SÉANCE DU 7 THERMIDOR AN II (25 JUILLET 1794) - N° 36 505 [COLLOT-D’HERBOIS : « L’amour de la patrie et toutes les vertus civiques ont constamment signalé la société célèbre dont vous portez le voeu. Vous dénoncez à l’opinion publique un insensé, un contre-révolutionnaire sans doute qui, en feignant de prendre le parti de Fêtre suprême, l’insulte gravement; vous dénoncez aussi un fonctionnaire public qui paroît craindre la surveillance des patriotes : leur conduite sera sévèrement examinée. L’assemblée vous invite aux honneurs de la séance » (l).] (Applaudissements) 36 Un membre, Dubois-Crancé, obtient la parole; il se plaint d’avoir été accusé de prévarication dans sa mission à Lyon (2). DUBOIS -CRANCÉ : Citoyens, vous avez mis à l’ordre du jour la vertu et la probité; vous y avez mis aussi la justice et la vérité. Depuis neuf mois mon âme est abreuvée d’amertume; depuis neuf mois je suis calomnié sourdement, mais on ne m’avait pas encore dénoncé comme un traître. Je viens déposer ma douleur dans le sein de la Convention. Si je suis un traître, il faut que ma tête tombe; mais si j’ai servi utilement ma patrie, la Convention le reconnaîtra. Je parle en présence de cette Société que j’estime et à l’établissement de laquelle j’ai aussi contribué. Ma vie publique est connue depuis cinq ans. Depuis quinze mois, je suis éloigné et employé à diverses missions. J’ai puissamment aidé à Lyon à détruire le fédéralisme. Envoyé à Brest pour former l’embrigadement, j’ai fait sortir de ce pays cinquante et un mille hommes de réquisition, qui combattent les ennemis; et c’est dans ce moment qu’on me frappe d’anathème ! Dans la route que j’ai parcourue, le peuple me regardait comme un traître, comme un scélérat digne de l’échafaud. Un homme qui a été constamment sur la brèche contre les aristocrates, quelle que soit son innocence, est navré de douleur, quand il est en butte à de si cruels reproches. On dit que j’avais laissé sortir les rebelles de Lyon, que je ne m’y étais nullement opposé ; le fait est faux. J’interpelle tous ceux de mes collègues qui étaient avec moi ou aux environs, dans les départements de Rhône-et-Loire, de l’Isère, et tous ceux qui ont eu connaissance des faits. Je leur demande de dire s’il n’est pas constant que les rebelles sont sortis par la porte de Vaize ? Si cela est, comment la colonne à laquelle j’étais attaché... (non pas comme général, car c’est un titre qu’on m’a donné pour me rendre ridicule; chaque colonne avait un général, et il y avait de plus un général en chef ; je n’y étais donc attaché que comme représentant du peuple) ; je demande comment cette colonne a pu favoriser la sortie des rebelles, puisqu’elle gardait la porte de la Croix-Rousse et celle de Sainte-Claire, et qu’entre ces portes et celle par laquelle les rebelles sont sortis il y a la rivière de la Saône, des montagnes à pic, et que, pour aller de l’une à l’autre, il faut faire cinq lieues. Si donc il (1) J. Perlet, n°671. (2) P.V., XLII, 178. y avait cinq lieues à faire de la porte où j’étais à celle par laquelle les rebelles sont sortis, comment m’accusera-t-on de ne l’avoir pas gardée ? Ce sont mes accusateurs mêmes qui étaient à la porte de Vaize. Au reste, je n’accuse personne; je crois que tout le monde a fait son devoir, car les rebelles ont été hachés; comment les fait-on ressusciter aujourd’hui ? Ils n’ont pu échapper si ce n’est en ballon; et le fait est qu’il n’en a plus été question depuis. Mais il y a plus; j’aurais été à la colonne de la porte de Vaize, que je ne serais pas coupable, car elle a fait son devoir. Dès qu’elle a eu connaissance de la fuite de l’ennemi, elle a filé le long de la Saône pour le détruire. Mais pourquoi m’accuser, moi ? Le 2 octobre, le comité de salut public avait mandé que j’allais être rappelé dans le sein de la Convention. Le 6, ma destitution était connue. Le 7, je quittai ma colonne pour venir me concerter avec mes collègues. Destitué le 6, et n’étant plus à la colonne, pourquoi me rendre responsable d’un événement qui n’est arrivé que trois jours après, puisque l’ennemi n’est sorti que le 9, et que déjà, depuis trois jours, j’étais sans pouvoirs. Voilà deux alibi matériels. Jamais conspiration n’a été plus étendue que celle de Lyon, et jamais aucune n’a été aussi promptement, aussi complètement éteinte, témoin la Vendée et les chouans. Quant à ma dernière mission, j’ai enlevé la Bretagne à la guerre civile, car les 51.000 hommes que j’en ai fait sortir, les chouans les eussent peut-être entraînés dans leur parti : ils combattront à la frontière, et il vous eût fallu peut-être une armée pour les combattre. On a dit qu’un patriote calomnié était une calamité publique. M’a-t-on vu varier depuis cinq ans ? J’interpelle mes collègues. Robespierre a été trompé ; il m’a dénoncé comme un traître, qui avait laissé échapper les rebelles à Lyon. Je n’accuse personne. Mais, puisque j’ai démontré que je n’ai pas démérité de la patrie, rendez moi la liberté de la pensée, l’estime publique pour laquelle je combats depuis ce temps; Robespierre lui-même reconnaîtra bientôt son erreur. Puisque personne n’élève la voix contre moi, je demande que l’assemblée déclare que c’est une querelle finie, et que je n’ai pas démérité de la république. On demande le renvoi aux comités de salut public et de sûreté générale. DUBOIS -CRANCÉ : Quoique les personnes qui m’ont dénoncé soient membres de ces comités, je compte trop sur la justice de ces deux comités pour ne pas appuyer moi-même le renvoi. Mais je les supplie d’en faire le rapport incessamment, dès demain même; les pièces sont là, et moi je suis prêt. On demande que le rapport soit fait sous trois jours. Ces propositions sont décrétées (l). La Convention, après avoir entendu ses observations, les renvoie aux comités de salut (l) Mon, XLII, 301; C. Eg., n°706; J. Mont., n°90; Ann. patr., DLXXI; Débats, n°673; J. Lois, n°665; Mess. Soir, n° 705 ; Rép., n° 218 ; J. Fr., n° 669 ; M.U., XLII, 121 ; J. Sablier, n° 1461 ; Ann. R.F., n° 237 ; F.S.P., n° 386 ; J. Perlet, n°671; J. S. Culottes, n°526; C. univ., n°936; Audit. nat., n° 670. SÉANCE DU 7 THERMIDOR AN II (25 JUILLET 1794) - N° 36 505 [COLLOT-D’HERBOIS : « L’amour de la patrie et toutes les vertus civiques ont constamment signalé la société célèbre dont vous portez le voeu. Vous dénoncez à l’opinion publique un insensé, un contre-révolutionnaire sans doute qui, en feignant de prendre le parti de Fêtre suprême, l’insulte gravement; vous dénoncez aussi un fonctionnaire public qui paroît craindre la surveillance des patriotes : leur conduite sera sévèrement examinée. L’assemblée vous invite aux honneurs de la séance » (l).] (Applaudissements) 36 Un membre, Dubois-Crancé, obtient la parole; il se plaint d’avoir été accusé de prévarication dans sa mission à Lyon (2). DUBOIS -CRANCÉ : Citoyens, vous avez mis à l’ordre du jour la vertu et la probité; vous y avez mis aussi la justice et la vérité. Depuis neuf mois mon âme est abreuvée d’amertume; depuis neuf mois je suis calomnié sourdement, mais on ne m’avait pas encore dénoncé comme un traître. Je viens déposer ma douleur dans le sein de la Convention. Si je suis un traître, il faut que ma tête tombe; mais si j’ai servi utilement ma patrie, la Convention le reconnaîtra. Je parle en présence de cette Société que j’estime et à l’établissement de laquelle j’ai aussi contribué. Ma vie publique est connue depuis cinq ans. Depuis quinze mois, je suis éloigné et employé à diverses missions. J’ai puissamment aidé à Lyon à détruire le fédéralisme. Envoyé à Brest pour former l’embrigadement, j’ai fait sortir de ce pays cinquante et un mille hommes de réquisition, qui combattent les ennemis; et c’est dans ce moment qu’on me frappe d’anathème ! Dans la route que j’ai parcourue, le peuple me regardait comme un traître, comme un scélérat digne de l’échafaud. Un homme qui a été constamment sur la brèche contre les aristocrates, quelle que soit son innocence, est navré de douleur, quand il est en butte à de si cruels reproches. On dit que j’avais laissé sortir les rebelles de Lyon, que je ne m’y étais nullement opposé ; le fait est faux. J’interpelle tous ceux de mes collègues qui étaient avec moi ou aux environs, dans les départements de Rhône-et-Loire, de l’Isère, et tous ceux qui ont eu connaissance des faits. Je leur demande de dire s’il n’est pas constant que les rebelles sont sortis par la porte de Vaize ? Si cela est, comment la colonne à laquelle j’étais attaché... (non pas comme général, car c’est un titre qu’on m’a donné pour me rendre ridicule; chaque colonne avait un général, et il y avait de plus un général en chef ; je n’y étais donc attaché que comme représentant du peuple) ; je demande comment cette colonne a pu favoriser la sortie des rebelles, puisqu’elle gardait la porte de la Croix-Rousse et celle de Sainte-Claire, et qu’entre ces portes et celle par laquelle les rebelles sont sortis il y a la rivière de la Saône, des montagnes à pic, et que, pour aller de l’une à l’autre, il faut faire cinq lieues. Si donc il (1) J. Perlet, n°671. (2) P.V., XLII, 178. y avait cinq lieues à faire de la porte où j’étais à celle par laquelle les rebelles sont sortis, comment m’accusera-t-on de ne l’avoir pas gardée ? Ce sont mes accusateurs mêmes qui étaient à la porte de Vaize. Au reste, je n’accuse personne; je crois que tout le monde a fait son devoir, car les rebelles ont été hachés; comment les fait-on ressusciter aujourd’hui ? Ils n’ont pu échapper si ce n’est en ballon; et le fait est qu’il n’en a plus été question depuis. Mais il y a plus; j’aurais été à la colonne de la porte de Vaize, que je ne serais pas coupable, car elle a fait son devoir. Dès qu’elle a eu connaissance de la fuite de l’ennemi, elle a filé le long de la Saône pour le détruire. Mais pourquoi m’accuser, moi ? Le 2 octobre, le comité de salut public avait mandé que j’allais être rappelé dans le sein de la Convention. Le 6, ma destitution était connue. Le 7, je quittai ma colonne pour venir me concerter avec mes collègues. Destitué le 6, et n’étant plus à la colonne, pourquoi me rendre responsable d’un événement qui n’est arrivé que trois jours après, puisque l’ennemi n’est sorti que le 9, et que déjà, depuis trois jours, j’étais sans pouvoirs. Voilà deux alibi matériels. Jamais conspiration n’a été plus étendue que celle de Lyon, et jamais aucune n’a été aussi promptement, aussi complètement éteinte, témoin la Vendée et les chouans. Quant à ma dernière mission, j’ai enlevé la Bretagne à la guerre civile, car les 51.000 hommes que j’en ai fait sortir, les chouans les eussent peut-être entraînés dans leur parti : ils combattront à la frontière, et il vous eût fallu peut-être une armée pour les combattre. On a dit qu’un patriote calomnié était une calamité publique. M’a-t-on vu varier depuis cinq ans ? J’interpelle mes collègues. Robespierre a été trompé ; il m’a dénoncé comme un traître, qui avait laissé échapper les rebelles à Lyon. Je n’accuse personne. Mais, puisque j’ai démontré que je n’ai pas démérité de la patrie, rendez moi la liberté de la pensée, l’estime publique pour laquelle je combats depuis ce temps; Robespierre lui-même reconnaîtra bientôt son erreur. Puisque personne n’élève la voix contre moi, je demande que l’assemblée déclare que c’est une querelle finie, et que je n’ai pas démérité de la république. On demande le renvoi aux comités de salut public et de sûreté générale. DUBOIS -CRANCÉ : Quoique les personnes qui m’ont dénoncé soient membres de ces comités, je compte trop sur la justice de ces deux comités pour ne pas appuyer moi-même le renvoi. Mais je les supplie d’en faire le rapport incessamment, dès demain même; les pièces sont là, et moi je suis prêt. On demande que le rapport soit fait sous trois jours. Ces propositions sont décrétées (l). La Convention, après avoir entendu ses observations, les renvoie aux comités de salut (l) Mon, XLII, 301; C. Eg., n°706; J. Mont., n°90; Ann. patr., DLXXI; Débats, n°673; J. Lois, n°665; Mess. Soir, n° 705 ; Rép., n° 218 ; J. Fr., n° 669 ; M.U., XLII, 121 ; J. Sablier, n° 1461 ; Ann. R.F., n° 237 ; F.S.P., n° 386 ; J. Perlet, n°671; J. S. Culottes, n°526; C. univ., n°936; Audit. nat., n° 670.