[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [25 septembre 1790*] 221 eaux-de-vie, continueront à avoir lieu provisoirement. « 21° Au décret du même jour, portant que la créance des Nanlukois sera exceptée de l’arriéré . « 22° Au décret du même jour, portant que les citoyens actifs de Montauban seront convoqués en assemblées primaires, pour procéder au choix des électeurs qui concourront à l’élection des juges. « 23° Au décret du même jour, portant que la ville de Saintes est définitivement le siège de l’administration du département de la Charente-Inférieure. « 24° Au décret du même jour, portant que la ville de Niort est le siège de l’administration du département des Deux-Sèvres. « 25° Au décret du 17, portant qu’il sera remis à la disposition du directoire du département de la Haute-Vienne, une somme de 60,000 livres, pour être employée au soulagement des malheureux incendiés de la ville de Limoges. « 26° Au décret du même jour, portant quede traitement des curés royaux dans les départements du Haut et Bas-Rhin, seront acquittés pour la présente année par les receveurs des impositions. « 27° Au décret du 18, relatif aux faits qui se sont passés dans la ville de Mauriac, à l’occasion de la municipalité de cette ville. « 28° Au décret du même jour, portant que tout jugement postérieur à la publication du décret, des 14 et 20 avril dernier, qui tendrait à obliger les locataires des fermiers de biens ci-devant ecclésiastiques, de payer en d’autres mains qu’en celles des receveurs de district, doit être regardé comme non avenu. « 29° Au décret du même jour, portant qu’il sera procédé à une nouvelle élection des administrateurs de chacun des districts du département de l’Ardèche, réduits à trois, au lieu de sept qui avaient été provisoirement formés. « 30° Au décret du même jour, portant qu’aucune municipalité ou corps administratif ne peut, sous aucun prétexte, arrêter, ni suspendre le départ d’aucun bâtiment de guerre. « 31° Au décret du même jour, qui autorise la municipalité de Versailles, à percevoir les droits perçus ci-devant par le roi, pour subvenir aux dépenses particulières de cette municipalité, et à l’entretien de ses établissements publics. « 32° Au décret du 19, sur une difficulté relative aux comptes du régiment de Soisson-nais . « 33° Et enfin au décret du 20, relatif à l’insurrection, qui a eu lieu à bord de deux vaisseaux de l’escadre de Brest, depuis l’arrivée du Léopard. » Paris, le 25 septembre 1790. Signé : Champion de Cicé, Archevêque de Bordeaux. M. de Cazalès, député du département du Lot, demande un congé de quinze jours, pour raison de santé. Ce congé est accordé. Le sieur David, graveur, fait hommage à l’Assemblée d’un tableau allégorique, représentant la personne du roi dans l’Assemblée nationale, à la séance du 4 février 1790. M. le Président donne lecture d’une lettre des cinq députés du Port-au-Prince et de la Croix des Bouquets, qui ont accompagné M. de la Galis-sonnière à son passage en France. L’Assemblée renvoie cette lettre au comité des colonies. Un membre observe que l’on n’a pas donné lecture à l’Assemblée des articles décrétés le 21 de ce mois, sur le rapport fait au nom du comité militaire. (L’Assemblée décide que cette lecture sera faite demain à l’ouverture de la séance.) M. Parlsot expose que les élus généraux de la ci-devant province de Bourgogne se refusent à rendre leur compte aux commissaires des divers départements qui composent cette province; que les pièces envoyées par ces commissaires ont été remises au comité des finances depuis plus d’un mois, et qu’il est urgent d’en faire le rapport. (L’Assemblée décrète que le comité des finances fera ce rapport mardi à la séance du soir.) M. le Président. L’ordre du jour est la suite de la discussion sur le mode de liquidation de la dette publique. M. Decrétot (1). Messieurs, je n’ai pas la prétention de jeter un nouveau jour sur une question qui déjà depuis longtemps agitée devrait être suffisamment éclaircie. Gomme représentant de la nation et député d’un pays de manufactures, je me crois obligé de donner mon opinion. J’ai remarqué que presque toutes les raisons, tant constitutionnelles que politiques et financières qu’on a allégué pour l’émission de deux milliards d’assignats, pouvaient être rétorquées contre, et que beaucoup de celles qui ont été données contre ne pouvaient être administrées pour. La Constitution, s’est-on écrié, sera en danger si on ne décrète pas l’émission de deux milliards d’assignats-monnaie : elle sera bien plus en danger, a-t-on répondu, si on en décrète pour une aussi forte somme. Si on attribue, a-t-on ajouté, un intérêt de 5 0/0 à des quittances de finance, qui seront faites pour le montant de la dette exigible, on augmente l’impôt de 100 millions : ce qu’on ne dit pas, et qui est très probable, c’est que les assignats, portés à une somme aussi épouvantable que celle de deux millards, perdront 40 à 50 0/0, et qu’alors l’impôt se trouvera doublé. D’ailleurs, en ne payant l’intérêt ou la prime de vos quittances de finance ou délégations sur les domaines nationaux qu autant qu’elles seront employées à leur achat, et en bornant les intérêts au terme de deux ou trois ans, la concurrence des acheteurs les fera vendre plus cher, et dédommagera de ces même intérêts, dont toutefois il faut déduire le revenu des domaines nationaux. C’est, dit-on, attacher les Français à la Constitution et à leur patrie, que de les mettre, pour ainsi dire, dans l’obligation d’acheter des domaines nationaux, et c’est acquitter la dette de l’Etat par le moyen le plus simple : mais si vos deux milliards d’assignats perdent beaucoup, (comme je m’engage ae vous prouver, dans un (1) Le discours de M. Decrétot est incomplet au Moniteur. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [25 septembre 1790. | m moment, qu« cela est inévitable), ou même si, par une terreur mal fondée, si vous le voulez, qui existe déjà chez bien des personnes, on imagine qu’ils doivent perdre ; si, par une suite de cette folle terreur, on croit aux revenants, on craindra que le désordre ne rappelle le clergé à ses ci-devant prétendues propriétés, une très grande partie de vos domaines nationaux ne se vendra pas, on enfouira l’argent, on le placera chez l’étranger, on l’emportera, on s’expatriera. C’est, dit-on encore, le moyen le plus sûr de consolider l’expropriation du clergé, et de lui enlever toute espérance de retour; mais, si votre opération de deux milliards d’assignats amène le désordre, quelles tentatives le clergé, aidé des mécontents, ne fera-t-il pas pour rentrer dans ses possessions? il n’y parviendra jamais; je le crois comme vous; mais ses efforts pour y parvenir entraîneront quantité de maux que je ne veux pas retracer. Ce qu’on a dit sur le danger de l’agiotage des quittances de finance peut être dit sur les assignats. Les agioteurs n’auraient-ils pas le plus beau jeu à jouer à la baisse? que de moyens ils auraient employé pour les discréditer êi en accaparer des parties, lorsqu’ils seraient à 40 ou 50 0/0 de perte, pour les revendre ou les placer en achats de domaines. Je reviens, Messieurs, à prouver, comme je m’y suis engagé, que Les assignats, émis en somme considérable, perdront de leur valeur primitive. Déjà la crainte de cette émission a fait resserrer Targent et augmenter la perte sur les assignats qui sont en circulation ; déjà cette crainte, comme nous l'annoncent les gazettes, fait, chez l’étranger, négocier à perte les lettres de change sur Paris; déjà elle a considérablement influé sur le change à notre désavantage ; déjà elle a fait renchérir les matières premières que nous sommes obligés de tirer du dehors; déjà elle a fait suspendre les ventes d’une grande partie de celles qui sont en France. Les piastres sont à 5 livres 7 sols contre argent, et à 5 livres 18 sols contre assignats. Le vin de Bordeaux est à 200 livres contre argent, et à 220 livres contre assignats; ce sont là des faits, et les faits prouvent plus que les raisonnements. On est autorisé à croire que les domaines nationaux disponibles à vendre daûs ce moment ne montent qu’à environ 1 milliard ou 1,100 millions, parce qu’il faut déduire les 2 milliards 400 millions déjà circulants ; parce qu’il ne faut pas comprendre la valeur de toutes les forêts réservées, et des maisons habitées ou difficiles à vendre. Si donc on se persuade, si seulement on s’imagine que 100 ou 200 millions de ces assignats portent à faux, et n’ont pas pour hypothèque une partie équivalente de domaines nationaux, il y aura un reflux et une baisse de 50 0/0, et peut-être de beaucoup plus, comme cela est arrivé dans l’Amérique anglaise. La stagnation seule des assignats, en augmentant les craintes et la défiance, suffirait pour les faire tomber de 50 0/0; et, Messieurs, celte stagnation estinévitabte : avec le désir d’acheter, on ne trouvera pas ses convenances autour de soi. Passera=l-on d’un département dans un autre? s’expatriera-t-on pour acquérir? les difficultés, les formalités retarderont encore les ventes, ce qui est disponible ne sera pas vendu avant trois ans; la stagnation d’une grande partie de ces assignats est donc inévitable; elle embarrassera le mouvement et occasionnera le désordre. En vain m’objectera-t-on que la fabrication de 2 milliards d’assignats, les signatures à y apposer demanderont beaucoup de temps et mettront tout naturellement la succession et les intervalles convenables dans l’émission. Non, Messieurs ; si les 2 milliards sont décrétés, on ne considérera que la masse entière, et l'imagination frappée, grossissant encore ce Ilot d'assignats, le verra fondre et engloutir le commerce, les manufactures. Je ne vous développerai pas de nouveau une vérité qui vous a été présentée de tant de manières : lorsqu’on double la masse du numéraire, les denrées et la main-d’œuvre augmentent de moitié ; les matières premières, qu’on est obligé de tirer de l’étranger, renchérissent encore par la nécessité de les payer en écus, ce qui interrompt tout commerce avec l’étranger. Je vous observe cependant, et comme manufacturier j’appuie surtout sur cette observation, parce qu’elle regarde l’ouvrier, c’est que la main-d’œuvre n’augmente jamais, ni aussi vite, ni en exacte proportion avec les denrées, parce que son renchérissement ralentissant nécessairement la vente dans les manufactures, en réduit l'exploitation ; et le fabricant, cherchant toujours à procurer les moyens de subsistance au plus grand nombre possible d’ouvriers, leur mesure l’ouvrage, ainsi que dans les longs et pénibles voyages on mesure les vivres aux matelots pour les faire lutter contre la mort. Oui, Messieurs, si, contre toute raison, les 2 milliards d’assigûatsétaient décrétés, telle serait, dans peu, la situation de plusieurs millions d’ouvriers, et quelle serait alors celle de tout l’Empire ! Les 2 milliards d’assignats feront ressortir et circuler l’argent dans le royaume, ou le feront passer dans l’étranger, soit pour l’y placer dans les banques, soit pour y former des établissements, et surtout pour solder nos comptes qui ne peuvent pas l’être en papier-monnaie. S’ils le font ressortir et circuler chez nous, nous nous trouverons dans le cas du doublement dunuméraire; s’ils le font passer dans l’étranger, nous n’augmenterons pas notre numéraire en circulation; nous aurons, au lieu d’argent, des assiguats, qui s’éteindront à mesure qu’ils se convertiront en domaines nationaux; nous retomberons dans une double pénurie d’argent et de papier, et notre agriculture, nos manufactures, notre commerce seront anéantis. L’Angleterre n’a pas, comme on vous l’a dit, cinq milliards en billets de banque en circulation , elle en a tout au plus pour deux milliards. Les billets de banque ne conviennent au commerce que parce qu’ils ne sont pas forcés. Si, par un faux calcul, on en met pour une trop forte somme en circulation, ce qu’il y a de trop est rapporté à la caisse, et l’équilibre s’établit. Les mêmes personnes qui, au sujet des intérêts ou prime à accorder aux quiltances de finance, font l’objection des cent millions d’impôt à laquelle j’ai déjà répondu, disent que si on ne donnait pas cet intérêt de 5 0/0, on ferait supporter aux créanciers de l’Etat une espèce de banqueroute. Eh! Messieurs, ne sommes-nous pas dans cet état de banqueroute? Toute la nation n’eu souffre-t-elle pas? Pourquoi ne pas avoir au moins la loyauté de prononcer le mot lorsque la chose existe? les assignats déjà circulants ne perdent-ils pas 7 0/0? La perte doit-elle plutôt atteindre l’habitant des provinces éloignées de Paris, le laboureur, le manufacturier, que les créanciers-de l’Etat, dont la plus grande partie a bien voulu être créancière, et l’est encore avec avantage? Il faut que quelqu’un perde. Il s’agit de savoir [Assemblée nationale ] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. si c’est la nation entière, qui doit perdre le pins ou les créanciers de l’Etat? Jamais question ne s’est présentée avec les mêmes circons'ances, et n’a été considérée sous plus •de points de vue différents que celle qui nous occupe. Ceux de nous qui ne connaissaient pas oette matière, agités dans tous les sens par ceux qui ne la connaissent que trop bien et la voient avec l’œil, troublé, de leur intérêt particulier, ont pu croire un moment que le moyen de faire le moins mal, était de distinguer lequel de tous ces intérêts particuliers s’accordait le plus avec l’intérêt général ;en envisageant constitutionnellement la question, peut-être auraient-ils fait, sans le vouloir, et avec la meilleure intention, tout ce qu’il fallait faire pour empêcher l'achèvement de la Constitution, et rendre vos travaux inutiles. Ce malheur n’est plus à craindre; ils ont vu démasquer les agioteurs, dont un grand nombre rôde continuellement aux environs de cette salle, dans l’espoir d’y faire pénétrer une perfide influence, Ces députés sont instruits des énormes opérations d’agiotuge qui se sont faites sur les effets publics pour les échanger contre des assignats; éclairés par les dernières réflexions d’un ministre, dont enfin il est permis de dire du bien dans cette tribune; ramenés à la vérité par la discussion et par leurs propres méditations; leurs opinions seront aussi pures et bonnes que leurs intentions font toujours été. Hier,le dernier préopinant embellit tellement des charmes de son esprit et de son éloquence le système des deux milliards d’assignats, qu’on crut et qu’on eût raison de croire jusqu’à la fin qu’il allait conclure pour une plus forte somme ; les amateurs furent tous surpris de le voir se réduire de beaucoup. Les antagonistes de cette opinion se dirent : puisque M. de Beaumetz, avec ce bel enthousiasme, a conclu pour 800 millions, la bonne proportion doit être de 400 millions. Je réduis mon opinion à trois points principaux : Le premier est de nous réserver la faculté de créer pour 3 à 400 millions d’assignats, en tout semblables à ceux en circulation, afin de pouvoir subvenir aux besoins du Trésor public, jusqu’à la parfaite organisation de l’impôt; et encore afin d’assurer les frais de la guerre, s’il arrive que malheureusement nous ne puissions l’éviter. Secondement, que le comité des finances examine avec la plus scrupuleuse attention les divers titres des créanciers de l’Etat; et que ceux de ces titres qui sont payables au porteur soient convertis en un titre uniforme, ali n de détruire l’agiotage jusque dans sa racine. J’observe que, forcés comme nous le sommes d’échanger les titres des créanciers de l’Etat contre des portions de terre, ces nouveaux titres dont je parle seront intitulés : délégations territoriales. Il y aura des précautions de détail à prendre en distribuant ces délégations à certaines classes de créanciers; de manière, par exemple, que ceux à qui il est dû des capitaux remboursables échus, soient traités plus favorablement que les titulaires d’oflices ou porteurs d’effets remboursables non échus. Mais il sera temps de soumettre à la discussion cet ordre à établir, quand l’Assemblée aura décrété les principes que je l’invite à adopter. Troisièmement. Je crois concilier la justice due aux créanciers, avec le soulagement dû au peuple, en proposant de cumuler l’intérêt avec le principal, c’est-à-dire de ne pas payer d’arrérages aux porteurs de délégations territoriales; mais de re-[25 septembre 1790.] 223 cevoir en payement des domaines nationaux ces délégations ; plus la crue de 5 0/0 pour la première année, de 4 seulement pour la seconde, de 3 pour la troisième, on s’arrêterait à ce taux, qui est à peu près le pair d’un revenu en immeuble. H faudrait que ces titres de créance nationale fassent forcés seulement à l’égard de ceux qui ont prêté sur des charges, sur des fonds d’avance, ou de toute autre manière qui les rend créanciers de la nation ; au bout de trois ans, le Trésor public payerait aux porteurs de délégations territoriales qui ne les auraient pas employées à acquérir des terres, les intérêts échus de ces délégations, mais au taux de 3 0/0 fan seulement, et, pour la suite, les intérêts continueront d’être payés sur ce même pied, de six mois en six mois, à raison de 3 0/0 l’an. En y réfléchissant, Messieurs, vous sentirez que ceplan,quial’avantaged’accélérer la vente des domaines nationaux, diminue de beaucoup et pour toujours le fardeau de l’impôt, en réduisant les intérêts de la dette à 3 0/0, ce qui ferait nécessairement baisser l’intérêt de l’argent. Je finis, Messieurs, en vous suppliant de diriger votre attention sur tous ces moyens qui nous sont annoncés, comme devant opérer la liquidation de la dette; car si nous manquons Cette opération, tout ira en se détériorant; et nous n’aurons plus aucune digue à opposer à la défiance et au découragement du peuple. C’est pourquoi, jusqu’à ce que la discussion sur cette matière soit tout à fait épuisée, je m’oppose au prononcé d’un décret qui, prématuré, pourrait bouleverser le royaume,, et nous replonger dans une situation pire que celle qui a forcé la cour et les ministres à nous abandonner les rênes de l’administration. Plusieurs membres demandent l’impression du discours de M. Decrétot. L’impression est ordonnée. M. de Custine. J’avais proposé en 1789 au ministre des finances une quantité de papiers-monnaie, pour la valeur des biens nationaux ..... Il serait aisé de prouver que cette émission De fera renchérir aucune denrée ; on citerait l’exemple de l’Angleterre, dans laquelle 5 milliards de papier de ce genre n’ont point fait hausser de prix des denrées. Il serait injuste de rembourser les créanciers de l’Etat avec des quittances de finance, dont la libre circulation favoriserait l’agiotage; et tandis qu’elles seraient livrées à ce jeu cruel et déprédateur, les biens nationaux, vers lesquels elles ne se porteraient qu’après avoir assouvi les vampires financiers, tomberaient dans une dégradation qui les ferait vendre à vil prix ..... Qui empêche que les commerçants etles manufacturiers des divers départements de la France n’imitent encore l’Angleterre, en créant dans leur arrondissement des billets de moindre valeur que celui que vous décrétez, et ne fassent circuler dans leurs ateliers des billets de 25 livres, en gardant leur valeur en véritables assignats? Cette ressource suppléera à la disette du numéraire, fera marcher des assignats vers leur destination, et fera reparaître les écus, car celui qui a des écus achètera du papier pour avoir des terres, seule manière de placer son argent, lorsqu’on ne pourra le placer dans le commerce ou dans l’industrie. Encore une fois, les billets de banque d’Angleterre n’ont point d’hypothèque et ne perdent point, et l’on veut que nos assignats, qui auront la plus solide hypothèque, éprouvent une perte immense! En un mot, vous avez créé pour 400 millions 224 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [2o septembre 1790.] d’assignats; vous êtes forcés, pour les besoins du Trésor public, d’en émettre encore. Le concours des quittances de finance écraserait les assignats sans ressource. — L’Assemblée qui a détruit tous les genres d’aristocratie fléchira-t-elle contre celle des capitalistes, ces cosmopolites, qui ne connaissent de patrie que celle où ils peuvent accumuler des richesses? J’ai l’honneur de vous proposer de décréter qu’il sera créé une suffisante quantité d’assignats pour rembourser la dette exigible et subvenir aux dépenses de l’année courante. Ces assignats porteront un intérêt ou une prime de 3 0/0 qui ne sera payée que lors des acquisitions. Les assignats seront reçus comme monnaie; l’intérêt des 400 millions déjà mis en circulation sera converti en une prime semblable, et à l’époque de cette conversion les intérêts échus serontpayés aux porteurs de ces assignats. Les nouveaux assignats seront de 225 livres, 200 livres, 150, etc. M. Cigongne (1) propose le plan de liquidation qui suit : 1° La partie de la dette exigible non échue sera liquidée aux époques de ses échéances en assignats, ayant cours sans intérêt ; 2° La dette exigible, tant celle échue, que provenant des suppressions d’offices, de charges, d’emplois, de remboursements, et autres objets désignés dans les états du comité des finances, à l’exception des rentes sur le clergé, montant à douze cents millions environ, sera divisée en huit parties, formant chacune 150 millions; 3° Le quart de la dette exigible, comprenant deux huitièmes, et montant à 300 millions, sera payé aussitôt qu’on aura fait la liquidation de chaque partie en assignats, ayant cours forcé sans intérêt ; 4° Les six huitièmes restants de la dette exigible seront soldés après la liquidation en obli-gàtionsnationales, portant intérêt annuel de 3 0/0, payables en six années consécutives, une chaque année ; 5° Dans chaque année, à commencer du 1er janvier 1792, on payera en assignats l’un des huitièmes échus avec l’intérêt ; 6° Il sera alloué une prime de 2 0/0, tant aux assignats qu’aux obligations nationales qui seront employés au payement des biens nationaux; ladite prime, indépendamment de l’intérêt alloué aux obligations et aux premiers assignats ; 7° L’intérêt alloué aux premiers assignats décrétés cessera le 15 janvier prochain; 8° Les assignats indistinctement, les obligations nationales, l’argent et les titres de créance, dont le remboursement aura été décrété, seront reçus également en payement des ventes des biens nationaux ; 9° Les obligations nationales, dites assignats, reçues en payement des biens nationaux, seront brûlées en présence des commissaires nommés par t’ Assemblé nationale; l’argent qui pourra en provenir sera employé à retirer de la circulation les assignats qui seront également brûlés ; 10° Tous les trois mois il sera fait une liste des biens nationaux vendus et des assignats et obligations nationales, éteints par ladite vente. Cette liste sera imprimée et rendue publique ; 1 1° 11 sera fabriqué des assignats de 50 et de 100 livres, dans les villes qui le demanderont; on pourra fabriquer des coupures d’assignats de 5, (1) Le Moniteur n’a rien donné du plan de M. Cigongne. 10, 20 et 30 livres, qui n’auront cours que dans l’étendue du département de ladite lie ; ces coupures ne seront pas une augmentation du numéraire, elles seront distribuées par des bureaux de confiance qui les donneront en échange d’assignats qui y seront déposés. On aura la liberté de les reprendre à volonté, en rendant les coupons reçus; le tout suivant un règlement qui sera fait à ce sujet. M. Dupont (de Nemours) (1). Messieurs, toutes les raisons qui ont été débitées, plus ou moins éloquemment, dans cette tribune, en faveur du projet d’une émission de près de deux milliards de papier-monnaie, se réduisent à celles que je vais avoir l’honneur de réfuter en très peu de mots. « On a des dettes exigibles : il faut les pa�er. « On a des domaines à vendre : et l’on a intérêt « qu’ils soient bien vendus, il faut multiplier les « moyens de les acheter. « Les facultés des contribuables sont bornées; « il faut diminuer, autant qu’on le pourra, la « masse des impositions pour surcharger moins « les revenus qui doivent les acquitter. » Ces trois principes isolés sont très vrais en eux-mêmes ; mais l’application qu’on en a faite à l’énorme émission d’assignats que l’on vous a proposée, porte sur des suppositions totalement, et même absurdement fausses. Il a été impossible, en partant de ces fausses suppositions, de tirer du principe vrai une conséquence juste, une règle de conduite raisonnable. Aussi a-t-on été entraîné par ce mélange mal digéré de vrai et de faux, aux sophismes Jes plus étranges dont on puisse fatiguer les oreilles et la pensée d’hommes accoutumés à discuter les droits et les intérêts des nations; on est arrivé aux conclusions les plus dénuées de sens, aux conseils les plus dangereux pour la gloire et pour le salut de l'Empire. Voici, Messieurs, quelles sont ces fausses suppositions : Première supposition fausse : que Von puisse payer des dettes exigibles , ou aucune espèce de dettes, avec des assignats. Seconde supposition fausse : que rémission des assignats puisse donner aucune facilité de plus, d'acheter les domaines nationaux, ni ajouter en rien à la valeur de ces domaines. Troisième supposition fausse : que la suppression des intérêts dus à la portion ae la dette exigible, ou de toute autre dette qu’on rembourserait en assignats, fût une diminution d’imposition. Vous allez reconnaître, dans un moment, combien ces trois suppositions sont fausses; et aussitôt que leur fausseté sera manifestée, vous verrez s’écrouler l’édifice fantastique par lequel on a cherché à séduire l’imagination du public et à influer sur vos résolutions. PREMIER PARALOGISME. De ceux qui proposent les assignats-monnaie, portant sur la première fausse supposition. La nation a des dettes , elle ne peut les payer au moment où elles sont exigibles. On propose de donner en son nom, aux proprié-(1) L’opinion de M. Dupont (de Nemours) n’a pas été intégralement reproduite par le Moniteur. [Assamblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. taires de ces créances sur l’Etat, un papier portant promesse de payer, une délégation, un mandat, un assignat dont ils pourront, dans la suite, obtenir le remboursement en achetant des domaines nationaux; et cette remise d'une promesse de payer, on l’appelle hardiment, devant vous, un payement. On vous dit: nous devons; nous donnerons des assignats , et nous aurons payé. Non, Messieurs, vous n’aurez rien payé dutout; lorsque vous aurez donné des assignats ; vous n’aurez qu’échangé un titre de créance contre un autre titre de créance, Depuis, peut-on regarder comme synonymes Veffet et la promesse; l’expression de payer et celle de renouveler son engagement? Les assignats que vous avez donnés jusqu’à présent sont très bons et très solides, de même que ceux que vous pourriez donner à l’avenir, de même que toute autre délégation sur vos domaines ou sur vos revenus; mais ces assignats n’ont point été un payement; ce sont des engagements, ce sont des anticipations que vous avez faites sur vos domaines, comme celles que l’on faisait autrefois sur vos revenus. Vous n’avez point supprimé les anticipations. Quoi qu’on vous l’ait dit avec emphase, vous avez même été obligés de les accroître, à raison du retard éprouvé dans la rentrée d'une partie des revenus publics; mais vous avez changé leur hypothèque, vous en avez déchargé le trésor ordinaire pour en charger la caisse de l’extraordinaire ; vous avez en cela fait une excellente opération d’administration et de comptabilité; et il n'en est pas moins vrai que vous n’avez rien payé de vos dettes; qu’au contraire, le malheur des circonstances vous a forcés de les augmenter. Le payement ne sera véritable que le jour où les assignats seront échangés contre les domaines nationaux, ou remboursés de quelque autre manière. Jusqu’alors, la nation, après avoir donné ses assignats à ses créanciers, leur devra précisément la même somme qu’elle leur doit aujourd’hui. Le désir honnête que vous avez, ce désir de payer vos dettes, si conforme à votre loyauté, ne sera donc point rempli, si vous donnez, comme on le propose, des assignats et des assignats-monnaie, sans intérêt. Vous n’aurez fait qu’une manoeuvre au-dessous de la dignité d’une grande et vertueuse nation, en forçant vos créanciers à un échange de titres qui ne leur produiront aucun intérêt, contre les titres également valables qui leur assuraient un revenu. Vous aurez abusé de votre puissance; comme le disait énergiquement, au milieu de vous, M. de Mirabeau, à Versailles, vous aurez emprunté le sabre à la main. Vous aurez, sabre à la main, prolongé le terme de vos dettes exigibles, et supprimé l’intérêt légitime que vous deviez à vos créanciers. Gomment s’apppelle, Messieurs, une suppression de payement, accompagnée du retranchement de l’intêrêt stipulé et de la perte inévitable sur le capitalqui doit résulter de ce retranchement?... Je ne le dirai pas... ; un de vos décrets les plus respectables, me le défend dans cette Assemblée. Mais je m’en rapporte à vous ; est-il permis, quand on attermoie, de prétendre ou a’aflirmer qu’on a payé ? Est-il possible d’attacher une égale valeur a deux titres de créance d’une égale somme et d’une égale sûreté, qui diffèrent du revenu ? Y a-t-il un seul d’entre vous qui n’estime pas davantage un engagement de ce même débiteur, pur, simple, sans intérêts et que vous lre Série. T. XIX. [25 septembre 1190.] 225 ne pourriez réaliser à l’instant même qu’en diminuant l’escompte sur le capital? C’est donc une illusion qu’on se fait et qu'on veut vous faire, lorsqu’on vous dit qu’avec des assignats il ne tient qu’à vous de payer toutes vos dettes. Ces assignats ne seraient qu’une manière despotique de manquer à tous vos engagements. SECOND PARALOGISME de ceux qui proposent les assignats-monnaie, fondé sur la seconde fausse supposition. Nous avons une quantité de domaines à vendre, et l’on vous dit « qu’il est nécessaire, pour les vendre à leur véritable valeur, d’ajouter à la masse actuelle delà monnaie, une nouvelle masse de numéraire. » Mais, Messieurs, ce n’est pas de numéraire que vous avez besoin pour que les domaines nationaux soient vendus à la plus grande valeur possible; ce n’est pas avec du numéraire que l’on achète ; il n’y sert que d’instrument et d’appoint. On achète avec des capitaux accumulés. Beaucoup de gens ont du numéraire en plus ou moins grande quantité; très peu de gens ont le moyen d’acheter des terres, parce que très peu ont des capitaux libres et disponibles. Ce. sont donc des capitaux qu’il faut appliquer à la vente de vos domaines nationaux, c’est une masse d’objets d’échange, autant ou plus considérable que les biens-fonds dont vous avez à disposer. Cette masse, vous l’avez, et vous l’avez très supérieure à la valeur des biens à vendre. Il dépend donc de vous de leur donner une grande valeur, et par le système des assignats-monnaie on vous propose de ne leur en donner qu’une partie. Vous ne vendez les domaines nationaux que pour payer une partie des dettes de la nation , qui toutes ont droit de poursuivre leur hypotheque et d’entrer au concours, pour être payées en biens-fonds, si les propriétaires montrent, par les enchères, qu’ils préfèrent le remboursement successif que vous mur assurerez certainement par la création d’un fonds d’amortissement très solide. Vous avez donc actuellement la totalité des créances sur l’Etat, et de leurs propriétaires à appeler, à inviter, à encourager aux enchères de vos biens-fonds ; et l’on vous offre, comme une bonne mesure, pour vendre plus avantageusement ces domaines, de repousser environ la moitié de ces acquéreurs, et de leurs moyens de payer ; on vous propose de donner un privilège exclusif à environ la moitié de vos créanciers pour acquérir vos biens; on vous propose de supprimer la concurrence que leurs co-créanciers pourraient apporter dans un marché qui vous serait si favorable. Et, parce qu’on aura donné à ceux de vos créanciers qu’on veut favoriser un nouveau titre, ou comme on dit en jurisprudence, un titre nouvel, on veut vous persuader que ce titre nouvel d’une créance ancienne formera un nouveau moyen de payer les biens-fonds sur lesquels elle est hypothéquée; que cette soustraction opérée sur la masse des valeurs que vous pourriez admettre, que vous devez admettre en payement, que vous ne pouvez en repousser sans injustice, 15 220 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [25 septembre 1790.] est une addition à cette même masse dont on retranche la moitié. Vous vous laissez dire ces choses, Messieurs ! vous faites bien : la liberté de parler doit être respectée. Mais les croire !... Vous ne le pouvez pas. Vous ne pouvez pas n’être point frappés de cette vérité palpable, qu’en donnant à une partie de vos créanciers, à la place du papier qui contient leur titre actuel, un nouveau papier qui contiendra un nouveau titre, précisément de la même valeur, vous n’ajoutez aucune valeur nouvelle à celle qui existait et qui se présentait déjà pour acheter vos terres. Vous ne pouvez pas n’être point frappés de cette autre vérité également palpable, qu’en excluant du droit d’échange que vous attribuerez aux assignats contre les biens-fonds, les autres titres de créances, dont les propriétaires n’ont pas un moindre droit d’hypothèque sur les domaines nationaux, vous diminueriez la concurrence, les enchères, la valeur de ces biens, en même temps que vous feriez injustice aux propriétaires de créances à qui vous ne permettriez pas de prendre part à votre grande liquidation. A entendre les propositions que vous ont faites plusieurs des préopinants, il semblerait qu’il n’y aurait que les créanciers de ce qu’ils appellent, il est vrai, avec une très grande extension, la dette exigible , qui eussent droit de participer à la vente des biens-fonds et d’offrir, pour prix de ceux qui leur seront adjugés, leurs titres de créance. Je ne puis trop vous répéter que c’est une erreur. Je ne puis trop vous répéter que se conduire en conséquence serait une injustice. Certainement les propriétaires des rentes sur les tailles, sur les cuirs, sur les aides et les gabelles ont tout autant de droit au fonds et dans la forme, de concourir et de participer, pour leur remboursement, au produit delà vente des biens domaniaux, que les propriétaires des rentes sur le clergé. Leur gage est encore plus disparu, si le gage des dettes d’une grande nation qui se régénère pouvait être littéralement spécial. Mais vous ne prétendez pas que ce gage soit spécial et que ceux qui vous proposent d’ajouter pour dix-neuf cents millions d'assignats aux quatre cents millions que vous avez déjà créés ne le prétendent pas plus que vous. Rien ne peut les assurer que la totalité des domaines à vendre, soustraction faite des bois qui sont réservés, des dîmes et des droits seigneuriaux, qui sont anéantis, vaillent deux milliards trois cents millions. M. de Uontesquiou vous a dit, d’après un aperçu dont il n’a point détaillé les bases, qu’ils vaudraient trois milliards, quatre milliards, et peut-être jusqu’à sept milliards; mais votre comité ecclésiastique, le seul qui puisse avoir, à cet égard, de véritables lumières, n’a cessé de vous dire que vous deviez porter, dans la dotation du clergé la plus stricte économie et résister aux mouvements de votre humanité généreuse, attendu que les biens du clergé, malgré l’extrême diminution du sort des bénéficiers riches, ne rendrait pas de quoi suffire à l’augmentation de celui que vous devez aux curés et à la dotation des religieux et religieuses. Au reste, Messieurs, il n’est pas nécessaire que vos domaines nationaux vaillent tant de milliards, pour que vous ayez un bon crédit et de grands moyens de puissance. La véritable hypothèque de tout le passif de la nation est sur la totalité de son actif , dont les biens-fonds disponibles ne forment qu’une partie, mais dont le surplus est composé de revenus publics, très solides, puisqu’ils portent sur tous les revenus particuliers. La véritable hypothèque est dans la résolution que vous-avez prise, que vous avez annoncée au nom de l'honneur et de la loyauté nationale , de payer, d’une manière quelconque, avec vos domaines, jusqu’à due concurrence, avec vos contributions pour le surplus. Ce qui vous importe aujourd’hui, afin d’acquitter plus de dettes et de diminuer davantage vos contributions, est que vos domaines aient une grande valeur. Or, cetie valeur ne sera nullement accrue, elle sera loin même* de s’élever à son véritable niveau si vous ne permettez qu’à une partie de vos créanciers de se présenter pour acquérir. Le projet des assignats ne donne donc aucun nouveau moyen d’acheter les domaines à vendre; il diminue une partie de ceux que les circonstances, IVtat de vos finances, et la justice offraient naturellement et sans effort. C’est donc par un paralogisme, par un sophisme que les auteurs de ce projet vous l’ont présenté comme la meilleure manière de donner de la valeur à vos biens fonds; qu'ils se persuadent à eux-mêmes, et qu’ils veulent vous persuader que ce sont eux qui désirent que tes domaines nationaux soient promptement et bien vendus, et que ce sont les autres citoyens qui, en vous demandant d’admettre le double de fonds en payement, de ne repousser aucun acquéreur, de multiplier, au contraire, la concurrence des acquéreurs, ayant intérêt et moyen d’acheter, que ce sont ceux-là qui voudraient que les biens ne fussent pas vendus, ou le fussent len'ement et mal. Messieurs, c’est une habitude lâcheuse à laquelle on est trop conduit par l’aigreur des discussions, que de supposer des intentions perverses. 11 faut faire grâce aux intentions; on doit les croire bonnes et, vraisemblablement, elles le sont, mais il ne faut faire aucune grâce à la logique inconséquente, ni aux raisonnements absurdes. Les mauvais logiciens ont commis plus de crimes involontaires que les mauvais hommes n’en ont fait à dessein. TROISIÈME PARALOGISME de ceux qui proposent les assignats-monnaie , qui résulte de leur troisième fausse supposition. On vous dit, Messieurs, que vous opérez une grande diminution de l’impôt en échangeant les titres de créance, auxquels un intérêt est attaché, contre des assignats, ou nouveaux titres de créance qui ne porteront aucun intérêt. Messieurs, c’est encore une fausseté. L’impôt sera parfaitement égal dans les deux cas; l’impôt sera, dans les deux cas, de toute la valeur de l’intérêt qui pourra courir jusqu’au remboursement. La seule différence est que cet impôt ne portera pas sur les mêmes personnes et qu’il sera plus inégalement réparti; qu’il sera réparti avec une extrême injustice dans le système des assi-gnats-monnaie , sans intérêt. Si vous ne frustrez pas vos créanciers de l’intérêt qui leur est légitimement dû, cet intérêt sera payé, en partie, par le revenu ues domaines nationaux, jusqu’à leur vente qui en éteindra un plus considérable encore. Le surplus sera payé par le produit d’une imposition également assise sur tous les citoyens et qui ne coûtera qu’une portion du revenu de chacun d’eux, à chacun d’eux en proportion de sa fortune. Si, au contraire, vous donnez en payement de {Assemblée aationale.J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [25 septembre 1790. j ros dettes, dont les propriétaires avaient droit à un revenu sur lequel leur subsistance était fondée, de simples promesses de payer, des assignats sans intérêts , le retranchement de fortune qu’éprouveront ces propriétaires, sera précisément égala la valeur de ces intérêts supprimés; c’est-à-dire que vous les imposerez de toute la valeur de ces intérêts qui forment leur revenu; c’est-à-dire que vous les soumettrez à une imposition dé la totalité de leur revenu. On dit que ces intérêts se monteront à cent millions, dont les revenus des biens domaniaux pourront payer soixante. Pour éviter d’imposer quarante millions sur toute la nation, dans laquelle les créanciers sont compris, et doivent, à mon sens, être cotisés par leurs contributions, sur le même pied que les autres propriétaires, on vous propose d’imposer cent millions. Sur ces seuls créanciers, et de peur de prendre une portion du revenu de tous, on vous propose de prendre par forme, ou sans forme, d’imposition, aux créanciers de l’Etat, un impôt très réel de tout leur revenu . Erreur quant à l’existence et à la somme de l’imposition ; qui seront parfaitement semblables ; injustice dans la manière de la répartir. RÉSULTAT DES SOPHISMES des projeteurs d'assignats-monnaie sans intérêts. Vous voyez, Messieurs, que tout est illusion dans les motifs qui vous ont été présentés pour vous faire imaginer qu’il y aurait quelque avantage à répandre pour deux milliards d’assignats-monnaie sans intérêts. On vous a parlé de payer les dettes de l'Etat, et les assignats ne pourraient payer aucune de ces dettes; ils ne seraient qu’une manière entièrement inutile et singulièrement despotique de les attermoyer. On peut attermoyer avec plus de douceur, d’utilité, d’équité, de bonne foi ; c’est ce que j’aurai l’honneur de vous établir d’une manière incontestable avant de finir mon opinion; et je ne suis pas inquiet de la résolution que vous prendrez; je n’aurais pu l’être que si elle f ût été précipitée, car la précipitation peut conduire les premiers des hommes à l’erreur. 3e vous connais parfaitement, je sais parfaitement qu’après une discussion suffisante, il est impossible de vous empêcher de préférer un parti honnête, avantageux et sûr, à un parti déshonnête et dangereux. On vous a parlé de la nécessité de présenter de nouveaux capitaux à offrir en échange de vos domaines nationaux ; et les assignats ne donneraient pas la valeur d'un êcu de capital nouveau à offrir ou à recevoir en éckange de ces domaines. Ils feraient même une soustraction d’environ la moitié des capitaux, naturellement et justement applicables, sans aucun effort, à cette opération salutaire. On vous a parlé de diminuer les impôts qui pourraient prendre une partie du revenu de tous les contribuables, à raison de leur fortune; et C’est en mettant un impôt de la même somme qui ne porterait que sur une seule classe de contribuables, et qui absorberait la totalité de leur revenu,. Ainsi, il n’y a pas un seul des motifs qui vous ont été présentés, pas une seule des raisons qui vous ont été alléguées à leur appui, qui ne soient un paralogisme et une erreur. 227 Il y a peu à espérer d'un projet uniquement fondé sur des erreurs : je dois vous exposer, de plus, et encore une fois, tout ce qu’il y aurait à en craindre. Dangers inévitables de l’opération proposée. Vous connaissez, Messieurs, la plupart de ces dangers ; ils vous ont été exposés par les préopinants, avec beaucoup de clarté et beaucoup de force ; je ne ferai que les résumer, y appliquer le calcul, et ajouter quelques vues nouvelles. Je commencerai par une observation fort simple, c’estque les personnes qui vous ont proposé de créer pour dix-neuf cents millions de nouveaux assignats, en veulent pour une somme beaucoup plus considérable. Ils vous ont demandé pour les remboursements suspendus et dont les propriétaires se trouveront trop heureux de voir indiquer la fin de la sus pension sous une forme quelconque, aussi rapprochée que l’est celle de la vente des domaines nationaux. Ils vous en ont demandé pour la dette exigible et arriérée, qui n’en sera pas moins arriérée , et dont les parties prenantes seront aussi très satisfaites d’être admises, sous une forme quelconque, à l’acquisition de ces domaines. Ils vous en ont demandé pour les charges de judicature el autres offices supprimés, dont la finance n’est pas liquidée, et peut être rendue applicable de mille manières, sans assignats-monnaie, à l’achat des biens que vous avez à vendre-11s vous en ont demandé pour les fonds d’avances, prix d'offices et remboursements des compagnies de finance, dont les comptes ne sont pas rendus, et qui n’ont rien à prétendre que leur intérêt, jusqu’à l’apuremeut de ces comptes, qui constatera, seul, si l’Etat est leur débiteur, et de quelle somme. Ils vous en ont demandé pour tous les usages, par rapport auxquels on peut s’en passer. Ils ne vous en ont point demandé pour le seul usage qui puisse impérieusement les exiger, pour l’appoint des dépenses courantes, tant ordinaires qu’extraordinaires de l’Etat, jusqu’à ce que le complet rétablissement des perceptions ait remis la nation en jouissance de ses revenus. Il fallait vous exciter pour vous faire destiner des assignats-monnaie à des besoins imaginaires. On savait que la nécessité ne vous contraindrait que trop à user de cette forme d'anticipation pour les besoins réels de la chose publique. Il est vrai que M. de Montesquiou, qui veut deux milliards d’assignats pour tous les objets qui n’en exigent point, vous a proposé de pourvoir aux dépenses courantes par un emprunt. S’il avait été question d’un emprunt véritable, on aurait pu sourire à la proposition de faire emprunter une nation tellement dénuéede crédit au moment actuel, qu’elle ne peut payer qu'en papier ses dettes exigibles, et qu’elle se voit depuis six mois obligée de payer en papier forcé presque tous les frais de son gouvernement. M. de Montesquiou s’étant mieux expliqué, vous avez compris que ce qu’il appelait un emprunt ne serait que le rappel d’une partie de vos assignats pour lesquels vous donneriez des obligations nationales avec intérêt, et que vous répandriez ensuite comme monnaie forcée et sans intérêt sur vos fournisseurs qui, sans doute, s’occuperont du soin de s’indemniser d’avance dans leurs marchés. Il ne faut done pas s’arrêter plus longtemps à cette 228 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [25 septembre 1790.] idée, assignats pour assignats, intérêt pour intérêt sur l’anticipation nécessaire aux dépenses courantes de l’Etat, l’effet sera le même, et il suffit que M. de Montesquiou convienne du besoin journalier. Selon qu’on aura la paix ou la guerre, selon que l’ordre et la soumission aux lois seront plus ou moins promptement rétablis dans toutes les parties du royaume, ce besoin journalier sera plus ou moins durable, plus ou moins considérable. Il ne peut être au-dessous de cent millions , il peut s’élever à deux cents. Il peut monter plus haut suivant les circonstances. Les personnes qui sollicitent dix-neuf cents millions de nouveaux assignats, faciles à suppléer par des moyens plus sages et plus doux , savent parfaitement ou doivent parfaitement savoir qu’il en faudra pourdetMJOU trois centsmillions de plus qui seront commandés par des besoins urgents et indispensables. C’est donc réellement deux milliards ou deux milliards cent millions ou deux milliards deux cents millions de nouveaux assignats qu’ils demandent. Ce sont, avec ceux qui existent déjà, deux milliards cinq à six cents millions de cette monnaie qu’ils veulent voir en circulation. Je vous laisse à juger, Messieurs, de l’effet d’une telle masse de nouveau numéraire sur le prix des productions et des services publics et privés. Vous connaissez la théorie du prix des marchandises, vous savez qu’il est, pour chacune d’elles, formé de la quantité d’autres marchandises que l’on peut ou que l’on veut donner en échange ; que relativement à l’argent et à l'or, qui ont été pris pour échelle commune, tant à cause de leur propriété usuelle pour faire de la vaisselle, des bijoux et desustensiles, que de leur rareté et de la facilité d’en constater le titre, la valeur générale des marchandises est en raison de la quantité d’argent qui se présente pour les acheter. Uncitoyen affilié à cette Assemblée, W. Lavoisier, député suppléant du bailliage de Blois, appuyé sur l’autorité de Hume, sur celle de Smith, et encore plus sur celle de la raison, a parfaitement démontré que « si tout à coup la quantité de « numéraire se trouvait réduite à moitié, les prix « des marchandises, relativement à l’argent, bais-« seraient de moitié, et que les autres nations « viendraient se pourvoir chez nous des mar-« chandises dont elles auraient besoin, jusqu’à ce « que nous eussions acquis une quantité de nu-« méraire qui remît nos prix à peu près au ni-« veau de ceux qui ont cours dans les autres « pays; que si, au contraire, la quantité de « numéraire se trouvait doublée tout à coup les « prix de nos marchandises doubleraient jusqu’à « ce que notre numéraire s’étant écoulé chez l'é-« tranger, l’équilibre qui doit nécessairement « régner avec de faibles différences locales entre « les nations, se fût rétabli. » Il a fait voir que la quantité de numéraire en circulation est naturellement bornée par les besoins de cette circulation, puisque l’argent étant un moyen d’échange qu’il faut acheter, personne ne veut employer ou conserver en monnaie, au delà de ce qui est nécessaire pour le service auquel la monnaie est destinée. Il a encore montré que le numéraire en argent étantle seulauquelon attache partout un prix égal, qui puisse en conséquence avoir cours chez tous les peuples, nous ne pourrions établir chez nous une surabondance de deux espèces de numéraires, l’un réel et l’autre fictif, sans que l’espèce la plus précieuse, l’argent monnayé, ne passât à l’étranger, jusqu’à ce que l’exagération de nos prix fût cessée. Le numéraire en papier nous restant, parce que les étrangers n’en voudraient pas, et le niveau ne pouvant se rétablir que par la sortie du numéraire métallique, nous risquerions de nous trouver à la fin presque totalement dénués d’argent monnayé. Il arriverait même que nos assignats devant être brûlés à mesure que les ventes s’effectueraient, le dernier résultat de l’opération, après nous avoir donné pendant quelque temps une surabondance de numéraire ruineuse pour le peuple dont la subsistance serait extrêmement renchérie, ruineuse pour nos manufactures qui ne pourraient plus rien vendre à l’étranger, le dernier résultat serait de nous priver presque entièrement de toute espèce de numéraire. L’argent chassé par le papier, et le papier brûlé après les ventes, vous seriez réduits aux échanges en nature, jusqu’à ce que le cours du commerce vous eût ramené d’autre argent. Ainsi la nation passerait assez promptement par les deux extrémités opposées, du plus grand renchérissement au plus grand avilissement des prix. On ne pourrait faire en France aucune spéculation, ni pour les salaires, ni pour aucun genre de travail ou de commerce. Les plus affreux périls pour une nation et surtout pour une nation qui vient de se donner une Constitution nouvelle, seraient dans ces crises alternatives, dont votre sagesse préservera la patrie. Ne croyez point, Messieurs, que je vous expose ici des systèmes purementphilosophiques, à cause que ce sont des philosophes que je vous ai cités, et la raison, la nature des choses que j’ai invoquées devant vous : les faits ont vérifié cette théorie. M. Arnoult vient de faire imprimer le tableau du prix du blé dans quatre marchés principaux, éloignés les uns des autres, en France, pendant les années 1718, 1719, 1720 et 1721. H vous l’a envoyé. Vous y avez vu combien la surabondance du numéraire fictif avait subitement haussé le prix des grains en 1720, au milieu d’une année abondante qui succédait à deux autres années abondantes. Vous avez vu comme le prix retomba, lorsque l’illusion cessée eut fait disparaître ce numéraire excessif. Et vous savez par l’histoire que le blé fut cependant la marchandise dont le prix changea le moins, parce qu’il était moins sous la main des agioteurs, et dans le courant de numéraire fictif dont les flots s’agitaient principalement à Paris. Ce n’est donc pas une hypothèse que le haussement rapide du prix des productions et des marchandises occasionné nécessairement par une grande émission de numéraire fictif. C’est un fait dont vos pères ont été témoins et victimes, dont la preuve authentique se trouve dans tous les for léaux des marchés du royaume. Hier, à cette même place, M. de Montesquiou s’adressant nommément à moi, et non sans quelque amertume, a nié le fait futur. Je désirerais savoir comment il niera le fait passé, et l’axiome de logique qui veut que du fait à sa possibilité, la conséquence soit valable (1). S’il prétendait, comme il l’a insinué, que ce qui est arrivé à cet égard en 1720 n’arrivera pas en 1790 et 1791 , parce que notre numéraire fictif (1) Ab actu ad posse valet consequentia. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [25 septembre 1790.] 229 vaudra beaucoup mieux que celui d’alors, je répondrai qu’il se trompe évidemment, non pas sur la valeur de notre numéraire, mais sur la conséquence qu’il en tire; car ce fut tant qu’on eut confiance dans le numéraire fictif de 1720, tant qu’il eut une grande valeur d’opinion, tant qu’on le crut préférable à l’argent, tant qu’il fut réellement numéraire , que le prix des grains haussa considérablement. Lorsqu’il fut décrié, il n’eut plus de valeur, il cessa d’être numéraire, et le prix des subsistances rentra dans son cours naturel. Ce que je viens de vous faire remarquer, Messieurs, d’après ce fait grave et avec les meilleurs observateurs politiques de l’Angleterre et de la France, suppose néanmoins que les assignats conserveraient exactement la même valeur que les écus; vous savez bien que la chose est impossible, mais il est bon que vous examiniez quelle en serait la différence. Vous venez de le voir, Messieurs, les écus eux-mêmes perdraient cinquante pour cent , vis-à-vis des subsistances et des marchandises par le doublement subit du numéraire, si ce doublement pouvait avoir lieu, et ne se rapprocheraient de leur valeur naturelle que par les opérations successives, mais nécessairement lentes de l’acquisition des biens-fonds, d’une part; de la transportation de la monnaie métallique chez l’étranger, de l’autre part. Jusqu’à ce que l’effet de ces deux opérations se fût fait sentir, il y aurait une époque plus ou moins longue, pendant laquelle l’avilissement inévitable d’un numéraire tellement surabondant obligerait de donner six francs en argent monnayé, pour la marchandise de quelque nature qu’elle soit, qui ne coûte aujourd’hui qu 'un écu. Mais il est au delà de votre pouvoir, il est au-dessus de tout pouvoir humain d’inspirer pour une monnaie de papier forcé, quelque excellente que soit son hypothèque, la même confiance, de lui donner la même valeur dont jouit la monnaie métallique; car la monnaie de papier sera toujours privée de deux avantages qu’a la monnaie métallique : l’un de pouvoir servir aux plus petits achats dans l’intérieur du royaume, l’autre de pouvoir être employée dans le commerce avec l’étranger. Or, le nombre des propriétés usuelles d’une marchandise ou d’une monnaie contribue toujours à en soutenir la valeur; et, à l’inverse, le défaut de ces propriétés amène inévitablement un décri qui augmente progressivement en raison de la surabondance de la marchandise ou de la monnaie décriée. Les assignats que vous avez aujourd’hui en émission ont précisément la même hypothèque et le même gage que ceux qu’on vous propose d’y mettre; et, de plus, ils portent un intérêt que l’on vous propose de refuser à ceux que vous mettriez en circulation à l’avenir. Je ne m’arrêterai point à l’absurdité de mettre en concurrence des assignats portant intérêt et des assignats sans intérêt , ayant tous les deux la même hypothèque, et de prétendre qu’ils auront tous les deux la même valeur. Je veux bien supposer un moment que cette valeur puisse être égale, quoique la supposition répugne à tout bon sens; je m’arrête seulement à ce que doit produire l 'octuplation des assignats. Vous avez sous les yeux l’expérience que lorsqu’il y a eu dans la circulation pour environ trois cents millions des assignats actuels, ils ont perdu contre l’argent six pour cent , y compris la valeur des intérêts dont il faut faire le sacrifice, outre celui de la prime que l’on donne pour avoir des écus. L’arithmétique la plus commune dit que lorsqu’il y aura huit ou neuf fois davantage, ils perdront contre l’argent au moins huit ou neuf fois six pour cent ou de quarante-huit à cinquante-quatre pour cent. * Ainsi l’argent perdant cinquante pour cent relativement aux salaires et aux marchandises, et les assignats perdant cinquante pour cent , relativement à l’argent, la perte totale de ceux-ci, par rapport au prix nominal auquel s’élèveront les marchandises et les productions, devra être d’environ soixante-quinze pour cent. Cet effet serait inévitable, si la totalité des assignats pouvait être mise en un jour en émis sion, et si d’autres causes ne balançaient pas leur influence. Il ne sera pas complet, si l’émission complète des assignats proposés n’a pas eu lieu; et il pourra recevoir plusieurs modifications selon la nature des circonstances atténuantes ou aggravantes. Il vous convient, Messieurs, de prévoir les circonstances afin de ne vous exagérer ni le bien, ni le mal. L’art de les discerner, et d’estimer d’avance quelle sera leur intensité, et quelle réaction elles pourront avoir les unes sur les autres, est indispensable chez les législateurs qui envisagent leur devoir avec le sentiment religieux qu’il exige. Dans l’auguste fonction que nous avons à remplir, Messieurs, il n’y a point de véritable probité sans lumière, et nous sommes obligés de mettre toute l’application de noire esprit à nous rendre habiles pour être honnêtes gens. S’il y avait autant d’argent enfoui que d’assignats mis en circulation, et peut-être est-ce aujourd’hui le cas, car l’enfouissement d’un cinquième ou d’un quart du numéraire suffit pour le faire paraître extrêmement rare, quoiqu’il y en ait encore une somme immense employée au service de l'agriculture, des manufactures et du commerce; si l’on pouvait, dis-je, relirer de la circulation précisément autant de monnaie me taliique que l’on y mettrait de monnaie ’de papier, l’ancien prix des productions et des marchandises subsisterait. Je vous laisse à penser seulement où serait l’avantage d’avoir troqué son argent contre du papier. Mais l’enfouissement a des bornes, et il est vraisemblable que ces bornes sont atteintes. IL n’y a que les riches qui puissent resserrer leur argent; car il n’y a que les riches qui puissent former des capitaux sur leurs économies. Les pauvres et les personnes d’une fortune médiocre sont obligés de dépenser journellement leur revenu, à mesure qu’ils reçoivent pour leur subsistance. Ils sont obligés de remettre en circulation les produits de leur commerce et de leur travail pour pouvoir continuer ce travail et ce commerce. Il y a même apparence que la plupart des riches, ayant été privés d’une portion de leurs revenus ou des rentrées habituelles de leurs entreprises, ne pouvant espérer de longtemps un revenu égal, ni le complet rétablissement des travaux que tant de circonstances majeures ont inlerrompus, seront obligés de remettre en circulation, pour vivre, une partie du capital qu’ils avaient accumulé, et ne pourront augmenter leurs accumulations, quelque désir qu’ils en eussent. Une nouvelle émission d’assignats aura donc des effets différents de la première, elle influera davantage sur les prix : car la surabondance du 230 [ Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. numéraire n’aura plus d’antre emploi que le passage à l’étranger et, jusqu’à son écoulement, le renchérissement des prix de toutes les pro luc-tions et de toutes les marchandises sera un effet mécanique de l’excès du numéraire, effet sur lequel la volonté des hommes ne pourra rien. Jusqu’où s’élèvera ce renchérissement? cela dé-end de la quantité de numéraire qui circulait en rance avant les assignats. Le plus grand nombre des écrivains politiques pensent qu’il y en avait pour environ deux milliards. Si cette supposition est fondée, le numéraire actuel en circulation doit être de seize cents millions d’écus ou de louis, et de quatre cents millions d’assignats; car il doit y avoir eu des louis et des écus resserrés pour une somme égale à celle des assignats, puisque les prix des productions et des marchandises ne sont pas sensiblement changés, et qu’il n’y a encore que les assignats qui éprouvent delà perte. Mais un plus grand enfouissement devant être possible, faute de riches qui aient le moyen d’enfouir, toute augmentation de numéraire réel ou fictif doit nécessairement augmenter le prix de tous les objets de consommation dans la proportion de chaque nouvelle émission, avec l’aucienne masse du numéraire. Et l’avilissement déjà commencé du papier contre l’argent, croîtra de même, en raison de ce que le papier devenu plus abondant, plus de gens éprouveront le besoin de le réaliser en argent et que la concurrence entre eux deviendra plus animée pour s’en procurer. Si l’imagination pouvait rester paisible, et ne rien ajouter à ce balancement, à cet équilibre naturel des prix, il n’y aurait rien de plus facile, Messieurs, que de vous présenter le tableau graduel de chaque renchérissement des productions et des marchandises tant par rapport à l’argent, que par rapport aux assignats, et celui de chaque avilissement graduel du papier, relativement à l’argent, tels qu'ils auraient nécessairement lieu à chaque création de papier-monnaie. On pourrait vous le dire mois par mois, à ne pas se tromper d’un sou, comme on calcule quand arrivera le trop plein d’un bassin d’après la hauteur du réservoir et le diamètre de l’ajutage. Mais si ces effets physiques peuvent être soumis à un calcul rigoureux, il faut une philosophie bien plus profonde et bien plus .salace, pour prévoir et pour évaluer l’influence, la réaction des causes morales sur la circulation et sur les valeurs respectives des productions, des marchandises, de l’argent et du papier. On ne peut pas empêcher, surtout à présent, chez les Français, que la liberté ne soit plus aimable et attrayante que la contrainte, ni par couséqu nique les écus qui circulent librement ne paraissent encore plus préférables qu’ils ne le sont rée lement au papier valable en soi, que l’on fera circuler par le poids de l’autorité. Vous avez formé des hommes libres, et vous croiriez pouvoir leur redonner des fers, dans les conventions sans cesse renaissantes, relatives à leurs travaux journaliers? La nature humaine y répugne. Il ne suffit pas que les assignats soient bous; ils le sont; mais pour qu’on les croie tels, autant qu’ils le sont, il est indispensable de ne le pas commander. C’est le plus noble sentiment de l’âme que celui qui fait haïr et repousser l’abus de la force. Examinez les actions les plus louables, les plus agréables, les plus respectables, les plus salutaires, et vous voyez comme elles se [25 septembre 1790.] changent en crimes odieux, lorsqu’on y veut employer la violence. Voyez combien l’intolérauce et la persécution déshonorent la religion elle-même, lorsqu’on ose les déployer pour elle. La contrainte et la perte ne peuvent qu’amener le dégoût. La force, luttant contre le dégoût, produit nécessairement l’indignation et la terreur, dont le terme n’a plus de bornes, et dont les suites échappent à toutes les combinaisons de l’arithmétique. Ainsi, d’après la gradation successive de l’émission des assignats-monnaie, leur fâcheuse influence peut être diminuée ou ralentie pendant un temps, leur perte pourra, dans les commencements, être moindre que ne l’indiquerait la sévérité du calcul appliqué aux conséquences d’une émission subite. Mais lorsque cette perte aura passé un certain terme; lorsqu’elle sera parvenue au point de déranger absolument les spéculations de l’agriculture, des manufactures et du commerce ; lorsque des capitalistes qui peuvent la supporter sans une ruine totale, elle se sera étendue jusqu’au peuple laborieux qui ne peut subsister que de ses gains habituels et qui n’a aucun moyen de perdre, alors il deviendra impossible d’éviter une secousse funeste, il deviendra impossible d’empêcher que la progression du discrédit des assignais ne soit pas aussi précipitée qu’effrayaute et incalculable. Vous avez sous les yeux une expérience récente de l’effet de la crainte et du décri sur un papier-monnaie, quia une fois commencé à perdre dans une forte proportion; et de l’impuissance de l’autorité publique, en ce cas, sur les meilleurs citoyens. Nous avons eu, il y a dix ans, dans les Etats-Unis de l’Amérique, l’exemple d 'assignats ou de •papier-monnaie hypothéqués, comme ceux que l’on vous propose, sur l'honneur et la loyauté de la République entière , hypothéqués comme ceux que l'on vous propose sur une masse énorme de biens-fonds sur des milliers de milliers de lieues carrées de territoire fertile et bien arrosé que l’on mettait en vente à très bon marché, soutenus comme ceux que l’on vous propose par des discours très éloquents, par des décrets très impérieux du Corps législatif, par l’importance du salut de l’Etat, par les fondateurs très zélés d’une République et d’une Constitution nouvelle; et vous avez assez vu, malgré tous les efforts du congrès, de Payne, d’Adams, de Washington, de Francklin, ce papier s’avilir au point qu’une paire de bottes se vendait en papier trente six mille francs , et que peu de temps après un souper donné à quatre amis qu’on aurait payé dix écus en espèces, a coûté cinquante mille écus en papier-monnaie. Vous ne pouvez pas douter qu’au bout de quelques mois, la journée ou la semaine de l’ouvrier monterait à la valeur du plus peut de vos assignats, qui ne procurerait cependant pas à l’ouvrier plus de pain, plus de vin, plus de viande qu’il n’en peut acheter aujourd’hui avec le prix de sa journée ou de sa semaine actuelle. Des législateurs comme vous, Messieurs, oseraieut-ils prendre sur eux le risque de porter uu tel dérangement dans toutes les combinaisons sociales? On vous a dit qu'il n'y aurait point de dérangement, parce que la valeur des biens nationaux en vente, balançant celle des assignats, le changement général des valeurs ne serait pas tel que je viens de le calculer. Mais, Messieurs, premièrement, personne ne peut vous assurer qu’il y ait pour deux milliards [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. trois cents millions , moins encore pour deux milliards six cents millions de biens nationaux à vendre. Je vous ai fait, remarquer la différence gui se trouve, à cet égard, entre l’opinion deU.de Montesquieu et les rapports qui vous ont été faits par le comité ecclésiastique. Mais quand on croirait qne les deux milliards trois cents millions ou enfin les deux milliards six cents millions, de domaines nationaux existassent, on sait très bien qu'ils ne peuvent être vendus dans le cours d’un mois, comme il faudrait qu’ils le fussent, pour que •l’influence des assignats sur le prix de toutes les marchandises fût peu sensible. On est très certain qu’au contraire, il faut un temps assez considérable aux acquéreurs, pour prendre connaissance des biens sur lesquels ils voudront enchérir, pour choisir ceux de ces biens qui leur conviendront le mieux, et pour se déterminer à des offres avantageuses. On est également certain que, d’auprès vos décrets, et à raison des facilités que vous avez voulu procurer aux acquéreurs peu riches, il suffira de donner la première année un huitième de la valeur des biens ruraux ordinaires, un tiers de la valeur de ceux qui sont le plus susceptibles de détérioration ; on est certain que vous avez accordé douze années pour acquitter le surplus. 0 ri a donc la certitude que, quand il y aurait des biens à vendre, pour la valeur totale des assignats, on ne pourrait pas retirer plus d’un sixième de ceux-ci dans la première année. La faculté de les réaliser, à l’instant, en achats de biens-fonds que l’on vous met sans cesse en avant, est donc une faculté interdite à une si forte somme d’assignats, par la nature des choses d’une part qui ne permet pas aux citoyens d’aller si vite sur l’emploi de leur fortune et par les décrets que vous avez prononcés dans d’excellentes vues d’humanité et de bonne économie publique pour rendre les acquisitions à la portée des cultivateurs, des propriétaires de campagnes et des autres citoyens u’une fortune médiocre. On a donc la certitude que d’après les mesures, même tressages, que vous avez prises , les cinq sixièmes des assignats qu’on vous propose circuleraient, c’est-à-dire dénatureraient tous les prix pendant un espace très long, et plus que suffisant pour opérer les plus grands désordres. La prédiction trop certaine de ces malheurs inséparables d’une trop grande émission d’assignats-monnaie a fait quelque impression sur l’avis de leurs partisans. L’un des plus éclairés d’entre eux, M. de Mirabeau, a déclaré qu’il ne se livrait point aux combinaisons absurdes et aux mauvais calculs de ceux qui veulent des assignats par milliards, et qu’il ne croit nécessaire d’en faire que pour un milliard ou douze cents millions. Sera-ce en y comprenant les quatre cents millions existants, et les deux ou trois cents millions de nouvelles anticipations auxquelles vous pouvez être contraints pour les besoins journaliers du service public? Alors il serait possible que sa demande n’excé-ât le besoin que de quatre ou cinq cents millions ; mais c’estencore un grand mal lorsque l’on peut être dans la triste nécessité d’avoir, malgré soi, pour six ou sept cents millions depapii f-monnaie, d’en créer, en outre, pour cinq cents millions de plus, dont on n’a que faire. M. Anson est revenu ainsi à peu près à la même mesure; il a demandé qu’il ne fût créé que pour six cents millions de nouveaux assignats-monnaie qui, avec ceux qui existent, ne feraientqu ’wn milliard, et il a paru reserver un grand avantage à la liberté des actions et des opinions, en ouvrant à ceux qui ne voudraient point d’assignats la ii-[25 septembre 1790.] 23 i berté de les échanger contre des quittances de finance ou obligations nationales. M. de Montesquiou, en paraissant regretter que l’on ne pût pas jeter sur la place deux milliards d’assignats à la fois, ce qui, dit-il, ferait un beaucoup meilleur effet, a pourtant annoncé, comme réponse aux objections, qu’il ne croyait pas qu’il pût y en avoir en réalité pour plus d’un milliard circulant. Il a d’ailleurs adopté l’idée de M. Anson sur la liberté réservée aux citoyens de préférer aux assignats les obligations nationales. C’est quelque chose que ce respect apparent pour la liberté; mais dans l'occasion présente, c’est quelque chose de bien illusoire ; car les assignats ne seront jamais embarrassants pour ceux qui pourront avec eux effectuer des payements ou acheter des domaines nationaux, lis* ne seront ruineux et funestes que pour les manufacturiers et les cultivateurs qui ne sont pas assez riches pour retirer leurs capitaux de leurs entreprises j ournalières,qui ne peuvent acheter de biens-fonds, et qui ne pourront faire des assignats qu’ils auront reçus au pair aucun autre usage que de les vendre *à perte contre des éeus, afin de pouvoir payer leurs ouvriers. Certainement ces cultivateurs et ces fabricants n’auraient ni motif ni intérêt pour user de la faculté de changer en quittances de finance ou obligations nationales ces assignats, à la place desquels il n’y aurait que les uns qui pussent satisfaire à leurs besoins et assurer la continuation de leurs travaux. Le projet de M. Anson ne diffère donc pas sensiblement des idées de M. de Mirabeau. S’ils n’en changent pas encore une fois l’un et l'autre, s’ils se bornent à la proposition d'un milliard d’assignats, et si vous adoptiez cette proposition, le numéraire du royaume ne serait augmenté que d’environ les deux cinquièmes; les mauvais effets de l’opération sur les productions, sur les marchandises et sur les salaires, seraient, en conséquence, plus modérés : le mal même pourrait ne se pas faire sentir tout à coup; il serait voilé en partie, tant que les troubles publics opéreraient le resserrement du numéraire métallique : en ce sens, les troubles publics seraient une opération de linance; opération excellente, pour les assignats, à la nécessité desquels ils feraient croire en rendant l’argent rare et difficile à se procurer; opération horrible et désastreuse pour le peuple, dont elle corrompt les mœurs, pour les finances elles-mêmes, dont elle arrête le rétablissement, et pour la vente des domaines nationaux qui ne saurait être avantageusement effectuée que lorsqu’on pourra compter, avec certitude, sur l’entière sûreté des propriétés et des personnes. Mais enfin le respect pour la loi deviendra la vertu caractéristique de tous les Français; les troubles cesseront, et à leurs ravages succéderait le désordre dans les prix, causé par la surabondance d’un numéraire fictif d’un milliard ou de douze cents millions, ajoutés au numéraire réel qui suffisait à nos travaux, avant que leur cours ordinaire eût été ralenti par les grands événements qu’a dû entraîner, même la plus heureuse des Révolutions. Ce désordre achèverait de ruiner l’Etat qui ne peut pas plus supporter, dans les combinaisons de son agriculture, de ses manufactures et de son commerce, une perte de trente pour cent sur l’argent, et de quarante-cinq pour cent sur les assignats, qu’une perte de cinquante ou soixante-quinze pour cent. Si M. de Mirabeau entend que l’émission nou- 232 {AssemLlée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. £25 septembre 1780.] velle sera d 'un milliard ou de dôme cents mil - lions, non compris les quatre cents déjà existants et ce que vous pourrez être obligés de décréter encore pour combler le déficit des recettes jusqu’à ce qu’elles soient rétablies, nous arriverons une seconde fois au résultat de dix-sept cents ou de dix neuf cents millions de papier-monnaie ; et j’avoue que s’il faut qu’il y en ait pour dix neuf cents millions ou pour deux milliards six cents millions ou pour six milliards en circulation, le renversement du royaume et de la Constitution me paraît tellement inévitable dans l’une et dans l’autre hypothèse, que le choix entre ces divers degrés de calamité publique, est, à mes yeux, presque indifférent. On a dit que les assignats étant forcés , ils n'opéreraient pas une grande perte à ceux qui les recevraient du gouvernement , parce qu’ils les donneraient comme ils les auraient reçus à leurs créanciers qui les rendraient enfin au gouvernement , soit pour les impositions, soit pour lesachats des biens nationaux ; de manière que les assignats, quoiqu’ils puissent être décriés relativement à l’argent et aux marchandises, passeraient néanmoins, de créancier en créancier, pour la valeur prescrite par la loi. Messieurs, ce raisonnement est encore un sophisme dont l’illusion est facile à dissiper. Si chacun des créanciers du gouvernement avait précisément autant de dettes envers d’autres citoyens que de créances à exercer sur l’Etat, il pourrait, en effet, n’éprouver aucune perte; et si chacun de ces créanciers était, lui-même, engagé pour des sommes égales à celles qu’il aurait à recevoir ; si enfin le dernier créancier devait au gouvernement une somme égale à celle qui lui parviendrait en assignats, ou se trouvait assez riche pour se permettre, sur son capital, des acquisitions équivalentes à ces assignats, la prétention des défenseurs des assignats-monnaie aurait quelque vraisemblance. Mais aucune de ces suppositions ne s’approche delà réalité. Il est rare "que les créanciers du gouvernement doivent précisément autant qu’il leur est dû par lui. Il est rare que les pères de famille à qui les créanciers du gouvernement doivent, et qui ont de l’ordre, n’aient pas un actif supérieur à leur passif. Chacun d’eux éprouverait donc, sur la portion d’assignats qu’il recevrait et qui excéderait ses dettes, la perte ou de quarante-cinq ou de soixante-quinze pour cent à laquelle seraient condamnés, par leur masse énorme, les assignats qu’on propose de créer. Quant à la portion de ces assignats qui pourrait passer effectivement de créancier en créancier, jusqu’aux premiers fournisseurs, qui puisent directement les richesses dans les sources de la nature et de l’industrie, qui sont créanciers de tout le monde, et qui n’ont de créanciers que les ouvriers et les journaliers, qu’ils emploient, et qu’ils sont obligés de payer en petites sommes, le malheur serait encore plus affligeant et plus injuste. Car ces premiers fournisseurs, les cultivateurs, les manufacturiers, qui seraient forcés de réaliser en argent leurs assignats pour les dépenses journalières ae leurs ateliers et de leurs entreprises rurales, ces honnêtes producteurs de toute richesse qui n’ont jamais eu aucune relation ni avec le gouvernement, ni avec les créanciers du gouvernement, supporteraient sans recours sur Ëersonne la perte qui pourra être, si vous écoutez .. Anson OU M. ae Mirabeau, de quarante-cinq pour cent , si vous écoutez M. de Montesquiou ou H>de Gouy-d'Arsy, de soixante-quinze pour cent , la perte énorme, enfin, dans un cas ou dans l’autre, qui serait inévitable sur la plus grande partie des assignats qui leur passeraient dans les mains; car, les frais de culture seront toujours plus considérables que le loyer des terres et que l’impôt; et même en supposant que l’on puisse payer exactement et sans appoint les impositions et le prix des baux en assignats, les frais de culture devront toujours l’être en argent. Quant aux fabriques, l’achat de celles de leurs matières premières qui viennent de l’étranger, ne peut être fait qu'en argent, et tous leurs frais de manutention journalière, qui souvent sont plus considérables encore que ceux de la matière, ne peuvent non plus être soldés qu’en argent. En supposant même que leur perte sur ces dépenses perpétuellement renouvelées fût beaucoup moindre que ne l’indique le calcul, il serait impossible que les entreprises rurales et des manufactures n’en fussent pas écrasées. Il serait impossible qu’une nation, qui ruinerait ainsi dans une année son agriculture et ses fabriques, ne fût pas réduite l’année suivante aux plus horribles calamités, à commencer par une irrémédiable famine. On prétendra que les cultivateurs elles manufacturiers auront la ressource d’acheter des domaines nationaux ou de vendre leurs assignats à ceux qui voudront acheter ces domaines. Acheter des domaines nationaux ? Cela serait impossible à la plupart d’entre eux. Personne ne peut acheter sur les rentrées habituelles destinées à ses consommations journalières, et à solder les coopérateurs de son travail; personne n’achète qu’avec les capitaux disponibles qu’il a pu se procurer par les accumulations d’une lente économie. Très peu de cultivateurs, très peu de manufacturiers sont actuellement dans le cas d’avoir ainsi des capitaux accumulés. Presque tous ont été obligés de consommer leurs petites économies pour faire face aux dépenses extraordinaires que les circonstances ont amenées, et au défaut de leurs rentrées habituelles. Vous comprenez qu’il serait encore plus diffi cile aux ouvriers et journaliers, pour lesquels on vous a proposé de faire d q petits assignats , d’acheter avec ces petits assignats des domaines nationaux ; onne peut pas en vendre pour six francs, pour douze francs, pour un louis ; et quant on le pourrait, l’ouvrier a besoin des six francs, des douze francs , du louis qu’il a gagnés dans sa semaine pour vivre la semaine suivante ou pour payer le fournisseur, pauvre lui-même, qui lui a fait l’avance de sa subsistance, et qui n’est guère plus que lui en état d’acheter de terres. Faire de petits assignats et les répandre dans le commerce journalier, ce serait, pour la commodité d’un moment, chasser du pays l’argent qui servait à cette circulation, et qui, devenant superflu, ne trouverait d’autre emploi que d’être vendu à l’étranger; ce serait retarder la vente des domaines nationaux, en retenant dans une circulation habituelle, qui ne peut laisser échapper ses moyens nécessaires de communication, le numéraire destiné à l’achat de ces biens ; ce serait centupler le danger de laconfeclion, en rendant impossible l’établissement des bureaux de vérification pour un si grand nombre d’assignats ; ce serait hâter le discrédit des assignats, en mettant une concurrence extrême entre la multitude des citoyens les plus assiégés par le besoin, et dont chacun d’eux sera obligé, lorsqu’il voudra échanger ses petits assignats en menue monnaie, [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [25 septembre 1790.] 233 de subir la loi qu’auront faite la pauvreté et l’empressement des plus misérables. En deux mots, on n’achète de capitaux aussi considérables que le sont vos domaines, qu’avec des capitaux. Les créanciers de l’Etat en ont d’applicables à cet usage, qui ne sera pour eux que la transmutation, le changement de nature de leur fortune qui leur paraît en danger de manquer de base, s’ila n’en faisaient pas cet utile emploi; parmi les autres citoyens, ceux qui sont riches, ne le sont que parce que leur fortune est déjà solidement assise dans les terres qu’ils possèdent ou dans leurs entreprises de culture, de fabriques ou de commerce ; de sorte que, loin de pouvoir, comme les créanciers de l’Etat, disposer, pour des acquisitions, de tous leurs capitaux, ils ne sauraient y consacrer qu’une petite partie du produit de leurs économies; car ils ne voudront pas changer leurs terres et leurs maisons contre d’autres maisons et d’autres terres. Ceux qui sont pauvres vivent à grand’peine au jour la journée et sont dans l’impuissance absolue de placer en terres aucun capital. Vendre leurs assignats contre des écus, c'est donc tout ce que pourront faire les cultivateurs, les manufacturiers, les commerçants, les artistes et les ouvriers hors de portée d’acheter les domaines nationaux ; et c’est là que les attendent les capitalistes spéculateurs. Cette vente, en effet, se ferait au cours de la place, c’est-à-dire avec une perte de vingt , de trente , de cinquante, peut-être de soixante-quinze pour cent, selon que l’opération aura été plus ou moins brusquée, plus ou moins exagérée, et qu’un effroi très légitime aura plus ou moins ajouté au mal réel. Les capitalistes, qui se seraient ainsi procuré des assignats pour un quart de leur valeur nominale, abuseraient ensuite de vos lois pour les faire accepter à leurs créanciers, sur le pied de cette valeur que les assignats n’auraient plus, ou les donneraient au Trésor public en échange des biens nationaux qu’ils acquerraient, par ce moyen, pour le quart de ce que ces biens valent réellement. Je ne vous dis pas assez, Messieurs ; il faut vous expliquer plus nettement, et plus complètement la chose. Le projet des assignats-monnaie, appliqué, comme on a voulu le faire, au payemeht de près de deux milliards de dettes dont il n’y en a pas une qui exigeât cette ressource, est une invention très ingénieuse, une invention vraiment admirable pour mettre quelques hommes intelligents en possession gratuite, en pleine propriété d’une grande partie de vos domaines nationaux, sans qu’ils soient obligés de fournir, à leurs dépens, aucun prix d’achat. Voici, Messieurs, la mécanique de l’opération : On achète à terme des effets suspendus ou d’anciennes actions des Indes, perdant vingt-cinq pour cent plus ou moins ; celles-ci perdent davantage. On en est payé en assignats, et l’on gagne provisoirement un quart du capital qu’on n’a point déboursé: il y a de ces marchés faits, il y en a beaucoup. Mais, je reviens. Les vendeurs d’actions, qui reçoivent les assignats de la seconde main, ont quelque regret, puis se consolent en passant les assignats à leurs créanciers, en les versant sur le commerce; au bout de quelques mois, ces assignats arrivent aux manufacturiers et aux cultivateurs, après avoir commencé, chemin faisant, à déranger le prix des marchandises et des productions. Iis sont ramenés ensuite sur la place, par le concours de ces premiers fabricants de productions et de marchandises, qui ne peuvent absolument se passer d’écus. Là, ils perdent, comme je vous l’ai démontré, selon ce que la raison peut prévoir de l’influence cumulée des causes physiques et morales, jusqu’à soixante-quinze pour cent : alors les moteurs de l’entreprise qui, dès le premier pas, ont sur un million de marchés à terme gagné deux cent cinquante mille livres, emploient ces deux cent cinquante mille livres à racheter pour mw million d’assignats, avec lesquels ils souscrivent et enchérissent généreusement pour un million de biens-fonds. On les leur adjuge. Et les voilà très bons citoyens qui se glorifieront d’avoir bien fait vendre à bon prix les domaines nationaux, et qui seront très régulièrement, très légalement propriétaires d’une terre d’un million, ([ ui ne leur aura pas coûté un écu. Il est vrai qu’il en aura coûté deux cent cinquante mille livres aux créanciers actuels de l’Etat, et sept cent cinquante mille livres aux pauvres agriculteurs, manufacturiers, ouvriers, parles mains desquels les assignats auront passé. Si l’on se borne au plan de M. Anson ou à celui auquel se réduit aujourd’hui M. de Mirabeau; si l’on ne crée que pour un milliard ou douze cents millions d’assignats, la spéculation sera moins brillante, la plupart des profits baisseront de moitié, on ne pourra se passer entièrement de capitaux, on ne fera peut-être que doubler ceux qu’on aura; et il pourra en coûter jusqu’à cinq cent mille francs, pour avoir une terre d’un million. Mais enfin, c’est un résultat qui mérite encore qu’on s’en occupe. Lorsque de telles spéculations sont à faire, Messieurs, ne soyez pas surpris que les opérations, qui peuvent y conduire, trouvent des partisans nombreux et pleins de chaleur. Vous savez que le plan n’est pas né dans cette Assemblée ; qu’il a été formé par des étrangers d’une grande capacité, accoutumés à jouer dans nos fonds publics, et qui n’ont aucune autre profession. Ne soyez pas surpris que ces hommes de génie ayant déployé toute leur habileté pour le revêtir de couleurs spécieuses qui pussent faire impression sur ceux de nos collègues qui, ayant la modestie de se défier de leurs propres lumières dans des questions si épineuses, croient, avec raison, devoir profiter de celles des hommes les plus exercés à combiner le commerce du papier, et à faire des plans de liquidation et de remboursement de la dette de l’Etat. Nos collègues sont irréprochables ; ils se sont crus guidés par l’opinion publique. En décorantdes idées qui ne venaient pas d’eux, mais qui se présentaient sous un aspect également imposant et séducteur, ils ont été entraînés eux-mêmes par l'ingéniosité de leur esprit, par le charme de leur propre éloquence, qui les enivre les premiers, avant d’éblouir leurs auditeurs. Nous devons respecter leurs vues, nous devons admirer leur talent, nous devons excuser la jeunesse de la plupart d’entre eux; mais nous leur devons encore plus d’éclairer leurs intentions et de dissiper leur erreur. C’est pour eux que les vieux citoyens qui ont blanchi dans le métier en étudian t avec zèle, avec une application soutenue, avec l’infatigable passion du bien public, ces matières importantes, redoublent ici leurs efforts. Vous venez de pénétrer, Messieurs, jusque dau3 les entrailles du système des assignats. M. de Montesquiou vous a parlé de l’agiotage ui a lieu sur les effets publics, et M. ['évêque 'Autun vous a fait voir qu’il continuerait, d’une 234 [Assemblée naiioaaie.j ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [25 septembre 1790.] façon ou de l’autre, suit que vous fassiez des assignats ou des obligations nationales. M. de Montes-qui otws.qui croit les assignats propres aies faire cesser, vous a dit néanmoins qu’ils n’auraient cette puissance qu’après que leur émission aurait passé deux milliards. Il demande du temps qui est, en effet, indispensable pour cette émission énorme ; c’est-à'dire qu’il demande, sans y penser, du temps pour la continuation de l’agiotage contre lequel il a déclamé. Et c’est en y pensant encore moins qu’il n’a pas vu l'inévitable abîme d’agiotage, bien plus redoutable encore, qu’ouvriraient les assignats, et dont je viens de vous montrer la profondeur. Je me hâte de linir. Je ne vous répéterai point ce que vous a si savamment et si clairement dit M.l 'évêque d'Autun, de l’effet desassignats sur les payements entre concitoyens; de leur effet plus redoutable encore sur le change et sur les payements à l’étranger, de l’impuissance où nous tomberions si on se livrait à ce système de soutenir notre commerce extérieur. Je pourrais vous mettre sous les yeux, à cet égard, des lettres d’undes banquiers les plus distingués d’Amsterdam, qui, né Français et voyant le péril où nous courons, croit devoir avertir sa patrie. Mais ce qui vous a été dit par M. Vévêque d'Autun, avec une si pressante logique et avec de si justes applaudissements de notre part, ne peut être sorti de votre mémoire. Je n’en conclurai cependant pas , comme je l’aurais fait il y a un an, comme je le faisais lorsque la possibilité des recettes de la présente année laissait encore quelque espérance au courage, au travail, au génie. Je n’en conclurai pas qu’il faut vous abstenir aujourd’hui de toute émission d’assignats-monnaie. Les temps sont changés, les moyens sont épuisés, les moments les plus précieux sont perdus, et tous vos efforts n’ont pu encore balancer entièrement ceux des amis du désordre et ramener partout la soumission aux lois. Je vois donc, ou du moins, je crois, avec douleur, que vous serez trop vraisemblablement dans la nécessité de créer encore quelques assignats de la nature de ceux qui existent déjà, et qui pourront être indispensables pour le seul besoin réel que vous puissiez avoir, pour le seul besoin dont les solliciteurs d’assignats ne vous ont point parlé; dont ils ont même repoussé l’idée lorsqu’elle a été présentée d’une manière vague dans cette Assemblée et que, pour unir toutes les singularités dans son éloquent discours, M. deMon-tesquiou a combattu hier. Je ne dis donc pas que vous puissiez éviter tout usage de cette forme d'anticipation, lorsque vos armements et les autres dépenses courantes, auxquelles les revenus retardés ne pourront subvenir, exigeront au moins une promesse de payer avec gage de payement. Je vous supplie seulement de D'appliquer cette ressource extrême qu’à ce besoin extrême et impérieux. Je vous supplie, si vous êtes con-traims d’y pourvoir par des assignats, de ne vous permettre d’en créer que dans une quantité modérée, que dans la plus faible quantité que vous pourrez, seulement dans celle que vous jugerez physiquement nécessaire pour empêcher la cessation du service public, jusqu’à l’établissement complet des impositions et des perceptions; nulle-autre cause ne peut exiger une émission d’assignats. Veuillez ne pas oublier que le système de cette énorme émission n’a pas été inventé par les étrangers agioteurs habitués de cette capitale, pour le besoin de payer la dette exigible dont oa décuplait l’estimation, et qui peut être aussi bien payée sans ces moyens insidieux; qu’il ne l’a pas été pour favoriser la vente des biens nationaux, qui se fera beaucoup mieux et beaucoup plus vite quand vous y aurez appliqué un capital double qui n'aura point d’autre usage et qui ne divaguera point sur votre agriculture, sur vos manufactures et votre commerce, pour détruire leurs travaux et les ruiner. Daignez voir, au contraire, un fait que tout démontre : c’est que l’opinion du besoin de payer à la fois la dette exigible, la dette arriérée, les remboursements suspendus, les charges de judicature, les fonds et cautionnements de finance qui ne seraient nullement payés par l’échange que l’on proposait d’un titre ancien contre un titre nouvel; que cette opinion mensongère est née, s’est accrue, a pris une grande consistance et que l’occasion et le prétexte de la vente des domaines nationaux ont été saisis, afin de donner lieu à l’opération des assignats et à la belle spéculation de quelques capitalistes, pour payer leurs dettes et acquérir lesbiens-fonds à peu de frais. Ce sont ces capitalistes, ce sont les plus savants et les plus intrépides agioteurs de l’Europe qui crient à l’ agiotage , si vous hésitez à ouvrir ce large champ à leurs talents et à leur fortune; ee sont eux qui, par ce mot effrayant pour le peuple, et propre à faire impression, même aux bons esprits, ont excité le zèle de plusieurs d’entre vous. Quelle est la chose à faire à la place de l'émission d' assignats-monnaie qui est proposée ? Un grand nombre de citoyens, Messieurs, ont été frappés comme moi, comme vous, des inconvénients majeurs attachés à l’émission d’une somme énorme d’ assignats-monnaie ; mais ils ont tant entendu dire et répéter qu’il n’y a point d’autre ressource, qu’ils sont inquiets et demandent comment sortir de la crise où nous sommes ? Et si l'on repousse les assignats, que veut-on mettre à la place ? Messieurs, il n’y faut rien mettre, ou presque rien que la simplicité et la bonne foi. En économie politique, comme en médecine, plus on peut s’aider des forces de la nature , sans troubler sa marche, et moins on cherche à faire par soi-même, mieux on fait. La seule maladie grave et urgente de nos finances est dans la suspension, dans le défaut actuel de rentrée de nos revenus. Ce mal cessera aussitôt que l’ordre public sera solidement assis et que les impositions seront en recouvrement régulier. Jusqu’alors, l’Assemblée nationale ne pourra éviter de continuer Y anticipation sur le produit des ventes de biens nationaux, et de créer, à mesure du besoin, les assignats dont on ne pourra se passer, pour face aux armements et aux dépenses publiques. Cette émission graduelle d’assignats , bornée à la quantité prescrite par le besoin, quoiqu’elle puisse augmenter leur perte, relativement à l’argent, n’aura pas une influence aussi sensible sur les valeurs, qu’elle l’aurait euedaDS un autre temps, parce que les causes mêmes qui la nécessiteront entretiendront l’inquiétude qui resserre aujourd’hui le numéraire métallique. Ainsi, comme il arrive encore en médecine, le mal même fournira au mal une sorte de remède et de contrepoids. Vous donnerez donc des assignats pour l’appoint des dépenses courantes qui ne peuvent être [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTA IRES. [25 septembre 1790. j retardées, pour lesquelles vous manqueriez cFasrgent effectif, et auxquelles, malgré les promesses de M. de Montesquiou, vous ne pourriez certainement pourvoir par aucun emprunt. Quant à la dette exigible et arriérée de l’Etat, vous donnerez d’autres promesses qui ne seront monétaires que pour votre caisse de l’extraordinaire, en échange de vos biens-fonds. Il n’y a rien de plus simple q.ue de délivrer aux porteurs des différents titres qui s’y trouvent compris, un nouveau titre uniforme, sous le nom d 'obligations nationales ; car j’adopte ce mot de M. Anson comme plus clair, plus noble, et plus intelligible que celui de quittances de finance dont on s’est servi jusqu’à ce jour. Ces obligations transmissibles de gré à gré, et divisibles à la volonté des propriétaires, mais non pas en plus petites portions que les assignats actuels, seraient admises en payement des domaines nationaux en concurrence avec les assignats et avec l’argent. Rien n’est plus simple et plus juste que d’attacher à ces obligations un intérêt pareil à celui que vous avez attribué aux assignats ; car puisqu’elles doivent concourir avec eux pour l’acquisition des domaines nationaux, il faut qu’elles y concourent avec une entière égalité, et qu’elles ne puissent donner lieu à aucun agiotage. Si l’on ne peut éviter quelque mouvement sur les effets publics actuels, jusqu’à la délivrance des obligations nationales ; du moins l’agiotage sera banni entre elles, et les assignats, s’ils sont égaux en revenus et pareillement reçus dans l’acquisition des biens nationaux, et si une trop grande surabondance de numéraire fictif ne nécessite pas ce surhaussement, du prix des denrées et l’avilissement de ce numéraire. L'intérêt modéré sur le même pied que celui des assignats attribué aux obligations nationales, se trouverait avoir embrassé d’avance l’imposition que les capitalistes, porteurs de ces divers titres de créance, devraient à l’Etat, en proportion de cette partie de leur richesse, comme les autres citoyens dont l’Etat garantit la propriété. Il serait réglé comme celui que vous avez donné aux assignats d’après le revenu des biens-fonds que vous avez à vendre, et dont les obligations et les assignats représentent une partie, de sorte que la délégation soit véritablement l’image de la chose, et qu’elle donne le revenu qu’on en espère, sans diminuer cependantl’attrait qui porte à se mettre en possession du gage réel. A mesure que la finance des charges et oflices sera liquidée et que les comptes de finance seront rendus et apurés, il sera simple et juste encore de donner aux titulaires, aux financiers, aux employés, des obligations nationales pareilles; il sera simple et juste de conserver le privilège de leurs bailleurs de fonds, même de ceux qui, ayant négligé les formalités des obligations notariées, se sont contentés d’obligations, de promesses, ou de billets sous-seing privé, mais dont il est reconnu et convenu de bonne foi que la fourniture des fonds d’avance ou cautionnement, est l’objet. Il sera simple et juste de conserver à ces créanciers légitimes le droit de main-mise sur les obligations nationales qui succéderont au fonds qui leur était engagé ou hypothéqué, le droit d’opposition à la délivrance de ces obligations à leurs debiteurs, comme ils auraient celui d’opposition au sceau, si les oflices, conservant leur nature, eussent été aliénés par les titulaires. 11 sera simple et juste de réserver en même temps à ces titulaires le droit corrélatif et réciproque qui leur est dorme parla nature de la chose, vis-235 à-vis de leurs bailleurs de fonds; de les faire jouir de la justice que vous devez à des créanciers publics, et que vous ne pouvez payer qu’en promesse s, en autorisant et même en ordonnant la remise de ces obligations nationales à tous les bailleurs de fond-*; jusqu’à due concurrence des fonds par eux fournis. M. Démeuniers vous a démontré que les bailleurs de fonds n’avaieut réellement aucun autre droit, et qu’ils étaient loin de s’être attendus à un sort aussi avantageux que celui que vous leur procurez eu transportant sur les domaines nationaux, qui seront incessamment vendus, leur hypothèque qui n’était pas, à beaucoup près, si solidement assise, ni si propre à leur procurer une rentrée aussi avantageuse et aussi prochaine. Quant à tous les autres propriétaires de créances, sur l’Etat, qui ne sont point exigibles, lorsqu’ils voudront participer à cet achat, chose à laquelle il faut les autoriser spécialement, s’ils préfèrent cette manière d’être remboursés, et ils la préféreront à l’hypothèque générale, sur le3 revenus publics et aux remboursements progressifs, qu’opéreront, dans la suite, la caisse de l’extraordinaire et le fonds d’amortissement, il sera simple et juste de leur laisser la liberté d’échanger, à cet effet, leurs titres de créance, quels qu’ils soient, contre des obligations semblables. Pour leur en inspirer le désir, il sera simple et juste de n’admettre à l’acquisition des domaines nationaux, que les obligations nationales , les assignats et l’argent: à la charge, pour ce dernier, d’être employé� sur-le-champ, en remboursement d'assignats , et lorsque tous les assignats seront retirés, en remboursement d'obligations nationales. De cette manière, la totalité des dettes publiques peut entrer en concours pour l’acquisition des domaines nationaux, en passant par l’état d’obligations nationales. La valeur des biens-fonds à vendre pourra, en conséquence, s’élever à une somme beaucoup plus hante qu’elle ne le serait, si l’on n’admettait à ce concours si nécessaire que la portion de dette pour laquelle on veut aujourd’hui donner des assignats. Les porteurs d’obligations nationales qui n’auraient pas voulu enchérir pour des domaines nationaux, seraient remboursés, tant par le produit des ventes en argent, comme il vient d’être dit, que par le fonds d’amortissement, dont notre sagesse ordonnera la création, et qui peut être combiné de manière qu’avec la cumulation des intérêts cessés et nos rentes viagères éteintes, il rembourse, en dix ans, ou plus, ou moins, selon que vous le jugerez convenable, tout ce qui pourrait rester d’obligations nationales, après la vente des biens-fonds. Les propriétaires de celles-ci n’auraieni point à se plaindre, car ce serait à leur volonté et sur leurs sollicitations, qu’on aurait échangé leurs titres actuels contre des obligations nationales ; et puisque ce serait encore par leur volonté qu’ils n’auraient pas assez poussé les enchères, pour s’assurer la préférence dans la vente des domaines nationaux. L'Etat cependant se trouverait déchargé par une convention libre, et du consentement même de ses créanciers, d’une somme considérable d’intérêt. Il n’y aurait rien que de noble et d’équitable dans ces utiles conventions. On dit, Messieurs, que les obligations nationales perdront comme les assignats. Il est possible qu’elles perdent comme les autres effets publics qu’elles remplaceront. N’ayant qu’un intérêt plus faible, elles perdraient davantage si leur remboursement n’était pas plus prochain; 236 [Assemblée nationalo.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [25 septembre 1790. J mais l’expérience a prouvé que la certitude et la proximité des remboursements soutenaient encore plus le prix des. effets publics que le taux de l’intérêt. Il n’y a donc aucune apparence que les obligations nationales perdent plus que ne font aujourd’hui les autres titres de créance sur le gouvernement. Il y a certitude qu’elles perdront moins, lorsque les ventes de bi#ns commenceront à s’effectuer. Il est impossible que les obligations nationales perdent autant que les assignats, parce que ne circulant pas parmi les mêmes citoyens, n’étant pas monnaie, leur cours n’aura lieu qu’entre les gens riches qui ne sont pas pressés ni forcés de vendre leur papier, ni susceptibles de prendre des terreurs exagérées, et encore, parce que ne pouvant déranger les prix des productions et des marchandises, elles n’exciteront aucune fermentation publique. Au lieu que les assignats-monnaie, passant, par l'effet des salaires et des dettes commerciales, dans des mains pauvres, forcées de s’en défaire à l’instant, ils seront sans cesse décriés par le besoin perpétuel de leurs porteurs, et que, haussant le prix des denrées et de tous les autres objets de consommation, ils feront nécessairement, sur l’imagination des citoyens, une impression qui précipitera leur discrédit et la ruine de ceux qui les auront reçus en payement, et qui ne seront pas assez riches pour pouvoir les employer en achats de terres. On prétend, Messieurs, que les porteurs d’assignats seront plus affectionnés à la Constitution, et cette idée est faite pour vous toucher. Mais pourquoi les porteurs d’assignats seront-ils plus attachés à la Constitution que les porteurs d’obligations nationales ? N’est-ce pas le même capital dont il s’agit? N’est-ce pas pour le même objet que les deux promesses de payer seront créées ? N’est-ce pas dans le même but? Et les porteurs d’obligation s, qui n’auront d’autre usage à en faire que l’acquisition de vos domaines, ne s’y porteront-ils pas avec plus de zèle et d’activité que les porteurs d’assignats qui en auraient besoin pour vivre et qui, en raison de ce besoin, seraient contraints, en votre nom et par votre autorité, à des sacrifices très onéreux ? Les cultivateurs, les fabricants, les ouvriers, qui n’éprouveront aucune secousse par l’effet des obligations nationales, puisqu’elles ne circuleront qu’entre les créanciers de l’Etat et le Trésor public, et qui, par la vente successive des biens-fonds, verront chaquejourdiminuerles impôts, ne seraient-ils pas plus affectionnés à la Constitution que si, payés de leurs fournitures en assignats, et ne pouvant pourvoir à leurs besoins qu’en échangeant ces assignats à perte, ils éprouvent, sur leur dépense en assignats, l’effet d’un impôt aussi imprévu que terrible ? Les obligations nationales peuvent être en plus grosses sommes, étant moins nombreuses, n’étant pas monnaie , et ne devant passer que des mains connues en mains connues, pour revenir au Trésor national par les ventes ou le remboursement, il aura moins d’intérêt, plus de danger, plus de ifficultés à les contrefaire; elles seront comme les rescriptions ou les autres effets publics qui ont paru aux contrefacteurs un mauvais champ de spéculations. Il ne sera donc pas nécessaire d’accumuler autant de précautions pour prévenir la contrefaçon qui ne présentera pas le même attrait ; il en résultera que cette fabrication pourra être prompte et verser rapidement dans la société les moyens de payer les biens nationaux, moyens si nécessaires pour en hâter les ventes. Ce n’est pas, Messieurs, un petit avantage. Vous avez l’expérience des longueurs qu’exige la fabrication des assignats; si vous vous borniez à employer ceux-ci, le jour où vous en auriez décrété seulement pour un milliard , à quoi se montent les plus faibles propositions qui vous ont été faites, on croirait déjà les voir, et l’imagination frappée produirait, seule, la plupart de leurs inconvénients. Cependant leur émission réelle ne serait que lente et successive, et vous réuniriez les deux dangers, celui d’un numéraire fictif que l’on regarderait comme existant, et qui romprait l’équilibre de tous les prix et de toutes les spéculations commerciales, et celui néanmoins de la disette de capitaux dont vous avez besoin pour que la plus forte somme possible sur la valeur des domaines nationaux soit versée dès la présente année, et dans le commencement de l’autre, au Trésor public. Je vous demande donc, Messieurs, de ne vous permettre d’assignats que pour le service public le plus indispensable, et de donner les obligations nationales pour tous les autres usages auxquels elles pourront satisfaire et pour lesquels on avait, sans raison, sollicité les assignats. Telle est l’opération simple, utile, mesurée, douce et prudente que je crois qui doit être suppléée au système des assignats-monnaie. J’espère qu’elle aura votre suffrage. J’ai tâché d’en renfermer les dispositions dans le projet de décret que je soumets à vos lumières. PROJET DE DÉCRET. L’Assemblée nationale a décrété et décrète ce qui suit : Art. 1er. Il ne sera fait aucune émission d’assignats-monnaie que successivement , et seulement pour les sommes qui pourraient être reconnues indispensables par l’Assemblée nationale, afmdesubveniraux armements et autres dépenses publiques, jusqu’à ce que les impositions soient en plein et entier recouvrement. Art. 2. Il sera donné : 1° pour la dette exigible, à raison des fournitures faites aux départements; 2° pour la dette arriérée; 3° pour les remboursements suspendus, des obligations nationales portant 3 0/0 d’intérêt, dont les sommes pourront être au choix du porteur, mais non pas au-dessous de deux cents livres, lesquels seront admises concurremment avec les assignats et avec l’argent comptant daus les payements à faire pour l’acquisition des biens nationaux. Art. 3. A mesure que la finance des charges et offices de judicature ou autres non comptables supprimés par les décrets de l’Assemblée nationale sera liquidée, il sera donné aux propriétaires pour le montant de ladite finance des obligations semblables, et qui jouiront de tous les mêmes avantages. Art. 4. Il sera donné de pareilles obligations et jouissant aussi des mêmes avantages en remboursement des fonds d’avance des compagnies de finance et cautionnements de leurs employés, comme aussi en remboursement de la finance des charges et offices comptables, à mesure que les comptes desdites compagnies desdits employés et desdits comptables seront rendus et apurés. Art. 5. Tous les créanciers de l’Etat mentionnés aux deux articles pourront offrir lesdiies obligations nationales à tous leurs créanciers bailleurs de fonds pour l’acquisition des offices ou pour la formation des avances et cautionnements (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [25 septembre 1790.] 237 de (iuance, soit que lesdits fonds aient été fournis sur des obligations notariées ou sous-seing privé, ou par simples billets renouvelables, antérieurs au quinze août de la présente année. Pourront aussi lesdits bailleurs de fonds mettre opposition entre les mains du caissier de l’extraordinaire, à la délivrance desdites obligations nationales aux titulaires des offices, ou membres et employés des compagnies de finance, en requérir et en exiger le dépôt, soit dans ladite caisse de l’extraordinaire, soit dans celle du district de leur domicile : auquel cas lesdits créanciers et bailleurs de fonds jouiront de l’intérêt desdiles obligations et pourront, ou les retirer le jour qui leur conviendra , ou en attendre le remboursement qui sera effectué, ainsi qu’il sera dit ci-après. Art. 6. Tous les autres créanciers de l’Etat, même ceux des dettes non exigibles, pourront faire liquider leur finance à raison du revenu de leurs contrats, et en demander le remboursement en obligations nationales pareilles qui seront également admissibles dans l’achat des domaines nationaux. Art. 7 Tout l’argent monnayé qui, proviendra de la vente des domaines nationaux, sera employé à retirer et à éteindre des assignats, et lorsqu’il n’y aura plus d’assignats à retirer et éteindre des obligations nationales.. Art. 8. Dans le cas où la totalité des obligations nationales n’aurait pu être retirée par la vente complète des domaines nationaux, le surplus sera rembourséannuellement et progressivement, dans le terme qui sera fixé et selon les règles qui seront incessamment établies pour l’amortissement général des dettes nationales. A présent, Messieurs, que vous avez connaissance de mon plan et que vous voyez combien l’émission d’un milliard ou deux de nouveaux assignats-monnaie est inutile; combien elle serait onéreuse au peuple laborieux, c’est-à-dire au peuple qui vous fait vivre, vous et toute la société; combien elle dérangerait les prix des productions des marchandises et des salaires ; combien ce que l’on croit y trouver d’avantage serait concentré sur les grands capitalistes, sur les grands débiteurs, sur les grands agioteurs; combien il est facile de remplir mieux, plus efficacement, plus profitablement pour la vente des domaines nationaux, tous les objets d’utilité qu’on attribuait aux assignats-monnaie, sans s’exposer à tant de périls si redoutables : j’ose invoquer votre véracité et votre conscience, y a-t-il quelqu’un de vous qui soit bien certain que l’émission d’assignats qui vous a été proposée, ne renferme aucun danger? Y a-t-il quelqu'un de vous qui soit bien certain que l’opération des obligaiions nationales telles que je viens de la proposer, soit susceptible de quelque objection qui ne s’applique avec encore plus de force aux assignats-monnaie? Ne vous paraît-il pas que dans la position actuelle de cet Empire, c’est un grand point de faire en sorte que la cause de nos créanciers et de nos domaines qui doivent les payer, et toute cette circulation extraordinaire que nous avons à précipiter, soient séparées de la circulation habituelle de notre agriculture, de nos manufactures et de notre commerce, dont le travail et les combinaisons doivent être autant respectés qu’il soit possible, aussi peu écartées qu’il soit possible de leur marche naturelle? Y a-t-il quelqu’un d’entre vous qui ne sente pas que c’e.st l’arche du salut que les travaux champêtres et ceux des manfactures, et qu’il faut trembler lorsqu’on risque d’y porter une main téméraire? Y a-t-il quelqu’un de vous qui voulût avoir à répondre sur sa tête, et, ce qui est bien plus, sur son honneur, d’avoir fait passer de sa seule opinion, le décret de la création d’un ou de plusieurs milliards de nouveaux assignats, celle d’un seul assignat de plus que ce qui pourra être nécessaire pour attendre le rétablissement des perceptions ? Moi, je veux bien répondre sur ma tête et sur mon honneur de m’y être opposé de toute ma puissance, et j’en demande acte à la patrie, à l’Europe, à l’histoire. Quant à vous, Messieurs, si vous avez le moindre doute, la cause des assignats est perdue; car, dans le doute, il n’est pas permis de hasarder le sort de ses concitoyens, et les législateurs sont religieusement obligés de se tenir au parti le plus sûr. M. Prngnon. Il faut prendre un parti : on ne peut vivre sans argent et sans papier; il ne faut pas se borner à détruire, il faut édifier. La médecine expectante convient mal à un malade agonisant. En finance, l’économie du temps est la plus importante de toutes les économies publiques. Les domaines nationaux sont la dot de la Constitution. (On applaudit.) Le plan de M. Necker n’en est pas un ; il ne s’occupe que de l’instant qui passe; il abandonne l’avenir aux soins de l’avenir. Il s’agit de refaire la fortune publique; de petits moyens ne donnent que de petits résultats; et ce. n’est pas avec de l’hysope qu’on bâtit le temple de Salomon. (On applaudit .) J’ai été frappé, je l’avoue, d’un plan que j’ai combattu dans le comité de liquidation; c’est celui de M. l’évêque d’Autun. Je ne puis, autant que lui, étendre la dette exigible. Si nous appelons les rentes viagères, nous ne verrons arriver que les cacochymes, les mourants, et non les mortels. (On applaudit.) Ce serait une loterie où toutes les chances seraient contre nous, et l’état de nos finances ne nous permet pas de jouer à ce jeu-là. Nous ne devons pas rembourser les créanciers constitués. La justice ne va pas jusque-là; ils n’ont rien à demander, quand on servira exactement leurs intérêts; bientôt nous nous verrions obligés à constituer la dette exigible; ce serait un jour de fête pour la rue Yivienne, et un jour de deuil pour les peuples. (On applaudit.) Je calcule le besoin, le danger; le résultat le moins équivoque est le doute, et une discussion impartiale sur les assignats devrait avoir pour texte: non liquet. Il faut consulter et respecter l’opinion ; l’opinion exerce une véritable dictature, elle a le veto absolu, et si elle ne sanctionne pas votre décret, vous périrez. Les assignats sont l’optimisme du papier; sans doute, ils ont une hypothèque indestructible, une délégation certaine; mais ils sont toujours du papier; mais les hommes seront toujours menés par des mots. Il faut s’enfermer dans le temple de la bonne foi, et se dire : Ce papier ne sera pas admissible dans nos relations extérieures ; souvent il ne paraîtra dans nostransactionslibres que pour un peu s’y déshonorer. En effet, vous pouvez faire qu’un assignat de 1,000 livres trouve une quittance de 1,000 livres et non 1,000 livres en écus. Les assignats émis pour 400 millions étaient enfants de nos confiances; ceux-ci le sont de la détresse; les places de commerce les demandaient, et à présent il n’est pas certain que ce soit leur vœu. Enfin quatre grains d’émétique sauvent un homme, que vingt grains tuent.Un de nous,M. deMontes-quiou, vous a tracé la marche des assignats au moment où l’assignat partira de la manufacture, 238 [Assemblée nationale.] et ce sera bien la manufacture la plus active du royaume, pour se précipiter vers les domaines nationaux; il se chargera en route des dettes; il les payera; il arrivera au dernier créancier, en fera un propriétaire, et il reviendra, lui assignat, pour être brûlé après s’être chargé de toutes les iniquités; un autre voit le papier brûlé, les terres dégradées ; il voit qu’il en coûte 50,000 écus pour se divertir avec ses amis. Dans ce partage d’opinions, pressés entre des avis contraires, il faut décrire une diagonale et prendre une moyenne proportionnelle; il faut convenir que la conséquence de l’émission de deux milliards d’assignats est inaccessible à tous les calculs. On dit qu’elle sera graduée, on se rassure sur sa lenteur; mais le possesseur d’assignats sentira toujours derrière lui les deux milliards qui vont naître. Je crois que les adversaires de cette opération se trompent, en disant que le doublement du numéraire doublera le prix des denrées. Un écrivain anglais dit que, s’il n’y avait que 500 livres sterling dans les trois royaumes, -on.au-raitun bœuf pour un sou ; mais on raisonnaitdans l’hypothèse d’un numéraire inextinguible et celui-ci doit s’éteindre dans un temps donné; il faut même resserrer ce temps. Une seconde léflexion effraie les imaginations, c’est que les assignats ne seront jamais remboursés en écus: il faut donc chercher un calcul approximatif. J’approuve l’avis qui consiste à doser ce numéraire qui, comme commodité, sera toujours utile ; comme remède, il faut le donner avec une extrême prudence. Je pense donc que la mesure de M. Anson est bonne dans un sens, et mauvaise dans un autre; elle offre la liberté de choisir des obligations nationales ou des assignats ; mais tout le monde prendrait des assignats. Je crois qu’on ne doit pas adopter une prime décroissante, mais qu’on peut la réduire à deux ans. Vous devez payer les intérêts dans leur intégrité; une prime de cette nature ressemblerait aux ariêts du conseil où les fermiers généraux abusaient du droit du plus fort et de celui du plus fin. Je pense donc qu’il faut donner aux propriétaires des créances exigibles, moitié en assignats, et moitié en délégations nationales, portant intérêt à 5 0/0, et décider qu’après deux ans l'intérêt sera réduit à 4 0/0. ( On murmure.) Je ne pèse pas sur cette observation, puisqu’elle déplaît à l’Assemblée, je ferai seulement deux observations: la première que tout y mène; la seconde qu’on ne vendra bien qu’en faisant baisser l’intérêt. Mais il faut à présent donner 5 0/0, l’Assemblée le doit, rien ne peut, l’empêcher de remplir ce devoir. Un citoyen annonçait une ressource importante pour l’Etat : Aristide fut chargé de l’examiner; Aristide dit: La proposition de Thémistocle serait utile, mais elle n’est pas juste. L’Assemblée a répondu : Nous n’en voulons pas; telle sera votre réponse. L’assignat doit être forcé, celui qui n’est pas le maître de ne pas le recevoir doit être le maître de le transmettre: il ne doit porter nul intérêt, puisque vous vous libérez: vous les destinez à votre libération et à des acquisitions, donc, il n’est as nécessaire d’en faire moindres de 1,000 livres. es petits assignats affligeraient le peuple et rendraient la falsification plus facile. Je necrois pas pouvoirexclure,de la plusgrande transaction qui ait jamais eu lieu entre l’Etat et les peuples, le signe représentatif le plus connu, le plus accrédité. Je crois donc que l’argent doit être reçu en concurrence dans les ventes. Je crois qu’il faut donner aux porteurs d’assigDats une perspective qui assure une prochaine libération, dire que celui [2S septembre 1790.] qui achètera, moitié en obligations, moitié en espèces, payera en trois termes éloignés, chacun d’une année; que celui qui achètera, avec moitié d’assignats et moitié émargent, fournira en six ans six payements égaux. C’est avec les calculs tranquilles du bon sens, c’est avec ces mesures réunies, que vous répondrez aux principales objections. Lai une dernière proposition à vous faire pour hâter la consommation des assignats, c’est une loterie patriotique, expiatoire du mal qu’a fuit longtemps ce jeu immoral : elle consiste en une prime d’un demi pour cent sur les premiers 500 millions en assignats et en argent comptait, portés dans les acquisitions; je donne aussi lieu à une vente de 1,500 millions, puisqu’on peut ire payer qu’un tiers en acquérant. Ainsi donc il faudrait décréter que, dans six mois, les porteurs de titres de la dette exigible les .remettront-au comité de liquidation; qu’ils en recevront le montant, moitié en assignats forcés, moitié'en obligations nationales, portant intérêt à 5 0/0, pendant deux années feulement, et ensuite à 4, etc. M. le Président. L’Assemblée va se retirer dans ses bureaux pour procéder à la nomination : 1° de son président; 2° de trois secrétaires , en remplacement de MM. Anthoine, Gillet de La Jac-queminière et Daueby ; 3° de sept membres li adjoindre au comité de Constitution. (La séance est levée à trois heures et demie.) ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. BUREAUX DE PUSY. Séance du samedi 25 septembre 1790, au soir (1). La séance est ouverte à six heures et demie du soir. M. le Président annonce que le résultat du scrutin, pour la nomination du Président , a donné, sur 505 votants, 284 voix à M. Emmery, et 211 à M. Merlin. M. Emmery a, en conséquence, réuni la majorité absolue des suffrages. Les nouveaux secrétaires sont MM. Vernier, Bégouen et Bouche qui remplacent MM. Anthoine, Gillet de La Jacqueminière et Dauchy. Un de MM. les secrétaires annonce une lettre de M. Daiteg à M. le Président: elle contient l’hommage fait à l’Assemblée d’un dessin représentant l’autel de la patrie, aperçu sous tous les points de vue désirables. L’Assemblée ordonne que ce tableau sera déposé dans ses archives. Un autre de MM. les secrétaires fait lecture de plusieurs adresses dont la teneur suit : Adresse de félicitation, remerciement et adhésion du bourg d’Eyrieu, district de Vienne, département de l’Isère. Les habitants supplient l’Assemblée d’ordonner et fixer la division entre eux d’un communal d’environ 600 bicherées de terrain inculte; Des électeurs du district de Verdun, qui, des ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (1) Cette séance est incomplète au Moniteur,