425 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [8 décembre 1789.] On demande l’impression de cette adresse et son insertion à la suite du procès-verbal. L’impression est ordonnée. M. Regnaud (de Sctint-J ean-d' Angely) observe qu’il serait important de savoir si ce parlement, postérieurement à cette adresse, a transcrit sur ses registres Je décret dont il s’agit : il propose de charger le président de s’en informer et d’en rendre compte à l’Assemblée. Cette proposition est accueillie et l'Assemblée décrète •. « Que M. le président se retirera par devers le Roi pour s’informer si le parlement de Rennes a transcrit sur ses registres le décret de l’Assemblée nationale, concernant la prorogation des vacances de tous les parlements de France. » Il est donné lecture d’une adresse et don patriotique des officiers de la garde nationale de Strasbourg qui offrent à la patrie le sacrifice de leurs boucles d’argent. L’Assemblée nationale prend relativement à cet offre le décret suivant : « L’Assemblée nationale reçoit avec satisfaction les témoignages de patriotisme des officiers de la garde nationale strasbourgeoise consignés dans leur arrêté du 29 novembre dernier, et les autorise, suivant leur demande, à porter à la Monnaie de Strasbourg les boucles d’argent dont ils font l’offrande, à la charge de remettre le produit de la fonte dans la caisse de la contribution patriotique, et d’en envoyer l’état aux trésoriers de l’Assemblée. » M. le Président fait donner lecture de deux lettres de M. le garde des sceaux. La première annonce qu’on a scellé les lettres patentes du Roi, relatives aux décrets de l’Assemblée nationale, en date du 2 de ce mois, sur l’existence provisoire des différentes municipalités en exercice, jusqu’à ce que la nouvelle et future organisation soit définitivement décrétée. Une expédition scellée des lettres patentes est jointe à la lettre pour être déposé dans les archives de l’Assemblée. La seconde lettre concerne les réclamations que le duc régnant des Deux-Ponts a fait parvenir au ministre des affaires étrangères sur ses droits seigneuriaux supprimés par les arrêtés des 4 août et jours suivants. L’Assemblée renvoie cette affaire au comité féodal. M. le Président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion sur les nouveaux articles proposés par le comité de constitution concernant les élections et l’organisation des municipalités. M. Target, membre du comité , donne lecture des articles suivants : « Art. 9. Ceux qui seront employés à la levée des impositions indirectes, tant qu’elles subsisteront, ne pourront être en même temps membres des administrations de département ou de district. » Cet article est adopté sans discussion. « Art. 10. Geux qui occupent un office de judi-cature ne pourront être en même temps membres des directoires de département ou de district. » M. Madler de Monjau. Une pareille disposition ne peut être proposée; vous ne pouvez dire aux électeurs : Vous ne choisirez pas un administrateur parmi tels et tels individus. Ce serait violer la liberté des citoyens. On confond toujours les magistrats des cours souveraines avec les magistrats des cours inférieures : ceux-ci ont à peine par semaine trois séances et trois rapports; il leur restera un temps assez considérable à donner aux fonctions dont ils seront chargés. D’ailleurs, soutenus par leur zèle pour la chose publique, ils trouveraient toujours assez de force pour remplir à la fois ces différentes fonctions. Présenter cette étrange objection, c’est mettre en parallèle l’homme de génie quisaitvaincrelesdifficultés, et l’homme ordinaire qu’elles rebutent. Il faudrait, pour être conséquent, exclure également les pasteurs de l’Eglise, les notaires, les greffiers, etc. On a prétendu que l’exclusion des magistrats avait pour objet de les honorer, en ne les exposant pas au hasard des élections ; mais est-ce un honneur que d’être privé de la confiance de ses concitoyens?... L’avilissement amène la nécessité des grandes récompenses. Je demande que l’exclusion soit rejetée, ou du moins bornée aux magistrats des cours supérieures . M. Lanjuinais combat cette opinion. Il établit que la raison, l’intérêt particulier et l’intérêt public rendent les places des municipalités et les offices de judicature d’une incompatibilité insurmontable. L’article 10 est adopté à une très-grande majorité. M. Target propose l’article suivant : « Art. 11. Les maires et autres membres des corps municipaux, ainsi que les procureurs delà commune et leurs substituts, ne pourront exercer en même temps les fonctions municipales et celles de la garde nationale. » M. Couppé. Je propose d’exclure de la garde nationale les officiers de judicature. Cet amendement est ajourné jusqu’à la loi d’organisation des milices nationales. Quelques membres demandent que le comité explique la portée de l’article en discussion. M. Target. Le titre de soldat citoyen deviendra bientôt le plus beau titre de la société. Les officiers municipaux ayant le droit de requérir les milices nationales, ne peuvent tout à la fois ordonner et obéir ; il faut donc qu’ils soient exclus de fonctions aussi incompatibles de leur nature, jusqu’à ce qu’ils rentrent dans la foule des citoyens actifs. L’article 11 est décrété. « Art. 12. Les électeurs seront choisis par les assemblées primaires, à la pluralité relative des suffrages en un seul scrutin de liste, double du nombre des électeurs qu’il faudra nommer. » M. le comte de Mirabeau expose les inconvénients du scrutin de liste double ; il préfère le scrutin individuel, et appuie cette opinion sur des calculs, desquels il conclut qu'il est impossible qu’une élection exprime le vœu de la pluralité si un électeur ne nomme pas un nombre égal à celui des personnes à élire. Il propose les articles suivants : 1° La nomination des membres des assemblées municipales est administratives se fera par la voie du scrutin et par listes, sur lesquelles on inscrira autant d’éligibles qu’il y aura de places à remplir; 2° Ceux qui auront réuni la pluralité absolue, ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [8 décembre 1789.1 426 [Assemblée nationale. J c’est-à-dire tlü nombre supérieur à la moitié de la totalité des électeurs, seront élus; 3° Si, par une première opération, l’élection, n’est pas complète, on dressera des listes des noms de ceux qui auront le plus approché de la pluralité : ces listes seront en nombre double, et ceux qui auront réuni le plus de suffrages seront élus; 4° Toute liste qui n’aura pas le nombre égal sera nulle ; 5° En cas d’égalité de suffrages, la préférence sera accordée à celui qui sera, ou aura été marié, ou à celui qui aura le plus d’enfants. Si les concurrents réunissent également ces deux conditions, le plus ancien d’âge sera préféré. M. Le duc de la Rochefoucauld. En général on peut regarder comme impossible une bonne méthode d’élection; il faudrait trouver un moyen de déterminer le nombre des éligibles ; alors le cacul donnerait une bonne méthode d’élection. Il y a un moyen déjà connu et publié, c’est le scrutin préparatoire, par lequel ceux qui, au premier tour de scrutin, n’auraient pas cinq ou six suffrages, seraient exclus ; il est naturel de penser que celui qui sur quatre-vingts suffrages n’en réunit pas six n’a pas un grand mérite-. Cette première élimination restreindrait les éligibles à un si petit nombre, qu’un autre tour de scrutin remplirait la condition par la pluralité absolue. Je persiste à croire que le scrutin de liste double doit subsister et qu’à l’égard du procédé des élections on peüt adopter les observations deM. le comte de Mirabeau. M. Riiport. Le scrutin de liste double déjoue mieux que les autres les manœuvres et les intrigues. Je pense, comme M. le comte de Mirabeau, qu’il est impossible avec la liste double d’avoir la pluralité absolue, mais je ne la crois nécessaire dans aucun cas. Je crois à la vérité que la méthode de M. de Mirabeau dégagerait le scrutin d’une foule déligibles qui n’auront que cinq ou six voix, mais qu’elle ne donnerait pas mieux que les autres la majorité intentionnelle des électeurs. M. de Wlrleu. Je persiste à croire que le scrutin ordinaire et individuel et le plus simple comme le plus propre à obtenir le vœu véritable des électeurs. M. Démeuniei*. Le scrutin individuel à été adopté pour les places de maires et autres places essentielles; mais comme pour les autres, il était indispensable de mettre un terme à la durée des scrutins, on a rédigé l’article qui est actuellement soumis à la discussion. Plusieurs membres réclament la question préalable sur les articles proposé par M. de Mirabeau. — Elle est mise aux voix et adoptée. L’article 12 du comité est décrété. « Art. 13. Les membres des administrations de département et de district seront choisis par les électeurs, par trois scrutins de liste pareillement double ; à chaque scrutin ceux qui auront la pluralité absolue seront défitinivement élus, et le nombre de ceux qui resteront à nommer au troisième scrutin sera rempli à la pluralité relative. » L’article 13 est adopté sans discussion.» M. Regnaud (de Saint -Jean-d’Angely). Je propose d’ajouter à cet article les deux conditions de préférence indiquées par M.* le comte de Mirabeau et qui sont ainsi conçues : <« En cas d’égalité de suffrages entre concurrents, la préférence sera donnée à l’homme qui est ou qui a été marié, sur celui qui ne le serait pas; entre les hommes mariés, à celui qui a ou qui a eu le plus grand nombre d’enfants, ou un nombre égal d’enfants, au plus âgé. » M. de Montl osier, tout en approuvant les motifs qui ont dicté la proposition, déclare qu’elle est mesquine, qu’elle entre dans des détails trop minutieux et il conclut à la question préalable. M. Prieur. La demande delà question préalable est inconcevable; elle ne doit être réclamée ni sur un point de constitution, ni sur une loi morale. L’âge est une considération intéressante, mais il faut convenir que le père de famille mérite une distinction dans la société. Je réclame l’adoption d’une mesure dont les Romains, dans le bel âge, nous ont donné l’exemple. M; Target. On aurait pu accuser de mesquinerie l’édit de Louis XIV, qui n’avait que le défaut d’être appliqué dans des cas très-rares et de n’accorder qu’une mince pension; mais le droit d’administrer son pays est assez précieux pour faire l’objet d’un décret. M. Rarnave. Il serait peu honorable pour cette Assemblée d’écarter une si belle motion par la question préalable; on objecte qu’elle a trop peu d’importance dans son application et qu’elle est trop minutieuse pour la constitution; il est inconcevable d’appeler minutieuse la prérogative d’administrer sa patrie. Consacrez le principe, il deviendra fécond en l’appliquant aux magistratures, aux municipalités, aux assemblées nationales. Cette préférence des pères de famille sera d’un emploi très-utile dans la régénération publique. M. Dillon. Je propose de compléter l’article par l’amendement qui suit : « Lorsque l’homme marié sera séparé juridiquement de son épouse, le célibataire sera préféré. » Cet amendement a d’abord excité les applaudissements de toute l’Assemblée, tant à cause de sa singularité, que parce qu’il touchait directement quelques membres. M. Prieur. Il est dans les principes de l’Assemblée de rendre les fautes personnelles. Il peut arriver que le caractère d’une femme ou sa mauvaise conduite force un mari à se séparer d’elle : à coup sûr, l’intention de l’Assemblée n’est pas de punir un homme d’avoir une mauvaise femme. Divers membres parlent pour et contre l’amen dement. L’Assemblée devient tumultueuse. On réclame la question préalable. Elle est mise aux voix et adoptée. On revient à l’article de M. le comte de Mirabeau. La question préalable est mise aux voix et repoussée. Plusieurs membres réclament l’ajournement. M. le Président met l’ajournement aux voix.