404 [Assemblée nationale.] ARCHIVES P 1 remplacer par un aulre article, dont l’objet serait d’ordonner la vente en tout ou en partie des sels qui existent en approvisionnement, et le versement des fonds qui en proviendraient dans la < a;sse des receveursdes deniers publics. Cetappro-vi'ionnement est, dit-on, assez considérable pour deux années; le sel a été acheté 8 sous, il sera vendu 28 sous; il y aura donc 3 millions de bénéfice. ftl. de ISoisgelin, archevêque d' Aix (1). Vous aviez aboli le régime de la gabelle et 1’obligalion du sel forcé, et le prix excessif de la vente, et les inquisitions pour cause de fraude et de contrebande. Le privilège de la vente subsistait encore; le privilège ne pouvait passe soutenir sans prohibitions, ni les prohibitions sans recherches et saus punitions. Le privilège avait produit les vexations. Leur proscription devait être celle du privilège. Craignons de le rétablir quand nous voulons le détruire. La gabelle ne fut d’abord qu’un droit sur le sel; elle a commencé par UDe ferme, et non par un privilège. Les fermiers du droit firent l’entreprise d’acheter le sel des marchands, et de faire payer le droit sur la vente. Leur entreprise n’était point privilégiée. Elle le devint par les ordonnances quand elle l’était déjà par elie-méme. Les fermiers achetaient le sel des marchands. Il n’y eut plus de marchands, il n’y eut plus de commerce. On prononça le privilège quand personne ne pouvait plus soutenir la concurrence. C’est ce privilège de fait qu’on vous propose de substituer au privilège de droit. Qu’importe la loi, si l’effet est le même? C’est une entreprise de commerce faite par l’Assemblée nationale. Elle peut donner des lois au commerce, ou J >lu tôt elle doit l’affranchir des lois que la fisca-ité lui donne : elle ne doit pas faire des entreprises de commerce. On vous propose d’enjoindre aux fermiers généraux de continuer le débit du sel au prix qui sera réglé par la concurrence. Le prix du sel ne sera point réglé par une concurrence qui n’existera pas. Il n’y a point de concurrence lorsqu’un vendeur plus puissant que tous les autres doit régler le prix. Il n’y a point de commerce quand le gouvernement fait le commerce. La ferme aura toujours le pouvoir de distribuer le sel à plus bas prix, pendant un temps donné, pour écarter les commerçants. Les commerçants n’entreront jamais en concurrence avec la ferme, et la ferme elle-même ne pourra point deviner quel serait le prix du commerce. Vous réglerez le prix. Etes-vous commerçants ou législateurs? Par qui serez-vous instruits $ Par la ferme, et peut-être aussi par les besoins de l’Etat. On croira plus aisément que les demandes de la ferme sont justes, quand les besoins de l’Etat demanderont l’accroissement d’un produit qui ne semble pas un impôt. Laissons au commerce à régler le prix du com-(t) Le discours de M. de Boisgelin est incomplet au Moniteur. L.EMENTAIRES. ]14 mars 1790.] merce : il sera sans étude et sans effort, ce que ne peuvent pas faire nos plus laborieuses combinaisons. Nous jouirons, sans y penser, du cours libre de ses achats et de ses ventes, et nous n’aurons rien à craindre de nos erreurs. Je sais bien qu’avec le temps, des spéculations utiles, telles que celles qui soutenaient jusqu’ici la contrebande, pourraient réparer le tort d’une augmentation arbitraire du prix du sel; mais pourquoi faut-il attendre du temps ce que le commerce fait d’abord de lui-même sans avoir d’erreurs à craindre et de torts à réparer? On vous propose d’enjoindre à la ferme d’assurer l’approvisionnement des lieux que le commerce négligerait de fournir, Une injonction vague et sans objet ne peut pas être une loi. Le commerce ne négligera point la fourniture des lieux où il n’y aura point d’approvisionnements que le commerce ne fournira rien. Otez la ferme : croyez-vous qu’on manquera de sel, quand on pourra l’avoir au plus bas prix, quand on en aura besoin pour sa consommation, pour les salaisons de toute espèce, et pour la nourriture des bestiaux? On ne manquera pas de sel nulle part, si la ferme n’en fournit point. À quoi sert qu’elle soit condamnée à fournir ce qui ne peut pas manquer? Est-ce que l’on manque de sel en Bretagne et dans l’intérieur des provinces rédimées et dans tous les pays étrangers où il n’y a point de ferme ? On vous propose de prévenir les renchérissements considérables auxquels la variété des combinaisons du commerce pourrait donner lieu. il n’en est pas du sel comme de toutes les autres denrées. G’est sans travail, sans culture, et sans frais qu’on le voit se former sur les côtes ; c’est une denrée abondante et nécessaire ; le commerce en est facile, le prix modique et le débit immense. Voyez quelle est l’activité de la contrebande. Cette contrebande n’est que le commerce, le même commerce libre aujourd’hui par vos soins, et jusqu’ici repoussé par le privilège. Voyez comment le transport des sels s’est multiplié de toutes parts, aussitôt que les barrières ont été renversées et les droits suspendus. Craignez-vous que le commerce habituel et journalier ne puisse pas faire ce qu’a fait l’essor subit et momentané de la liberté d’un moment ? Comment pouvez-vous craindre les renchérissements d’une denrée abondante, qui ne dépend presque pas des variétés des saisons, et qui fait partie des premiers besoins? Vous n’avez point de ferme pour tout autre genre de commerce; et tout autre genre de commerce exige bien plus de travaux et de frais que celui du sel. Ou craint les inconvénients de la liberté. Le sel a besoin, dit-on, d’être conservé pendanttrois ans. Il a besoin de quelque préparation, pour qu’il ne soit pas nuisible à la santé. Combien de denrées ont besoin d’être préparées pour notre consommation 1 Combien il faut plus de soins et d’opérations pour convertir le blé en farine, et la farine en pain! Combien il est facile de corrompre les vins et les liqueurs, et quelle est la denrée propre à notre consommation qui ne soit pas plus susceptible d’altération, et qui n’ait pas besoin de plus d’apprêts que ie sel? Vous n’avez point de ferme, pour faire dans tout autre genre de commerce, des approvisionnements salutaires qui ne nuisent point à lasanié [14 mars 1790.] 163 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. des citoyens: le sel est libre partout où la gabelle n’existe pas. On ne s’en plaint pas en Bretagne, et dans les pays rédimés qui sont le tiers de la France, et dans le pays de quart-bouillon, où le sel a besoin de plus de préparation. On dit qu’en Bretagne, le sel est toujours sain, parce qu’il se forme dans les marais et qu’il est épuré par la manière même dont il se forme. C’est une réponse pour une province. Ce n’en est pas une pour toutes celles où la génération du sel n’est pas la suite de la même opération. Le sel est libre dans les pays étrangers, et la santé du peuple ne souffre pas de la liberté du commerce. Le sel était libre quand la gabelle n’existait pas. Elle n’existait pas du temps des Romains, et sous les empereurs. Le sel fut de temps en temps soumis à des droits. La vente n’en fut point réservée. Le sel était libre de tous droits en France, jusqu’à Philippe de Valois. Il est dit qu’il encourut la malgrâce des grands et des petits, pour avoir mis une exaction sur le sel. Il était libre de tous privilèges jusqu’à François Ier. On n’a point éprouvé que le commerce du sel fût nuisible à la santé des habitants. Je ferai une seule observation : 11 y a vingt ans que le gouvernement avait fait une entreprise pour l’approvisionnement des blés. Il n’y a eu des blés avariés dans le commerce, que ceux de ces mêmes approvisionnements. Il faut le dire : ces trois raisons qui consistent à veiller à la préparation des marchandises, à rendre les approvisionnements assurés, à prévenir les renchérissements, sont les mêmes raisons qui, dans tous les genres, ont introduit l’établissement des droits et le privilège des compagnies, et qui sont les vrais principes du régime de la fiscalité. Ce ne sont pas les principes de la fiscalité qui doivent être ceux de l’Assemblée nationale. Elle doit s’élever d’abord, et se soutenir sans efforts et sans variation à la hauteur des principes de l’administration. Ce ne sont pas des vues particulières, ce ne sont pas des intérêts d’un moment qui doivent dicter des lois générales et confiantes. Quel est le véritable motif d’un article de décret qui dément toutes les connaissances et contredit tous les sentiments du savant et vertueux citoyen qui i’a rédigé,. C’est l’intérêt de remplacer une perte de 10 millions. C’est l’intérêt d’épargner une imposition de plus à la nation. Il faut se méfier du bien particulier qu’on veut faire. Il faut craindre son propre zèle pour une opération utile dont on veut assurer le succès. Il n’est pas possible sans doute de tenter tous les changements conformes aux principes; mais il ne faut pas que les principes soient également démentis par ce qu’on fait et par ce qu’on ne fait pas. On pense que la partie du commerce dont la ferme sera chargée, peut produire un gain de 10 millions. La ferme générale a proposé de mettre un prix gradué de 1 à 5 sols. Je suppose un prix mitoyen : 10 millions équivalent à 667,000 minots. Les frais sont peu de chose. Ce droit serait une consommation totale d’environ 700,000 minots. C’est le tiers de laconsommation actuelle ; et la consommation actuelle doit s’accroître d’un tiers en sus par Je baissement du prix. Si la ferme écarte la concurrence, si la ferme absorbe le commerce, elle doit retirer 40 millions de ses profits. Pourquoi faut-il faire payer aux provinces ce que la ferme peut rendre à” l’Etat? H n’y a plus qu’un pas à faire pour rétablir le privilège. On vous dira: que craignez-vous? vous avez fixé le prix du sel selon les distances. Ne souffrez pas qu’il augmente; vous assurez le profit de l’Etat par le privilège, et vous ne nuirez pas à la consommation. Elle est la même, elle est au même prix. Le sel se vend au même prix sous l’empire du privilège, comme sous celui de la liberté. Les provinces sont affranchies d’un impôt : l’Etat ne perd pas un revenu. Voilà ce qu’avaient proposé les fermiers généraux. Ce sont ces raisonnements séducteurs qui, dans tous les temps, ont établi les privilèges. Ce sont les privilèges une fois établis qui, dans tou3 les temps, ont engendré les surcharges. Vous avez établi les mêmes prix que le commerce. Les prix ne peuvent pas rester les mêmes. Les espèces d’or et d’argent se multiplient : il faut que les prix augmentent comme les espèces d’or et d’argent. Il vient un moment où la ferme demande une nouvelle fixation. Quelle en sera la règle? 11 n’y a de commerce que le sien. Elle donne la règle quand elle la demande. Elle fait des établissements plus coûteux. Elle multiplie ses agents. Elle augmente l’opinion de ses dépenses. Elle obtient des fixations avantageuses. Elle soutient ses aventages par le même pouvoir qui les lui donne. Si vous devez rejeter le privilège, vous ne devez pas faire un établissement qui s’appuie sur les mêmes raisons, qui présente les mêmes appas, et qui doit sans doute avoir les mêmes effets. H n’y a pas de milieu. Il faut maintenir le privilège, ou laisser le commerce libre, sans entreprise autorisée, et sans établissement protégé. Ainsi, le commerce du sel doit être libre, entièrement libre, comme celui des vins et du blé. On a proposé de mettre des droits sur les marais salants, ou sur la vente du sel. Il y aurait plusieurs inconvénients. Le commerce diminuerait dans une proportion plus ou moins sensible. Les impositions seraient moindres quànd les droits seraient établis sur les marais salants. La vente du sel se déroberait aisément aux droits, quand il n’y aurait plus de gardes pour la contrebande. Il ne faut pas rétablir des barrières et des commis ; il ne faut pas employer, pour lever les droits, les mêmes moyens qu’on employait pour soutenir le privilège ; il faut supprimer les droits établis, au lieu d’établir des droits ; il faut affranchir de la traite les provinces franches et rédimées ; il faut se contenter des compensations que présente un commerce libre, et renoncer à celles qui demandent des lois et des peines, et qui semblent être un reste, et peut-être un commencement de gabelle. La liberté du commerce du sel fait disparaître une branche considérable des revenus de l’Etat ; l’Etat est surchargé de ses dettes, et ne peut pas perdre ses revenus. On ne peut pas faire la suppression de la gabelle sans en ordonner le remplacement. Il s’agit de savoir : 1° quels sont les contribuables au remplacement de la gabelle; 466 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 mars 1790.] 2° Quelle doit être la durée, et quel doit être le terme de la contribution ; 3° Quelle en doit être la mesure et la fixation ; 4° Quels doivent être les moyens de l'acquitter, Je ne discuterai point les droits des provinces franches et rédimées, et les effets des privilèges. Je regarde même les privilèges des provinces franches et rédimées, comme le simple exercice des droits naturels des citoyens. Il semble qu’il faut les rendre aux provinces qui les ont perdus ; il ne faut pas les faire perdre à celles qui les ont conservés ; il faut étendre les privilèges pour les détruire ; et c’est sous ce rapport qu’il se présente une question qui semblera peut-être extraordinaire et nouvelle, savoir s’il est plus utile à toutes les provinces de faire payer ou de ne pas faire payer la contribution pour le remplacement de la gabelle, aux seuls pays de gabelle. Il doit arriver un moment où vos connaissances et vos travaux auront fixé les rapports de proportion des facultés des différentes provinces. C’est là, ce doit être là le terme de vos opérations. Si les provinces de gabelle supportent seules le remplacement de la gabelle, cette charge sera comptée comme une partie de leur contribution ; elles seront moins imposées dans la proportion de leurs chargés particulières ; les autres provinces seront plus imposées dans la même proportion, et il faut même avouer qu’une charge considérable fera pencher la balance en faveur des provinces qui la supportent : une répartition générale d’imposition serait peut-être moins favorable pour elles, que l’exception d’une charge particulière. Si les provinces supportent toutes également le rachat de la gabelle, elles ne tiendront plus compte à quelques provinces d’une charge qui ne leur sera pas propre et particulière. Elles se retrouveront toutes dans cette même proportion d’égalité qui fait disparaître les privilèges et les surcharges, et qui semble la règle de la justice. Il n’y aura point ou presque point de différence dans le résultat des contributions respectives, soit que quelques provinces aient payé, soit qu’elles h’aient point payé le remplacement de la gabelle. L’Assemblée n’est pas en étal de fixer aujourd’hui cette proportion. On lui propose de faire rapporter sous ses yeux le tableau des impositions de chaque province ; il ne suffit pas* de connaître les impositions, il faut connaître les facultés. Les facultés ne résultent pas seulement de l’étendue du territoire et de la population. L’étendue du territoire n’en indique pas la valeur ; et quel que soit le rapport nécessaire et constant de la population avec les valeurs réelles de la culture et du commerce, il est vrai pourtant qu’il faut connaître ces valeurs par elles-mêmes pour évaluer avec confiance les facultés des provinces. Je suis même bien persuadé qu’il est impossible à l’Assemblée nationale, dans l’état actuel des choses, de faire des évaluations qui ne soient pas sujettes à des erreurs. Mais s’il est vrai qu’il ne manque à l’Assemblée que cette juste évaluation pour anéantir toutes ces distinctions de gabelle et de remplacements de la gabelle, il s’ensuit que le remplacement de la gabelle ne peut être mis à la charge de quelques provinces, que jusqu’au moment où la répartition de la charge publique doit se faire également sur toutes les provinces. Il faut l’avouer, elle est la loi de l’équité. Il faut bien supposer, en attendant, une raison de l’extrême inégalité qui se trouve entre les impositions des diverses provinces : il faut supposer qu’on a suivi, jusqu’à un certain point, la règle de compensation sans cesse rappelée par les réclamations des différentes provinces. On ne peut pas supposer que le gouvernement ait eu des raisons constantes pour bien traiter une partie des provinces, et pour maltraiter l’autre. Nous ne pouvons pas encore examiner et juger ; il faut, en attendant, que chaque province supporte ou remplace ses charges. On ne change rien à l’état actuel des provinces par rapport aux autres provinces. Il faut améliorer leur sort dans l’intérieur de leur administration ; c’est ce qu’on fait en substituant un impôt moins onéreux au plus intolérable de tous les impôts : il faut que chaque province se regarde comme isolée jusqu’au moment où la comparaison de toutes les provinces doit anéantir les charges locales, et rendre toutes les impositions communes. Si le remplacement de la gabelle devait être une charge perpétuelle, vous ne pourriez pas en estimer la proportion, vous ne pourriez pas supprimer la gabelle. Ou ne vous donne d’autre proportion du rachat que celle du produit de l’impôt sur la consommation actuelle de chaque province. Cette proportion n’aurait d’autre effet que celui de la plus injuste disproportion. Chaque province ne doit payer, pour le rachat de la gabelle* que ce qu’elle gagne par le rachat. Chaque province de gabelle gag:ne: 1° La différence du prix du sel actuel aü prix du sel à venir; 2° Les avantages qui doivent résulter d’une plus grande consommation. Chaque province gagne l’excédent du prix de la gabelle sur le prix du sel marchand. Ce serait payer deux fois que de payer d’abord tout ce que coûte aujourd’hui le sel ae la ferme, et de payer encore ce que coûte la consommation du sel. Une province qui n’achète le sel de la ferme qu’à 15 livres le minot, ne gagne rien par le rachat, et ne doit rien payer pour le rachat. Celle qui paye 30 livres le minot, ne doit racheter que la moitié de ce qu’elle paye; et celle qui supporte le prix de 60 livres les quatre cinquièmes du prix de la ferme. Vous sentez combien ces réflexions deviendraient plus importantes si Je remplacement de la gabelle devait former une charge perpétuelle. Il reste à savoir quels seraient les avantages qui résulteraient d’une plus grande consommation ; 1° J1 y aurait plus de salaisons dans l'intérieur du royaume, sur les vaisseaux et pour l’étranger ; 2° Il y aurait plus de bestiaux, et ils auraient plus de valeur par l’effet d’une meilleure nourriture ; 3° 11 en résulterait l’amélioration des terres et l’accroissement de la culture; 4e II y aurait plus de matière imposable dans les provinces des marais salants et des salines. Il ne faut donc pas regarder la proportion du rachat comme établie par la proportion même de [14 mars 1790.] [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. l’impôt. Ce n’est pas la consommation actuelle* c’est la consommation à venir qui peut seule former l’avantage de chaque province, et déterminer pour elle la proportion du rachat. Si l’on voulait présumer ou décider, dans une Assemblée nationale, ce qu’il serait difficile de connaître et de juger dans chaque province; si l’on voulait établir une règle uniforme pour des objets encore incertains et mal connus; si l’on voulait étouffer, par cette loi toujours commode d’une aveugle uniformité, les réclamations des villes et des provinces, toujours plus éclairées sur leurs intérêts, l'Assemblée nationale courrait le risque de tenter, sans le savoir, des entreprises injustes ou même impossibles, et deviendrait responsable du mal qui pourrait en résulter. L’Assemblée nationale peut faire avec moins d’embarras des opérations utiles et promptes. Elle peut, d’abord et sans délai, supprimer la gabelle. Elle peut exiger un remplacement passager jusqu’à ce qu’elle établisse une plus juste proportion entre les charges des provinces. Si le remplacement de la gabelle ne doit pas être une charge perpétuelle, il faut savoir quel en doit être le terme. Sans doute, l’Assemblée n'est point en état de juger à présent des forces respectives des provinces et des départements. La division même des départements doit en rendre la connaissance plus difficile. Chaque province avait une administration gé* nérale : cette administration est divisée en départements ; il s’élève une sorte de combat entre les parties séparées : ce combat doit se terminer par des vérifications plus justes ; et quand les départements auront vérifié leurs rapports entre eux, il sera pltis aisé de connaître ceux des provinces. U me semble qu’il y aura deux opérations qui doivent se succéder ; une première, encore incomplète , sera fondée sur des approximations ; une seconde, précédée par les travaux des départements, peut et doit donner Une juste évaluation qui réglera pour longtemps la proportion des charges publiques, et des facultés des provinces. Cette première opération encore incomplète doit suffire pour mettre un terme aux charges particulières des provinces, et par là même au remplacement de la gabelle. Cette première opération doit être le résultat du travail de votre comité des impositions, ou de votre comité des finances, et doit être déterminée pour la même époque où doit commencer la levée des nouvelles impositions. Cette époque est fixée au ier janvier 1791. Ce n’est donc que jusqu’au 1èr janvier prochain, que le remplacement de la gabelle doit être à la charge des pays de gabelle. On a fixé l’époque où le remplacement doit finir. Il faut fixer l’époque ou le remplacement doit commencer. Il faut distinguer les provinces paisibles, et celles dans lesquelles les droits ont été suspendus par la destruction des barrières et la dispersion des commis. Les mouvements du peuple sont-ils les torts des provinces? Elles en ont éprouvé Jesdommages, elles n’avaient pas de moyens pour lès prévenir. Ce sont des causes générales, dont ces mouvements ont été les effets. Peut-on punir les provinces de ce qu’elles ont souffert et de ce qu’elles ne pouvaient pas empêcher? Ce sont des causes générales; ce sont les maux de l’Etat. C’est par des considérations semblables que le ministre des finances vous a proposé de regarder les pertes des possessions ravagées non comme la charge d’une province, mais comme une partie de la dette générale de l’Etat. On peut dire que les provinces ont profité de la suspension des droits, parce quelles non t pas payé l’impôt; mais on sait bien que la double imposition serait à présent une charge plus pénible que l’aurait été le paiement de l’impôt. Observez que l’intérêt du remplacement est bien diminué pour toutes les provinces, quand il ne s’agit que des pertes de quelques mois. Ce serait une charge sensible pour une seule province : elle ne le serait pas pour toutes les provinces. Les impositions ont été levées sans trouble et sans interruption dans les provinces de petite gabelle, et de gabelle locale, et dans une partie des provinces de grande gabelle. On ne pourra fixer l’époqüe du remplacement pour ces provinces qu’au moment où la suppression doit être effectuée. Vous supprimez la gabelle à compter du 1er d’avril prochain ; ce serait un remplacement du revenu de huit mois, où du tiers du produit de la gabelle pendant l’année. Il s’agit de savoir à présent s’il faut remplacer en total ou en pariie le produit de la gabelle jusqu’au terme où finit le remplacement. Il faut toujours en revenir au principe et ne le pas perdre de vue. On ne demande aux pays de gabelle le remplacement de la gabelle que parce qu’oü suppose une compensation de leurs différentes charges� S’il était donc démontré qu’une partie de la gabelle est sans compensation, on ne devrait pas leur faire payer la partie non compensée. Cette imposition serait une grande injustice. L’Assemblée nationale doit proscrire les injustices des lois fiscales, et ne doit pas les renouveler. Les sols additionnels u’ont point été compensés. On laissait subsister toutes les charges des différentes provinces, on établissait des charges nouvelles et communes ; on établissait encore des charges particulières aux pays de gabelle ; c’étaient les sols additionnels sur l’impôt du sel. Il faut abolir et retrancher les sols additionnels. Cette surimposition s’élève à la moite du principal de l’impôt, et forme un tiers de l’imposition totale. C’est un tiers à déduire sur le remplacement ; il faut déduire encore le tiers du revenu de l’année pour les provinces où 'les droits n’ont point été suspendus ; il faut déduire enfin Je prix du sel marchand. C’est à vous à juger ce quêvôüspoüvez demander ou ce que vous voulez remettre aux provinces dans lesquelles les perceptions ont été suspendues. Il me semble qu’il suffirait de demander le remplacement de l’année entière à celles dont lès troubles sont antérieurs au 1er janvier dernier. Quels sont les moyens de faire le remplacement de la gabelle? C’est la dernière question à faire et la plus difficile comme la plus importante à décider. Quand la-charge semblait plus considérable, quand on pensait qu’elle devait être perpétuelle, il fallait avoir recours à toute sorte de ressources pour y satisfaire. On sentait bien qu’on ne pouvait pas surchar- 168 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 mars 1790.J ger une seule branche d’impositions déjà courbée sous le poids de ses tristes produits. On a souvent mal entendu le principe bien juste et bien sensible qui rapproche toutes les impositions, et qui fait sentir à quel point les droits sur les consommations retombent et pèsent sur les productions de la terre. C’est une observation toujours juste. Ce n’est pas toujours un principe d’administration. Tous les impôts retombent sur les terres. Ils retombent, par les rapports d’un commerce universel, sur les terres de toutes les provinces et de tous les pays. Les droits perçus à Marseille sont payés par les fabricants du Languedoc, par les propriétaires des terres du Roussillon, par ceux même de l’Espagne, de l’Italie et du Levant. Voulez-vous imposer sur le territoire de Marseille des droits payés sur les denrées qu’il ne produit pas, et sur lès étrangers ou nationaux qui n’cn sont pas les habitants et les possesseurs ? Les étrangers, les voyageurs, ceux qui faisaient quelque séjour dans les pays de gabelle, ceux qui n’y possédaient point de biens-fonds, payaient les droits du sel comme les possesseurs des terres et les citoyens domiciliés. Voulez-vous faire payer aux propriétaires des biens-fonds dans chaque province, des droits qu’ils n’ont pas payés, et qu’ils ne peuvent pas acquitter? On sent bien qu’il ne serait possible de rejeter toutes les impositions sur les terres, que dans un Etat dont les charges et les impositions seraient modiques, et dont le commerce ne s’étendrait pas au delà de son territoire. Un tel Etat ne peut pas exister dans l’Europe et dans le dix-huitième siècle. On a senti l’injustice et les difficultés d’une imposition purement territoriale. On vous pro-ppse de répartir la contribution par forme d’addition proportionnelle à toutes les impositions réelles ou personnelles, et aux droits d’entrée des villes, tant de ceux qui appartiennent à la nation, que ceux qui se lèvent au profit des villes elles-mêmes : ainsi, la contribution serait payée par toutes les classes des propriétaires et des capitalistes domiciliés ; et dans les villes où des octrois sont établis, elle serait payée par tous les consommateurs. Il n’v a pas partout des droits d'octrois. Il n’y en a point dans tes villages, dans les gros bourgs et dans la plupart des villes. Ainsi les consommations ne seraient imposées que dans un petit nombre de villes. Ainsi partout ailleurs les non domiciliés qui payaient les droitsdusel sur leur consommation, seraient affranchis de la contribution. Ainsi le soulagement qui devait résulter de la contribution des octrois, n’existerait pas pour lu plus grande partie des habitants. Il faudrait recourir aux impositions personnelles et réelles partout où il n’y a point d’octroi. Il est des pays de gabelle où les impositions générales ont été plus ménagées que la taille. Vous chargez la taille dans la même proportion qui suscitait les plaintes du peuple. Il est des provinces où les propriétés sont infiniment divisées, où chaque habitant, pour ainsi dire, a sa propriété. L'impôt sur les terres pèsera sur les petits propriétaires et sur les habitants des campagnes. C’est dans les mêmes provinces où la gabelle est établie que la taille est plus forte. Vous cumulez deux impôts, dont chacun était à son dernier terme. 11 est une proportion dans laquelle les propriétaires de biens-fonds payeraient plus pour le remplacement qu’ils ne payaient pour la gabelle : c’est pour éviter cette proportion qu’on propose de partager la contribution sur les impositions personnelles et réelles. Mais si la taille territoriale est excessive, comment pouvez-vous ajouter quelque chose à son excès ? Vous n’avez pas établi la disproportion ; vous la suivez, et vous la rendez plus dure, par un accroissement d’impôt que ceux qui l’ont établie. Il ne faut pas que la suppression de la gabelle soit odieuse comme la gabelle même. Il faut observer que les propriétaires des biens fonds payeront également toutes les contributions sur les terres, sur les facultés personnelles et sur les consommations : c’est une observation toujours la même pour tous les genres d’impositions. Les propriétaires de biens-fonds payent seuls les impositions territoriales, et partagent toutes les autres. Mais c’est aussi par cette raison qu’il faudrait connaître l’état des charges des propriétés foncières avant de les accroître. C’est par cette raison qu’une loi générale est fâcheuse dans l’ordre des impositions avant qu’on ait mieux connu les valeurs territoriales et les impositions réelles des différentes provinces. C’est par cette raison que j’ai toujours pensé qu’on ne pouvait rien faire de juste et d’utile avant de consulter les départements. La gabelle est abolie ; laissez aux départements l’obligation et le *oin de la remplacer. Les départements choisiront le genre d’imposition qui forme dans leur état actuel une charge moins onéreuse. Vous ne pouvez pas distinguer les provinces; et vous prononcez un décret absolu dont vous ignorez les effets! Laissez le choix des moyens aux administrations locales ; vous ne doutez pas qu’elles ne soulagent les classes souffrantes. Elles ne pourront pas les soulager, si vous prononcez un décret qui les impose. Vous ne leur donnez pas le droit de s’affranchir de la contribution, quand vous leur laissez le choix des moyens de contribuer; ce n’est pas la liberté de ne pas payer que vous leur donnez, c’est l’assurance du paiement que vous vous donnez à vous-mêmes. Vous n’avez pas à craindre les inconvénients d’une opération passagère, qui serait assortie à leur régime, et qu; cesserait avec lui. Ces inconvénients disparaissent quand il ne s’agit plus que d’une somme une fois payée, et du terme d’une seule année. Il serait même possible d’autoriser les départements à rendre la charge plus légère, par l’emprunt d’une partie de la somme, payable au Trésor public; le peuple sentirait, dans toute son étendue, le bienfait de la suppression de la gabelle, et ne sentirait pas la faible imposition qui la remplace. Je sais que les emprunts doivent être réservés pour les grandes entreprises d’utilité jmbiique. Un impôt, le remplacement d’un impôt, ne doit pas être un emprunt : c’est dans les provinces où les autres ressources seraient épuisées, qu’on aurait recours à celte dernière ressource: c’est l’Assemblée nationale qui jugerait elle-même de sa nécessité. 11 importe de laisser aux assemblées [Assemblée nationale.J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [15 mars 1720.] jgQ de département le pouvoir et l’obligation de choisir les moyens les moins onéreux au peuple, selon l’état actuel des impositions des départements, parce qu’il s’agit de prévenir, par une opé> ration passagère et momentanée, l’impossibilité de réparer les pertes de l’Etat, ou le danger non moins sensible d’épuiser, par un surcroît d’imposition, les facultés du peuple. Je propose le décret suivant: Art. 1er. La gabelle ou la vente exclusive du sel dans les départements des provinces de grande gabelle, petite gabelle, de gabelle locale, et le droit de quart-bouillon dans les départements de la Manche, de l’Orne et de l’Orne-Inférieure, et les droits de traite sur les sels destinés à la consommation des départements connus sous le nom de provinces franches et rédirnées seront supprimés à compter du premier janvier prochain. Art. 2. Une contribution égale au revenu que le trésor national devait retirer jusqu’au dernier janvier prochain, de la vente exclusive du sel ou du droit de quart-bouillon, déduction faite du prix du sel marchand, et des sols pour livre additionnels, sera répartie sur les départements des provinces du pays de grande gabelle, de petite gabelle, de gabelle locale et de quart-bouillon, en raison de la quotité du sel qui se consommait dans ces provinces. Art. 3. Une contribution égale au revenu que le trésor national devait retirer jusqu’au 1er janvier prochain, des droits de traite, de toute espèce, établis sur le transport du sel destiné à la consommation des départements des provinces franches et rédirnées, déduction faite des sols pour livre additionnels, sera répartie sur les départements, en raison de la quotité du sel qui se consommait dans ces départements. Art. 4. Se réserve l’Assemblée nationale de décréter la portion, payable par chaque département, de la contribution ordonnée par les deux articles précédents, d’après les états de consommation et de prix qui lui seront incessamment mis sous les yeux par le comité des finances. Art. 5. La contribution ordonnée par les articles 2 et 3, sera répartie sur les contribuables par les assemblées de département, dans la forme et la proportion qu’elles jugeront la moins onéreuse au peuple, selon l’état actuel des différentes impositions, à la charge d’obtenir la ratification de l’Assemblée nationale. Art. 6. La contribution établie par l’article 2, aura lieu dans les départements contribuables; savoir, dans ceux où les droits ont été suspendus dans le cours de l’année dernière, à compter du premier janvier dernier; dans ceux où les droits ont été suspendus depuis le premier janvier dernier, à compter de l’époque de la suspension ; et dans ceux où les droits ont été perçus sans interruption, à compter du premier avril prochain. Art. 7. 11 ne sera point fait d’entreprise et d’établissement avec le concours du gouvernement et en compte ouvert avec le trésor national pour vente et contribution du sel. Art. 8. Le sel sera marchand, la circulation en sera libre, et son prix sera le prix courant du commerce, sans qu’en aucun cas, et sous quelque prétexte que ce soit, on puisse apporter aucun trouble ni gêne au commerce libre du sel. (L’Assemblée ordonne l’impression du discours de M. de Boisgelin qui est vivement applaudi.) M. Dupont. Je demande qu’on aille aux voix sur le projet de décret, article par article. M. de Cazalès. Je demande une nouvelle lecture de toutes les propositions et la priorité pour la mienne. M. le Président consulte l’Assemblée qui accorde la priorité au projet de décret du comité des finances. M. le marquis de Foucault. Je propose de transposer le premier article, et de le conserver pour le dernier. M. Dufralsse-Duchey. Il est plus naturel de commencer par déterminer la quotité et le mode du remplacement de la gabelle: nous verrons ensuite si la gabelle doit être supprimée. M. Dupont. Nous devrions, plutôt que de proposer difficultés sur difficultés, décréter par acclamation une suppression que demande toute la France. L’Assemblée décide qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur la proposition de M. de Foucault. L’article 1er du projet de décret du comité des finances est presque unanimement adopté, ainsi qu’il suit : Art. 1er. « La gabelle ou la vente exclusive du sel, dans les départements qui formaient autrefois les provinces de grandes gabelles, de petites gabelles, et de gabelles locales; le droit de quart-bouillon dans les départements de la Manche, de l’Orne et de l’Orne-lnférieure; et les droits de traite sur les sels destinés à la consommation des départements anciennement connus sous le nom de provinces franches et de provinces rédirnées, seront supprimés à compter du premier avril prochain. » M. le Président. L’Assemblée va se retirer dans ses bureaux pour procéder à un second tour de scrutin pour l’élection de son président. (La séance est levée à deux heures et demie.) ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. RABAUD DE SAINT-ÉTIENNE. Séance du lundi 15 mars 1790 (1). M. l’abbé de Montesquiou, président, ouvre la séance à 9 heures et demie du matin. Un de MM. les secrétaires donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier. H ne s’élève aucune réclamation. M. le Président annonce que par le résultat du scrutin d’hier, M. Rabaud de Saint-Etienne a été élu président. M. l’abbé de Ml ontesquiou, avant de quitter le fauteuil, prononce un discours qu’il eût été à désirer de pouvoir insérer dans le procès-verbal, si, par un excès de modestie qui donne un nouveau lustre à ses lumières et à ses vertus, il ne se fût refusé d’en fournir la communication. M. Rabaud de Saint-Fticnne ayant pris le fauteuil dit : (1) Celte séanee est incomplète au Moniteur.