[Assemblée nationale J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19 avril 1790. J H5 devenus Convention nationale, pour renverser l’ordre de choses où la violence attaquait les droits de la nation. Je ne demande pas si les pouvoirs qui nous appelaient à régénérer la France n’étaient pas altérés, si le roi n’avait pas prononcé le mot régénération; si, dans des circonstances révolutionnaires, nous pouvions consulter nos commettants; je dis que, quels que fussent alors nos pouvoirs, ils ont été changés ce jour-là; que s’ils avaient besoin d’extension, ils en ont acquis ce jour-là; nos efforts, nos travaux, les ont assurés; nos succès les ont consacrés; les adhésions tant de fois répétées de la nation les ont sanctifiés. Pourquoi chercher la' généalogie de ce mot Convention? Quel étrange reproche! Pouvait-on ne pas se servir d’un mot nouveau pour exprimer des sentiments nouveaux, pour des opérations et des institutions nouvelles?.,. Vous vous rappelez le trait de ce grand homme qui, pour sauver sa patrie d’une conspiration, avait été obligé de se décider, contre les lois de son pays, avec cette rapidité que l’invincible tocsin de la nécessité justifie. On lui demandait s’il n’avait pas contrevenu à son serment, et le tribun captieux qui l’interrogeait croyait le mettre dans l’alternative dangereuse ou d’un parjure ou d’un aveu embarrassant. U répondit : « Je jure que j’ai sauvé la république. » Messieurs ! je jure que vous avez sauvé la chose publique! (Le geste de l’orateur est dirigé vers la partie gauche de l’Assemblée.) (On applaudit avec transport.) (On demande à aller aux voix.) M. le marquis de ILaqueuISle. Je prie l’Assemblée de m'entendre; je suis le premier inscrit dans l’ordre de la parole et je n’ai que quelques courtes observations à présenter. ("Voyez aux annexes de la séance, l’opinion de M. le marquis de Laqueuille.) Un grand nombre de membres : La clôture! aux voix, aux voix ! M. le Président consulte l’Assemblée qui ferme la discussion générale. M. le vicomte de Mirabeau. J’ai à présenter un amendement. Le projet de décret qui vous est soumis comprend deux parties : la première porte que les départements ne s’occuperont pas d’élections ; la seconde que le mandat de députés est prorogé pour un temps indéterminé. Je demande la division. Puisque le précédent orateur nous a vanté le trait de Cicéron répondant à un tribun factieux, vous n’applaudirez pas moins le trait du sénat romain, remerciant Varron, après sa défaite, de n’avoir pas désespéré du salut de la république. M. de Laclièze. L’Assemblée est incomplète et je propose de décider que les départements qui existent dans la même étendue que les anciens bailliages puissent nommer de nouveaux députés à la place de ceux qui ont donné leur démission. M. I�e Chapelier. Cet amendement est inadmissible parce qu’il y aurait dans l’Assemblée deux catégories de députés procédant de deux origines différentes. D’ailleurs, il n’existe pas un seul bailliage dont la composition soit identique à celle d’un département dans la nouvelle division du royaume. M. Garat l’aîné. Je demande la question préalable sur tous les amendements. (La question préalable est mise aux voix et adoptée.) M. Ce Chapelier fait quelques changements de mots dans la rédaction de son décret qui est adopté ainsi qu’il suit ; « L’Assemblée nationale déclare que les assemblées qui vont avoir lieu pour la formation des corps administratifs, dans les départements et dans les districts, ne doivent point, dans ce moment, s’occuper de l’élection de nouveaux députés à l’Assemblée nationale ; que celte élection ne peut avoir lieu qu’au moment où la constitution sera près d’être achevée, et qu’à cette époque qu’il est impossible de déterminer précisément, mais qui est très rapprochée, l’Assemblée nationale suppliera Sa Majesté de faire proclamer le jour où les assemblées électorales se formeront pour élire la première législature. « Déclare aussi, qu’attendu que les commettants de quelques députés n’ont pu leur donner ce pou-voirde ne travailler qu’à une partie de la constitution ;qu’attendu le serment fait le 20 juin parles représentants delanation, etapprouvé par elle,dene se séparer qu’au moment où la constitution serait achevée, elle regarde comme toujours subsistants, jusqu’à la fin de la constitution, les pouvoirs de ceux dont les mandats porteraient limitation quelconque, et considère la clause limitatrice, comme ne pouvant avoir aucun effet. « Ordonne que son président se retirera, dans le jour, pardevers le roi, pour porter le présentdécret à son acceptation, et pour supplier Sa Majesté de donner les ordres nécessaires pour qu’il soit, le plus promptemeot possible, envoyé aux commissaires qu’elle a nommes pour l’établissement des départements, afin qu’ils en donnent connaissance aux assemblées électorales. » M. Roussillon. Je demande que le rapport du comité de constitution soit imprimé et envoyé dans les provinces. (Cette motion est adoptée.) M. le Président fait donner lecture d’une note envoyée par M. le garde des sceaux, et qui porte que le roi a donné sa sanction : 1° Au décret de l’Assemblée nationale du 3 de ce mois, portant que le commerce de l’Iride, au delà du cap de Donne-Espérance, est libre pour tous les Français; 2° Au décret du 11, portant que dans toutes les églises paroissiales où il y a deux ou plusieurs titres de bénéfices-cures, il sera, par provision, en cas de vacance d’un des titres, sursis à toute nomination; 3° Au décret du 14, qui confie aux administrations de département et de district l’administration des biens déclarés à la disposition de la nation ; Porte qu’à compter du 1er janvier dernier, le traitement des ecclésiastiques sera payé en argent; Supprime, à compter du 1er janvier 1791, la perception des dîmes de toutes espèces; Et déclare que dans l’état des dépenses publiques de chaque année, il sera porté une somme suffisante pour fournir aux frais du culte de la religion catholique, apostolique et romaine, à l’entretien des ministres des autels, au soulagement des pauvres et aux pensions des ecclésiastiques; 4° Au décret du 15, qui excepte de celui du 6 mars, concernant les juridictions prévôtales, les prévôts de la marine; 5° Au décretdu même jour, portant que les électeurs du département de l’Aisne, qui s’assembleront àChauny, pourront procéder à l’élection des \{Q [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [19 avril 1790.] membres qui composeront le corps administratif du département; 6° Au décret du 16, qui met de nouveau sous la sauvegarde delà loi les juifs de l’Alsace et des autres provinces du royaume; 7° Au décret dudit jour, qui autorise les officiers municipaux de la ville de Verseil à faire un emprunt de 2,000 livres; 8° Au décret dudit jour, contenant la même autorisation en faveur de la municipalité de Pou-langy, pour une somme de 7,000 livres ; 9° Au décret dudit jour, qui autorise les officiers municipaux de la ville de Saint-Dié en Lorraine, à percevoir, par provision, 1 5,500 livres sur le prix de la vente de ses biens communaux ; 10° Aux décrets dudit jour et 1 /, concernant les dettes du clergé, les assignats, les revenus des domaines nationaux, en attendant que la vente de ces domaines soit effectuée; 11° Au décret du 17, relatif aux billets de la Caisse d’escompte; 12° Au décret dudit jour, portant que le Châtelet de Paris peut et doit continuer l’instruction, jusqu’à jugement définitif, des contestations et procédures criminelles, relatives à l’altération et fabrication des lettres de change, acceptées par les sieurs Tourton, Ravel et Gallet de Santerre, aux termes des lettres-patentes nu 2 décembre 1786 ; 15° Enfin Sa Majesté a donné des ordres pour qu’il soit sursis à toute instruction ultérieure et à toule exécution de sentence, s’il en a été rendu, dans la procédure commencée par les officiers municipaux de Schelestat, contre les sieurs Streicher, Ambruster, Fuchs et autres citoyens emprisonnés, et pour l’apport d’une expédition des pièces de cette procédure. Signé j l’archevêque de Bordeaux. Paris, ce 19 avril 1790. M. le Président annonce l’ordre du jour de demain. Il comprend la suite de la discussion du projet de décret pour le remplacement de la dîme; un rapport sur les postes et un rapport sur les chasses. lre ANNEXE à la séance de l'Assemblée nationale du 19 avril 1790. Opinion du marquis de Laqueniile sur le pro-. jet de décret du comité de constitution, concernant la prolongation des pouvoirs de MM. les députés (1 ). Messieurs, le projet de décret qui vient de vous être proposé, exige de ma part une discussion particulière. Je suis porteur d’un mandat qui m’enjoint de me retirer au bout d’un an de l’Assemblée des Etats généraux. Je suis loin de vouloir lutter contre les préopinants, j’admire leur éloquence et n'ai que le langage d’un soldat. J’ai entendu avec étonnement le projet de décret qui (1) La discussion a été fermée au moment où j’allais prendre la parole, quoique M. le Président ait bien voulu observer à l’Assemblée que j’avais à l’instruire de mon mandat. vous est soumis; j’y ai va, comme vous l’a fait entendre le premier opinant (1), l’oubli de nos devoirs et l’abus de l’autorité qui nous a été confiée. Je le répète, d’après lui et d’après toute la France, nous ne sommes que des députes de bailliages, nous avons été convoqués par le roi, nous sommes responsables à lui et à nos commettants de l’usage que nous avons fait de nos pouvoirs. Pourquoi avons-nous été appelés, et que nous a-t-on ordonné en nous constituant représentants de la nation? De réformer les abus, d’affermir l’autorité du roi, en écartant l’arbitraire des ministres, d’améliorer les finances, de soulager le fardeau de l’impôt qui pesait sur la classe indigente du peuple, d’assurer la dette de l’Etat, après en avoir écarté, les intérêts usuraires : voilà notre mission. Qu’avons-nous fait? Les députés des communes, assemblés illégalement au jeu de paume, se sont déclarés Assemblée nationale : qui leur avait permis de prendre ce titre? N’étaient-ils pas convoqués pour des Etats généraux? N’avaient-ils pas été envoyés pour former des Etals généraux ?Gomment pouvaient-ils se déclarer, au mépris de leurs serments, Assemblée constituante? tandis qu’ils savaient bien qu’ils n’étaient et ne sont encore qu’une assemblée constituée? mais non seulementils ont prévariqué en ce point essentiel, ils ont cru devoir se lier par un serment incroyable, aussi attentatoire à l’autorité de la nation qu’à celle du roi. Et l’on vient nous dire que nous sommes tous liés par ce serment; le comité a donc oublié qu’à cette époque, la moitié de ce qui compose aujourd’hui l’Assemblée nationale, n’était pas réunie à celle qui existait au jeu de paume, et je suis bien aise de déclarer à cette Assemblée, que je ne me serais jamais rendu coupable d’un pareil forfait, car c’en est un de manquer à la fois, au roi, à la loi et à la nation. Je viens d’entendre le préopinant (2) déclarer que l’Assemblée avait rendu à la France sa liberté, et lui avait recouvré tous ses droits ; cela n’est pas. G’est la nation elle-même qui les a réclamés dans nos cahiers, et le roi qui les lui a accordés dans sa déclaration du 23 juin. G’est le même préopinant quvpour couvrir l’oubli de toutes les lois et le mépris de toutes les autorités, a cité ce bon mot de l’antiquité, lorsque l’on demandait à Cicéron s’il n’avait pas enfreint les lois, il répondit : J’ai sauvé la république. Et moi, je lui dirai : Vous l’avez perdue. Vous avez effrayé les peuples par des terreurs imaginaires; vous avez employé tous les genres de séduction pour égarer vos concitoyens; vous avez trahi Ja cause commune. Quel bien avez-vous fait? Nous devions opérer le salut de l’Etat en faisant le bien du peuple. Croyez-vous l’avoir opéré, en brisant la chaîne qui unissait les citoyens Français, en armant un millions d’hommes dans le royaume; en excitant partout à la sédition et à la révolte contre l’autorité légitime ? Prétendez-vous faire le bien, en-refusant de déclarer que la religion catholique est la religion de i’Etat? Qu’est-ce que c’est que cedécret, où vous prétendez que le respect nous empêche de délibérer, que la religion de nos pères est et sera toujours la nôtre? Je suis attaché à cette religion par serment, par persuasion, par inclination, et elle fonde notre bonheur sur l’acquit de nos devoirs. Espérez-vous avoir fait le bien du peuple, en dépouillant les ministres de l’Eglise des biens qu’ils ne tenaient pas de la nation, mais (1) L’abbé Maury. (2) M. le comte de Mirabeau.