108 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [22 septembre 1789. Ici, Messieurs, je vous ferai encore remarquer la nécessité d’autoriser les assemblées provinciales à adopter le mode de répartition, recouvrement et versement que les localités exigeront. Elles trouveront un premier soulagement dans la diminution des frais du régime fiscal. Ainsi, par exemple, la réduction du nombre des collections, le bail à rabais de la collecte, avec les précautions nécessaires, la suppression des receveurs généraux et particuliers, remplacés par des commis à appointements fixes, avec caution, l’abolition des abonnements des villes, des privilèges des maîtres de poste, des cotes d’office, garde-étalon, etc., etc., produiront sans doute des bonifications. Il y en aurait une très-grande dans la répartition proportionnelle des vingtièmes actuels ainsi que vous l’a observé un honorable préopinant (1) ; mais il faudrait commencer par anéantir le régime despotique des directeurs et contrôleurs, si on conserve ce genre d’impôt (2). Ce n’est pas tout, Messieurs, il convient aujourd’hui d’abroger, pour toujours, la déclaration de 1705, qui s’opposait à la réunion de plusieurs cotes sur un même taillable, dans le même rôle; celles de 1726 et 1728, qui autorisaient les transports, presque toujours frauduleux, de cotes d’une paroisse dans une autre ; celle de 1762, qui ordonnait la division d’une cote, moitié en personnel, moitié en réel, et généralement toutes celles qui, n’étant fondées que sur la distinction des ordres et des propriétés, avaient introduit des différences, soit entre les personnes, soit entre les biens. 11 convient aussi de réduire dès à présent à douze mois l’année fiscale. Rien n’est plus embarrassant que l’enchevêtrement d’un exercice dans l’autre : le peuple ne gagne rien à cette prorogation, parce qu’il est obligé de payer chaque mois à deux collecteurs, ce qu'il ne payerait qu’à un. C’est encore ici une invention fiscale pour multiplier les agents, embrouiller les comptes et grossir les frais. Dans le cas, Messieurs, où vous n’adopteriez pas l’avis de M. Dubois de Crancé, et où vous ordonneriez la continuation provisoire des impôts actuels, il me reste un devoir, bien cher à mon cœur, à remplir auprès de vous, en soumettant à votre justice une pétition expresse du bailliage que j’ai l’honneur de représenter. Mon cahier me charge de vous demander l’exécution pure et simple de la déclaration du Roi, du 28 octobre 1788, sans avoir égard aux modifications insérées dans l’arrêt d’enregistrement de la cour des aides de Clermont-Ferrand. Le conseil aurait déjà fait droit sur cette demande, si les circonstances le lui avaient permis, dans ces moments de trouble et de discrédit ; mais ce qu’il n’a pas fait, l’Assemblée nationale le fera, et sa décision sera respectée. Veuillez bien m’honorer encore d’un moment d’attention ; l’intérêt pressant de ma province l’exige; car, pour qu’elle puisse faire le recouvrement des impôts, il faut qu’elle puisse en faire la répartition. Dans l’ancien régime, la répartition était faite par un ou deux assesseurs, à tour de rôle. L’édii (1) M. le baron de Montboissier. (2) On pourrait employer dans la nouvelle administration ceux de ces messieurs qui, comme le sieur Sauvat, contrôleur à Saint-Flour, ont fait preuve de loyauté et de patriotisme. Les anciens receveurs des tailles, qui ont bien mérité de leur patrie par la douceur de leur recouvrement, devraient aussi obtenir la préférence pour la recette du nouvel impôt. de 1600 leur défendait, sous peine d’abus, de diminuer leurs propres cotes et celles de leurs parents. Cette précaution était infiniment sage. Dans le régime actuel, la répartition est faite par les membres de la municipalité et par des notables adjoints, librement élus et investis de la confiance des tail labiés. Ce nouvel ordre de choses fait cesser toute espèce de crainte. Le nombre des répartiteurs étant considérable, il n’est pas de taillable qui ne soit parent avec l’un ou l’autre de ces assesseurs. Si donc l’édit de 1600 pouvait leur être appliqué, les rôles ne pourraient être qu’une copie servile des précédents, ou bien il faudrait que chaque taillable obtînt une ordonnance de MM. les élus pour faire autoriser les assesseurs non parents à régler sa cote. La déclaration du Roi, du 28 octobre 1788, fondée sur la confiance due à un corps de municipaux et d’adjoints librement choisis, avait autorisé les municipaux à régler les cotes les uns des autres, et les non parents à régler celles des parents des membres et adjoints de la municipalité, à la charge que celui dont on réglerait la cote, ou celle de ses parents, serait tenu de se retirer pendant la délibération. Rien n’était assurément plus sage. Cependant la cour des aides, qui peut-être n’a pas vu sans inquiétude l’établissement des municipalités, a cru devoir les assujettir à la disposition de l’édit de 1600. Il est bon de remarquer que les rôles de 1789 étaient déjà faits au moment où cet arrêt d’enregistrement a paru : ils n’étaient pas encore vérifiés par les élus ; mais ils n’étaient pas moins arrêtés, délibérés et signés. Il y avait donc une double injustice de vouloir que ces rôles, conformes à une déclaration bien connue, dussent l’être plutôt à un arrêt qui n’existait pas encore. Quoi qu’il en soit, tous les particuliers qui ont éprouvé des augmentations bien méritées (et parmi eux se trouvent au premier rang divers privilégiés), ont cherché à profiter des modifications de l’arrêt pour vexer les municipalités par des plaintes en abus. Certes, si ces particuliers se croyaient surtaxés, la voie du surtaux leur était ouverte, mais celle de l’abus leur était interdite, et cependant il existe un nombre effrayant de procès uniquement fondés sur cette prétendue contravention à un édit qui était révoqué par le fait et par le droit. La commission provinciale, les bureaux intermédiaires et toutes les municipalités de ma province espèrent avec confiance, Messieurs, que vous leur rendrez justice, en proscrivant les modifications antimunicipales de l’arrêt de la cour des aides. C’est ainsi qu’une province, trop longtemps oubliée, ressentira le premier effet du pouvoir législatif, qu’elle contribue à former par ses représentants, pour le bonheur général de la France. C’est ainsi que nous verrons enfin les provinces les plus éloignées se rapprocher du centre de la justice et de la bienfaisance. En me résumant, j’adopte l’avis proposé par M. Dubois de Crancé, et je propose pour amendement l’abrogation des déclarations de 1705, 1726, 1728, 1762, et toutes autres fondées sur l’ancienne distinction des personnes et des biens ; la cassation des modifications apportées par les cours des aides à la déclaration du 28 octobre 1788, la conversion de toutes demandes en abus, en demandes en surtaux, pour raison des rôles de la présente année 1789, et la suppression des directeurs et contrôleurs des vingtièmes, en confiant la répartition de cet impôt aux administrations provinciales. L’heure étant avancée, M. le président renvoie [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [22 septembre 1789.] 109 la suite de la discussion à une autre séance. La séance est levée. ANNEXE a la séance de l'Assemblée nationale du 22 septembre 1789. Nota. Nous insérons ici un discours de M. Bernasse sur la manière dont il convient de limiter le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif dans une monarchie (1). — Ce discours n’a pas été prononcé à la tribune; maiscommeil a été distribué à tous les députés, il fait partie des documents parlementaires de l’Assemblée nationale. M. Bergasse (2). Messieurs, de toutes les questions soumises à votre examen, il en est peu d’aussi importantes que celles que vous agitez aujourd’hui. Pour les décider en pleine connaissance de cause, il eût été bien à souhaiter que la discussion n’en eût été permise qu’après que les diverses parties de notre travail sur la Constitution auraient été complètement achevées. Alors vous auriez eu la satisfaction de les résoudre d’après des données plus nombreuses; et, pouvant les envisager dans tous leurs rapports avec l’ordre public, vous auriez trouvé plus sûrement les maximes politiques dont leur solution doit dépendre. Si l’on veut travailler avec quelque succès à la Constitution d’un empire, et surtout d’un grand empire, il me semble qu’on a deux choses bien distinctes à faire. D’abord, je trouve qu’il convient d’opérer à part sur chacune des parties dont la Constitution se compose ; en conséquence, après avoir examiné tous les genres de pouvoirs qu’elle doit rassembler, on chercherait avec soin le meilleur mode d’organisation pour chacun de ces pouvoirs, (1) Le discours de M. Bergasse n’a pas été inséré au Moniteur. (2) J’ai composé ce discours à l’occasion des questions qui ont été agitées dans l’Assemblée nationale, sur la permanence du Corps législatif, sur son organisation en une ou deux Chambres, sur la nécessité de la sanction royale, etc. Je me proposais de le prononcer, lorsqu’après une discussion de quelques jours, i’Assemblée a déclaré qu’elle se trouvait suffisamment instruite pour se décider, et qu’en conséquence elle n’entendrait plus personne. Cependant je pense avoir aperçu quelques idées qui n’ont point été développées dans les débats auxquels les questions dont il s’agit ici ont donné lieu, et comme l’Assemblée ne peut que décréter provisoirement une Constitution, et que c’est à la nation seule à prononcer en dernier ressort sur les avantages ou les désavantages de celle qu’elle lui présentera, il m’a paru qu’il était de mon devoir de produire mon opinion, puisque je la crois bonne. Sans doute, lorsque la fermentation dans laquelle on nous fait exister se sera un peu apaisée et quand il sera libre à toutes les pensées de se développer, sans doute on trouvera convenable de revenir sur ses pas. Alors le moment des opinions modérées, les seules qui puissent amener la véritable liberté, sera décidément venu, et mes idées, qui sont aujourd’hui rejetées, finiront par obtenir peut-être quelque succès. ( Note de M. Bergasse. c’est-à-dire celui qui protège le mieux la liberté personnelle, commençant par les pouvoirs qui influent d’une manière plus immédiate sur les individus, et ne s’occupant des pouvoirs d’un ordre plus élevé que lorsque l’action de ceux-ci aurait été parfaitement calculée, et qu’on aurait à peu près arrêté la meilleure manière de les ordonner pour ne leur faire produire que des effets salutaires. Puis, et lorsqu’on se serait ainsi fait une idée juste de la nature de chaque pouvoir et de son influence, on verrait comment ils doivent ou se balancer, ou se combiner entre eux; on les étudierait dans leurs mouvements réciproques, et devinant par une sorte d’expérience anticipée les circonstances où ils peuvent se nuire, on s’atta • cherait dans des discussions calmes et réfléchies à fixer les principes d’après lesquels il convient de limiter leurs sphères d’activité pour les empêcher ou de se heurter ou de se confondre. D’après cette méthode, votre première attention se serait donc portée sur la constitution des tribunaux, sur la création des municipalités, sur l’établissement des assemblées provinciales, sur la réforme de l’éducation publique, c’est-à-dire sur l’institution de tous les pouvoirs particuliers qui modifient d’une manière plus directe et plus immédiate le système de nos habitudes ; et ce n’eût été qu’après avoir vu en quelque sorte la nation se régénérer sous vos yeux par une meilleure organisation de tous ces pouvoirs, qu’examinant comment il était possible de rendre cette régénération durable, vous seriez arrivés à l’établissement des deux grands pouvoirs conservateurs de l’ordre social j le pouvoir législatif et le pouvoir exécutif suprême. Là se serait terminée la première partie de votre travail. Ensuite, et cette première partie achevée, vous seriez revenus sur toutes vos opérations, et toujours d’après le plan que je trace ici, vous vous seriez attachés à rechercher dans quels rapports les pouvoirs que vous auriez organisés doivent exister entre eux; quelle correspondance, par exemple, il convient d’établir entre les municipalités et les assemblées provinciales, entre ces deux espèces d’institutions et le pouvoir législatif d’une part, et le pouvoir exécutif de l’autre ; quelles limites il faut assigner au pouvoir législatif, dans quelles bornes encore il faut maintenir le pouvoir exécutif; attentifs à contenir tous ces pouvoirs les uns par les autres, en sorte que leur influence sur le caractère, l’esprit, les mœurs de la nation fût toujours une et toujours bonne ; remarquant toutes les circonstances où cette influence devient ou abusive ou dangereuse; prévoyant tous les événements politiques qui peuvent contribuer à la corrompre, et à mesure que vous seriez avancés dans la carrière, rencontrant comme involontairement toutes les questions auxquelles cette combinaison de pouvoirs peut donner lieu, et le petit nombre de vérités simples qui doivent servir à les résoudre. Ainsi se serait développé le système de votre Constitution; ainsi, en même temps que vous n’auriez négligé aucune des parties qu’elle doit embrasser, vous auriez composé de toutes ces parties rassemblées une vaste et commune organisation, où malgré l’immensité des objets l’esprit n’aurait remarqué qu’un seul plan, aperçu qu’un seul résultat, et dans son ensemble comme dans ses détails, votre ouvrage eût partout offert ce grand caractère d’unité, qui ne se fait remarquer que dans les productions des hommes nés pour