doit être ni semblable à celui des autres, ni semblable entre eux. Il est de principe que la dépense des chapitres qui doivent servir de retraite aux anciens curés, soit égale à celle des évêques. Elle coûtera donc trois millions. Je ne parle point des réparations. Il a été prouvé par tiers-état du bailliage de Nemours, pages. 223- 226, du second tome de son cahier, qu’elles sont trop accablantes, quand elles tombent aux frais d’une paroisse, ou d’un particulier et que ce doit être une charge des cercles. Les contribuables en trouveront des fonds et au delà, dans les économies sur les abonnements des dîmes. RÉCAPITULATION. Fonds général pour la subsistance des curés en raison du nombre des feux............... ....... . ...... 52,500,000 livres. Fonds de supplément pour les curés des villes qui sont exposés à plus de dépenses, et aussi pour ceux des campagnes dont les paroisses sont divisées en hameaux écartés les uns des autres. . ............. . . .. ..... 4,000,000 Fonds pour la dotation de dix-huit mille vicaires, ou autres prêtres. 10,800,000 Fonds pour le revenu ordinaire des évêques .............. ... ..... 2,100,000 Fonds de supplément pour les archevêques et les évêques dont la résidence est plus dispendieuse ...... 900,000 Fonds pour les chapitres des cathédrales ....... ................. 3,000,000 Fonds livré pour les pensions aux curés infirmes qui ne pourraient encore obtenir des places de chanoines. 700,000 Total ....... 74,000,000 livres. Telle serai ans la suite la dépense du clergé chargé du service divin: mais il faut de plus en ce moment assurer des pensions suffisantes et même honorables aux [24 septembre 1789.] les affaires d’un empire. L’exactitude scrupuleuse et l'économie sévère doivent être portées dans d’exécution et dans les détails; une noble libéralité doit régner dans ..les plans généraux, car il est assez de choses qu'on oublie, et auxquelles on ne pourrait pourvoir,, si l’on prétendait s’enfermer dans les limites trop précises et trop rétrécies. C’est donc de soixante-dix à quatre-vingts-millions que doit coûter à l’avenir le culte divin. Voyons, Messieurs, quels fonds vous avez entre les mains pour assigner cette dépense. Le clergé vous a remis les dîmes ; il ne pouvait et ne devait pas faire autrement. Il est évident qu’il ne pouvait pas s’opposer à ce que, dans la grande réforme de tous les abus, il fût pourvu à ceux qui portaient jusque dans le plus auguste des ministères, les dangers et les •malheurs de l’extrême inégalité des fortunes, qui mettaient en opposition d’intérêts les pasteurs et les fidèles, qui semaient entre eux des divisions, qui faisaient naître des procès, qui détruisaient ainsi l’affection et le respect sur lesquels doit reposer la tranquillité des paroisses, et qui sont si nécessaires pour donner du poids à l’instruction morale et religieuse. Quoi qu’ait pu dire l’ingénieux et profond écrivain qui a regardé’ les dîmes comme une propriété particulière, il est trop visible qu’elles étaient, qu’elles sont un impôt, le premier des impôts, c’est-à-dire l’impôt appliqué au premier des besoins publics. Mais, objecte-t-on, elles ont été concédées volontairement. Je ne remonterai point jusqu’à Gharlemage, pour savoir par quels moyens cette volonté fut déterminée: je demanderai quel est l’impôt légitime qui n’a pas été concédé volontairement; et je demanderai encore si cette concession volontaire a jamais pu faire de l’impôt une propriété privée; si le Roi lui-même s*est approprié les fonds de la taille qui lui a été donnée pour sa gendarmerie ; si l’impôt n’est pas un domaine indivis de la société ; s’il n’est pas le plus inaliénable, le seul inaliénable des domaines, puisqu’il est le seul dont la société ne puisse être privée, sans que les services publics cessent, et sans que le "corps politique soit dissous? Le clergé a fait son devoir: il l’a fait avec noblesse, avec piété, avec générosité, avec confiance; mais c’était un devoir* Les dîmes sont donc à la nation; elles sont à la disposition de vous, Messieurs, qui la représentez. Vous avez déclaré qu’elles seraient perçues jusqu'à remplacement convenable. Vous n’avez pas évêques déchargés pour un temps des fonctions épiscopales, et qui attendront un remplacement poui lequel ils auront jusqu’au dernier un privilège de préférence : il faut seulement que ces pensions soient un peu plus faibles que le traitement des évêques employés dans les sièges de moindre revenu; car ceux qui ne seront pas en place, auront moins de dépenses à fournir. On peut donc arbitrer ce traitement à 18,000 francs pour les évêques sans emploi. Cette justice à faire aux titulaires actuels qui ne pourront être placés sur-le-champ, coûtera pour le moment quatorze cent mille livres qui s’éteindTont successivement à mesure que les sièges viendront à vaquer. Ainsi la dépense actuelle du clergé régulier absorbera soixante-quinze millions quatre cent mille livres, et non pas soixante-dix comme je l’avais annoncé à l’Assemblée nationale; J’avais prévu cette possibilité et j’en avais averti l’Assemblée. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 septembre 1789.] entendu, vous n’avez pas pu entendre que les fermiers et les propriétaires des terres le mettraient en possession pure et simple de cette grande masse de richesses qui n’est point entrée dans leurs baux, dont ils n’ont pas hérité, qu’-ils n’ont point achetée, et qui, à aucun titre, ne fait partie de leur propriété. Ce n’est pas pour donner aux uns lé bien des autres, et moins encore à des particuliers celui de tous, lorsqu’il est nécessaire à tous, que vous avez été envoyés ici ; c’est pour conserver les droits légitimes de tous, et sauver la patrie du péril le plus imminent dans lequel elle se soit encore trouvée, Vous devez, sans doute, soulager le peuple accablé ; mais, jusqu’à ce que vous soyez assurés que la puissance publique surpasse les besoins publics sévèrement réduits à leur plus basse estimation, vous devez opérer ce soulagement plutôt par des conversions que par des suppressions détaxés; et les erreurs financières, qui ont rendu si dispendieuses et si vexatoires presque toutes les levées de deniers publics, vous ont à cet égard laissé de grandes facilités. La gabelle, dont les frais emportaient un cinquième de produit, et seront désormais plus onéreux encore en proportion de la recette ; les aides odieusement in-quisitoriajes, et les autres droits du même genre, offrent de grands moyens de diminuer les contributions du peuple, sans affaiblir les revenus de l’Etat ; mais quand vous avez un revenu foncier qui, comme les dîmes, n’appartient à personne qu’à la patrie, qui peut être facilement racheté en petites sommes, et sur le pied d’un capital propre à dégager des revenus beaucoup plus considérables, à diminuer, par conséquent, dans une plus forte proportion les intérêts dont la nation est chargée, et à procurer ainsi la facilité de supprimer des impôts plus lourds, vous feriez une grande faute en politique et en finance d’abandonner ces propriétés secourables et d’en faire à une partie des contribuables un présent qu’ils ne vous ont point demandé. Le remplacement convenable des dîmes, jus-qu’auquel vous avez ordonné qu’elles seraient perçues, c’est leur rachat sur le pied du capital dont la vente habituelle des terres dans les provinces indique la proportion qui est de notoriété publique en chaque lieu. C’est sur ce pied, Messieurs, et d’après ces principes, que je pense que vous déclarerez les dîmes ecclésiastiques rachetables, comme vous avez déclaré que l’étaient les dîmes inféodées, qui en dérivent. Il n’y a aucune raison pour que les unes soient rachetées, et que les autres ne le soient pas. Vous devez seulement, pour les unes et pour les autres, réserver aux cultivateurs leurs pailles, en faisant régler par les municipalités et par les assemblées de département, d’après la production ordinaire de chaque canton, combien de boisseaux de blé devront être donnés pour le cent de gerbes. Vous pouvez aussi rendre la dîme du vin moins onéreuse et plus productive, en la faisant prendre au cellier après la récolte, au lieu de la recueillir dans la vigne à grands frais, et avec perte pour la quantité et la qualité. Vous devez enfin favoriser toute espèce d’abonnement pour suppléer aux dîmes des rentes en grains, jusqu’à ce que leur rachat puisse être effectué. Ces améliorations, ces adoucissements sont dans votre main ; ils rapprocheront le produit de l’impôt pour la société, à laquelle il appartient, de ce qu’il coûte aux contribuables ; l’Etat et les particuliers peuvent partager avec avantage le bénéfice de ces rapprochements. D’après des vues qui vous seront soumises, il y a lieu de croire que vous ferez régir par les municipalités le remplacement des droits féodaux, afin que les redevables puissent en être libérés par des rachats partiels, et que les propriétaires puissent en être remboursés en masse. Cette même régie doit être appliquée aux dîmes lorsqu’on les aura simplifiées, et qu'on aura rendu leur perception moins coûteuse par les différentes voies que je viens de soumettre à vos lumières, ou par d’autres équivalentes. Calculons à présent quel, doit être le revenu dont elles vous rendront dispensateurs. On estime à dix-huit cents millions la valeur du produit annuel des grains de toute espèce et de leur paille, celle des légumes décimables, celle de la portion des herbages artificiels, qui sont .décimables aussi dans une partie du royaume ; enfin, celle des agneaux ou cochons soumis aux dîmes grasses dans plusieurs provinces, et celle des vins et des cidres. On ne comprend point dans cette estimation la valeur des chanvres, des lins, des huiles, de la cire, du miel, et celle du bétail élevé dans les pays de pâture, qui se trouve en beaucoup de cantons soumis à la dîme de charnage : ces différents objets réunis, montent à environ trois cents millions. Je ne tiendrai pas compte de la valeur des dîmes qu’ils payent ; nous supposerons, par aperçu, qu’elle est égale à celle des frais de perception des autres dîmes, afin de pouvoir évaluer celles-ci sans défalcation. On ne peut trop simplifier ces sortes de calculs. Nous nous bornerons donc à supputer sur la valeur de dix-huit cents millions de productions décimables, par rapport auxquelles nous regarderons la dîme comme si elle était levée sans frais, attendu que nous passons pour mémoire la dîme payée par trois cents millions , ou à peu près, d’autres productions. Et vous ne serez point surpris, Messieurs, que je porte de dix-huit cents-millions àdeux milliards, la valeur des objets décimables tandis que je n’ai pas évalué les revenus à plus de quinze cents millions. Vous savez que la dîme se perçoit sur le produit total avant qu’on ait prélevé les frais ; vous savez que le revenu n’est formé que de ce qui reste net après que les frais sont acquittés : il n’est donc pas étonnant que sur un produit total de quatre milliards, dans lequel il n’y a que les bois, les prairies naturelles, une partie des prairies artificielles et des bestiaux, les produits des jardins, ceux de la pêche, ceux de la chasse, et ceux des mines et des carrières, qui soient exempts de dîme, il reste deux milliards cent millions , ou par défalcation, dix-huit cents millions de décimables. La dîme se lève à toute sorte de taux, depuis le huitième jusqu’au trente-deuxième ; mais on estime que son taux moyen, composé de la réunion de tous les autres, est du quinzième au dix-huitième. Si elle est au dix-huitième, elle vaudra cent millions. Si au dix-septième, cent cinq millions neuf cent trente-cinq mille livres. Si au seizième, cent douze millions cinq cent mille livres. Si au quinzième, cent vingt millions. La plus vraisemblable des quatre évaluations est la plus forte, je prendrai la moyenne. Je supposerai que c’est entre le seizième elle dix-septième que les dîmes sont levées, en compensant [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 septembre 1789.] 152 l’un par l’autre leurs taux différents ; et je me bornerai à les compter pour un revenu net de cent dix millions, dans lequel les dîmes inféodées peuvent se monter à dix millions , reste cent pour les dîmes ecclésiastiques. Elles vont être chargées de soixante et quatorze millions (l) pour l’entretien des "évêques, des chapitres, des curés et des vicaires employés, et de quatorze cent mille: francs pour les évêques surnuméraires. H restera donc dès ce jour sur les dîmes vingt-quatre millions six cent mille livres de libre, et il y en aura vingt-six lorsque les évêques qui auront pu cesser pendant un temps d’être employés, mais non pas de jouir d’un sort honorable, trouveront le remplacement qui leur est dû (2). Je ne vous ai encore parlé, Messieurs, que de la moindre partie des richesses que le service de la religion justement satisfait, laissera pour sauver l’Etat. Les respectahles ministres des autels qui vous ont montré dans cette salle à quel point ils étaient citoyens avant d’être pontifes, et combien ils le sont demeurés depuis, n’ont point mis de bornes à leur zèle patriotique. Ils se sont donnés à vous, eux et leurs biens ; ils se sont remis de leur sort à la générosité de la nation, qui gravera dans ses fastes leur dévouement et leurs expressions nobles et touchantes (3). (1) Je crois devoir rapporter ici dans le texte l’estimation motivée que j’ai faite dans la note précédente, quoique je me sois tenu dans une latitude plus vague en parlant à l’Assemblée. (2) Si l’on veut se convaincre que mes estimations ne sont point exagérées, et que les personnes qui supposaient le revenu des dîmes borné à quatre-vingt ou môme à soixante-douze millions, étaient dans l’erreur, on remarquera qu’à la seule exception des curés congruaires, j’ai dans mon projet de dépense diminué les traitements dans la proportion, plus forte que je ne l’aurais désiré, qui m’a été prescrite par les circonstances; que cependant je n’ai pu trouver à moins de soixante-quinze millions la subsistance des évêques, des chapitres, des curés et vicaires, en supposant que répartis plus également sur le territoire, les évêques, les chapitres et les curés pourront être moins nombreux. Comment donc avec un revenu qui n’eût été que de soixante à quatre-vingt millions, aurait-on pu faire subsister tout le clergé séculier par les dîmes, et fournir encore un revenu considérable au clergé régulier, très -grand percepteur de dîmes ? (3) Je ne veux point diminuer la beauté du sacrifice, dont je suis plus reconnaissant que personnelle mérite, non assez loué, de ceux qui l’ont fait, est dans leur opinion : il est dans leur conscience. Ces ministres de bienfaisance se croyaient pleinement en droit de le refuser ; et, s’ils avaient en ce droit, ils auraient au moins pu, ils auraient dû peut-être refuser pour leurs successeurs. Mais, dans le vrai, ils ne le pouvaient pas; parce que, propriétaires relativement aux autres individus de la société, ils n’étaient que dépositaires à l’égard de la société elle-même. Les éléments de cette vérité sont très-simples et très-incontestables. Lorsque des hommes se réunissent pour former une société civile, et mettent en commun une partie de leurs forces pour garantir mutuellement leurs propriétés, et pour en étendre l’usage, ils donnent l’existence au premier et au plus grand des corps moraux ou politiques, l’Etat. Si, dans la suite, ils instituent des corporations d’un ordre inférieur, ils ne le sont et ne le peuvent faire que sous la condition expresse ou tacite qu’elles seront conformes au bien de l’Etat, qu’elles auront pour but son utilité. Des corporations nuisibles à l’Etat seraient un attentat contre lui, elles seraient en guerre plus ou moins ouverte avec lui, et il ne pourrait leur reconnaître, bien moins encore leur garantir une propriété, car Les biens du clergé sont donc à vous, c’est-à-dire à la nation*, qui vous a confié ses pouvoirs ; la guerre n’est autre chose que la disposition où sont les belligérants de ne pas reconnaître, de ne pas respecter la propriété les uns des autres, et les actes qu’ils font en conséquence pour la détruire. Tant que l’Etat ou le corps politique de la nation approuve ou tolère une corporation inférieure, celte corporation a une existence morale et politique; elle peut posséder, recevoir, transmettre des propriétés ; ces propriétés sont, comme les autres, sous la garantie commune; et tout citoyen qui les violerait, serait puni comme s’il portait atteinte aux propriétés d’un autre citoyen. Mais si une corporation devient ou paraît dangereuse pour l’Etat, la nation qui n’a pu aliéner le droit de pourvoir au meilleur service et au plus grand bonheur de tous ses membres, peut détruire la corporation; et dès lors les propriétés dont elle a joüi, qui n’étaient à aucun des autres citoyens, puisque la corporation avait droit, tant qu'elle subsistait, de les défendre contre eux, ces biens deviennent une propriété indivise de la société, qui seule a le droit d’en faire l’usage le plus utile au bien général. Ces maximes sont si essentiellement raisonnables, qu’elles servent déréglé, même avant qu’on les ait analysées. Les jésuites subsistaient il y a trente ans en France : leur corporation avait des propriétés, et ils étaient reçus à les défendre en justice. L’autorité publique qui existait alors, a dissous la corporation; personne n’a trouvé injuste que les biens fussent mis sous la main du public; on a seulement réclamé les droits des créanciers qui avaient prêté de bonne foi à une. corporation légalement existante, et les droits individuels de chacun des membres dé cette corporation à un traitement alimentaire. Le clergé a été un corps très-légalement existant : il a été anciennement le second, puis le premier ordre de l’Etat. Il était une grande corporation composée d’une multitude d’autres petites corporations, et chacune de celles-ci pouvait avoir des propriétés. La corporation générale pouvait en avoir aussi; elle en avait; elle levait sur ses membres des décimes qui étaient une propriété indivise de son ordre. Elle contractait avec des officiers. Elle était une république dans l’empire. Le clergé, il faut le dire quoique à regret, puisque le fait est exact, le clergé n’a pas fait un bon usage de cet état de corporation. Je prie ses membres que j’honore, dont je respecte les lumières, dont j’admire l’éloquence et les talents, dont je révère le zèle, dont je chéris la vertu, de me pardonner ce que je suis obligé d’exposer ici : je ne l’impute à aucun d’eux; il n’y en a aucun qui fût capable de la suite de résolutions anti sociales auxquelles leur ordre s'est porté : le tort n’en est pas moins à eux, il est uniquement à l’esprit de corps, qui est l’opposé de l’esprit public. Le clergé a tantôt esquivé, tantôt nettement refusé la contribution qu’il devait pour les besoins de la patrie. Cette conduite de sa part est très-moderne, elle ne date que de quatre-vingt-trois ans, mais elle a été poussée très-toiri, et les conséquences en sont très-funestes. Si depuis 1706, le clergé eût contribué, non pas comme le peuple, on ignorait encore, l’année dernière, que cela fût juste, mais comme la noblesse, dont les privilèges étaient les seuls qu’il réclamât, il en résulterait dans nos finances une différence de deux milliards sept cents millions de capital ;J1 en résulterait non-seulement que nous n’éprouverions aucun déficit, mais qu’on eût pu remettre au peuple Jes impositions les plus onéreuses, sans remplacement et sans indemnité. ( Voyez dans la pièce justificative, à la fin, la preuve de cette assertion.) Il est vrai que la faiblesse du ministère a singulièrement coopéré à ce mal public ; mais le ministère n’aurait pas eu cette faiblesse, si le clergé n’eût pas été une corporation. Celui-ci ne s’est pas beaucoup mieux conduit par rapport à ses successeurs, qu’il ne l’a fait avec la société générale. Au lieu d’acquitter, sur ses revenus, le peu de contributions qu’il a payées, il a emprunté pour en fournir les fonds, comme si ces contributions eussent été hors de proportion avec ses moyens. Le clergé passé a ainsi aliéné ou du moins engagé une partie assez considérable ' du clergé présent. La continuation de la même marche 153 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 septembre 1789.] mais ils sont à elle comme ils étaient à lui, sous de certaines conditions. Car le clergé n’a point acheté les biens-fonds dont il jouit; il les a reçus des fidèles à différents litres. Les uns lui ont été donnés pour des objets d’utilité publique ; les autres dans des vues d’utilité privée, pour le remède de l'âme des fondateurs, comme le portent ordinairement les titres originaux. Dans la première classe sont les biens des hôpitaux et des collèges. Je ne vous demanderai pas, Messieurs, d’y apporter aucun retranchement; au contraire, une multitude de choses sont à faire pour la charité, et presque tout pour l’éducation. Je vous proposerai, en perfectionnant leur administration, d’en augmenter les fonds, et de les porter de quinze millions de renie, à quoi en les estime aujourd’hui, jusqu’à vingt millions (1). aurait pu absorber ceux du clergé futur , et conduire la société, au milieu des richesses concédées au clergé, à mettre de nouveaux impôts pour empêcher la cessation du service divin, à laquelle on aurait été exposé quand ses ministres n’auraient point eu de revenus libres. La nation a vu, avec une juste inquiétude, ces fâcheux effets de la corporation du clergé. Elle a déclaré qu’elle ne voulait plus de distinction d’ordres, et quels que pussent être leur profession ou leur ministère, qu’elle ne voulait pins connaître que des citoyens. Il n’y a donc plus d’ordre du clergé; la grande corporation est détruite. Quelques corporations particulières subsistent encore, au très-pénible ennui de la plupart de leurs membres, qui implorent lé secours de la destruction. L’Etat devient un. Que reste-t-il ? Des créanciers qu’on n’aurait pas dû trouver, et qu’il faudra solder : des individus dévoués au . saint ministère, infiniment respectables par la nature de leurs fonctions et par leurs vertus personnelles; enfin, pour payer les créanciers, comme pour fournir aux anciens titulaires des pensions décentes et honorables, proportionnées à leurs services et à leur dignité, des biens-fonds, dont la nue propriété n’appartient à personne, et ne peut appartenir qu’à l’Etat. (1) Nous savons tous que l’administration de la charité est très-imparfaite, et que le système de l’éducation publique est tout à fait mauvais. Nous savons que dans les hôpitaux, on fait avec beaucoup de zèle et de dépense, avec un courage héroïque et une angélique vertu de la part des sœurs infirmières, peu pour le besoin, rien pour la consolation, qui est le premier besoin de l’infortune et de la mauvaise santé. J’ai indiqué ailleurs quelques moyens pour opérerbeau-coup plus de bien moral et physique, à moins de frais. (Voyez un petit ouvrage intitulé: Idées sur la meilleure manière de secourir les pauvres malades dans une grande ville, imprimé chez Moutard. Nous savons, quant aux collèges, combien l’éducation y est pédantesque, chargée de mots, vide de choses, dénuée des connaissances qui peuvent être utiles à la société, et que nous sommes entièrement privés de livres véritablement classiques. il y a donc une multitude d’établissements utiles à faire, depuis les simples écoles des campagnes, les pensionnats des petites villes et les collèges des moyennes, jusqu’aux universités des grandes. 11 faudrait donner à toutes ces institutions un autre Flan, d’autres vues, d’autres moyens; il y faudrait unir économie à l’aisance, à la raison, à une philosophie usuelle et patriotique. Il est si difficile de servir son propre pays, même en lui dévouant toutes ses facultés, que, sans regretter d’avoir préféré le mien à tout, car je recommencerais encore, je ne puis m’empêcher de pleurer le temps où je me suis trouvé dans une grande République, chargé de coopérer à tous les établissements de ce genre, de proposer ce que je crois utile sur leur enchaînement, leur subordination, leurs rapports naturels, les choses qu’on devrait enseigner, et les méthodes d’enseignement, afin que sur toute l’étendue du territoire et dans toutes les classes de la République, il se formât des citoyens dignes et capables de l’être, idonei Je ne suis pas très -sûr de cette donnée, mais j’ai eu l’honneur de vous prévenir que quelques millions de plus ou de moins n’auraient pas d’influence notable sur le résultat des calculs que vous offre mon zèle. Cette partie des fondations ecclésiastiques , qui a pour but l’instruction . et la charité, est la seule par rapport à laquelle l’Etat, loin d’espérer des secours, doit songer à des augmentations de dépenses. L’autre partie, qui consiste dans Tés messes et les services destinés au soulagement des âmes des fondateurs, doit être considérée sous un point de vue différent, et la pratique de l’Eglise peut singulièrement nous éclairer à leur égard. Partons d’abord du point où en général se trouvent actuellement les églises et des monastères qüi ont reçu des fondations de messes, de services et d’oétïs, relativement aux obligations qui en résultent. Quand le royaume ne serait peuplé que de prêtres, et quand ils pourraient employer les jours entiers à dire des messes et à faire des offices, il leur serait impossible d’acquitter la dixième partie des fondations qui ont été faites depuis Clovis. Pendent plus de cinq siècles, aucun laïque n’a osé mourir sans faire une fondation.il y avait des fondations qui précédaient la conquête, et, dans les huit autres siècles de la monarchie, on en a fait beaucoup encore. Les grands et les riches en ont fait par milliers dans le cours de leur vie. Il doit y en avoir près d’un milliard, très-inégalement réparties entre les différents jours de l’année, et dont la plupart accumulées sur les grandes fêtes doivent être acquittées par environ soixante mille prêtres officiants , qui, fussent-ils les maîtres de rejeter l’office à un autre jour que celui pour lequel il a été fondé, ne pourraient jamais dire dans un an un milliard d’offices. Gomment l’Eglise pourvoit-elle à cet immense déficit ? pacis ac belli rebus agendis. La République de Pologne avait consacré à celte entreprise louable, les biens de jésuites, de plus de trois millions de revenu. 11 faudrait en France, pour une population plus que triple, une dépense au moins trois fois plus grande; mais on n’y manquerait point d’excellents coopérateurs, et de facilités de toute espèce. Il n’y aurait à créer que l’éducation du pauvre; celle des citoyens aisés n’exige qu’un changement de système et de livres. On pourrait trouver dans les personnes accoutumées à la vie conventuelle, des gens très-éclairés; car la lumière a pénétré partout, même dans les cloîtres; et l’habitude qu'on y prend de vivre à peu de frais, n’est pas à dédaigner lorsqu’il s’agit de faire de grandes choses avec peu de moyens. Il faudrait seulement que les engagements, ou les vœux pour les maisons d’institution, comme pour celles de charité, ne fussent qu’annuels. On ne peut faire avec amour et perfection, que ce qu’on fait avec liberté : la supériorité marquée des oratoriens, sur la plupart des autres ordres religieux, et des autres maisons d’éduca-lion, tient à ce qu’ils ont respecté ce droit de l’homme. Ce n’est point ici le lieu de développer la foule d’idées qui se présentent : le lecteur comprendra suffisamment que ce ne saurait être qu’à la faveur d'un plan très-sage et de beaucoup d’habileté et d’économie, que l’on pourra se flatter d’établir en France une bonne éducation nationale, qui ne coûte que cinq à six millions de plus que celle qu’on y donne aujourd’hui : les moyens d’arriver à ce résultat, sont dignes d’occuper les plus fortes têtes et les cœurs les plus civiques des l’Assemblée nationale. m [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 septembre 1789.] Elle y pourvoit par la plénitude des grâces dont elle dispose, et en vertu desquelles un pieux dessein, une intention louablement dirigée, et l’oraison : pro benefacloribus, appliquent à un seul acte du culte les mérites et l’efficacité qui naturellement n’auraient été attachés qu’à un grand nombre d’actes semblables. Mais ce que l’Eglise a pu autrefois, ce qu’elle fait même tous les jours, elle ne peut cesser d’avoir l’autorité de le faire encore. L’Eglise est une, et ne change pas de pouvoir. Il dépend donc des évêques de réunir aux offices des paroisses l’acquittement des fondations faites en faveur des abbayes et des prieurés, et cela devient indispensable lorsque la suppression des dîmes, ou leur réunion au domaine de la société, détruit la moitié des maisons régulières et des bénéfices simples, et forcerait à de nouvelles réunions de fondation. Il vaut mieux en faire une générale et commandée par la nécessité du salut public, qu’une multitude de partielles qui n’auraient point d’utilité (1). Il m’est démontré, et je pense, Messieurs, qu’il (1) Depuis que mon discours a été prononcé, plusieurs prélats ont eu la bonté de m’expliquer, ce que je n’i . gnorais pas, que l’Eglise avait été dans la nécessité d’ordonner les réunions dont je parle, parce qu’un grand nombre de fondations faites par des renies en argent, sont, vu l’avilissement des métaux et les changements de dénomination du numéraire, insuffisantes aujourd’hui pour les honoraires des desservants”; de sorte qu’une messe fondée pour 2 sous, ne pouvant plus être dite pour ce prix, il était indispensable de réunir la fondation avec plusieurs autres de la même valeur, et d’autoriser les églises à s’acquitter par une seule messe de dix fondations, qui, dans l’origine, exigeaient chacune une messe particulière, mais qui, réunies maintenant, ne peuvent plus en payer qu’une, déclarée par l’autorité du prélat,, et rendue, par l’intention de l’officiant, commune à tous les fondateurs. Ils en ont conclu qu’on ne pouvait donc faire aucun reproche à cet égard, ni à l’Eglise, ni à ses ministres. et je suis entièrement de leur avis.' En exposant avec naïveté des faits exacts, dont les conséquences sont importantes, et ouvrent une grande porte au salut* du peuple en ce monde, sans nuire aux fondateurs dans l’autre, j’ai été loin de l’intention de me permettre aucune inculpation, ni aucun reproche. Rien ne serait plus opposé à mon caractère. On est sans reproche quand on obéit à la nécessité ; et c’est ce qu’a fait l’Eglise, qui n’avait que l’alternative, ou de manquer à l’esprit des fondations, ou d’opérer les réunions qu’elle a ordonnées. Il y a une autre cause de ces réunions, dont on ne m’a point parlé, et qui les a également rendues1 indispensables, même pour les fondations par des rentes en grains qui n’ont point changé de valeur, ou par des concessions de terres dont le produit et le prix sont beaucoup augmentés. Il y avait autrefois 300,000 religieux en France; on assure qu’il n’y en a plus que 7 à 8,000. Ces religieux avaient été fondés pour dire chacun une messe, pour faire chacun un certain nombre d’offices ; les 8,000 ne peuvent plus acquitter la dette des 300,000. Un grand nombre de maisons, toutes celles qui sont réduites à être aujourd’hui des prieurés simples, sont devenues désertes ; il n’y a eu de moyen d’acquitter leurs fondations qu’en transportant sur les religieux et les maisons qui restent, lés obligations des maisons et des religieux qui n’existent plus; lorsque les maisons sont devenues inhabitées, on n’a point rendu les biens aux héritiers des fondateurs; on a senti que cette restitution temporelle à de tierces personnes n’aurait pas pour le fondateur l’utilité spirituelle qu’il avait eue pour objet. On a senti qu’une continuité de pratiques spirituelles, exercées même dans une autre maison, même dans un autre ordre, même par indivis et par réunion, serait bien mieux appliquée aux vues qu’ont inspirées aux fondateurs leur piété et leur foi. vous devient également indubitable, qu’aucune maison religieuse ne peut acquitter ses fondations d’une manière littérale par le nombre de messes et d’offices que les fondateurs unt désiré ; mais que cependant, selon les maximes et l’usage de l’Eglise, toutes les fondations peuvent être acquittées spirituellement , comme le sont aujourd’hui la plupart d’entre elles, par l’autorité qui a été confiée aux évêques, et en vertu de laquelle ils ont constamment imprimé aux offices qui pouvaient encore être célébrés, l’efficacité de ceux qui ne pouvaient plus l’être, et imposé aux officiants la loi de cumuler dans leurs prières tous les vœux formés par les fidèles qui ont donné à l’Eglise' des biens de toute espèce confondus dans la dotation. Le cas et la nécessité d’exercer cette autorité salutaire seront frappants lorsqu’il n’y aura plus d’ecclésiastiques en activité que ceux qui seront nécessaires au service des paroisses, et que tous les revenus qui peuvent encore être consacrés directement au culte leur auront été attribués; car enfin ils jouiront alors de la totalité des biens ecclésiastiques existants; ils. rempliront la totalité des fonctions ecclésiastiques possibles, et il faudra bien qu’il en résulte l’accomplissement de toutes les charges spirituelles de l’Eglise, ainsi qu’il n’a jamais cessé d’arriver lorsque ces fondations se sont toujours accumulées et multipliées, tandis que le nombre des ecclésiastiques ne cessait de diminuer progressivement. Et dans le vrai, tous les biens qui ont été-donnés à l’Eglise seront employés selon l’esprit même des fondateurs, à son soutien ou à sa décharge, soit par l’échange avec les honoraires que la société aura fixés pour l’entretien des ministres du culte; soit par le soulagement des pauvres, dont l’Eglise était spécialement chargée, et qui ne pourra pas être plus efficacement et plus sagement opéré que lorsqu’on diminuerais impôts, ou que même on en pourra totalement affranchir les dernières classes du peuple; soit enfin par l’application nécessaire d’une partie de ces biens au salut de l’Etat, auquel rien n’avait pu les dispenser de concourir, et qui n’aurait pas même été en danger si les biens ecclésiastiques eussent payé les contributions qu’ils devaient légitimement. Il est manifeste qu’aucun bien n’a pu être donné au clergé que sous la condition, essentiellement Lorsque l’on a détruit les Grands-Montains et les Jésuites, dont l’exemple revient toujours à ma mémoire, il a bien fallu charger d’autres ecclésiastiques d’acquitter leurs fondations : des fondations peuvent donc, à la faveur des grâces de l’Eglise, de l’oraison pour les bienfaiteurs, et des réunions, être acquittées dans des maisons différentes, par des religieux d’un ordre différent; et même celles qui ont été faites pour des religieux, peuvent l’être aussi bien par des prêtres séculiers toujours plus considérables dans la hiérarchie ecclésiastique, et qui constituent seuls la partie indispensable du clergé. C’est tout ce que j’ai voulu établir en proposant de charger les paroisses d’acquitter par des réunions les fondations déjà cumulées par d’autres réunions dans les monastères. En effet il serait également impatriotique et impie de supposer que Dieu serait plus touché d’une messe dite par un religieux d'un ordre, que par un religieux d’un autre ordre, et verrait avec moins d’indulgence et de bonté celles que célèbrent un vénérable curé ou un respectable vicaire ; d’imaginer enfin qu’un vêtement ou un autre, une règle ou une autre, ajoutassent ou retranchassent, aux yeux de la Majesté divine, à la dignité, à l’efficacité, aux mérites des plus saints mystères. [Àsseûiblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 septembre 1789.] 155 attachée à tout bien, de concourir à sa propre conservation. Il est prouvé que dans ce siècle le clergé a cessé d’y contribuer, selon la proposition établie pour les biens de la même nature que les siens. 11 est démontré que ce défaut de contribution a privé la nation d’un capital à peu près égal à celui des dettes qu’elle a été obligée de contracter. Il est donc incontestable que les biens du clergé sont hypothéqués par. privilège à ses dettes qu’il aurait dû payer et prévenir; et il est heureux dans une telle circonstance que les grâces dont l’Eglise dispose, lui permettent de faciliter cet usage indispensable de ses biens, sans nuire à l’utilité spirituelle des fondateurs ; oar, si les deux obligations ne pouvaient être conciliées, il n’y a pas de doute que le public dût être préféré aux particuliers, et que le privilège de la patrie, à qui les fondateurs ont dû la jouissance des biens dont ils ont disposé primerait celui de leurs fondations. Ainsi toutes les raisons les plus puissantes et les plus irrésistibles se réunissent pour constater, Messieurs, que les biens du clergé, de quelque nature qu’ils soient, n’ont été qu’en dépôt entre ses mains, et qu’ils appartiennent à l’Etat, sous la seule condition de pourvoir honorablement à l’entretien du culte et de ses ministres, et de conserver, d’améliorer même les établissements de charité ou d’instruction. Pardonnez-moi, Messieurs, l’espèce de dissertation politique et théologique, dans laquelle je me suis trouvé engagé pour rendre cette vérité palpable. A quelque degré qu’elle pût être utile, je ne me permettrai jamais, je ne proposerai jamais une opération qui puisse me paraître renfermer la plus légère teinte d’injustice. 11 a donc fallu que je m’assurasse le premier du droit de la société sur les-biens ecclésiastiques, et que je m’appliquasse ensuite à vous le développer. Je n’ai donc pas été hors de la question, je me suis tenu dans l’ordre ; j’ai fouillé le terrain pour savoir si vous y pouviez trouver l’édifice du salut public ; j’ai trouvé, reconnu, vérifié, circonscrit la source de vos richesses. Faisons-en l’inventaire à présent, et voyons quel en doit être l’emploi. On ne peut pas estimer les biens-fonds ecclésiastiques, à moins de soixante millions de revenu. Plusieurs données confirment cette évaluation, et indiquent qu’elle doit être plutôt au-dessous qu’au-dessus de la réalité. C’est une opinion générale, accréditée par le clergé lui-même, que les dîmes sont â peu près les deux tiers des revenus ecclésiastiques, et les biens-fonds un peu plus du tiers. Vous venez de voir que les dîmes valent de cent à. cent vingt millions de revenu. L'estimation de soixante millions pour les biens-fonds est. donc raisonnable. Le célèbre auteur du traité de V Administration des finances, n’a estimé le revenu du clergé de France qu’à cent dix millions. Mais on doit remarquer en premier lieu, que les recherches qui avaient été mises sous les yeux, avant la publication de son livre, présentaient un résultat trop faible, et que celles qui ont été faites depuis, afin de servir de base aux travaux présentés à l’assemblée des notables, indiquent pour les biens-fonds une somme plus forte d’un quart en sus, ou d’un . cinquième au total : ce qui oblige, de porter d’abord à cent trente-sept millions , d’après les éléments fournis à M. Necker, la valeur des biens du clergé qu’on appelle de France. - On doit remarquer en second lieu, qu’il y a en France un autre clergé désigné par le nom de clergé étranger : c’est celui des provinces de Flandre, de Cambrésis, de Hainaut, d’Artois, des Trois-ËvêchéS, de Lorraine, d’Alsace, de Franche-Comté, de la principauté d’.Orange et du Roussillon, qui forment un septième du royaume; et l’auteur du livre de l 'Administration des finances -a soin d’avertir qu’il rie fait pas entrer dans son estimation les biens du clergé de ces provinces. 11 avertit encore que dans ces provinces, la proportion des biens du clergé avec les autres biens-fonds est beaucoup plus forte que dans le reste du royaume. 11 indique même que, dans les quatre premières, dont le clergé porte le nom d'é - tranger, la proportion de ses biens est plus que double. Cette vérité oblige d’ajouter à la valeur des biens du clergé de France au moins un cinquième en sus, ou un sixième au total, au lieu d’un septième, pour y joindre l’estimation des biens du clergé français, des pays conquis et reconquis : de sorte qu’en combinant les recherches qui sont entrées dans ce livre de l’Administration des finances et celles qui ont été faites par les notables, on trouve cent soixante -quatre millions pour l’évaluation total du revenu des biens du clergé, d’où ôtant cent millions pour les dîmes, reste soixante-quatre millions pour les biens-fonds (1). On. trouve dans l’almanach royal une note du revenu des évêchés, des abbayes commendataires d’hommes et des abbayes de filles, et cette note se monte à treize millions trois cent quarante-sept mille livres. Mais il est reconnu que le plus grand nombre de ces bénéfices n’y sont mentionnés que pour le quart, et ceux qui sont le plus fortement évalués, que pour le tiers du revenu réel. Cette note suppose donc que le produit véritable doit être à celui qui est indiqué, au moins dans la proportion d e vingt-quatre à sept. Ainsi, c’est quarante-six millions qu’il faut compter pour le revenu des titulaires des bénéfices compris dans le catalogue de l’almanach royal. Le revenu des religieux, celui des chapitres, est aussi fort que celui de ; évêques et des abbés commendataires : ce sont encore quarante six-millions. La somme destinée pour les réparations et pour les pauvres forme une troisième part qui devrait être aussi forte que chacune des deux autres, qui peut-être ne l’est pas exactement, mais qu’on suppose telle, attendu que s’il y a de l’exagération, (1) On dit qu’il y a un prieur de Saint-Gabriel, très-instruit sur la valeur des biens ecclésiastiques, qui m’a fait l’honneur de publier une brochure contre mon discours avant que j’eusse pu moi-même livrer celui-ci à l’impression. Ce respectable prieur expose que le clergé a pour soixante-quinze millions de revenu en biens-fonds .' je le crois comme lui. Il ajoute qu’il faut cent cinquante millions de rente pour faire vivre avec-toutes les réductions possibles le clergé actuel. Et cependant il ne croit pas que le clergé ait seulement cent trente millions de revenu, dîmes comprises. Ces calculs sont difficiles à concilier. Mais dans l’incertitude, il est plus vraisemblable qu’il a cinq millions au-dessous de la première estimation de M. îe prieur de Saint-Gabriel, pour fournir à l’opulence du clergé riche, qu’il n’est vraisemblable qu’il y a présentement vingt-cinq millions de déficit sur le simple nécessaire dans les revenus du clergé. 456 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 septembre 1789.1 elle sera compensée par l’évaluation très-faible de l’article suivant. Cet article consiste dans le revenu de toutes les abbayes qui ne sont point en commende, mais possédées par des réguliers, dans celui de tous les prieurés dont le nombre est immense, et dans celui de toutes les chapelles; on modère l’aperçu de ces différents articles réunis en le portant à une quatrième somme de quarante-six millions. Voilà, selon cette hypothèse, un revenu de cent quatre-vingt-quatre millions , sans compter les hiens-fonds des hôpitaux et des collèges ; et retranchant de cette somme cent millions pour les dîmes, il resterait quatre-vingt-quatre, millions de rente en biens-fonds. C’est donc une évaluation très-modérée que celle qui borne à soixante millions de revenu les biens-fonds possédés par les ecclésiastiques, indépendamment des établissements d’instruction et de charité. Cette évaluation supposerait que le clergé ne jouit que du vingt-cinquième des terres, des maisons et des droits seigneuriaux du royaume. Vous êtes ici députés de toutes les provinces : je vous demande, Messieurs, si vous croyez, chacun dans la vôtre, que le clergé n’y possède pas le vingt-cinquième des terres, des maisons et des seigneuries ? s’il possédait moins, je me serais trompé ; mais vous pensez tous qu’il ne possède pas moins, vous assurez tous qu’il possède davantage. Si le clergé jouit donc de plus du ving.t-cin-cjuième des biens-fonds, vous ajouterez, Messieurs, à mes calculs, en raison de vos lumières, et la libération de l’Etat en sera plus rapide, mais non pas plus assurée. Il me suffit, pour vous montrer qu’elle est possible et facile de supposer que les biens-fonds, dans la jouissance desquels l’Etat va rentrer, valent soixante millions de revenu. Ces soixante millions doivent être joints aux vingtrsix millions qui, sur les dîmes, resteront libres, c’est-à-dire au delà des dépenses nécessaires pour le service de la religion. Mais sur ce total de quatre-vingt six millions de rente, il y a plusieurs charges indispensables, les unes durables, les autres passagères. Les durables ont pour objet l’instruction de la jeunesse et le soulagement de la pauvreté. On évalue à quinze millions les revenus actuels des hôpitaux et des collèges, et je suis porté à croire cette estimation trop faible, d’une part, attendu que leur dépense me semble plus considérable; et de l’autre, parce qu’on assure que les dîmes dont ils jouissent se montent à dix millions : or, les dîmes ne doivent pas faire pour ces établissements, comme pour les évêques et les abbés, Ues deux tiers du revenu qui les soutient, car une grande partie de la richesse des collèges et des hôpitaux est en maisons dans les villes. Au surplus, Messieurs, vous avez remarqué que je n’ai pas compris leurs biens-fonds dans le nombre de ceux où la nation rentrerait; je vous ai seulement demandé d’augmenter de cinq millions par année les fonds destinés à ces institutions utiles, sauf à en perfectionner les plans et le service. Il suffit donc pour savoir ce que vous aurez à leur fournir, de connaître la valeur de leurs dîmes, qui doivent comme les autres, devenir rachetables entre lès mains de la nation, et jusqu’au rachat être régies ou abonnées pour elle, par les, assemblées principales des cercles, et par les assembléeé municipalès et de département. Si les dîmes des hôpitaux et des collèges sont de dix millions , ce sera donc quinze millions que vous aurez à donner. Vous aurez encore à charger, la nation des rentes qui sont dues par le clergé. Si vous eussiez pu regarder celui-ci comme propriétaire, il aurait été seul obligé au payement de cette dette; car elle a été contractée pour acquitter le peu d’impositions qu’il a payées, et qui étaient si excessivement inférieures à celles qu’il devait» Mais la nation ne pourrait consentir que le clergé devînt propriétaire ? des dîmes, qui sont un impôt inaliénable; et moins encore des biens-fonds, pour lesquels il a manqué, de manière à occasionner la dette de l’Etat, à la condition essentielle de toute propriété, qui est de contribuer à sa garantie; pour lesquels d’ailleurs il lui est impossible de remplir, autrement que par une direction mentale, les obligations qu’on y a voulu attacher, et qui le seront aussi bien que par une direction mentale que les ministres nécessaires du culte donneront à leurs prières. L’exemple du passé forçant la nation à ne pouvoir même consentir qu’il demeure administrateur de ces biens, il devient nécessaire de les reprendre, détériorés, comme ils sont, par la dette que jamais on n’aurait dû contracter sur eux, et d’acquitter cette dette. Elle se monte à près de sept millions de rente : c'est jusqu’au remboursement une charge durable à joindre aux quinze millions, que je crois nécessaires d’attribuer au service public de l’instruction et de la charité, au delà des biens dont jouissent aujourd’hui les hôpitaux et les collèges. Vous devez donc compter sur vingt-deux millions de charges durables, et qui doivent excéder ces fonds nécessaires pour l’entretien du culte public. De ces vingt-deux millions seulement, il y en aura sept qui seront rachetables par remboursement. Vous aurez ensuite à pourvoir à des charges passagères, et qui s’éteindront d’elles-mêmes. J’estime, par aperçu, à quatorze millions six cent mille livres les pensions à faire aux religieux et aux religieuses, ainsi qu’aux abbés et aux prieurs commendataires, ou autres bénéficiers ; et je ne doute pas que vous n’établissiez les règles les plus sages et les plus humaines pour leur répartition (1). (1) Il faut proportionner les pensions à la richesse des ordres, et à l’habitude que leurs membres ont contractée de vivre avec aisance. Il faut aussi prendre l’âge en considération. Et surtout, en rendant aux membres des différents ordres que l’on sera forcé de séculariser, la liberté dont doivent jouir les citoyens qui cessent de tenir à une corporation, il faut respecter cette liberté même ; il faut laisser les individus que la sagesse du Corps législatif en gratifiera, perpétuellement maîtres d’en faire ou de n’en pas faire usage. Il y a dans les cloîtres des victimes d’un genre de séduction ou d’un abus d’autorité, qui n’auraient jamais dû peupler des asiles uniquement destinés à une vocation véritable. Elles n’y trouvent que la perte absolue du bonheur de cette vie, et le danger pour le salut de l’autre : si on ne pouvait les en tirer par l’ouverture des portes, il faudrait leur donner des ailes. Mais il y a aussi dé pieux cénobites et des saintes qui se croiraient au comble de l’infortune, s’il fallait cesser de suivre la règle à laquelle leur âme s’est dévouée. Il y a enfin des personnes d’un âge avancé qui ne retrouveraient dans le monde ni parents, ni amis, ni soutien, et pour lesquelles la vie eonventuelle, débarrassée 157 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 septembre 1789.] J’ai réclamé de votre justice quatorze cent mille francs de pension pour les évêques dont les sièges seront supprimés et qui lie pourraient pas être remplacés sur-le-champ. Ge sera donc, autant qu’cm peut juger, à seize millions que*se monteront les dépenses passagères dont la nation sera chargée par la grande opération que 'la justice autorise, que la nécessité commande, et â laquelle le salut des finances et celui de l’Etat sont attachés. Le calcul des extinctions indique que de ces seize millions il en rentrera six cent mille livres tous les ans à la caisse nationale, qui reprendra dès ce jour la jouissance de quarante-huit millions de revenu sur les biens déposés entre les mains du clergé (i), la nue propriété du capital de seize de la rigueur des offices dont le clergé séculier acquittera les fondations, aura beaucoup de. douceur. Que l’époque de la liberté de la iiation, soit celle de la leur ; qu’ils choisissent, et après avoir choisi, qu’ils puissent encore changer selon que le temps et l’expérience éclaireront leur penchant. Il n’y a point d’inëonvénient à ce que ceux qui préféreront la vie conventuelle, la continuent dans les maisons où ils soient réunis en assez grand nombre pour que l’Etat et eux profitent de l’économie dont elle est susceptible. Sur la déclaration qu’ils auront faite, on pourra réserver un certain nombre de maisons de chaque ordre, où ceux qui s’y engageront en suivront strictement la règle. On pourra même réserver aussi quelques maisons pour les religieux ou religieuses sécularisés, qui sur un simple engagement annuel voudraient vivre en communauté. Il faudrait seulement rendre plus faible la pension de ceux qui se détermineraient pour la vie de communauté, tant parce qu’ils jouiraient de l’avantage du logement et des jardins, ce qui est même une des manières de les mettre en valeur pour l’Etat, qu’attendre réellement que l’on pût en communauté se procurer des jouissances égales à peu de frais. C’est ce qui rend impossible de calculer avec précision ce que coûteront les pensions des religieux et des religieuses. Car on ignore combien il y en aura qui préféreront la vie conventuelle, et l’on est obligé d’éta-tablir sur de simples hypothèses des résultats approximatifs. Quant aux abbés et prieurs commendataires, j'avoue qu’en leur faisant supporter sur leur fortune les réductions qu’exigent la canons et l’équivalent des impositions qu’ils doivent à la société, je ne puis, en songeant à eux, qu’applaudir à la sage conduite dont la République de Pologne donne l’exemple. Il me semble qu’il ne faut jamais réduire à l’indigence les citoyens qui, sur la foi des lois et des usages existants, ont pu sans injustice se flatter de jouir d’une aisance assurée et tranquille. Nous sentons tous par notre propre cœur combien la transi - tion serait rude; et je trouve que c’est un des cas où l’équité elle-même recommande de grands ménagements à la bonté. (1) Cette opération ne sera pas à beaucoup près aussi rigoureuse qu’elle le paraît pour de clergé. Elle se réduit à faire payer aux titulaires actuels, sous uné autre forme, et même avec modération, la contribution qu’ils doivent très-légitimement, et à laquelle ils se sont soumis. En effet cent millions de revenu en dîmes, qui ne payent actuellement aucune taille, en devraient sur le pied ordinaire trente millions, tant pour celle d’exploitation que l’on exige des fermiers, que pour celle de propriété qu’on demandait aux propriétaires taillables, à raison des facultés personnelles que leur procuraient leurs biens. Les soixante-dix millions restant sur les dîmes auraient dû rigoureusement sept millions sept cent mille livres de vingtièmes; mais, comme il est à présumer qu’ils auraient participé à l’imperfection dë la répartition et de l’assiette de cette imposition, qui n’a jamais rendu plus des cinq huitièmes de ce qu’elle devrait produire (ce millions de pensions, et la faculté de percevoir successivement le rachat des dîmes de cent mil-qui par une très-grande injustice des parlements dont l’influence dure enc"ore, et une politique aussi faible que mauvaise de M. l’archevêque de Sens, a été en quelque façon canonisé jusqu’à ce jour ) : on ne peut compter cette imposition comme due par le clergé, que sur le même pied qu’elle est payée par les autres contribuables, c’est-à-dire, pour quatre millions »huit cent mille livres. Les soixante autres millions de rente en biens,-fonds payent déjà pour la plus grande partie la taille d’exploitation par les fermiers, mais ne payent point la taille de propriété ou des facultés personnelles, qui selon la loi devrait être aussi forte que l’autre, qui selon l’Usage n’en forme que le quart, et que nous ne pouvons donc estimer qu’à cinq millions. Les mêmes soixante millions de rente devraient à la rigueur six millions six cent mille livres de vingtièmes, et n’en payeraient, suivant l’habitude établie, que quatre millions cent. mille livres. Enfin le clergé avait été imposé au comnîencement du siècle à quatre millions de capitation, et en devrait aujourd’hui, avec les sous pour livre, quatre millions quatre cent mille livres. Récapitulation des impositions dues par le clergé. Taille sur les dîmes.. . ....... . . . 30,000,000 livres. Vingtièmes sur les dîmes ..... ... 4,800,000 Supplément de tailles sur les biens-fonds....... .......... ...... ..... 5,000,000 Vingtièmes sur les biens-fonds... 4,100,000 Capitation...,,.. ..... ‘. .......... 4,400,000 Total ..... . ..... 48,300,000 livres. Lorsque la nation retiendra quarante-huit millions de revenu sur les biens du clergé, elle ne fera donc que l’obliger d’acquitter son imposition. Mais, dira-t-on, si l’opération se réduit à ce résultat, pourquoi ne pas demander tout simplement au clergé les quarante-huit millions d’imposition, et ne pas lui laisser la propriété de ses biens? On emprunterait tout de même sur ces quarante-huit millions de revenu, et l’on arrangerait tout de même les affaires de l’Etat. Je réponds : Premièrement, parce que cela ne serait pas juste. Secondement, parce que cela serait infiniment moins utile. Troisièmement, parce que cela n’arrangerait pas de même, à beaucoup près, les affaires de l’Etat. Et je prouve mes trois propositions. Cela ne serait pas juste, car un tel arrangement laisserait subsister l’extrême inégalité de fortune entre les membres du clergé; ce qui est non-seulement une dis convenance, mais une iniquité véritable. Cela ne serait pas juste, car ce serait consolider l’impôt des dîmes, dont la répartition est essentiellement injuste, tant parce qu’elle ne porte pas sur toutes les propriétés, que parce qu’elle est sans proportion avec le revenu, et qu’à tarif égal, elle pèse horriblement sur les mauvaises terres, lorsqu’elle est peu onéreuse sur les bonnes. Enfin cela ne serait pas juste, parce que ce serait maintenir le clergé dans l’état de corporation ou de république dans l’empire, auquel aucun corps de salariés de l’Etat n’a ni ne peut avoir droit : or il a été démontré que le clergé n’est et ne peut être que le corps des salariés de l’Etat, employés au service divin, comme l’armée est le corps des salariés de l’Etat, destinés à la sûreté publique. Cela serait infiniment moins utile, car la propriété des dîmes, donnée aux déoimateurs, mettrait, par la diversité de leurs opinions et de leurs intérêts, un obstacle invincible aux abonnements dont la nation administrant les dîmes peut faire une loi générale. Cela serait infiniment moins utile, car les abonnements généraux ne pouvant avoir lieu, les pauvres seraient toujours privés de leurs pailles qu’dis ne peuvent , . racheter, et qui vont engraisser les terres des riches ce 158 [Assemblée nationale.] lions de revenu net, et cent-vmgt millions, frais compris. Ce sera véritablement un capital de six milliards mis à la disposition de la nation. Avec un tel capital, Messieurs, bien disponible et si parfaitement assuré, quarante-huit. millions de rentes libres, quarante-deux millions d’économie que le premier ministre des finances vous propose, quinze millions qu’il vous demande d’établir en augmentation des anciennes impositions territoriales, et le produit des contributions patriotiques, vous aurez donné une base à votre crédit, et c’était la première chose à établir, Vous avez éprouvé,ce qui était facile à prévoir, que le crédit ne s’assied jamais que sur l’évidence des moyens de payer. On ne prête qu'aux riches, est un proverbe consacré. 11 en est un autre non incontestable : c’est que tous les prêteurs sont des prêteurs sur gages : rendez le gage plus suffisant, et vous verrez renaître les préteurs ; car quels que soient les fonds qui aient pu passer chez l’étranger, quels que soient les capitaux que les gens riches, effrayés par nos troubles, aient pu qui augmeute l’inégalité des fortunes, et ajoute à l’injustice naturelle de la dîme. Gela serait infiniment moins utile, car les propriétaires ne pouvant racheter les dîmes, auraient un grand motif de moins d’économie et de conduite ; au lieu que la possibilité de rachat leur présentant sur leur propre héritage le placement le plus utile, le plus solide et le plus attrayant, sera une cause générale de bonne administration domestique. Gela n’arrangerait pas à beaucoup près de même les affaires de l’Etat, car sur quarante-huit millions d’impositions payées par le clergé, la nation ne pourrait emprunter que .neuf cent soixante millions ; et cette somme étant très-inférieure à celle de ses dettes, les prêteurs qui ne verraient pas la libération assurée, ne. seraient que faiblement excités ; de sorte que les finances ne seraient point tirées de la gêne où elles se trouvent. Au lieu que, en remettant le clergé à la place honorable, mais subordonnée au corps politique, que la nature des choses lui assigne dans la société, non-seulement on pourra disposer de quarante-huit millions de revenu, mais on pourra aliéner pour soixante millions de rentes en biens-fonds, qui présentent une hypothèque toujours plus solide que celle des emprunts publics, tellement qu’il ne sera pas nécessaire de se borner à les engager à 5 0/0, et qu’on pourra les aliéner à 3 0/0, se procurer ainsi deux milliards, et gagner quarante millions de rente, comme on le voit dans le texte, beaucoup plus peut-être sur les intérêts. Et de plus on aura toujours, à mesure que les cultivateurs et les propriétaires feront bien leurs affaires, un remboursement ouvert par petites parties de cent vingt millions de dîmes, frais compris, qui vaudront un capital de quatre milliards, lequel joint à un autre capital de deux milliards en biens-fonds, excédant de beaucoup la totalité de la dette, donnera dès l’instant même la plus grande solidité au crédit. Avec un tel état de choses, dès que l’ordre et la paix seront rétablis dans le royaume, on peut être assuré que tous les capitalistes de l’Europe, chez lesquels le trouble arrivera successivement, et surtout que nos propres capitalistes, dès que nous aurons commencé à les rembourser, se hâteront de demander la préférence, pour réduire les intérêts de nos dettes, en les reconstituant à un taux moins onéreux, et pour nous procurer ainsi l’avantage inestimable de pouvoir diminuer d’année en année les impositions. Qu’il y ait quelque différence entre disposer, de l’aveu du clergé république, d’un capital de neuf cent soixante millions, ou disposer, en rendant le clergé citoyen, d’un capital de six milliards, chargés seulement d’une dépense de quatre-vingt-seize millions de rentes, qui dans l’état actuel ne valent que deux milliards , c’est ce que je n’ai pas besoin de démontrer plus longuement à mes lecteurs, qui voient avec évidence, que le second arrangement, comparé au premier, est de plus de trois milliards à leur profit. [24 septembre. 1789. emporter avec eux, il y en a certainement une beaucoup plus grande masse qui reste enfouie, par l’effet de l’inquiétude où l’on est sur l’emploi qu’on en pourrait faire, et dont les propriétaires, privés de leur revenu, me demanderaient pas mieux que de trouver un placement solide. * Il suffit que de la réunion de tous vos moyens extraordinaires, de la création.de votrenouveau revenu, et de la manifestation de yotre immense capital, dont vos prêteurs sont toujours les maîtres de se mettre en possession le jour qui leur plaira, vous puissiez trouver au delà de votre dépense courante cent millions, dont quarante seulement en écus, pour commencer les grandes opérations que le premier ministre des finances a eu sûrement en vue, lorsqu’il vous a proposé de former une Banque nationale. Son habileté vous assure qu’il n’a pas entendu se borner à tirer de cette bauque des secours momentanés pour atteindre péniblement au niveau de l’année courante; il aura compté en employer les forces pour les remboursements que la situa ¬ tion embarrassée des finances exige, et sans lesquels on ne pourrait parvenir à rendre à l’Etat ni au dedans ni au dehors son énergie et sa puissance, Qu’il me soit permis ici, Messieurs, pour vous développer l’utilité d’une banque, et indiquer les règles delà prudence avec laquelle on en doit faire usage, de jeter un coup d’œil sur une multitude de projets dont vous êtes entourés. On vous propose de toutes parts de créer du papier-monnaie ou des billets a' Etat, et si Vous hésitiez à donner promptement aux finances un appui solide, vous pourriez être conduits très-involontairement à cette opération par l’impossibilité d’effectuer autrement les payements auxquels la nation est obligée. Mais vous comprenez assez, Messieurs, que par elle-même, une telle ressource est illusoire ; qü’il ne dépend pas des souverains, qu’il ne dépend pas des nations d’imprimer de la valeur aux choses auquelies la nature l’a refusée. Un peuple naissant, un peuple vertueux, un peuple qui donnait un grand exemple au monde, a tenté cette entreprise ; et son papier-monnaie devenu très-promptement inefficace, a été le malheur le plus réel de la guerre qu’il avait à soutenir: Dans la position où vous êtes, le papier que vous répandriez, soit qu’il portât intérêt, soit qu’il ne portât pas, ne serait jamais qu’un titre de créance, échangé contre un autre titre de créance. Si les finances sont embarrassées, c’est précisément parce que les titres de créance sur la nation, malgré la garantie solennelle que vous leur avez donnée, ne paraissent pas avoir une valeur égale à celles, des sommes qu’ils énoncent. Comment et pourquoi, les nouveaux titres de créance que vous y substitueriez inspireraient-ils plus de confiance? Il y a beaucoup de gens qui croient avoir payé leurs dettes quand ils ont fait ou renouvelé des billets; mais leurs créanciers ne le croient, pas ainsi, et ces manœuvres sont au-dessous de la dignité des nations. Aucun engagement ne doit être renouvelé que de gré à gré. Si vous payez avec des billets portant. intérêt, des billets exigibles portant intérêt, vous faites un contrat d’atermoiement, Une faillite. Si vos billets portant intérêt, et donnés par autorité, ne produisent qu'un intérêt plus faible que ceux qu’ils remplacent, il y a banqueroute partielle. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 septembre 1789. [ 159 Si vous payez avec des billets purement monnaie et sans intérêt, a moins que vos billets ne puissent être réalisés en argent ou en valeur, à l’instant même, il y a banqueroute d’abord de la valeur de l’intérêt, et ensuite de l’infériorité qu’un capital mort doit avoir sur un capital égal qui produit des rentes. Presque toutes les personnes qui. vous ont proposé un papier-monnaie ont très-bien songé à en soutenir la valeur, en disant qu’il serait pris en payement de la vente des biens du clergé et de celle des domaines. Mais alors où est la véritable ressource ? elle est dans la valeur des biens du clergé et du domaine. Vos billets n’y ajouteront rien. Et si vous prétendiez par eux vous mettre en possession anticipée du capital de cette valeur, et la donner pour comptant à des gens qui ne pourraient le réaliser avec promptitude, il y aurait perte pour eux et sur papiers, il y aurait banqueroute partielle. Toute vente de terre demande un temps moral pour être effectuée. Les domaines ne sont point en valeur. Les biens du clergé ne sont pas suffisamment connùs. On ne eut acheter des terres, sans les avoir examinées : i vous voulez que votre crédit ait de la valeur et de l’efficacité, il faut qu’il n’y ait pas un moment où l’on puisse dire que vos créanciers aient souffert. il ne faut donc pas que la nation puisse voir avilir les engagements pris par ses réprésentants. Il ne faut pas, lorsque . vous pourrez réellement lui rendre son crédit, exposer ce crédit à chanceler par une injustice que vous ordonniez, par un acte d’autorité qu’en matière de dettes on n’a jamais droit de faire, par l’exagération de la confiance en votre propre pouvoir. Je vous supplierai donc, Messieurs, de ne pas vous laisser entraîner à aucune démarche qui vous oblige de mettre en circulation, comme un grand nombre de citoyens zélés le désirent, sans avoir pesé les conséquences, quatre cents millions, et. bien moins encore, six cents millions, neuf cents millions, un milliard, deux milliards de billets. Cette circulation n’aurait pas plus lieu que ne l’aura celle de vos titres de créance actuels, lorsqu’on saura que vous leur aurez donné bonne hypothèque. Il faut retirer ces titres de créance, sans doute; il faut faire profiter la nation d’une grande épargne sur leurs intérêts. Il faut la conduire à un énorme excès dans ses revenus sur ses dépenses, afin d’avoir le moyen de soulager noblement le peuple. Vous le devez, vous le pouvez ; mais vous ne le pouvez que par une marche prudente et modérée. On ne franchit pas vingt toises d’un seul élan ; mais on fait le tour du monde à pas successifs. Aucun papier, Messieurs, ne peut remplir l’office de monnaie, si les porteurs ne sont à chaque instant maîtres de l’échanger contre de la monnaie, ou contre des valeurs égqles ou préférables. U ne faut donc répandre aucun papier auquel cette faculté ne soit donnée avec certitude, parla confiance publique, et sans aucun usage de l’autorité. Et comment exciter et soutenir à cet égard la confiance publique? C’est par la manifestation qu’il est impossible qu’elle soit trompée; c’est en n’ayant jamais de papier dehors que dans une proportion très-inférieure aux usages présents, utiles, attrayants qu’on en pourra faire, et en laissant toujours le choix ou de ces usages, ou du remboursement en argent comptant. A cela lé service d’une banque bien conduite vous est indispensable, mais cette banque ne doit pas vous servir seule. La banque doit être toujours prête à fournir de l’argent à tous ceux qui, ayant à faire de petits payements, ne peuvent les effectuer qu’en espèces. Sa caisse doit de plus être, si je puis' employer cette expression, une sorte de canal de trop plein pour la réalisation des billets" qui ne trouveraient ças un autre emploi. Mais c’est au bon état des finances dès la présente année, et à la perspective assurée de son amélioration progressive et prochaine, à montrer que le plus mauvais usage qu’on ‘puisse faire des billets, serait de les porter à la banque. Il faut ouvrir trois emplois avantageux et sûrs aux capitaux libres. Le premier dans la vente des biens-fonds du clergé, sur laquelle vous n’aurez point à vous presser, lorsque l’Etat jouira provisoirement des revenus, et que vous pourrez afetèndre en chaque lieu des offres convenables. Vous en aurez de très-promptes pour les édifices et les terrains des villes, particulièrement de la capitale, où les maisons religieuses occupent les plus beaux emplacements. Et je vous prie de remarquer que je n’ai pas compté un seul de ces édifices et de leurs dépendances, qui servent à la simple habitation, parmi les biens du clergé, dont nous n’avons estimé le capital que d’après le revenu. Mais dans vos mains le capital actuellement inactif en maisons, en cloîtres et en jardins produira un revenu, et même un gros revenu, puisqu’il servira au remboursement des dettes les plus onéreuses et les plus embarrassantes de la nation. Il y a dans Paris pour 40 millions au moins de ces édifices inutiles, à réaliser en trois mois. Le second emploi des capitaux doit être dans le rachat des dîmes. Vous devez l’autoriser de la part de chaque particulier à la caisse de l’assemblée du département, dont il ressortira. Mais il n’y a aucun inconvénient, et au contraire, ce sera une très-bonne combinaison que d’autoriser aussi les particuliers aisés à racheter en masse les dîmes de leur paroisse, ou de telle autre, à la charge, lorsqu’ils seront substitués par ce rachat aux droits du domaine de la nation, d’abandonner les dîmes aux redevables, selon un tarif égal dans chaque canton, pour des rentes en grains,, ou quant aux vins pour les dîmes au cellier, en accordant sur la proposition de ces abonnements des remises, parce que la perception en sera moins embarrassante et moins coûteuse ; comme aussi à la charge de réserver aux débiteurs des dîmes abonnées la faculté perpétuelle de racheter, chacun en droit soi, la portion a laquelle il serait assujetti, d’après un taux qui serait réglé pour indemniser le premier acquéreur, de l’inconvénient de n’être remboursé qu’en petites parties de ce qu’il aurait avancé en masse. Le troisième emploi doit être dans un emprunt public constamment ouvert, dont il faut combiner les conditions de manière que, réunissant pour les prêteurs le plus grand nombre d’avantages propres à toucher la raison et à intéresser le cœur humain, elles dispensent d’y attacher de trop gros intérêts. L’ineptie en administration couvre tout, entraîne tout par le poids de l’argent, dont elle épuise les nations, qui ensuite l’abandonnent à son impuissance ; la sagesse et l’habileté cherchent dans les esprits sensés, et dans les âmes honnêtes, qui, grâce au ciel, sont pourtant le' plus grand nombre, les trésors innombrables et toujours renaissants que la Providence y a placés; c’est ainsi que se procurant 160 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 septembre 1789.] une force que rien ne peut détruire, et n’ayant plus besoin de prodiguer les métaux, elles s’assurent que ceux-ci ne leur manqueront jamais. J’ai eu l’honneur dans une autre occasion de vous exposer quelques-unes de ces conditions qui sont à réunir dans les emprunts publics ; j’y en ajouterai aujourd’hui quelques autres. L’emprunt doit pour sa plus forte partie être en rente perpétuelle remboursable, afin de ne pas dépouiller les familles, et de ne pas semer entre les pères et les enfants cette odieuse défiance, ce mécontentement mutuel que les rentes viagères ont si malheureusement propagés, et détruire les vertus jusque dans le sanctuaire des foyers domestiques. Il faut qu’une petite partie soit en tontine, afin qu’il y ait pour chaque actionnaire la certitude que son revenu augmentera d’année en année ; qu’avant peu il sera au-dessus du taux d’intérêt des emprunts ordinaires, et qu’il ait de plus à considérer la possibilité, la légitime espérance, s’il atteint un âge très-avancé, d’avoir un jour une rente égale à la totalité même de son capital. Ces deux conditions seront remplies par un emprunt à 4 1/2 0/0 en actions de 1,000 livres , qui produiront 40 livres de rente perpétuelle, remboursable par un capital de 900 francs et 100 sous de rente tontine, qui assureront au dernier vivant d’une division de deux cents tontiniers, 1,000 livres de rente viagère. D’autres conditions intéressantes doivent être ajoutées. L’une dont le premier ministre des finances vous a donné le conseil, que vous avez adoptée dans l’emprunt actuel, est de laisser les actionnaires libres de fournir leurs fonds, moitié en argent, et moitié en papiers portant intérêt. Gomme ils ont acheté ces papiers dans un état de perte, ils peuvent aussi retirer de leur argent un plus fort intérêt que la nation n’en paye ; ce profit pour eux tfest nullement onéreux à l’Etat, pour qui la moitié n’est qu’un virement de parties qui ne charge point les finances. Une seconde facilité qui aide beaucoup au succès d’un emprunt, est de ne délivrer d’abord que des quittances de finances, et de réserver aux capitalistes qui avancent les fonds, le temps de les placer chez leurs correspondants, et d’indiquer, dans le délai fixé, au nom de qui l’on doit placer les contrats. Une dernière condition qui fera grand plaisir aux capitalistes, et qui n’a pu être encore employée parce l’état des finances et l’habitude de consumer d’avance les fonds des provinces l’auraient rendue impossible dans l’exécution, mais dont je vais vous proposer de faire disparaître la difficulté, est rengagement de faire payer les arrérages en telle ville du royaume que les rentiers voudront désigner, pourvu qu’ils fassent connaître chaque année, deux mois avant l’échéance, le lieu où il Ieür plaira recevoir leur argent. J’ose vous assurer, Messieurs, et je le fais sur la foi des banquiers les plus habiles, comme sur celle de la raison, qu’un emprunt à 4 1/2 0/0, dont le gage sera visible, et pour lequel on réunira ces cinq conditions, aura le succès le plus indubitable. Lorsque vous aurez donc attiré vers la libération des dettes de l’Etat les capitaux oisifs, par un emprunt de cette espèce, par l’ouverture de la vente des biens-fonds du clergé, par celle du rachat des dîmes, et par la certitude que les revenus de la nation étant au-dessue de ses dépenses, elle marchera vers la propriété au lieu de s’enfoncer de plus en plus dans le gouffre des dettes, vous pouvez compter que très-peu de gens se soucieront d’enterrer leur argent; que l’on n’ira présenter à la caisse de réalisation que les billets dont la monnaie sera indispensablement nécessaire pour les menues dépenses courantes et pour les appoints ; que la Banque aura la plus grande faveur dans l’opinion publique, et que la conversion des dettes onéreuses en dettes à un taux d’intérêt peu dispendieux se fera avec la plus grande facilité. Ce ne sera qu’après que vous aurez ainsi fait vos dispositions que devront commencer les grandes et utiles opérations, dont la Banque, quelle qu’elle Soit, doit être le pivot. Peu importe que cette banque soit la Caisse d'escompte actuelle, ou que vous la décoriez du titre de Banque nationale. La puissance est dans les choses et non pas dans les mots. Je suis, porté à croire qu’en qualité d’entreprise la Banque aurait une utilité encore plus grande, mais qu’elle soit la Caisse d’escompte ou la Banque nationale , il faut toujours qu’elle n’ait point de privilège exclusif et que pour inspirerla confiance, elle la mette elle-même dans ses forces et son intégrité. La Caisse d'escompte existe, elle est une des institutions que la France doit à un ministre habile et vertueux, auquel des ennemis tombés maintenant dans le mépris qu’ils méritaient, ont empêché pendant un temps, de rendre une entière justice, mais dont on adore aujourd’hui la mémoire. On est accoutumé aux billets de cette caisse. Depuis la confiance qui lui a été donnée en février 1787, au milieu des circonstances les plus orageuses, elle a toujours continué ses payements , malgré les arrêts qui l’autorisaient à les cesser. Elle a fait au gouvernement des avances considérables dont la nation est garante comme de ses autres dettes, et pour la valeur desquelles la caution de l’Etat est nécessairement ajoutée à la sûreté des engagements de la caisse envers les porteurs de ses billets. Il est donc simple et juste de se servir d’elle, et il y aurait. de l’inconvénient à lui donner une sorte de décri, en instituant une nouvelle banque. Peu de nouveautés et jamais sans nécessité absolue, est une maxime d’administration très-importante en matière de crédit. Je suppose donc, jusqu’à ce que vous en ayez décidé autrement, que ce serait à la Caisse d’escompte que vous déposeriez les 40 millions en écus que vous vous seriez procurés. J Sur un tel dépôt, vous pouvez, sans inquiétude, disposer de 100 à 120 millions de billets. Car d’une part, après les arrangements que j’ai eu l’honneur de vous indiquer, les billets auront un beaucoup meilleur emploi que de revenir à la caisse, et I on n’y en réalisera que très-peu ; et d’autre part 40 millions peuvent suffire à un payement continuel et régulier pendant assez iong-� temps pour qu’aucun moment de crise, d’erreur, de prévention, d’intrigue ne puisse être redoutable, et pour que la rentrée successive des fonds effectifs rende à jamais impossible de tarir la caisse. Alors, Messieurs, vos 120 millions de billets seront de véritable argent comptant. Vous les donnerez en extinction des anticipations les plus onéreuses, et les capitalistes, qui ne sont-point accoutumés à être remboursés en si grosses masses, vous en rapporteront la plus [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 septembre 1789.] 161 grande partie, soit d’abord pour l’acquisition des bâtiments et des terrains des maisons religieuses supprimées dans l’intérieur de Paris, soit dans votre emprunt, soit ensuite pour des biens-fonds ecclésiastiques qui, à portée des villes, seront les plus propres à former des . terres agréables. 11 vous rentrera aussi, de toutes les parties du royaume, des capitaux plus ou moins considérables pour le rachat des dîmes ; car, en chaque lieu, ce sera pour les gens aisés une acquisition sûre, attrayante et à leur portée. A mesure que les fonds rentreront d’une manière ou d’une autre, vous en consacrerez ce qui sera nécessaire pour remplacer à la caisse le peu d’argent monnayé qui en aura été retiré pour les billets au porteur ; car un de vos premiers soins doit être que le capital de 40 millions y soit toujours complet et en écus effectifs. Vous emploierez le surplus à continuer de semaine en semaine et sans interruption le remboursement des anticipations. Il ne faut pas leur laisser de repos. Il faut accabler la place de rem-« boursement et d’argent ; plus vous en donnerez, plus il en rentrera dans votre emprunt ou dans l’acquisition de vos immeubles. 11 est vraisemblable qu’en trois ou quatre mois vous aurez ainsi éteint toutes les anticipations. Au moins, avec certitude, l’aurez-vous fait en six mois. Je ne vous proposerai point d’en réserver aucune ; des gens très-éclairés ont pensé qu’un fonds * d’anticipations bornées avait de l’utilité pour la circulation, et comme fournissant le moyen de soutenir chaque mois une dépense à peu près égale, quoiqu’il y ait des mois où la recette est beaucoup plus considérable que dans d’autres. Je ne saurais partager leur opinion. Elle tient principalement à l’habitude d’amener à Paris une beaucoup trop grande masse de dépenses et de recettes, et cette habitude est une de celles que vous avez le plus d’intérêt à faire cesser. Il est | très-facile de régler les époques des plus forts ;payements, de manière qu’ils se trouvent dans le temps des plus fortes recettes ; et ce soin n’a pas été totalement négligé. On ne paye point d’intérêt ni de commission pour les payements qui s’exécutent au jour nommé : cela s’appelle payer comptant. Mais ma plus forte raison est que, si l’on conservait des anticipations, il continuerait d’être �impossible de faire de toutes les caisses de recettes, des caisses de dépenses, ce qui sera néan-■ moins une des opérations les plus désirables pour le crédit, et en même temps les plus économiques. La nation a des revenus à toucher dans toutes Jes provinces et dans toutes aussi elle a des payements à faire; cependant aujourd’hui l’adminis-ktration du Trésor public ne pourrait assigner un écu, payable dans une province, à une dépense hde cette province. La raison en est que tous les revenus sont engagés d’avance, et longtemps à l’avance, aux faiseurs de services ; de sorte qu’il n’y a jamais aucune somme libre dans les caisses provinciales. L’argent des impositions passe des receveurs particuliers aux receveurs généraux ; et cette opération ne permet de le rendre disponible dans la capitale que deux mois après qu’il est reçu. Les receveurs généraux acquittent alors les rescriptions qui ont été répandues, auxquelles d’autres rescriptions succèdent sans cesse, et toujours en avance de plusieurs mois. Il en est à peu près de même des fonds qui lre Série, T. IX. proviennent de la ferme générale et de la régie générale : ils sont assignés d’avance à des faiseurs de services ; et au moment où ils arrivent à la disposition des fermiers généraux, ils ne peuvent plus être à celle du gouvernement, qui en a depuis longtemps acheté et consommé l’usage. Tel est l’embarras pour la recette. Quant à la dépense, lorsque le gouvernement veut faire remettre dans les provinces des fonds qui n’auraient jamais dû en sortir, il faut qu’il les délivre aux trésoriers, et que ceux-ci les envoient ou les procurent d’une manière quelconque à leurs commis dans les villes principales ; ces arrangements demandent un mois. Ainsi, une forte partie des revenus publics passe par cinq caisses avant d’arriver a leur destination, qui est la dépense qu’ils doivent acquitter ; Celle du receveur particulier : Celle du receveur général ; Gelle du Trésor royal ; Celle du trésorier de département ; Gelle du commis du trésorier. Le temps fuit, l’intérêt des fonds se perd, et les remises s’accumulent. Si les revenus n’étaient pas dépensés et engagés par des anticipations, si l’on avait remboursé celles qui existent, il n’y aurait rien de plus simple que l’administration de la recette et de la dépense des revenus publics. Le Trésor royal pourrait être en compte courant avec toutes les caisses particulières des provinces. Ce compte tenu à parties doubles, ne serait pas plus embarrassant que celui d’une forte maison de commerce. On ferait vérifier les recettes par les assemblées de département, qui en enverraient le bordereau, à l’assemblée principale de leur cercle, lequel en adresserait une expédition à l’administration du Trésor royal. On saurait en réalité chaque semaine combien il y a de fonds dans chaque caisse, et par approximation, quelques semaines d’avance, combien il doit y en avoir. D’après l’état des payements ordinaires et des demandes faites, tant par les fournisseurs du gouvernement que par les rentiers, pour être payé dans telle ville ou dans telle autre, selon la facilité que je propose de leur accorder, qui ajoutera tant au crédit public et qui assurera des économies si réelles sur toutes ces fournitures, l’administrateur ferait la distribution sur les provinces de toutes les dépenses qui peuvent y être soldées. Il ferait verser de proche en proche, et selon le besoin, l’argent des caissesqui seraient le moins chargées sur celles qui le seraient le plus. Il recevrait par avis, il payerait par mandats. On ne ferait venir dans la capitale que les fonds qui seraient indispensablement nécessaires pour payer Jes dépenses qui ne peuvent pas s’effectuer ailleurs ; et en général ceux de ses propres recettes et des provinces voisines y pourraient suffire. Chaque province garderait son numéraire; chaque créancier pourrait toucher son argent à sa porte ; et les comptes généraux du Trésor royal, ceux de chaque caisse en particulier, tenus sur l’effectif en parties doubles, par doit et avoir , pourraient être arrêtés, vérifiés, contrôlés, rendus, à tout moment, aussitôt qu’il plairait, soit au Roi, soit à l’Assemblée nationale, d’en constater la situation. Il serait possible de tirer une barre sur les livres, à tel jour imprévu que l’on jugerait convenable, et d’avoir, dans la huitaine, un tableau complet de toutes les caisses du 11 162 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. royaume, une notice exacte de toutes les recettes qui auraient été effectuées, de toutes les dépenses qui auraient été soldées, un aperçu clair de ce qui resterait encore à faire pour l’un et' l’autre point. ’ . . Quelle différence entre cette comptabilité si simple, si nette, si méthodique, et le chaqs inextricable que forment aujourd’hui les états en prophétie , d’après lesquels on calcule d?avance l’excédant ou le déficit d’une année idéale, et les tableaux des recettes et des dépenses effectives, dont la rédaction difficile est toujours longtemps attendue, où l’on est forcé d’embrasser des recettes et des dépenses qui appartiennent à des exercices différents et à un grand nombre d’années diverses, à travers lesquelles l’administrateur le plus appliqué a tant de peine à se reconnaître, qui mettent toujours sa prévoyance en défaut, qui préparent toujours un long tourment à la perspicacité de son successeur, que l’on ne peut enfin soumettre à la discussion de la Chambre des comptes que dans des époques tardives et reculées, où lés receveurs et les trésoriers peuvent être tombés dans l’insolvabilité, et où l’on ignore ce que sont devenues plusieurs des parties prenantes, et combien de temps les fonds ont dormi ! Il se fait beaucoup plus de mouvement d’argent qu’il n’est nécessaire. Il ne s’en fait pas autant qu’on le dit. Une partie des opérations dont je vous parie a lieu pour effectuer dans les provinces beaucoup de payements par virements et rescrip-lions; mais ce sont des arrangements particuliers entre les receveurs, les trésoriers et les faiseurs de services; la jouissance des revenus n’est point avancée; la situation des caisses n’en est point éclairée;le gouvernement n’en marche pas moins à tâtons, achetant la jouissance de son propre argent, et n’étant pas toujours sûr qu’on veuille, ni même qu’on puisse le lui rendre : car, lorsque l’inquiétude se manifeste, les faiseurs de services qui ne peuvent donner à l’Etat que son propre crédit, et qui ne trouvent à placer leurs billets que parce qu’on sait que les assignations qui leur ont été remises sont bonnes, perdent tout à coup la puissance qu’on leur croyait. Le numéraire manque, s’écrie-t-on, c’est-à-dire qu’il se resserre et se cache ; on se trouve dans l’impossibilité de renouveler les anticipations; toutes les dépenses publiques risquent d’être interrompues; l’Etat est dans un péril imminent. Quand on ne gagnerait à la suppression totale des anticipations, que de sortir de cette situation précaire, si dangereuse pour la sûreté, et si honteusement au-dessous de la dignité nationale ! quand on n’y gagnerait que de pouvoir établir un ordre de recette, de dépense et de comptabilité, qui serait à la portée de tout le monde, il n’y aurait pas à hésiter pour y appliquer les premiers fonds que vos économies, vos nouveaux capitaux, vos nouveaux revenus, vos biens aliénables, vos dîmes racbetables, votre emprunt et votre banque pourront vous procurer. Mais il y a de plus beaucoup d’argent à gagner. Les fonds qui vous serviront à rembourser vos anticipations proviendront : Ou de votre emprunt, et ceux-là coûteront quatre et demi pour cent ; Ou de la vente des immeubles de Paris, qui ne portent aucun revenu; et ceux-là ne coûteront rien du tout ; Ou du rachat des dîmes et de la vente des immeubles de provinces; èl ceux-là ne coûterontqt e trois pour cent ; , l [24 septembre 1789.] Ou de la banque; et ceux-ci fournis en papier sur un nantissement en écus d’un tiers de leur valeur, sur la caution de l’Etat pour le reste, peuvent coûter moins cher encore. Si donc nous estimons que réunis, et l’un composant l’autre, ils vous reviennent à quatre pour cent, nous avons lieu de croire que cette évaluation est trop forte. Sur ce pied, cependant, la suppression des anticipations procurerait déjà directement au moins cinq millions d’économie. La transformation de toutes les caisses de recette en caisses directes de dépenses, pour toutes celles qui peuvent s’acquitter dans les provinces (et j’ai eu l’honneur de vous proposer d’y payer, outre toutes celles qu’on y fait aujourd’hui, une partie des rentes, ettoutes les fournitures dont les entrepreneurs pourront désirer le payement), cette disposition économique et salutaire peut épargner, sur une recette, une dépense d’environ trois cents millions , deux remises de quatre deniers chacune pour livre : or les huit deniers pour livre de trois cents millions valent dix millions. Enfin, Messieurs, ce même arrangement vous assurera la disposition des revenus de l’Etat deux * mois plus’ tôt pour la recette, un mois plus tôt pour la dépense : cela équivaut à un emprunt perpétuel de tous les revenus pour trois mois, ou d’un quart de revenu pour l’année, ou, en d'autres termes, d’environ cent millions sans intérêt. Dans l’état actuel, c’est encore un profit que nous ne pouvons estimer à moins de cinq millions de rente. L’extinction absolue des anticipations, indé-’ pendamment de la sûreté et du bon ordre qu’elle établira dans les affaires publiques, augmentera donc la masse de vos fonds libres de vingt millions de revenu. Lorsqu’elle sera commencée (et elle doit l'être au plus tard à six mois du jour où vous ferez pour elle les premiers pas) la vente des immeubles et le rachat des dîmes commenceront à être en pleine marche, et à vous ramener chaque jour de nouveaux capitaux à la caisse nationale. \ L’ordre et la rapidité de vos payements dans toutes les parties du royaume, et le nouvel accroissement du revenu pu blic, donneront la plus grande faveur à votre emprunt libératif. Les trois cents millions dont vous aurez couvert la place de Paris auront épuisé tous les emplois ordinaires ; il ne restera presque plus de ressource pour les nouveaux capitaux que vous y verserez, que le placement de votre emprunt, ou* une plus grande activité dans les achats de vos immeubles. Alors, Messieurs, cette surabondance de ce moyen vous donnera le pouvoir d’entamer une plus grande entreprise, non moins digne de votre sagesse, plus lucrative pour les finances, plus intéressante pour votre patriotisme. Vous bannirez de la société un des fléaux qub* lui sont le plus nuisibles, vous rembourserez les rentes viagères, et vous décréterez que cette ma-� nière d’emprunter sera proscrite à jamais, attendu qu’il est indigne de la loyauté et de la majesté de la nation de séduire les pères de famille, et de les engager à préférer leurs jouissances personnelles à la subsistance de leurs enfants. Les rentes viagères ont causé cette dépravation� de l’humanité ; et comme tout mal en appelle un autre, elles n’ont pu rendre dés pères indifférents et injustes, sans rendre les enfants indociles et ' irrespectueux. — - Des trois amours qui font subsister le monde, et qui sont le g'erme de presque [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 septembre 1789.] 4 63 toutes les vertus, elles en ont détruit deux dans une mültitude de familles ; elles ont avili le troisième; elles ont dégradé les mœurs en enrichissant une génération des dépouilles de l’autre ; créant la pauvreté pour la jeunesse, augmentant l’opulence de l’âge mûr au delà des proportions naturelles qu’indiquaient les capitaux dont il * était possesseur : car presque tous les égarements honteux viennent delà trop grande inégalité des fortunes, qui exalte les passions, qui les entoure de pièges, qui les arme de mille funestes moyens d’éblouir l’indigence, et de lui commander. C’est particulièrement sous ces aspects que les privilèges exclusifs, lés partages inégaux des successions, les rentes viagères, les loteries, sont des � démons sortis de l’enfer pour corrompre les hommes, les rendre coupables et les punir. Qu’ils disparaissent, Messieurs, que démasqués par votre raison, que terrassés par votre vertu, ils laissent l'âme de l’homme à sa beauté naturelle, en France du moins, et bientôt à son exemple, en Europe et dans l’univers ! Quelques personnes ont cru que les rentes viagères étaient excusables, parce qu’elles s’étei-*ghent progressivement et d’elles-mêmes. Elles s’éteignent, il est vrai, mais dans un temps natu-1 Tellement triple, et qu’une fatale habileté a rendu quadruple de celui auquel un fonds d’amortissement égal à leur intérêt les aurait remboursées. C’est une spéculation méprisable sur des penchants méprisables ; c’est le peu de cas qu’ils faisaient d’eux-mêmes ; c’est la conscience de ►leur propre incapacité et de leur propre faiblesse, de leur instabilité, de leur dépendance, qui i avait déterminé les gouvernements à proposer des emprunts en rentes viagères. Ils voulaient de l’argent, vite, à quelque prix que ce fût, et ils n’osaient se flatter que l’existence d’un fonds d’amortissement pût être soutenue, ni par eux-mêmes, ni par leurs successeurs; mais vous, Messieurs, serez-vous incapables, faibles, impuissants? ne vous sentirez-vous pas la force de suivré les résolutions que vous aurez décrétées ? �iN’aurez-vous point celle de prévenir les déprédations ? Tremblerez-vous devant une cour? Serez-■ vous des ministres? L’Assemblée nationale est permanente; ses lumières s’accroîtront chaque jour, son courage sera constamment inaltérable ; fréquemment renouvelée, rentrant sans cesse dans le sein du peuple, en ressortant sans cesse au choix de l’estime, qui jugerasouverainement dans le concours du zèle et des vertus; semblable à ce géant qui .reprenait sa vigueur en touchant la terre dont il était fils, l’Assemblée nationale n’a point à redouter que les mesures qu’elle aura prises pour l’amortissement des dettes nationales soient interrompues. Elle n’aura jamais besoin pour assurer cet amortissement, de' le payer, comme .il est par des rentes viagères, au prix d’une double dépense, et du sacrifice des mœurs qui sont les premiers instruments du travail, la condition ►la plus essentielle pour la bonne économie et la formation des capitaux, le plus indispensable élément de la richesse publique et privée. � Vous rembourserez donc les rentes viagères, et je me garderai bien de vous proposer d’argumenter de la lésion que la nation a éprouvée dans ieùr institution, de songer d’imputer le surcroît d’intérêt; sur les capitaux, de vous borner à .déclarer que, rendant leur capital aux familles, vous en ferez la rente’ au taux égal, en y attribuant un fonds d’amortissement progressif: viles idées qui ont été repoussées tant de fois, même par la morale des vizirs. C’est noblement et honnêtement eh tout point fluhl faut faire les actions nobles et honnêtes-Jamais l’utilité du but ne peut couvrirlé vice des moyens. L’honneur national ordonne que mil dé ceux qui ont caractère avec l’Etat, ne puisse avoir un juste sujet de se plaindre, né puisse dire avoir été trompé. Mais, quelqu’un pourrajt-il avoir à se plaindre, lorsqu’aÿàhf joui longtemps d’un revenu excessif qui emportait l’extinction d’une partie de son capital, on lui rendrait ce capital tout entier? Vous le rendrez, Messieurs, et vous lé rendrez argent comptànt, car ce sera de l’argent comptant que les billets de caisse qu’on aura sans cesse le choix, ou d’employer en acquisition des terres immenses dont l’Etat aura la disposition, ou de placer dans l’emprunt permanent, avantageux, perpétuel et tontinier d’une nation dont les revenus publics excéderont visiblement les dépenses, ou de présenter à la caisse, et d'échanger, à volonté, contre des éCus effectifs. Ne commençant cette opération, si nécessaire et si louable, que dans six mois, au moment où votre emprunt, vos ventes de terres, et la circulation des billets seront dans leur plus grande activité, vous pourrez porter les remboursements jusqu’à cent millions par mois ; et plus ils seront rapides, plus vous serez sûrs qu’une grande partie d’entre eux se feront par virement dé parties et reconstitution. Je vous demanderai de verser vos premiers écus sur les immortelles demoiselles de Genève, dont les habiles tuteurs ont trouvé le moyen de faire des espèces de fées, par la magie desquelles les bornes de la vie humaine semblent prolongées, et les rentes viagères deviennent à demi-perpétuelles. Je vous prierai de continuer par celles de Hollande, dont le climat moins salubre et le pays plus opprimé rendent la confédération moins dangereuse. Entre les autres, que le sort décide de l’ordre des remboursements. — Mais je vous supplie d’accorder une exception en faveur des vieillards qui, du travail de leur vie, n’ont économisé qu’un petit capital'dont la rente est leur seule ressource. Que les hommes de soixante ans, que les femmes de cinquante, qui pourront prouver qu’ils n’ont d’autre bien qu’une rente viagère dé douze cents livres et au-dessous, ne puissent être forcés à recevoir leur remboursement, s’ils préfèrent la continuation de leur rente. Cette exception ne vous conservera pas cinq millions de rente en viager, car les vieHlàfds qui voudront reconstituer h quatre cl clemir et désigner le successeur du contrat perpétuel, froùvé-ront beaucoup de gens quisé soumettront a leur compenser durant leur vie, même quelquefois à profit, la différence de l’intérêt. Les rentes viagères se montent aujourd’hui à cent cinq millions. Je suppose que d’après l’exception, on en conservera pour des personnes d’un âge avancé, envirpn cinq millions , dont il pourra s’éteindre quatre à cinq cent mille francs chaque année. Il restera cent millions à rembourser, et par l’accumulation des moyens qui se réunissent dans votre main, leur capital pourra être ou réalisé en immeubles, ou reconstitué pour l’emprunt national, dans le cours de l’année prochaine. Comme ce qui sera employé en immeubles ne vous privera que de trois pour cent de revenu, et que ce qui entrera dans l’emprunt permanent n’en coûtera que quatre et demi , je continuerai [Assemblée nationale.] d’estimer que, sur le pied moyeu, ce sera quatre pour cent que vous coûteront les fonds avec lesquels vous aurez remboursé les rentes viagères. Vous aurez donc diminué la dépense de l’Etat d’environ soixante millions de rente sans injustice, avec générusité même par ses créanciers, au milieu des bénédictions de leurs enfants, à qui vous aurez rendu leur fortune aliénée, et en goûtant vous-mêmes la satisfaction d’avoir régénéré l’esprit de famille, première base de l’esprit social ; car l’amour de la patrie dérive, comme le mot qui l’exprime, de celui qu’on doit à la paternité. Permettez-moi, Messieurs, de m’arrêter un moment pour jeter un coup d’œil sur la situation où cette suite d’opérations, dignes par leur enchaînement, leur masse et leur étendue, de la première nation de l’Europe, aura mis les finances à la fin de 1790. Vous aurez augmenté les revenus : 1° De quarante-huit millions de rente sur les biens du clergé; 2° De trois millions sur les droits de traite en levant les barrières intérieures , portant à la frontière un tarif raisonnable, suppléant aux prohibitions, qui ne servent qu’à exciter la contrebande, des droits modérés et proportionnés à ce que celle-ci coûte, assurant leur perception par une régie moins imparfaite que ne l’est aujourd’hui la ferme générale, établissant la liberté d’un transit et celle de l’entrepôt, sous des formes à la fois avantageuses au commerce, et utiles aux finances (1); 3° Selon la proposition du premier ministre des finances, de quinze millions de rente, par l’augmentation de l’imposition territoriale dans laquelle néanmoins le peuple se trouvera soulagé, puisque la portion de cette imposition à supporter par la noblesse doit excéder cette somme. Vous aurez diminué les dépenses de quarante-deux millions au moins par les économies (2). (1) C’est le résumé du travail commencé par M. Tru-daine, et que M. le baron de Cormeré a rédigé avec un soin extrême, un travail prodigieux, et les plus grandes lumières, d’après les ordres de M. Necker, dans son premier ministère, et ceux de ses successeurs, sous la direction de M. Fourqueux, et avec le concours de M. de Montaran, des commissaires généraux du commerce, et de plusieurs fermiers généraux des plus instruits : travail qui avait obtenu le suffrage des notables en 1787. M. de la Perrière et la majorité de la compagnie y avaient opposé la plus grande résistance. Ils avaient cru, ils avaient exposé, ils avaient persuadé à M. l’intendant de la ferme générale que l’Etat y perdait onze millions de revenu. Il fut irrésistiblement démontré en leur présence, sous les yeux du ministre : 1° que l’on ne pouvait pas perdre onze millions , attendu qu’on n’en mettait que six au jeu; 2° que loin de perdre ces six millions, on les trouverait avec accroissement de plus de trois autres millions sur l’ensemble de l’opération. M. l’archevêque de Sens à suspendu cette opération, et a fait recommencer sur elle une discussion déjà épuisée. Cette faute se perd dans la foule de celles qui ont signalé son ministère. Mais elle ne doit ni ne peut étendre son influence sur la présente session de l’Assemblée nationale ; et je suppose que celle-ci ne restera pas sans décréter un bien très-grand, très-facile à faire, parfaitement préparé. (2) Depuis ce discours, le comité des finances a présenté un tableau de cinquante millions d’économies; mais dans ces sortes de projets on trouve quelquefois à l’exécution des observations de raison ou de justice, ui ne permettent pas de tout réaliser à l’instant même; 'ailleurs, il y a, dans le tableau du comité, des articles, [24 septembre 1789.] De vingt autres millions, par l’extinction des anticipations, et l’application directe des caisses de recette au service des caisses de dépense. De soixante millions enfin, pour le remboursement des rentes viagères. Il y aura eu de plus environ quinze cent mille francs, ou au moins un million d’extinctions sur . les pensions anciennes , sur celles qui seront nouvellement données aux ecclésiastiques, et sur la petite partie de rentes viagères qui aura été réservée. Ces sept objets réunis feront un total de cent quatre-vingt-neuf millions de revenu ; ressource véritablement imposante et propre à montrer ce que peut la nation. Et, cependant, vous n’aurez encore remboursé� ou reconstitué que pour treize cents millions de dettes nationales, et il vous restera près de cinq ’ milliards de capitaux libres à employer à l'amélioration progressive du bon état des finances. Mais il ne sera pas nécessaire d’attendre cette amélioration pour faire déjà profiter le peuple du meilleur ordre de ses affaires, et des diminutions qu’il deviendra possible d'ordonner sur les impôts.* Dès le moment, Messieurs, où vous aurez créé ou délivré cette masse de revenus, et peut-être à , mesure qu’elle se formera, vous en pourrez trouver un emploi salutaire ; permettez-moi de vous proposer celui qui me paraît le plus conforme à votre prudence, à votre équité, à votre amour pour vos concitoyens. Vous avez cent quatre-vingt-neuf millions de . revenu, ou nouveaux, ou libérés, à votre disposition. Je vous en demande d’abord soixante millions 1 pour couvrir le déficit. Je vous demande neuf millions pour le supplément d’intérêts à payer aux officiers actuels des cours et des autres tribunaux supprimés. Ils retirent aujourd’hui un demi pour cent de leur argent : en remboursant en contrats à trois pour cent , qui dans deux ou trois ans au plus tard se trouveront au taux ordinaire et légal de la France** leur revenu sera doublé dès ce jour : obligés à moins de représentation, leur aisance sera aug-, mentée ; leur capital sera conservé ; et la modération de l’intérêt durant une couple d’années sera une sorte de contribution naturellement proportionnée à la fortune de la classe de citoyens qui remplissent les charges de magistrature, et que leur zèle sera heureux d’offrir à l’Etat, comme. un moyen de soulager plus promptement lM. de Fleury, quoiqu’il fût impossible d’imaginer pour une imposition nouvelle un système de répartition plus inégal et plus absurde. Il faut donc, en réformant des impositions tellement et si proportionnellement accrues, d’après un principe si étrange, commencer par balayer l’injustice des soin moral, le plus séducteur, le plus ruineux pour les familles, de tous les impôts existants; et celui qu’il est le plus impossible à des législateurs, honnêtes gens, de laisser subsister; et permettez-moi à son occasion, Messieurs, de vous inviter à prendre connaissance des instructions qui m’ont été données par mes commettants, relativement à cet impôt vil et destructeur (Chapitre XIV de la première partie de leur cahier, imprimé chez Duplain). C’est un de mes devoirs que de solliciter votre attention spéciale pour cet article ; et c’est un des vôtres de la lui accorder. Je vous demande cinq millions pour supprimer le droit delà marque des cuirs, qui, après la loterie, est un des plus odieux impôts, et parmi les impôts inquisitoriaux, celui qui entraîne les injustices les'plus criantes et les vexations les plus cruelles: droit qui a réduit nos tanneries à moitié, et sur lequel j’aurai aussi un travail étendu et irrésistible à vous mettre sous les yeux. Je vous demande dix millions pour la suppression des autres droits inquisitoriaux : Celui sur les poudres et amidons, qui pour 700,000 francs de produit a détruit une fabrique autrefois florissante, à force de tourmenter les citoyens qui s’y livraient; Celui sur les cartes, qui a pareillement détruit une branche étendue du commerce que nous faisions autrefois à l’étranger ; Celui sur les papiers et cartons, très-nuisible à notre commerce d’imprimerie, et qui est cause que les libraires nationaux trouvent de l’avantage en beaucoup d’occasions à employer les presses étrangères, et que la belle édition de Voltaire s’est faite en Allemagne ; Celui sur les huiles et savons, qui arrête la culture des colzas, et des autres plantes ou fruits propres à produire de l’huile, et qui nous réduit à ne pouvoir fabriquer de savon qu’à Marseille ; Celui de la marque des fers à la fabrication et au passage d’une province à l’autre ; La portion de la marque d’or et d’argent qui donne un revenu, ferme des débouchés utiles à l’industrie de nos artistes, et excède les frais nécessaires pour constater légalement le titre des métaux ; Celui de la caisse de Poissy, qui vend chèrement de l’argent aux bouchers qui n’en ont que faire, en refuse à ceux qui en auraient besoin, et le leur fait payer, comme s’ils l’avaient reçu; qui nuit également à l’approvisionnement de la pour livre, et remonter à l’état primitif, au principal du droit ; c’est de ce principal seul que les provinces doivent à la nation le remplacement. Mais ce remplacement du principal elles le doivent pour la conservation de l’équilibre avec les autres provinces. Elles proposaient davantage. Tous les députés des provinces de gabelle sont venus avec commission expresse d’offrir ce que l'Etat en retirait de net, et de se contenter du profit que feraient les provinces par l’épargne des frais et la cessation des vexations. L’Assemblée nationale ne doit pas abuser de leurs offres et de leur zèle ; mais elle ne doit pas non plus rejeter sur les autres provinces, qui le compensent d’une autre manière, la somme dont elles seraient obligées de contribuer pour cette imposition particulière qui entrait dans la balance des charges publiques. Supprimer donc les barrières, les vexations et les frais, remettre en outre aux provinces de gabelle le tiers de ce qu’elles payent de net au Trésor royal, imposer sur elles le surplus en chargeant les assemblées principales de leurs cercles d’indiquer la meilleure forme de répartitions, et leurs assemblées municipales et de département d’effectuer cette répartition : voilà ce que prescrivent la raison, la justice et lintérêt public. Igg [Assemblés nationalè.] ARCHIVÉS PARLEMENTAIRES. [24 septembre 1*789.] capitale, et au commerce des bestiaux, et qui a déjà excité la réprobation du Roi j Enfin toute la portion des droits d’inspecteurs aux boucheries, d’inspectëüfs aux boissons, et d’octrois municipaux, qui se perçoit à l’exercice, au sein des maisons dans les banlieues, les bourgs et lés hameaux (1). Je voüs demanderai encbre dix millions pour compenser à l’Etat la perte des sous pour livre des droits d’aides sur .les boissons, lorsqu’on supprimera cette imposition, ët qu’on en abonnera seulement le principal. Car il. Faut que les provinces soient soulagées, non-seulement des frais de perception, mais ailssi des sbüs pour livre, et que l’abonnement, qui doit leur épargner les visites et les vexations, puisse être réduit à moitié de la contribution actuelle. Je ne vous demanderai rien pour le tabac, nous ne sommes pas encore assez riches. 1 Sans doute c’est un mauvais impôt. C’est le plus innocent des impôts de séductions, mais cela même d’être un impôt de séduction est un grand vice; et c’est de plus un impôt de monopole. Jamais un bon administrateur ne l’eût inventé. Cependant, ne pouvant le supprimer purement et simplement, il me paraîtrait si dur d’imposer 30 millions, pour la plus forte partie, sur ceux qui ne prennent point de tabac, afin de le procurer à meilleur marché à ceux qui en prennent, que je ne puis conseiller rien de pareil. Je serais plutôt porté à croire, qu’en attendant un temps plus heureux, il faudra, ou laisser hors du cordon des provinces qui en sont exemptes, ou les engager à s’y soumettre, à la charge qu’il y serait, régi avec leur concours et à leur profit, et que ie produit eh serait employé aux objets d’ütilité publique qu’elles jugeraient convenables, ou meme applicable à payer les plus basses cotes de leurs impositions : de sorte qu’on pourrait du moins lever Jes barrières qui séparent ces provinces du reste du royaume, et favoriser leur commerce avec les àütres provinces (2). (Il On peut conserver ehcore quelque temps ceux qui se perçoivent avec les autres octrois aux entrées des villes, et qui n’exigent point de visites domiciliaires. (2) Il en est des anciens droits d’aides sur les boissons coriime du principal dës droits de gabelle. Ils àbht entrés dans la compensation des impositions entré les provinces ; celles qui les ont refusés ont été imposées plus fortement. Mais les dix suos pour livre sont une injustice que les provinces d’aides ont éprouvée, et qui ne peut, en aucun cas subsister, ni même entrer dans les abonnements que ces provinces réclament. Elles ont ôté plus indignées de la vexation, de l’inquisition, des visites, des injures, des mauvais traitements, des procès et des abus d’autorité, que de la pesanteur même de l’impôt. Elles se seraient abonnées pour la contribution totale, à la seule condition de ne plus voir les commis, et. d’avoir la paix et la sûreté dans leurs foyers domestiques. La nation doit être et plus équitable et plus généreuse. Il faut qu’elle proscrive les visites et les vexations; il faut qu’elle épargne aux contribuables les frais, il faut qu’elle leur remette en entier les sous pour livre. Alors leur contribution sera précisément diminuée de moitié, et leur liberté sera respectée. je crois qu’il faut leur laisser le choix, ou d’acquitter le droit en nature, par une sorte de dîme au cellier, après les vendanges, qui rendra la contribution nulle dans les mauvaises années, et propre à soulager du fardeau de l’abondance dans les bonnes ; ou de répartir l’impôt par arpent de vignes. La première méthode a l’avantage d’être plus applicable aux pays à cidre ; l’une et l’autre ont été proposées. Les provinces seules peuvent savoir la forme qui leur convient le mieux.. Ce qui leur conviendra certainement est de payer moitié moins, et de n’avoir plus ni procès ni persécutions à craindre. Cette vue, et celle d’ouvrir dans tous les ports un peu considérables, l’entrepôt au tabac en feuilles, qui fait partie du plan général, relatif aux droits de traites, sont les seules que dans les circonstances actuelles on puisse se permettre relativement au tabac, et qui aient une véritable utilité. Quant aux autres parties, j’espère qüe nos commettants et vous serez contents de mes propositions. Vous voyez que, dans quinze mois, le déficit sera couvert, et que 55 millions des impositions les plus onéreuses pourront être épargnées au peuple et supprimées pour son soulagement. Ce sont des présents qui me semblent dignes de l’Assemblée dont le travail les aura rendus possibles, et de la nation qui doit les recevoir. J’aurai l’honneur de vous proposer d’en faire encore une autre, qui rentrera aussi dans les principes de bienfaisance et de sagesse dont vous êtes animés. Mais, avant d’en parler, il faut connaître les fonds que vous pourrez y consacrer ; il faut examiner les dépenses publiques, sur lesquelles la nation est en défaut, et qui sont nécessaires à la dignité de l’Etat, à sa prospérité intérieure, à sa sûreté vis-à-vis des nations ' étrangères . Je vous supplierai poür ces grands objets de commencer par formel* un fonds de 25 millions de rente, consacré en paix à l’amortissement des dettes, et croissant chaque année du produit des intérêts éteints ; destiné en guerre, avec toûs les accroissements que l’accumulation des intérêts aurait pu lui donner, à la base et au fonds ordinaire � de chaque campagne. A ce premier fonds de guerre ou de libération, déjà imposant, voüs auriez, en cas d’hostilité, à joindre les autres fonds qui en paix auront un usage différent, mais de nature à être suspendu. Telle est la plus forte partie du fonds des travaux publics, chemins, canaux, constructions nouvelles; Il faut en guerre se borner à entretenir les ouvrages qui sont faits, toute construction doit cesser. Ce principe fixé comme constitutionnel, vous assurera sur cette paMie, au moins 10 millions"1 de revenu à joindre aux fonds militaires, lorsqu’il faudra les employer. Voilà le fonds de guerre de 35 millions. Il devrait s’accroître encore par les articles suivants. Je vous supplie de créer un fonds de 6 millions pour l’encouragement de l’agricüllure, du commerce, des sciences et des arts ; Pour se procurer et répandre dans les provinces « des graines, des greffes, des boutures, des sujets enracinés, de toutes les plantes, des arbres, des arbustes, dont la culture est utile, florissante ailleurs, inusitée dans notre pays; Pour tirer de même de l’étranger les plus belles races de bestiaux, de chevaux, d’ânes, de bêtes à cornes et à laine, et donner des prix à ceux qui réussiront le mieux à les élever, à les propager, . qui en présenteront le plus grand nombre dignes" d’entrer au concours avec les races étrangères ; Pour faire approfondir et perfectionner la théorie des engrais, aujourd’hui livrés à une aveuglé routine ; Pour multiplier les abeilles qui accroissent nos richesses, en voltigeant dessus, et dont l’exemple sert à inspirer l’amour du travail ; Pour étendre aussi les plantations de mûriers, ' dans vos provinces méridionales, et pour y perfectionner les diverses maüières de préparer la soie; Pour établir des écoles ambulantes de filature et de tissage en fil, en laine, eu coton, dans les [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 septembre 1789.] 167 campagnes ; car les branches d’industrie qui peuvent s’allier à la culture, occuper les femmes et les enfants, employer le temps perdu des hommes, sont les plus utiles, celles qui vêtissent le peuple» celles qui ne craignent jamais la concurrence de l’étranger; Pour multiplier et distribuer les machines qui épargnent et hâtent le travail ; Pour encourager les hommes ingénieux tjui les inventent, ou les hommes intelligents qui nous les apportent d’ailleurs ; Pour perfectionner l’art de la teinture, et fixer la théorie, en simplifier les procédés, et les rendre moins dispendieux ; Pour s’assurer les moyens d’être à l’instant instruits de toutes les perfections ou inventions de la culture, ou de l’industrie en Europe, les hatura-liser et les rendre générales chez notre nation aussitôt que leur bonté sera reconnue, et pendant que nos voisins en arrêtent les progrès par des privilèges exclusifs; Pour faire imprimer avec profusion les instructions de tout genre, dont le peuple a besoin. Ne craignez rien pour tous ces objets de dépense, dont on rendra compte sans cesse à l’Assemblée nationale, que de ne pouvoir pas y consacrer assez de fonds. Si vous en faites diriger l’emploi par des citoyens actifs, zélés et habiles, vous sèmerez du cuivre pour recueillir de l’or. Je vous demande enfin dix millions pour les dépenses imprévues. Une nation ne doit jamais être à court, jamais s’exposer à retomber dans le désordre des anticipations. Une nation dont l’Assemblée législative est permanente et dont les ministres sont responsables; ne doit pas hésiter à donner quelque ampleur à ses moyens publics. Ce qui sur le fonds d’encouragement, ou sur celui des dépenses imprévues, ne trouverait pas un emploi digne de votre suffrage, tournera chaque année au profit du fonds d’amortissëment ; et les encouragements qui pourraient devenir durables, passan t au fonds ordinaire des pensions, vous pou-riez, en cas de guerre, ramener au service de la sûreté publique, vraisemblablement jusqu’à treize millions sur les seize, consacrés, soit aux encouragements, soit à la précaution qui veut qu’on réserve des fonds libres. Dès 1791 vous auriez donc un fonds de guerre de quarante-huit millions partagé, tant que la paix durerait, entre la caisse d’amortissement, les encouragements de l’agriculture et du commerce, J es travaux publics des routes et des canaux, et le fonds de réserve ou de précaution que la prudence demande, qui de sâ nature est auxiliaire du fuuds d’amortissement, dès qu’il ne se présente pas d’autre emploi. Ce fonds de guerre s’augmenterait d’année en année, par l’accumulation des intérêts remboursés, par l’extinction absolue des pensions Cléricales, et du peu qui resterait de rentes viagères, par l’extinction partielle des pensions civiques, dont vous ne remplaceriez qu’une partie, jusqu’à ce que vous les eussiez réduites à ce qu’exige la masse de récompenses nécessaires pour soutenir l’émulation dans le service d’un grand empire. Toutes ces extinctions annuelles accroîtraient sans cesse le fonds d’amortissement; et la progression rapide des intérêts remboursés élèverait bientôt votre fonds de guerre à quatre-vingt millions. Je demanderai de l’arrêter à ce terme. Il suffit, chez une nation qui ne se laisse pas voler, pour soutenir la guerre, sans emprunts et presque sans impôt, en accroissant pendant la paix la propriété par une libération progressive, et par les plus grands encouragements à tous les travaux utiles. La guerre est comme la mort : il ne faut ni la désirer, ni la craindre; il y faut être préparé. On ne la fait qu’aux faibles : soyons donc forts. Voyez ce qu’elle coûte tous les dix ans aux nations obérées de l’Europe, et voyez combien» indépendamment de l’épargne du sang humain, c’est financièrement une grande économie que le retranchement de la guerre, dans les dépenses extraordinaires d’une société politique. Vous êtes au 1er janvier 1791, Messieurs, vous avez supprimé le déficit; vous avez remboursé la magistrature; vous avez augmenté de cinq millions les fonds de l’éducation publique; vous avez soulagé le peuple de cinquante-cinq millions des impositions les plus odieuses, et de plus de trente-cinq millions de frais de perception, de frais de procédure, de frais de vexations qu’elles entraînaient avec elles ; vous avez assuré pour six millions d’encouragement à l’agriculture et au commerce; vous avez établi un foiids d’amortissement de vingt-cinq tnillions ; vous avez mis dix millions en réserve pour les cas fortuits, vous avez préparé un fonds de guerre de quarante-huit millions , destiné à s’accroître tous les ans; et sur les cent quatre-vingt-neuf millions de revenu que vous avez créé ou libéré, il vous en reste encore vingt-quatre dont vous n’avez pas fait l’emploi. G’est à peu près le huitième de l’imposition directe, personnelle ou foncière. Là, je presse encore votre sollicitude, etjevouë prie d’einployer ces vingt-quatre millions de revenu à supprimer toutes les impositions des journaliers dans les campâgnes, des compagnons et des petits artisans dans les villes» de tous ceux qui habitant dans la maison d’autrui, n’y occuperont qu’un logement au-dessous d’un certain prix de loyer, et parmi les propriétaires de toutes les cotes inférieures qui seront nécessaires pour compléter l’emploi dë ces vingt-quatre millions. Sacerrima res homo miser. Il est cruel de demander Une imposition à l’homme pour qui la vie elle-même est une pesante charge, à laquelle il a peine à pourvoir. Il est absurde de la demander au salarié à qui l’on ne pourra s’empêcher de la, rendre en augmentation de salaire. La subsistance est pour tout le monde un créancier impitoyable et privilégié ; ce n’est qu’après avoir satisfait à ce qu’elle exige que l’on peut songer aux autres besoins. La société doit protection à l’indigent, comme elle doit secours à l’infirme, avec une entière gratuité; car la société est composée d’hommes dont aucun n’existe que par l’effet des secours gratuits , dont on a comblé son enfance. Je vous avais demandé, Messieurs, de faire entrer cette sainte maxime dans la déclaration des droits; N’y a-t-il pas encore place? Mais ce n’est pas seulement l’humanité, c’est l'intérêt bien entendu, qui exige que vous ayez des citoyens prolétaires , quittes envers la patrie, quand ils lui ont donné des enfants, quand ils ont concouru de leurs suffrages au choix des hommes qu’ils jugent capables de les représenter, quand ils ont, dans le besoin, aidé, de leur personne, à la sûreté commune. 11 est même raisonnable et utile encore, qu’après les citoyens prolétaires, les simples habitants qui ne tiennent à l’Etat par aucune propriété foncière, qui n’ont pour subsister que leur travail, qui peuvent, à volonté, porter ce travail dans tous les lieux où ils le trouvent plus lucratif, et qui ne pourraient, sans injustice, être privés de cette liberté, ne soient obligés, ni à des contributions dont la matière leur manque, ni à perdre leur temps, soit pour concourir à la |gg [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [24 septembre 1789.] répartition de ces impositions qu’ils ne payeront pas, soit à la direction des travaux publics qui ne s’exercent point sur les héritages dont ils sont dénués, soit à la garde des propriétés que leurs parents ne leur ont point transmises et qu’ils n’ont pu encore acquérir. L’homme de cette classe doit être libre et heureux; il est prêta tout dans la société; il y peut parvenir à tout par le travail, par l’économie, parles bonnes mœurs ; mais il n’y est pas encore quelque chose; la société est faite pour lui, il n’est pas encore fait pour elle; et son propre intérêt demande que ce soient ceux qui ont à perdre, qui s’occupent de conserver, et ceux qui ont eu le loisir et les moyens d’acquérir le plus d’instruction, que l’on charge de la répandre. Je pourrais aller plus loin, Messieurs, et promenant vos regards sur l’année 1791, que vous commencerez avec un excédant de plus de quarante millions dans les finances, après avoir diminué de près de quatre-vingt millions les impositions et les droits dont le peuple a le plus souffert, je pourrais suivre l’emploi des secours de la banque, soutenus par cinq milliards de capital, qui vous resteront encore, tant des biens ecclésiastiques et des dîmes, que des domaines ; montrer l’amélioration de ceux-ci, par les soins des assemblées principales des cercles, des assemblées de département, et des assemblées municipales; suivre les effets de l’aliénation des biens-fonds et du rachat des dîmes ; développer ceux de la diminution progressive des intérêts à la charge de l’Etat et de celle de l’intérêt de l’argent en général pour les succès de l’agriculture, des manufactures et du commerce ; trouver, dans les nouveaux revenus qui se libéreront, la possibilité de supprimer la partie fiscale des droits de contrôle des actes; et marquant l’époque de remboursement total des dettes publiques, peindre l’Etat avec encore plus de deux milliards de capitaux libres, diminuant les charges d’une main, prodiguant de l’autre les avances pour la fertilisation du territoire, pour les plantations, pour les canaux, pour les chemins, pour les ports de mer, pour l’instruction en tous les genres, pour l’encouragement de tous les travaux utiles, élever l’empire français à un degré de prospérité dont l’imagination même est étonnée. Léguons à nos successeurs ces hautes entreprises que nous aurons nécessitées par nos premiers pas. Il nous suffit d’avoir exposé ce qui est à faire, et ce qui peut être fait, ce qui doit l’être par vous, Messieurs, pendant le temps que vous composerez la législature. 11 nous suffit d’avoir montré, qu’à quelque degré de malheur et de désordre qu’on l’ait conduite, une nation spirituelle, honnête et courageuse, qui réunit 27 à 28 millions d’âmes, sur un territoire de 27,000 lieues carrées, ne peut jamais être perdue; qu’il n’y aurait que l’ignorance, l’incapacité, la faiblesse, qui pussent désespérer de ses affaires, et que vous laisserez la France autant au-dessus de ce qu’elle a jamais été, que vous l’avez trouvée au-dessous. Nousnous devions à nous-mêmes, nous devions aux citoyens qu’on effraye, aux créanciers qu’on décourage, aux ennemis intérieurs et extérieurs de notre patrie, qui déjà croyaient planer sur son cadavre, et s’en disputer les lambeaux, de manifester combien nous avons encore de vie, quelle nation nous sommes, de quelles immenses ressources nous sommes entourés, et que, dans les dangers qui nous assiègent, il ne peut y avoir à trembler que pour ceux qui voudraient les accroître, pour les vampires, pour les serpents et pour les léopards. Intimement convaincu de ce fait important, je vous demande pardon, Messieurs, d’avoir employé un si long espace de votre temps à vous en détailler les preuves. Sans doute elles vous étaient superflues ; mais elles peuvent ne l’être pas pour le crédit national, pour la confiance publique, pour le respect que, même en vos jours de détresse, vous devez inspirer à l’étranger. On demande l’impression et la distribution du discours de M. Dupont de Nemours. — L’une et l’autre sont ordonnées. Plusieurs projets d’arrêtés ont été présentés sur le plan d’opérations de M. Necker. Par une motion incidente, un des membres a demandé que le mémoire du premier ministre des finances fut renvoyé à l’examen du comité des Douze, qui en ferait son rapport incessamment, et que le décret sur les impositions, dont l’Assemblée s’occupe depuis quelque temps, fut terminé avant de lever la séance. M. Bureaux de Pnasy a proposé d’adjoindre quatre membres, pris dans l’Assemblée, au comité particulier de douze personnes précédemment établi pour les plans et opérations de finance. Enfin, la question préalable a été réclamée sur la dernière de ces propositions , et l’Assemblée a décidé qu’il n’y avait pas lieu à délibérer. On est revenu ensuite sur la précédente motion ; elle a été divisée ; et par le résultat de la délibération sur la première partie , il a été statué que le mémoire du premier ministre des finances serait renvoyé au comité des Douze, pour être par lui examiné et rapporté à la séance du samedi matin. Sur la seconde partie de la même motion, la délibération relative au décret sur les impositions a été renvoyée à la séance de ce soir. M. le Président a proposé de prononcer avant la levée de la séance, sur l’affaire de Yernon. L’Assemblée délibérant sur le projet d’arrêté qui lui a été soumis par le comité des rapports, et sur différents amendements qui y ont été joints, a confirmé son décret du 10 août dernier, concernant le rétablissement de la tranquillité publique, et ceux des 29 août et 18 septembre présent mois, relatifs à la libre circulation des grains et farines. En conséquence elle a déclaré qu’elle désapprouve la conduite qui a été tenue par le comité provisoire qui s’est établi dans la ville de Vernon ; et qu’elle prend et met sous sa sauvegarde tous et chacun des citoyens dont la tranquillité avait pu ou pourrait être compromise depuis l’origine des troubles qui se sont élevés, soit à raison de la formation dudit comité, soit à raison de l’approvisionnement de ladite ville. Au surplus, l’Assemblée renvoie à Sa Majesté la connaissance des contestations survenues entre les habitants de Vernon. M. le Président, après avoir annoncé la convocation de différents comités, a indiqué la séance de ce soir à sept heures.