[États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Paris hors les mors.] 5�9 habitants, aient une honnête subsistance pour tout salaire, et que l’on retire à ceux qui en ont trop pour remettre à ceux qui n’en ont pas assez, et qu’ils soient obligés d’administrer les sacrements gratis, aux grands comme aux petits, sans aucune distinction et sans rien exiger, comme baptêmes, mariages et sépultures, et que tous les archevêques et évêques délivreront, tant aux nobles, qu’aux citoyens, les dispenses de parenté, de bans gratis, et que tous les ecclésiastiques ne s’occupent qu’à leur ministère seul, qui est le spirituel et non le temporel. Art. 36. Que la police dans chaque village soit faite par une personne qui sera nommée par l’assemblée municipale. Art. 37. Que le parchemin et papier timbré soient diminué de prix. Art. 38. Que les grandes abbayes tant pçur les hommes que pour les femmes soient abolies, et que tous leurs biens et revenus soient au profit de Sa Majesté. Art. 39. Le principal abus delà bonne foi du public est que plusieurs membres des trois ordres, par une permission de Sa Majesté ou de ses ministres, obtiennent une lettre qui empêche leurs créanciers de leur faire aucune poursuite. Cet abus fait un gros tort aux finances de l’Etat. Coté et paraphé ne varietur par nous, P. -F. Camus, ci-dessus nommé et qualifié, au désir du procès-verbal par nous dressé ce jourd’hui 14 avril 1789, représentant M. Desforges, bailli du bailliage et duché-pairie d’Enghien. Signé Camus; J. Devau; L.-P. Levêque; J. Daniel; M. Derondel; L. Dubau; Denis Foy; Chaulieu; J. Derondelle; J. Mignau; J.-N. Beaulieu; Trudenne, P.-C. Voisin; J.-B. Blanchet; A Beaulieu ; J. Caron; J. Mauchin; J. Hune; J.-Jacques Derondel; Thevenot; J. -F. Derondel ; J.-L. Daniel; J. Daniel ; M.-J. Lefebvre-Foy, substitut du procureur fiscal général du bailliage d’Enghien ; L. Levêque ; Barthélemy Gosses; R. Aubin; J. Combas; Duchesne, syndic ; Jacquin. CAHIER De la paroisse d'Essonnes, près Corbeil , département de ladite ville (1). ADMINISTRATION PROVINCIALE De Vile de France pour les Etats généraux de 1789. IDÉES GÉNÉRALES SUR LES PERSONNES ET SUR LES BIENS EN FRANCE. Soyons justes envers les autres, afin qu’ils le soient envers nous. (Chap. V, S 8. Du clergé.) PLAN DE CE TRAITÉ. Il sert de base à cette requête. Les hommes sont égaux par la nature, ils doivent l’être aux yeux de la loi. Mais l’intérêt général a dû admettre des distinctions entre les personnes. Ainsi les hommes, quoique égaux entre eux par la nature et aux yeux de la loi, doivent tenir différents rangs dans l’ordre public. Quant aux fortunes, comme elles proviennent ainsi que leur inégalité de différentes circonstances, aussi ne doivent-elles pas être des moyens de distinction. Toutes les inégalités des rangs et des fortunes se trouvent compensées par la dépendance mu-(1) Nous publions ce cahier d’après un manuscrit des Archives de l’Empire. tuelle où sont tous les hommes les uns envers les autres. Ainsi tout revient au premier système d’égalité naturelle; cette dépendance mutuelle est prise dans le système de la nature. Elle est l’origine des sociétés. Elle est la base de l’ordre public. Le but de cet ouvrage est d’établir la justice de la contribution aux charges publiques par tous les biens de quelque nature qu’ils soient, les distinctions ne devant être que pour les personnes. Ainsi tous les biens sont égaux entre eux par rapport aux charges publiques, parce qu’ils sont tous sous la protection de l’Etat. DIVISION DE GE TRAITÉ. CHAPITRE PREMIER. Des hommes en général et de leur réunion en société. CHAPITRE II. Du gouvernement en France. CHAPITRE III. Des personnes qui composent un Etat. Première division des personnes. CHAPITRE IV. De la formation de la loi ou des Etats généraux. CHAPITRE V. Seconde division des personnes. §1. Du clergé séculier. § 2. Des curés et vicaires de campagne. § 3. Des ordres religieux. CHAPITRE VI. Troisième division des personnes. De la noblesse en général. § 1er De la noblesse militaire. § 2. De la noblesse de magistrature. CHAPITRE VII. Quatrième division des personnes. Des privilégiés. CHAPITRE VIII. Du tiers-état. CHAPITRE IX. Des biens en général considérés par rapport aux charges publiques. CHAPITRE X. De l’administration de la justice. § 1er. Des parlements comme tribunaux de justice. § 2. Des tribunaux simples. CHAPITRE XI. De l’ordre public. Résumé générai des vœux énoncés à chacun des articles de ce traité pour la réforme générale et particulière et sur autres objets. Au Roi et à nos seigneurs des Etats assemblés. Sire, Nous apportons aux pieds de votre trône et nos hommages et nos vœux. Nous osons vous manifester nos vœux par cette très-humble supplique avec d’autant plus de confiance que votre bonté nous y a autorisés. Votre cœur appelle tous vos sujets fidèles pour concourir au bien de l’Etat, de manière (ce sont 520 [États gén. 1789. Cahiers.] les expressions de votre bienveillance) que par une mutuelle confiance et par un amour réciproque entre le souverain et ses sujets, il soit apporté le plus promptement possible un remède aux maux de l’Etat, et que les abus en tout genre soient réformés. C’est, sire, dans la juste confiance où nous sommes, rassurés par votre bonté et par votre justice, que nous prenons la liberté de vous présenter nos doléances, nos vœux et nos suppliques sur le bien auquel vous pouvez contribuer par votre autorité et le concours heureux de la volonté de vos sujets. Lettre du Roi pour la convocation des Etats généraux du 27 janvier 1789. Si les émissions de nos vœux se trouvaient contraires aux prétentions de ceux de nos concitoyens dont les intérêts seraient opposés au bien général, nous les conjurons de considérer qu’unlquement mus dans ce moment par le plus pur patriotisme, cette émission de nos vœux et de nos suppliques ne diminue en rien ni le respect que nous devons à chacun d’eux en particulier, ni notre vénération pour tout corps civil qui fait partie de l’Etat. DE L’ÉTAT. Nous ne considérons ici l’Etat, ni sous l’aspect politique qu’il doit avoir sur les affaires de l’Europe, ni à raison de sa population et de ses richesses. Ce n’est pas de cela qu’il s’agit actuellement. Nous ne le considérons pas non plus sous l’aspect de ses finances]; après les comptes qui en ont été rendus publics par les ordres des Votre Majesté, il y a tout lieu de croire que, si chaque sujet de quelque rang, de quelque ordre et qualité qu’il puisse être, contribue comme il le doit à ses charges en raison de ses facultés, non-seulement votre trésor royal trouvera des ressources capables de faire face aux engagements annuels du gouvernement, mais encore d’opérer l’extinction et les remboursements graduels d’une grande partie de ses dettes, si son administration continue d’être en des mains fidèles. Ainsi les réflexions et les principes que nous osons vous présenter avec la soumission la plus profonde ne regarderont l’Etat que sous son rapport civil. C’est de ce point seul que nous sommes partis pour établir la justice de la contribution de tous vos sujets sans exception pour subvenir aux charges de l’Etat ; nous admettons seulement les distinctions dues aux personnes. CHAPITRE PREMIER. Des hommes en général et de leur réunion en société. Sire, Nous entendons par le mot Etat plusieurs familles ou société d’hommes libres, réunis pour leur avantage général et particulier. Nous concevons par ces mots, hommes libres, l’homme en général qui naît libre par la nature de sa volonté, laquelle tend toujours à lui procurer ce qui peut lui être avantageux. Ainsi la liberté de l’homme ne consiste pas seulement dans l’usage de toutes ses facultés corporelles, mais aussi dans l’heureuse puissance ou il est de pouvoir, par son intelligence, se procurer son bonheur toutes les fois qu’il n’est pas contraire à celui des autres. Enfin nous fixons nos idées à ces seuls mots [Paris hors les murs.] d’hommes libres, et nous n’y joignons pas celui d’indépendants, parce que, en effet, l’homme n’est pas indépendant sous quelque aspect qu’on puisse le considérer. L’homme a un besoin continuel de son semblable, soit dans son enfance, dans sa jeunesse, dans l’âge viril , soit enfin lorsqu’il cesse d’être. Quel est l’homme en effet qui puisse avancer qu’il n’a eu besoin de personne? Rois et princes, grands et petits, le riche comme le pauvre, l’homme civil comme l’homme sauvage, tous dépendent des secours mutuels qu’ils ont besoin de se rendre. C’est le besoin de se voir, de s’aimer, que la nature semble avoir mis exprès dans le cœur des hommes, et qu’elle a modifié suivant la différence des sexes, qui fait l’âme et le charme des sociétés. Voilà tout son secret pour rapprocher les hommes les uns des autres et en composer les différentes sociétés ou corps politiques qui couvrent da surface de la terre. Aussi nous croyons que c’est de cette dépendance mutuelle ou l’Auteur de la nature a mis les hommes les uns envers les autres, que sont dérivées toutes les lois de la société, toutes les vertus morales. Cette dépendance est tellement naturelle en nous, que si nous examinons de près ce que c’est que la gloire même, cette sublime passion de l’âme qui crée les vertus, nous ne verrons autre chose sinon le principe modifié qui nous porte à faire dépendre nos actes de vertu de l’opinion des hommes et de l’idée qu’ils peuvent y attacher. Mais ce n’est pas ici le moment de généraliser le principe ; nous essayerons de le faire au titre qui traite de l’ordre civil. La dépendance ainsi caractérisée n’étant donc qu’un secours mutuel indiqué par la nature, il faut croire que les premières sociétés qui se sont réunies ont dû partir de ce principe pour faire leurs conventions particulières pour cette réunion et composer ainsi le gouvernement qui leur était propre. C’est de la manière dont ce contrat a été fait qu’un gouvernement a été monarchique ou républicain, ou connu sous toute autre dénomination. CHAPITRE II. Du gouvernement en France. En France, c’est l’Etat monarchique qui a convenu et qui convient seul au caractère de la nation ; sa vivacité, soit dans ses délibérations, soit dans leur exécution, ne pourrait supporter les lenteurs de tout corps intermédiaire qui ralentirai! ses opérations. Ainsi, quand lanation française n’aurait pas une loi qui fixe pour toujours la nature de son gouvernement monarchique il, le faudrait créer pour elle. Mais qu’est-ce qu’un gouvernement monarchique? Nous croyons que c’est celui dont sont convenues entre elles plusieurs familles, sociétés ou peuplades d’hommes libres, qui ont fait différentes lois lors de leur réunion pour leur bien général et avantage particulier, et dont ils ont confié l’exécution à un seul. Nous disons, qui ont fait des lois, parce que, en effet, la loi n’est autre chose qu’un pacte ou une convention, faits pour l’avantage de la société. Enfin nous disons, qui ont confié l’exécution, parce que, en effet, nous pensons que leprince n’a que l’exécution de la loi et que sa volonté seule n’en peut créer aucune si ce n’est celles qui regardent l’administration. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [États gén. 1789. Cahiers.] Car la loi n’étant qu’une convention, et, une convention supposant une société ouïes volontés réunies de plusieurs, à quoi servirait la volonté isolée du prince, sans le concours du voeu de la société? Sa volonté ne contraindrait personne. Ainsi un Etat monarchique est donc un composé de plusieurs peuplades ou sociétés d’hommes libres réunis qui se sont choisi un chef pour les conduire et les gouverner, suivant les conventions qu’ils ont faites ensemble. Ces premières lois n’ont pu être relatives qu’à celles qui servaient au régime particulier de chaque société ou peuplade différente, c’est-à-dire celles indiquées par la nature et la raison. Par la nature. La première des lois a dù être celle de la dépendance mutuelle du prince et de ses sujets, puisque en effet ils dépendent réciproquement des secours qu’ils se doivent les uns et les autres.' Le prince doit laisser à ses sujets leur liberté individuelle toutes les fois qu’il sera jugé qu’elle n’aura pas troublé l’harmonie de la société dont il est le chef. (Ordonnance de Philippe de Valois de 1328. QüENOIS) ; (les cahiers des Etats généraux en 1484.) Le prince doit une égale protection à ses sujets et à toutes leurs propriétés, parce que tous ses sujets doivent être égaux à ses yeux, comme ils le sont tous aux yeux de la loi. Les sujets doivent à leur prince amour, fidélité, honneur et tous les secours dont il a besoin pour les gouverner, les protéger et les défendre. Les sujets doivent une entière soumission au prince dans tout ce qui a été réglé par la loi. Telles, ce nous a semblé, ont dû être les premières lois dictées par la nature et convenues entre le prince et les sujets lors de leurs premiers pactes. Ces lois ont été le germe et l’origine des autres, ou tacites ou rédigées par écrit, qui ont été faites à mesure que l’Etat s’est formé. CHAPITRE III. Des personnes qui composent un Etat. Il faut qu’il y ait de l’ordre en toutes choses, et pour la bienséance et la direction d’icelles. (LoiSEAU, L. des ordres et simples dignités.) Les lois où nous pensons que la raison a été plus particulièrement écoutée, ce sont celles qui dérivent de la différence qu’elles ont établie entre les personnes d’un même Etat et les rangs que ces mêmes personnes doivent occuper vis-à-vis des autres sujets du même Etat. Ainsi, quoique les hommes fussent égaux entre eux par la nature et aux yeux du gouvernement, cependant il a fallu pour le bien commun admettre des rangs différents entre les personnes ; onne parle ici que des rangs qu’elles doivent avoir entre elles. Un Etat est donc une société d’hommes égaux par la nature, réunis en commun pour leur avantage général et particulier, vivant sous la protection des mêmes lois, sous la conduite du même prince, mais inégaux entre eux à raison de leurs personnes et de leurs propriétés. Nous disons encore inégaux à raison de leurs propriétés, parce que, en effet, la plupart des nommes, en se réunissant en sociétés, soit générales, soit particulières, n’ont pas dù avoir dans l’origine une propriété ou une part égale dans la société. Cette inégalité dans les fortunes a dû dépendre, comme elle dépend encore aujourd’hui, d’un concours de circonstances différentes attachées à la nature des choses, soit qu’elles dussent provenir de l’industrie et de l’intelligence des in-[Paris hors les murs.] 521 dividus, soit qu’elles dussent leurs causes au nombre des personnes qui composaient chaque famille lors de la réunion. Mais cette inégalité de fortune parmi les sujets d’un même Etat n'a pas dû être une raison d’exclusion de la protection commune pour celui qui en avait le moins, ni un motif de distinction pour celui qui en avait le plus. Ne voit-on pas tous les jours des contrats de sociétés où un associé n’a qu’une part dans la société , un autre en a deux, un autre enfin en a davantage? La société n’en existe pas moins malgré l’inégalité des mises; toute la différence pour en partager le bénéfice ne consiste que dans la valeur de chaque mise. Ainsi la différence des fortunes n’a pas dû rendre et n’a pas rendu en effet les hommes inégaux entre eux par rapport à la protection que chacun d’eux doit attendre du gouvernement, mais il a dû y avoir des différences et des distinctions entre les personnes, à raison des services qu’elles ontpurendre à l’Etat par les fonctions publiques dont elles se sont acquittées pour lui, ou à raison du mérite particulier de chaque sujet. Première division des personnes. En France on distingne en général lespersonnes en trois corps : celui du clergé, celui de la noblesse, celui du tiers-état ; non, à ce que nous pensons, qu’il y ait aucune loi positive pour les distinctions, mais par cela seulement qu’elles ont paru raisonnables et qu’elles ont été consacrées par un usage si ancien que, ne présentant par lui-même aucun abus, il a passé parmi nous pour force de loi. Nous pensons donc qu’il serait contre l’ordre public d’altérer ces distinctions personnelles à chacun de ces corps ; mais ce que nous ne pouvons croire, c’est que ces distinctions puissent jamais pouvoir être admises, sous quelque prétexte que ce soit, aux biens particuliers ; ce principe répugne absolument à la raison. C’est ce que nous nous proposons d’établir lorsque nous traiterons de la question qui concerne la nature des biens considérés jusqu’à présent comme privilégiés par rapport aux contributions publiques. Tels sont, Sire, les principes que nous avons osé nous faire sur la constitution de l’Etat et sur la distinction qui doit être admise entre les sujets qui le composent. Peut-être que si nous consultions les premiers monuments de notre histoire, on ne les trouverait pas exactement conformes aux faits rapportés par nos historiens. Nous savons par eux que le pays que nous habitons a été conquis et, par conséquent, que nos ancêtres ont dû être soumis aux vainqueurs ; mais ces vainqueurs ont-ils apporté quelques changements au régime des vaincus, ou ces vainqueurs ont-ils adopté eux-mêmes quelques-uns de ces régimes des peuples vaincus? C’est ce que nous ignorons, et nous n’avons pu voir d’une manière positive comment les uns et les autres se sont accordés. Ce qui parait certain, c’est que ces vainqueurs avaient des lois particulières qui servaient à les gouverner; ce qui paraît certain encore, c’est que ces vaincus ont continué longtemps à être régis par les lois romaines auxquelles ils étaient assujettis, et c’est sans doute de cette bizarrerie de régimes pour un même peuple qu’est venue celles de nos coutumes qui ne ressemblent en rien à nos mœurs actuelles. Mais enfin qui sommes-nous donc aujourd’hui, quel est le sujet de cet ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 522 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Paris hors les murs.J [États gén. 1789. Cahiers.] empire qui pourrait soutenir qu’il descend plutôt des vainqueurs que des vaincus? Qui oserait, depuis une aussi longue série de temps, justitier de son origine ? Le chêne le plus beau de nos forêts a eu périodiquement un commencement et son accroissement, comme il aura aussi sa fin. La durée des temps, leur vicissitude changent imperceptiblement les formes, le fond seul reste, et il est toujours susceptible d’une modification nouvelle. C’est donc d’après les incertitudes où nous avons dû être sur la forme et sur la manière dont les conventions ont été faites entre les vainqueurs et les vaincus, lors de la conquête des Gaules par nos ancêtres, que nous avons osé suivre les seules lumières de la raison pour fixer nos idées. Puissent-elles ne nous avoir point égarés. En tout cas, nous l’avouons, nos erreurs sont bien involontaires. CHAPITRE IV. De la formation de la loi ou des Etats generaux . Les Etats généraux sont les assemblées augustes et solennelles de la nation française, qui servent de point de réunion au monarque et à ses sujets. Le prince expose les besoins de l’Etat, les sujets réclament l’appui du prince pour la réforme des abus qui se sont glissés dans l’administration de la chose publique ; tous concourent au bien commun, le prince par son autorité et sa puissances, et les sujets par les ressources que le prince a toujours trouvées en eux pour la conservation et la prospérité de l’Etat. C’est dans ces assemblées majestueuses qu’ont été faites les lois qui ont toujours assuré le sceptre dans la ligne masculine de nos Rois et aux sujets la liberté individuelle de chacun, de tous, et la propriété particulière de leurs biens. C’est le vœu, le consentement réciproque et du prince et du peuple, qui donne à nos lois ce caractère sacré qui fait la règle des uns et des autres. Lex fit consensu populi et constitutione regis. Nous l’avons déjà dit, qu’est-ce, en effet, qu’une loi, sinon un contrat de société? Dans les lois prohibitives comme dans toutes les autres, c’est toujours l’utilité commune qui en est le but, et dès que c’est le bien commun qui en fait l’objet, nous osons penser que la loi ne réside point dans la volonté d’un seul. Le consentement et le vœu du peuple poùr la sanction de la loi remontent à l’origine des sociétés. C’est un droit de la nature que les hommes n’ont pu perdre, parce qu’il est de la liberté de l’homme de ne s’assujettir qu’à ce à quoi il trouve son avantage général et particulier. Parmi nous le droit de la nation française, pour la formation de la loi, remonte à l’origine de la monarchie, c’est-à-dire à l’époque où différentes peuplades se sont réunies sous la conduite d’un chef pour la former. Leurs premières lois attestent ce fait, qui s’est propagé parmi nous, non par la tradition seule, qui, sur des matières antiques et qui se perdent dans la nuit des temps, est toujours enveloppée de mystères, mais il est consigné dans nos archives, dans nos recueils des lois. Telle est, entre autres, celle que l’on trouve dans le Traité de la loi salique, page 38, édition de 1602, au titre De causis admovenais § 19 : Ni populus interrogetur de capitulis quœ in lege noviter addjla sunt , et postquam omnes consentierint, subscrip-tiones vel manufirmationes suas in ipsis capitulis faciant. Un autre texte de la loi, qu’on trouve dans le décret de Childebert, article lpr, et dans le même recueil, établit ce que nous avançons ici. Cumin Die nomine,nos omnes de quibuscumque conditionibus unâ cum nostris optimatibus pertrac-tavimuti . ad unumcumpur notitis volumus perti-nere. Dans la première loi, le vœu du peuple pour la formation de la loi est impérativement ordonné, dans la seconde, le vœu manifesté du peuple et du prince forme la loi una pertractavimus. D’après ces principes de notre droit national, on peut donc avancer, sans compromettre l’autorité du prince, que ce n’est pas sa volonté seule qui fait la loi, mais que la loi consiste dans le vœu réciproque du prince et de ses sujets pour la former. Enfin, si l’on considère soit la forme extérieure de la loi parmi nous, soit les termes mêmes de son expression, c’est-à-dire, quant à la forme, la nécessité de l’enregistrement dans les tribunaux publics, et, quant aux expressions, ces termes consacrés par l’usage : nous voulons , et il ne sera pas permis de douter de la vérité de ces principes. Ainsi au prince et au peuple appartient le droit de former la loi, et au prince seul la puissance et autorité pour la faire exécuter. En la sagesse du prince réside toute administration de la chose publique , soit dans la distribution de la justice, soit dans le gouvernement des biens et revenus de l’Etat ; dans sou amour pour ses peuples, comme en celui d’un bon père pour ses enfants, ses peuples trouvent toute protection et tout appui. Heureuse la nation où le prince ainsi que le peuple sont dans l’impuissance de nuire à la chose publique, puisque sa gloire et sa prospérité ne sont fondées que sur les secours mutuels qu’ils se doivent prêter pour la conserver ! Les Etats généraux sont donc le remède aux besoins de l’Etat. Le peuple a autant le droit de les demander que le prince de les convoquer, parce que la chose publique ne peut souffrir que le bonheur du prince et du peuple n’en soit affecté. Quant à leur forme, elle a souvent varié ; mais le but a toujours été le même, quoique leur dénomination ait souffert quelques changements, suivant les différents âges de la monarchie. Il paraît constant aujourd’hui que, pour leur composition et leur formation, les trois ordres�des Etats ont le droit d’y être appelés. Il n’entre pas dans notre plan de discuter les droits particuliers de chacun de ces trois ordres ; mais si nous ne consultons que la raison et la justice, nous pensons que les sujets de l’Etat qui les composent y ont un droit égal, parce qu’ils sont égaux entre eux aux yeux de la loi. Mais comme les deux premiers ordres ont, à raison des privilèges dont ils jouissent depuis longtemps, quand même ils ne seraient que raisonnables, une liaison intime d’intérêts qui sont opposés à ceux du troisième ordre, nous croyons qu’il est de la justice que ce troisième ordre ait, aux Etats généraux, un nombre de représentants égal a celui des deux premiers ordres. Nous pensons encore qu’il est de la raison que les représentants de ce troisième ordre ne soient choisis que parmi les sujets de son ordre, c’est-à-dire parmi ceux des sujets du Roi qui ne sont ni du clergé, ni de la noblesse, ni de la classe des privilégiés. Ce' qui nous porte à désirer que cela soit ainsi est ce motif : « Afin qu’après que tous les ordre# [ÉtaU gén. 1789. Cahiers.] « de l’Etat se seront occupés, avec le patriotisme « le plus pur qui est commun à tous, du grand 'x objet de l’intérêt national, chacune des classes « privilégiées et non privilégiées puisse veiller « à son intérêt particulier et le défendre, s’il « était nécessaire, contre les entreprises de l’au-« tre, ce qui ne pourra se faire avec équité et im-« partialité, qu’autant que le nombre des repré-« sentants pris dans les ordres respectifs soit égal « de part et d’autre. « C’est par cette raison que nous pensons encore « que, dans toutes les assemblées particulières, « bureaux, commissions intermédiaires ou autres, « on observe pour chacun ordre la même com-« position que dans les assemblées générales. « Que toutes les fois qu’il s’agira de voter tant « dans les assemblées générales que particulières, « les voix se comptent par tête, et comme cela « s’est déjà fait aux Etats généraux, et comme « cela se pratique avec l’approbation universelle « dans toutes les assemblées provinciales. » Telles sont nos idées, tels sont nos principes sur la formation de la loi, sur le but des Etats généraux, et notre vœu pour leur composition future. Et après avoir ainsi fixé par un ordre constant pour l’avenir la formation de l’assemblée des Etats généraux, ordre qui procurera, sans doute, désormais, l’harmonie si nécessaire à tous les corps civils de cet empire pour, concourir avec vous, Sire, au bien général, il nous reste encore un vœu à faire : ce serait d’en régler par une loi expresse le retour périodique. Un prince aussi juste que vous n’en doit jamais appréhender les approches, et, d’ailleurs, l’autorité royale n’est-elle pas affermie par les lois les plus positives et les preuves multipliées des efforts généreux d’une nation qui s’est toujours fait un honneur et une gloire de soutenir ses rois et les droits de la royauté ? Mais, au moins, les approches de cet appareil imposant pourraient arrêter les vues ambitieuses de ministres qui ne connaissant pas, comme un roi de France qui, sait se faire aimer, toutes les ressources que l’on peut trouver dans le cœur des Français, risquent souvent de tout perdre, en portant l’autorité royale au delà de ses justes bornes. chapitre v. Seconde division des personnes. § 1er-Du clergé séculier en général. Nous avons dit, en exposant nos principes sur la formation des empires, que, quoique tous les sujets fussent égaux entre eux aux yeux de la loi, parce qu’ils l’étaient par la nature, il était cependant raisonnable et juste d’admettre des distinctions personnelles entre les sujets de ce même empire qui se consacraient d’une manière plus particulière à son service. Nous pensons donc que ces distinctions personnelles sont dues, à plus d’un titre, au clergé séculier de France, à ne les considérer que sous ce seul point de vue. Et, en effet, les devoirs qu’il remplit pour la patrie par ses ferventes prières dans nos temples, tes instructions auxquelles il se livre pour la réforme des mœurs et exciter sans cesse à la vertu, tous ces actes publics ont dû imprimer aux personnes qui composent ce corps antique un respect, une vénération qui ont dû s’accroître, tant en raison des vertus chrétiennes, dont il donne [Paris hors les mars.] 523 un perpétuel exemple, que par les lumières et les connaissances utiles qu’il a répandues parmi la nation. Aussi ces distinctions personnelles paraissent-elles avoir été décernées au clergé dès les premiers âges de la monarchie. C’est à cette estime, à cette vénération justement méritée, qu’est due sans doute, l’origine de ces pieuses institutions connues sous le nom de fondations. Les anciens fidèles pensèrent, avec raison, qu’ils ne pouvaient confier en des mains plus pures et plus désintéressées les biens qu’ils offraient à Dieu, pour la nourriture des saints pasteurs de l’Eglise et le soulagement des pauvres fidèles. Peut-être le zèle de nos pères dans ces pieuses institutions a-t-il été trop loin, puisqu’il paraît certain qu’une partie considérable des biens territoriaux de cet empire se trouve dans les mains du clergé et par là hors du commerce des hommes ; mais enfin la propriété de ces mêmes biens, qui est établie par une longue suite de siècles, paraît lui être si justement acquise qu’il serait de la plus grande injustice de la lui contester. Cen’estpas, cependant, que ces biens, ainsi sortis du commerce des hommes, sous quelque dénomination qu’ils aient aujourd’hui, soit fiefs, soit rotures, ne fussent assujettis envers l’Etat aux mêmes redevances, dont ils étaient chargés auparavant; quantité de monuments historiques attestent ces faits d’une manière positive. Mais, comme il n’est que trop ordinaire, desabus une fois soufferts semblent en autoriser d’autres : si l’on en croit aussi plusieurs de nos historiens, il paraît qu’il fut un temps où on oublia le but de ces pieuses institutions. On ajoute encore que, par une suite de ces mêmes abus, la plupart des successeurs de ces premiers ministres de notre religion sainte s’étant approprié ces mêmes biens, qu’ils regardèrent comme leur patrimoine, il fut un temps où ils se refusèrent de contribuer aux charges publiques pour raison de ces mêmes biens, sous le spécieux prétexte qu’étant consacrés à Dieu, ils étaient dès lors exempts de toutes contributions, de toutes redevances (1). C’étaient sans doute des temps d’ignorance et d’erreur. Eh ! quelle est la société d’hommes, quel est le corps à qui on ne puisse reprocher quelques fautes ? Les faiblesses de l'humanité sont consignées à chaque page dans notre histoire. Laissons aux siècles passés leurs erreurs et leurs fautes, et réparons-les aujourd’hui que nous avons plus de lumières. Qaant à nous, nous sommes fondés à croire, par la preuve que nous en avons tous les jours sous nos yeux, que le clergé a contribué anciennement aux charges de l’Etat par les décimes et les dons gratuits qu’il paye au Roi. Nous devons même nous empresser de lui rendre cette justice, dans ce moment, qu’il semble se disputer avec la noblesse le généreux avantage de concourir, avec le reste de la nation, aux pressants besoins de l’Etat par le sacrifice volontaire qu’il offre faire des privilèges, abusifs il (1) Ea quæ domino offerentur procul dubio et con-secrantur, et non solum sacrificia quæ a sacerdotibus super altare domino consecrantur, sed quidquid et a fidelibus offeruntur sive in mancipiis sive in agris, vi-næis, pratis, aquis, pellibus, laneüciis, pecoribus, etc. (Voy. Baluze. Tome Ier, page 355.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 524 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Paris hors les murs. J [États gén. 1789. Cahiers.] est vrai, mais qu’une longue possession semblait avoir autorisés. Mais le clergé de France paye-t-il aujourd’hui à l’Etat ce qu’il devrait payer à raison de ses facultés territoriales ? Telle est la grande question qui paraît agiter les esprits. Quant à nous, nous ne croyons pas que ses contributions soient relatives. Ce n’est pas, au surplus, que nous osions taxer d’injustice envers l’Etat le corps du clergé de France, car ce corps, comme corps politique et civil, reconnu tel dans l’Etat, a dû ménager ses intérêts, toutes les fois qu’il en a trouvé l’occasion ; et si le gouvernement n’a pas exigé davantage, ce n’est pas aux respectables membres du clergé de France que l’on doit raisonnablement s’en prendre. Pourquoi, de bonne foi, se serait-il plutôt assujetti aux contributions publiques nouvellement connues, que le corps de la noblesse a rejetées, sous le spécieux prétexte de privilèges, assez mal entendus à -la vérité, mais dont ils n’ont pas moins joui jusqu’à présent les uns et les autres? N’a-t-on pas vu même que, lors de l’établissement de l’impôt connu sous le nom de dixième, cette même noblesse a refusé de s’y assujettir, ou elle s’est empressée de s’en soustraire, au moins en partie, par des abonnements particuliers, tandis que le tiers-état, et surtout les pauvres habitants de nos campagnes,1 se faisaient, pour ainsi dire, un honneur d’y contribuer pour la moindre perche de terre, parce que l’Etat avait besoin? Commençons donc par être justes envers les autres, aün qu’on le soit envers nous. Ainsi, loin de nous unir aux détracteurs du clergé, nous devons, au contraire, par des motifs de justice, insister sur les distinctions personnelles qui sont dues à chacun de ses membres en particulier, et au corps en général, à cause des services passés qu’il a rendus à l’Etat, soit pour ceux qu’il lui rend aujourd’hui par les fonctions saintes dont il s’acquitte avec zèle, et par les vertus personnelles et particulières de chacun des membres qui le composent. On distingue le clergé en personnes du premier ordre et en personnes du second ordre, entre les différents corps religieux. Les évêques et les hauts dignitaires de l’Eglise composent le premier ordre du clergé séculier. Les curés, les vicaires et les autres personnes ecclésiastiques composent le second. §2. Des curés et vicaires de campagne. Si la réforme des abus dans toutes les parties de l’administration publique, à laquelle tous les sujets de l’Etat sont appelés, semble autoriser notre zèle, c’est sans doute contre celui que nous croyons exister dans l’injuste répartition des biens ecclésiastiques de ce royaume, que nous devons nous élever. Nous osons donc réclamer la propre justice du clergé du premier ordre, et celle que tout gouvernement attentif doit aux sujets qui se vouent plus particulièrement à son service, en faveur de nos curés et vicaires de campagne qui, n’ayant pour la plupart de quoi subsister eux-mêmes, ne peuvent remplir avec soin le premier devoir des pasteurs de l’Eglise, c’est-à-dire de soulager les pauvres. En nous attendrissant sur le sort de ces ecclésiastiques, nous ne pouvons nous empêcher de nous récrier sur ce qui nous apparaît de l’injuste répartition ou administration des biens ecclésiastiques. Nos curés et vicaires de campagne sont, pour ainsi dire, les seuls qui, pour nous servir du texte de l’Evangile, supportent le poids et la chaleur du jour, tandis qu’ils n’ont pas de quoi reposer leur tête. A cet égard, nous ne pouvons nous empêcher de faire des vœux pour qu’il résulte de l’auguste assemblée qui se prépare une réforme salutaire en leur faveur, afin que ces vrais pasteurs, en vivant honorablement parmi nous, puissent remplir avec plus de zèle les devoirs qu’ils se sont imposés par les places qu’ils occupent. Il ne nous appartient pas sans doute d’indiquer aux sages, qui vont s’occuper de la réforme de tous les abus, les moyens que nous croyons être propres à remplir le vœu que nous formons; mais il nous a semblé que, puisque l’objet des fondations est le culte divin et le soulagement des pauvres, on pourrait pas réunir les revenus des bénéfices simples de chaque diocèse et les appliquer, selon leur institution, aux cures des petites villes et paroisses de campagne. L’Etat, comme protecteur des biens ecclésiastiques, pourrait, d’accord avec le clergé dejchaque diocèse, se charger de cette administration, et les revenus desdits bénéfices simples ou de tels autres biens ecclésiastiques qui seraient indiqués, ainsi répartis entre les curés et vicaires de campagne et l’établissement des maîtres et maîtresses d’écoles dans toutes les poroisses, non-seulement les mettraient plus à portée de remplir le but des fondations envers les pauvres, mais encore pourraient procurer à ces mêmes curés, après de longs services, une. retraite où ils puissent tranquillement jouir du reste des jours qu’ils auraient consacrés, comme pasteurs, au culte divin, et comme citoyens, au service de l’Etat. L’établissement des écoles, si souvent recommandé par nos anciennes ordonnances (1), produirait des sujets plus utiles à l’Etat, réformerait insensiblement les mœurs grossières de la plupart des gens de la campagne : tout reviendrait ainsi à l’ordre et au but primitif que se sont proposé les anciens fondateurs. § 3. Des ordres religieux. En réclamant la justice de l’Etat pour les distinctions personnelles qui doivent être accordées au clergé séculier de France, nous avouons que nous ne croyons pas raisonnablement les demander en faveur d’aucuns ordres religieux, quels qu’ils puissent être. Ces sujets de l’Etat s’étant pour ainsi dire isolés et séparés de la société des hommes par les vœux qu’ils ont prononcés volontairement, ne jouissant pas, en conséquence, des précieux avantages des effets civils, il nous a semblé qu’ils ne devaient en aucune manière participer aux distinctions personnelles que l’Etat doit accorder à ceux de ses sujets, dont les services particuliers méritent l’attention publique ; nous ne les considérerons donc ici que comme simples sujets du Roi qui, comme les autres, méritent sa protection (2), mais qui doivent, comme eux, contribuer à toutes les charges de l’Etat. (1) Anciens canons de l’Eglise gallicane. Bérenger sur celui d’AIxandre III, etc. (2) Baluze, au titre : De Missis dominicis ac disciplinant publicam. [États gén. 1789. Cahiers.] 825 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. CHAPITRE VI. Troisième division des personnes . — De la noblesse en général. La noblesse ne consiste que dans la vertu (1). Qu’est-ce autre chose que la vertu, sinon le sacrifice généreux et volontaire de sa personne ou de tout intérêt personnel au service de la patrie ? La noblesse, considérée sur ce point de vue, est de tous les rangs, de tous les états, et le simple sujet, qui est heureusement doué de celte qualité du cœur dans un degré éminent, est noble ou mérite de l’être. C’est donc avec raison que nous avons dit, en parlant des personnes, qu’il était juste d’accorder, dans un empire, des distinctions, à ceux des sujets du même prince qui portaient dans le cœur la vertu du sacrifice de soi-même au plus haut degré. Le motif qui nous a déterminés à adopter ce principe, est l’émulation que cette distinction doit opérer entre tous les sujets qui composent un empire, pour l’avantage général. Plusieurs moyens peuvent concourir à faire mériter ce haut de degré de l’estime publique. Le premier, la défense de l’Etat aux risques de sa vie. Le second, des services réels non moins, aux yeux de la patrie , justement acquittés, mais au sein de la paix. § 1er-De la noblesse militaire. Dans l’origine de la monarchie, le premier degré de l’estime publique a dû être décerné au guerrier (2). Les Francs étaient un peuple de conquérants; ils ne couraient qu’après les victoires. On ne connaissait leurs héros, ou plutôt ils étaient tous connus sous le nom de gentilshommes, nom qui a été si glorieusement transmis parmi nous, pour signifier un gentilhomme. Les combats étaient, en quelque sorte, l’existence de cette nation belliqueuse : elle n’était occupée qu’à garantir ses conquêtes, ou à en acquérir d’autres; aussi, tous les ans, s’assemblait-elle, armée, dans un lieu convenu, et ces assemblées ont été l’origine de celles que nous connaissons aujourd’hui sous le nom d’Etats généraux. C’est au retour annuel et périodique de ces assemblées militaires qu’est dû sans doute aussi le régime féodal, si contraire à la nature, à l’état social, et dont les révolutions ont occasionné depuis tant de troubles dans l’Etat, et dans ce même Etat tant d’erreurs sur la liberté des hommes et sur les droits du souverain. Mais comment cette nation belliqueuse fut-elle regardée, lors, de ses conquêtes, par les habitants paisibles des villes et des campagnes qu’ils remplissaient de sang et d’horreur? Mitis depone colla , Sicamber , adora quod incen - disti, et incende quod adorasti. Telles furent les expressions de saint Remy en consacrant notre premier roi (3). Bientôt après, ces guerriers farouches, se mêlant avec les nations douces et tranquilles qui habi-(1) La noblesse, dit Charron, est une qualité non commune mais honorable introduite avec grande raison et utilité publique. — L. Ier, chap. 55. (2) D. Bouquet, tome Ier, page 45. Le Pr. Hénault. (3) D. Bouquet, chap. Ier, page 177. [Paris hors les murs.] taient le climat tempéré de la Gaule, il en est sorti parlasuite des temps cette nation vive et enjouée, aimante et généreuse, qui, toujours, au moindre regard gracieux de ses princes , oubliant ses peines, ne s’occupe que du seul plaisir de les voir et de les aimer. Voilà l’origine de la noblesse française, considérée comme guerrière, infatigable dans les combats, prompte à attaquer, habile à se défendre; c’est un peuple de héros quand elle est commandée par son prince. De la noblesse de magistrature. 11 est encore une autre espèce de noblesse, aussi justement acquise aux yeux de la patrie, non dans les dangers de la guerre, dans le tumulte des camps, "mais au sein de la paix et de la justice ; nous voulons parler ici de celle de la magistrature. Une étude suivie et méditée qui conduit à la connaissance des lois, à leur juste application; la seule ambition de faire régner, au nom du souverain, la concorde et la justice entre tous les sujets d’un même empire, de maintenir l’ordre public, d’appeler sans cesse, sous la protection des lois, les faibles contre les oppressions des gens puissants : ce sont d’assez beaux titres, sans doute pour concourir à l’estime publique et mériter les distinctions accordées au clergé et à nos guerriers. Peut-être ces témoignages de respect que nous accordons à la noblesse militaire et à la magistrature, seraient-ils encore plus purs, si le service des uns n’était pas stipendié par l’Etat, et si c’était le vœu public qui eût revêtu les autres de leurs fonctions honorables ; si la vénalité des emplois civils et militaires n’y admettait pas souvent des sujets peu capables de les remplir. Nous osons faire des vœux particuliers, pour qu’un jour les fonctions publiques de la magistrature soient remplies comme elles l’étaient autrefois, et que les moyens d’y parvenir fussent une sage émulation entre les savants jurisconsultes qui se distinguent, soit au barreau, soit dans le silence de leurs cabinets (1). Cependant, Sire, dans les distinctions justement accordées à la noblesse civile et militaire, nous ne confondons pas celles qu’il a plu à vos ancêtres d’accorder à des emplois purement lucratifs et fiscaux, qui n’ont eu d’autre mérite que d’avoir procuré quelques faibles secours à l’Etat dans des moments pressants, mais secours momentanés, et qu’il a achetés trop cher. Cette vénalité d’offices et d’emplois a multiplié l’ordre des privilégiés, et comme tout privilège est une exception à la loi de l’égalité, ne serait-il pas de votre justice et de votre sagesse de prévenir désormais ces abus dont la nation s’est plaint depuis long-temps, el qui, sans doute est une des causes de la dissolution des mœurs? Mais en rendant hommage aux distinctions justement méritées par ceux de vos sujets qui, par leur rang dans la noblesse et leurs fonctions dans la magistrature, en jouissent à ces glorieux titres, nous osons porter nos vœux pour que les biens, dont les uns et les autres sont propriétaires, soient, ainsi que ceux du clergé, contribuables comme ceux de vos autres sujets, et suivant leur valeur, aux charges de l’Etat. Nous essayerons de traiter cette matière plus amplement au titre de cette requête qui traite des (1) Ordonnances de Moulins de 1546 et de Compiè-gne de 1547. 526 [États géo. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. biens considérés par rapport aux contribuables publics. CHAPITRE VII. Des personnes privilégiées et des privilèges. En France, par suite des erreurs attachées aux temps d’ignorance où ont été plongés le X.e siècle et les précédents, on a confondu pendant longtemps les personnes avec les choses; les places civiles ont été usurpées, les emplois passifs ont été vendus : c’était la force ou l’argent qui tenaient lieu de mérite et de vertu. Mais qu’est-il arrivé ? Depuis ces temps qu’on devrait s’efforcer d’oublier pour jamais, à moins qu’ils ne puissent servir d’exemple pour ne pas tomber dans les mêmes erreurs, l’Etat s’est appauvri insensiblement au lieu de s’enrichir; la masse des dettes a augmenté, ses ressources se sont trouvées diminuées ; il avait acheté trop cher ces secours du moment. De la vénalité des charges se sont introduits les privilèges de toute espèce, parce qu’on a toujours confondu les biens avec les personnes; ces privilèges ont appauvri l’Etat, parce qu’il s’est privé de contribuables. Cependant les besoins ont augmenté, et comme tout privilège tend à la décharge des contributions, il a fallu rejeter sur les autres contribuables celles que les privilégiés eussent du supporter si on n’avait pas imaginé des privilèges. Ainsi l’Etat a augmenté ses dettes, et les charges des contribuables se sont trouvées excessives. Ce n’est pas, au surplus, que ces contribuables, et surtout ceux de la campagne, n’aient arrosé plus d’une fois de leurs larmes les pieds du trône : ce n’est pas non plus que les cœurs de nos bons princes n’en aient été plus d’une fois attendris ; mais il fallait rembourser le prix de ces privilèges, et les besoins de l’Etat s’étant successivement augmentés, chacun est resté à sa place, le malheureux cultivateur excédé de fatigues et de contributions, et le privilégié jouissant tranquillement de son privilège et du prix de son argent (1). Certes, ce n’est pas ainsi que les hommes, nés égaux par la nature, se sont liés par les devoirs réciproques qu’ils doivent à l’Etat. I L’égalité est, comme nous l’avons déjà dit, ! la base de toutes les sociétés ; non pas celle qui j ne consiste que dans l’imagination et dans l’envie, j non pas celle qui voudrait rapprocher les fortu-' nés, mais seulement celle par laquelle tous les j hommes, tous les sujets doivent être égaux aux j yeux de l’Etat, par rapport aux charges publiques, ; auxquelles ils doivent tous contribuer suivant j leurs facultés (2). i Sous ce point de vue, tout privilège n’est point j de droit naturel, puisqu’il donne atteinte à l’éga-j lité qui est la base de toute société. ! Le privilège n’est point de droit civil, puisque ! la loi ne peut porter une exception ou un em-! pêchement à son exécution. j Enfin, s’il n’est point de droit naturel ni civil, que peut donc être le privilège? 11 faut que ce soit une erreur ou un acte de surprise, ou arraché par la force. (1) Voy. le préambule de l’édit des tailles, du mois de mars 1600, où l’on trouve toute l’expression du cœur d’Henri IV, et celui de la déclaration du 13 février 1780. (2; Voulons égalité être conservée entre nos sujets et charges et frais qu’ils ont à supporter, sans que l’un porte le faix de l’autre sous ombre de privilège, cléricature ou autrement. — Ordonnance de 1443, art. l«r. (Paris hors les murs.] Si c’est une erreur ou un consentement donné par ignorance de fait, il doit être supprimé, parce qu’il est contre la nature de la loi de porter avec elle un empêchement de l’exécuter. S’il a été surpris, il est nul, parce que la surprise est un dol et un moyen d’annuler le contrat. Enlin, s’il a été arraché par la force, c’est pire encore; il n’y a nulle société qui puisse subsister si elle est léonine, il faut la dissoudre. Nous avons dit qu’en France, il est passé en usage et qu’on a admis avec justice des distinctions pour celles des personnes counues sous les noms d’ecclésiastiques ou de nobles. Ces distinctions étant personnelles à ces seuls sujets de l’Etat, il ne peut y avoir d’autres distinctions admises pour aucuns autres sujets qui ne seraient ni ecclésiastiques ni nobles. Tout ordre de privilégiés qui subsiste est un ordre abusif, et tout abus doit être réformé dans un Etat policé. Nous ne sommes pas cependant assez injustes pour vouloir dépouiller ceux de nos concitoyens qui, sur la foi due aux contrats qu’ils ont faits avec le prince, ont acheté les exemptions, les privilèges. Mais ces privilèges peuvent être réduits à leur juste valeur; mais avec les nouveaux fonds publics, on peut rembourser cette valeur : il ne s’agira que de veiller à leur emploi, et tout reviendra dans l’ordre. Ce sera, il est vrai, dans le moment une charge pour l’Etat ; mais après ce remboursement l’Etat se trouvera avoir plus de ressources, parce qu’il aura plus de contribuables. Nous supplions donc très-humblement Sa Majesté et nosseigneurs des Etats d’ordonner la suppression de tous privilèges de quelque nature qu’ils puissent être et possédés par quelques personnes que ce soit, et d’aviser à leur liquidation et remboursement de la manière la plus équitable et la moins coûteuse. CHAPITRE vin. 7e Division des personnes de Vordre du tiers-état. D’après la distinction que nous avons admise pour les personnes du clergé et de la noblesse, tout sujet qui n’est pas ecclésiastique ou noble est du tiers-état. Nous avons établi au titre précédent que dans un Etat policé il ne pouvait y avoir d’état ou ordre intermédiaire entre les deux premiers ordres et le dernier, et par conséquent qu’il ne peut y avoir de sujets privilégiés, parce que la raison et l’usage n’ont admis des distinctions personnelles que pour les personnes des deux premiers ordres de l’Etat. Nous avo’ns démontré que tout privilège était abusif et, par conséquent, nous n’avons pas cru devoir en accorder à la fortune, parce que ce n’est pas dans la fortune que consistent le mérite et la vertu. Nous avons d’ailleurs établi, quant à la fortune, que les bénéfices qu’on faisait dans une société étaient relatifs aux mises, que plus on avait de mises dans cette société, plus on avait de bénéfices, et qu’ainsi la fortune ou celui qui la possède peut se procurer assez d’autres jouissances, sans prétendre aux distinctions personnelles qui ne sont dues qu’au mérite et à la vertu et non aux richesses ou à la fortune. Ces principes ainsi démontrés, revenons aux personnes du tiers-état (1). (1) Dana un gouvernement mon&rchifjue» s’il mangue [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Paris hors les murs.] §27 Si les hommes étaient assez sapes pour se contenter de leurs propres vertus, s’ils n’eussent pas désiré, peut-être par un motif de vanité, avoir une marque extérieure de cette vertu, alors il n’eùt pas été nécessaire d’admettre des distinctions personnelles. Chacun aurait contribué au bien de la chose publique, par ses lumières, ses talents et son goût. Mais comme nous l’avons dit, il a fallu, pour exciter l’émulation des hommes et pour satisfaire à leur amour-propre, imaginer des distinctions qui puissent les flatter, et les accordera ceux qui mériteraient le plus aux yeux de la patrie. Cependant, comme les marques de distinctions personnelles ne sont que des conventions qui, dans l’origine des sociétés où tous les individus étaient égaux par la nature, comme ils le sont encore aujourd’hui, ont été consenties par tous chacun n’a pu volontairement se priver d’un avantage pour le donner à un autre que sous la condition ou l’espérance tacite de se le procurer quand il lui plairait d’en jouir, et par conséquent d’ac� corder à son égal une préséance, une distinction, sans se priver pour cela de les mériter, Nous pensons donc que les vrais moyens de procurer aux personnes du tiers-état la faculté de parvenir à ces distinctions personnelles, aces marques d’honneur, e.-t, dans un gouvernement juste, d’admettre tous les sujets de cet ordre qui peuventlemériteràsesyeux,suivantleurslumières et leurs talents, à toutes les fonctions publiques, soit d’administration civile, militaire et de magistrature, de remplir ainsi le but indiqué par la nature et par la raison et de proscrire la vénalité de tous emplois publics. Cette vénalité a corrompu toutes les vertus, ou elle les a étouffées ; elle a interverti tous les états, parce qu’elle a admis la seule considération en faveur de la fortune. 11 faut, nous l’avouons comme malgré nous, dans tous les états, dans toutes les conditions, dans tous les rangs, un stimulant, 'un aiguillon pour exciter à la vertu. C’est cet aiguillon, cette émulation qui crée les talents ; s’il n’y a pas de gloire à les cultiver, s.’il n’v a pas de distinction pour le citoyen qui les porte au plus haut degré, si c’est enlin la fortune seule qui fait parvenir à la considération i publique; l’âme s’avilit, les talents s’enfouissent, les lumières s’éteignent; il n’y a bientôt plus de lien dans la société, parce que tout devient la proie du plus riche ou du plus avide ; l’égoïsme, l’insouciance inerte et paresseuse s’empare des âmes des individus, et l’éclat de la société dégénère, parce que les vertus ne sont plus récompensées. Classe utile et nombreuse de sujets libres du tiers-état, de quelque profession que vous soyez, vous qui êtes autant les soutiens de cet empire que les instruments de sa gloire, vous, dont les vertus, cachées souvent sous l’humble manteau de la modestie, ont plus d’une fois démontré que la vraie, ,1a seule noblesse, ne consiste ni dans les dons aveugles du hasard, ni dans les monceaux d’or et d’argent ; citoyens de tous rangs, de toutes les classes, dans le dernier ordre de l’Etat, qu’une noble émulation de talents vous anime pour sa gloire et sa prospérité ! Si nos vœux sont exaucés, vous n’aurez plus qu’un pas d’un ressort pour contribuer au bien public, il y en a un autre, l’honneur. (Montesq., cbap. VI et VII.) Dans l’acception de cet auteur, l’honneur n’est que l’écorce de la vertu ; c’est le manteau qui couvre les nudités; ainsi qu’on juge delà justesse de la définition ! à faire pour mériter aux yeux de votre prince et de votre patrie ; désormais la récompense sera décernée au mérite et à la vertu (1). CHAPITRE ix. Des biens en général considérés par rapport aux charges publiques. Après avoir considéré l’état des personnes et leur rang dans l’ordre public, nous allons considérer leurs biens par rapport aux charges publiques. Tous les biens des sujets d’un même empire, de quelques corjjs, états ou conditions qu’ils soient, sont sous sa protection et sous sa garde. C’est pour parvenir à cette protection commune que les hommes se sont réunis. Ce sont les lois qu’ils ont faites qui sont les gardiens de leur liberté individuelle et de leurs propriétés. Cette garde et protection ne se peut faire que par des moyens. Ces moyens sont, pour la garde au dehors, les armées ; ce sont au dedans les officiers civils qui, sous l’autorité des princes, sont chargés de l’administration de la chose publique. Ces moyens ne peuvent être employés sans dépenses, et ces dépenses sont toujours relatives à la population et aux richesses d’un grand empire. Ces dépenses ont été plus ou moins considérables, suivant les temps, suivant les circonstances. Aujourd’hui lesdépenses militaires sont montées à un degré extraordinaire; elles sont occasionnées parles systèmes politiquesde défense des différents Etats de l’Europe, li faut donc des armées pour (‘.ouvrir nos frontières ; il faut des vaisseaux pour soutenir le commerce de mer ; toutes ces forces sont dans une perpétuelle activité. Quand un autre système plus pacifique et plus tranquille succédera-t-il à celui-ci ? Quand les nations ne s’occuperont-elles plus du soin cruel de faire verser le sang des hommes ? Faisons des vœux pour qu’elles s’éclairent un jour sur leurs véritables intérêts, mais craignons en même temps que ces vœux restent sans effet; i il semble être de la destinée des grands empires de n’être jamais tranquilles. L’Etat donc veillant à la garde de la liberté et et de la propriété de ses sujets, il est de la justice que tous ses sujets contribuent à ses dépenses et à ses charges, suivant leurs facultés réelles. En France cependant et sous différents prétextes qui révoltent la raison et Injustice, un système contraire a longtemps prévalu. Le peuple seul ou tiers paraît avoir supporté jusqu’à présent la plus grande partie des charges publiques. Cependant les personnes des deux autres ordres n’ont-elies pas une part égale à la garde et à la protection de l’Etat? Quant à nous, nous osous présenter encore ici nos idées sur cette matière. Toute l’espèce de biens, de quelque nature qu’ils puissent être, sont des êtres purement matériels; iis ne peuvent par conséquent être susceptibles d’aucunes jouissances. Toute distinction est une jouissance et dès lors (1) La constitution du royaume de France est si excellente, qu’elle n’a jamais exclu et qu’elle ne doit jamais exclure les citoyens nés dans les plus bas étages des dignités relevées. (Mattael. — Réponse au liv. d’Hott-man.i Le Pr. Hénault, page 112, tome I«r. 528 [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Paris hors les mars.] il est absurde de l’admettre pour des êtrespurement matériels. Cependant, comme nous l’avons déjà dit, par des abus multipliés qu’on a faits des noms des personnes avec les choses, on a poussé la déraison jusqu’à étendre aux choses des droits et des distinctions quine pouvaientêtre appliqués qu’aux personnes. Telle est l’origine de la distinction absurde des biens nobles avec les biens roturiers; telle est celle des biens ecclésiastiques avec les biens des autres sujets de l’Etat. Mais toutes ces distinctions de biens, ou nobles ou ecclésiastiques, ont-elles pu cbangerjleur nature ? Ne sont-ils pas toujours restés ou champs, ou prés, ou bois, ou rivières, etc. ? On ne peut réfléchir à un pareil système sans que la raison ne soit révoltée ; c’est cependant celui du système féodal, et celui anciennement accordé au clergé. Admettons pour un moment ces distributions ridicules et examinons-en le but. Ce but, suivant nous, ne peut avoir été, de la part de ces deux corps de l’Etat, que de s’exempter de participer, sous un prétexte au moins spécieux, aux contributions publiques de l’Etat. Car à quoi bon, à quoi leur eût servi de faire participer leurs biens aux distinctions admises que pour leurs personnes, si ces deux corps n’avaient point eu cet intérêt en, vue , ou tout autre intérêt de cette nature ? Si nous nous trompons, qu’au moins on nous indique donc le véritable motif de ces distinctions singulières. Et en cela ces deux corps n’étaient-ils pas souverainement injustes envers les autres sujets de l’Etat, envers l’Etat lui-même, puisqu’il est de la justice que toutes les charges soient égales ? Puisqu’ils sont à la garde et à la protection de l’Etat, ils doivent contribuer à ses charges. N’est-ce pas à sa vigilance et à sa protection qu’ils en doivent la conservation ainsi que la sûreté de leur personne ? Il est vrai cependant de dire, d’une part, que, dans l’origine, et depuis ce système établi par la noblesse, elle payait de sa personne et de sa fortune la part des” services qu’elle devait à l’Etat ; que les ecclésiastiques se sont également acquittés en personne ou en argent, suivant les circonstances, du service militaire et du cens qu’ils devaient pour leurs biens nobles ou roturiers ; d’autre part, que, depuis la cessation du service militaire, le clergé a de plus payé à l’Etat, sous le nom de décimes et de don gratuit, une partie des contributions publiques. Nous convenons de ces faits à l’égard du clergé ; mais depuis la cessation du service militaire, depuis que la noblesse comme troupes et milices est stipendiée par l’Etat, comment s’est-elle acquittée de ses devoirs de sujets envers lui? C’est, nous le pensons, ce qu’il ne lui serait pas aisé d’établir d’une manière démonstrative et claire (1). Avant l’établissement du dixième en 1770, nous ne voyons pas trop comment la noblesse s’acquittait particulièrement de ses devoirs. envers l’Etat. Quant au clergé, nous sommes instruits que le régime actuel de sa contribution aux charges publiques remonte au fameux colloque de Poissy en 1561. Mais, sans entrer dans aucun autre détail des (1) Yoy. Baluze, D. Bouquet et autres, et les anciennes ordonnances concernant l’acquittement et prestation de ces droits, et notamment De Regale servitium. | preuves et des autorités qui établissent les devoirs j de ces deux corps de l’Etat envers lui, qu’on peut I consulter dans tous nos historiens et surtout dans I celles qui sont recueillies dans' Baluze et dans Bouquet, empressons-nous de leur rendre aujourd’hui nos hommages publics de la justice dont ils nous semblent être pénétrés dans ce moment sur les pressants besoins de l’Etat. Ils avouent, comme nous, que tous les biens d’un même Etat étant sous sa garde et sous sa protection, et tous ses sujets étant dans une dépendance mutuelle de secours, ils doivent contribuer aux charges communes de cet Etat, suivant les mises qu’ils y ont faites et les bénéfices qu’ils en retirent. Que pouvons nous attendre de plus de la justice et de la raison ? chapitre x. De /’ administration de la justice. Les erreurs ne se multiplient qu’en raison de la négligence qu’on met à les relever. C’est sans doute à l’éveil des injustices faites dans les tribunaux simples, et tels qu’ils étaient autrefois, que nous devons l’établissement salutaire des tribunaux d’appel. Le bien est très-diflicile à faire (1). Ce sont des expressions qui ne nous échapperont jamais; en réformant les premières erreurs, on est tombé dans d’autres ; c’est ce qui résulte plus particulièrement des abus qui se sont multipliés dans les différents degrés des juridictions. Actuellement, il y a quatre degrés de juridictions en matière civile ordinaire; que de ressources pour la chicane et la mauvaise foi! Anciennement, chaque peuplade, chaque cité avait ses juges ; beaucoup de nos villes ont conservé ce précieux avantage ; depuis il a 'été supprimé dans d’autres, ou beaucoup restreint (2). Les seigneurs hauts justiciers ont eu également ce droit, et dans l’origine de leur puissance, ils jugeaient souverainement leurs justiciables ; mais que d’abus ne sont pas résultés d’une autorité de cette nature ! Il ne nous appartient pas de rechercher ici comment ces anciens seigneurs ont pu acquérir ce droit, qui ne semble appartenir qu’à la seule souveraineté ; comment ont-ils pu même conserver celui de faire rendre la justice en leur nom dans leurs tribunaux particuliers? Mais puisqu’une longue suite de siècles les a maintenus dans ce dernier droit, qui fait aujourd’hui partie de leur propriété, il nous semble qu’ils y doivent être maintenus avec d’autant plus déraison et de justice, que non-seulement il n’en résulte aucuns abus, mais au contraire, que l’habitant soumis à la juridiction trouve au moins ce précieux avantage de pouvoir obtenir justice dans le lieu de sa résidence, sans être obligé de l’aller chercher au loin à grands frais, et en se détournant des travaux qui lui procurent sa subsistance. La reconnaissance de cet abus du pouvoir entre toutes autres mains qu’en celles du souverain a été un des premiers effets de la lumière qui a commencé à éclairer le XIe siècle, après les ténèbres épaisses de l’ignorance des droits précieux de l’homme et du souverain qui avaient couvert le siècle précédent, et ceux qui s’étaient an térieurement écoulés depuis l’origine de la monarchie. (1) Déclaration du Roi du 23 septembre 1788. (2) Yoy. les différents arrêtés nouveaux de la noblesse et du clergé des différentes provinces. 529 [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, [Paris hors les murs.] C’est au XIe siècle que la nation doit l’origine de l’établissement utile des communes. On l’attribue à Louis, sixième du nom; il avait alors pour un de ses principaux ministres l’abbé Suger. Cette lumière parait s’être propagée ensuite sous les règnes subséquents, par les missions que nos princes faisaient annuellement dans les différentes provinces du royaume, de leurs ofticiers connus sous le nom de missi dominici; ils étaient chargés de surveiller la conduite des seigneurs vis-à-vis de leurs justiciables, de recevoir les plaintes de ces derniers, de les juger sur-le champ, et dans le cas où ils ne pouvaient leur rendre une justice prompte, ils les renvoyaient aux grandes assises du Roi (1). ORIGINE DES PARLEMENTS. Comme tribunaux de justice. § Ier C’est aux assises, ou parloirs de nos rois, que remonte l’origine des parlements considérés comme juges d’appel, avec une différence des anciens parlements, anciennes assemblées générales de la nation, que ceux-là ne connaissaient que des affaires publiques de l’Etat, et que ceux-ci ne durent connaître que des affaires contentieuses des particuliers ou sujets du Roi. Saint Louis, ce prince vertueux, qui connaissait aussi bien les droits de l’autorité souveraine que les principes d’une piété solide, commença à jeter les fondements de ces tribunaux souverains de justice, par l’institution qu’il fit dans plusieurs de ses provinces de quelques grands bailliages pour y recevoir les appels des jugements rendus par les simples juges royaux et seigneuriaux. Enfin Philippe le Bel , son petit-fils, établit le premier de ces tribunaux de justice connus sous le nom de parlements. Nos historiens varient sur l’époque précise de ces heureuses institutions ; on prétend cependant avec quelque certitude que c’est en 1312 que celui de Paris, qui jusque-là avait été à la suite de nos Rois, fut par lui rendu sédentaire dans la capitale du royaume (2). Les autres parlements furent institués, comme nous venons de le dire, pour juger les causes d’appel des grands bailliages. Les grands bailliages avaient eux-mêmes leurs ressorts, et étaient juges d’appel des simples prévôtés royales. Celles-là jugeaient également les appels des sentences rendues par les hauts justiciers. En sorte que, dans l’état actuel des choses sur cette partie essentielle de l’administration publique, avant qu’un sujet du Roi puisse obtenir une justice décisive en matière civile, et être à l’abri des dédales de la chicane, il est nécessaire souvent qu'il passe par les épreuves coûteuses et souvent interminables de quatre degrés de juridictions différentes. Ces quatre degrés de juridictions nous ont semblé un des abus que Injustice du Roi et les lumières de la raison doivent s’empresser de réformer aujourd’hui. C’est dans ces vues que nous osons porter nos (1) Mezerai, le Pr. Hènault et autres. — Cependant ces officiers étaient plus anciennement connus. — V. l’édition de Baluze, à Venise, au titre de Missi dominici. (2) Quénois, dans sa conférence sur les anciennes ordonnances, en rapporte plusieurs de 1302 à la suite des Etats généraux qui eurent lieu cette année-là, entre autres celle concernant la résidence des conseillers et présidents de la cour. lre SÉRIE T. IV. vœux sur cette réforme salutaire, par l'institution de deux seuls degrés de juridiction tant en matière civile qu’en matière criminelle. En suivant nos vœux, les tribunaux souverains de justice connus sous le nom de parlements, subsisteraient sous cette dénomination aussi ancienne qu’illustre; ils connaîtraient de toutes les causes d’appel entre tous les sujets du Roi, de quelque nature qu’elles puissent être , chacun dans leur ressort , à l’exception des matières d’impôt. Mais il serait à souhaiter que ce ressort fût limité à l’étendue du territoire de chaque province. Chaque juge royal simple, ou les grands bailliages établis chacun dans leur ville, conserveraient leurs tribunaux comme tribunaux simples, et les seigneurs hauts justiciers conserveraient leurs droits de hautes justices qui sont des propriétés ; toute la différence serait que les appels des juges hauts justiciers seraient portés directement devant les parlements, comme plusieurs de ces hautes justices jouissent en effet de cette judicieuse prérogative : tels sont les hauts justiciers des pairies, baronnies-pairies et autres. Les parlements seraient toujours les dépositaires des .lois, soit générales, soit particulières du royaume , et les fonctions de ces magistrats qui composeraient ces tribunaux, autant établis pour être les interprètes des lois, que pour être au nom du monarque les arbitres souverains de la vie et de la fortune des hommes, seraient d’assez beaux titres sans doute pour conserver l’estime et la considération publique que ces tribunaux se sont si justement acquis depuis leur institution. Cependant, ne serait-il pas à souhaiter que leurs offices ainsi que ceux des autres tribunaux royaux ne puissent être acquis à prix d’argent, et leurs fonctions ne seraient-elles pas plus nobles et plus relevées si c’était l’estime publique seule et le choix du prince qui les en pouvait revêtir? Enfin, pour rendre à ces corps antiques et respectables les témoignages de notre vénération particulière ; Oubliant leurs fautes passées par leur trop faible condescendance pour les ministres de vos prédécesseurs, condescendances qui ont été une des causes du désordre des finances de l’Etat, Permettez-nous, Sire, de leur rendre ici le témoignage de notre reconnaissance du généreux aveu qu’ils ont fait avec courage (1) de Pimpuis-sance où ils étaient d’accorder à vos ministres de nouveaux subsides, puisque cet aveu procure aujourd’hui à vos fidèles sujets le précieux avantage de concourir avec vous à la régénération de l’Etat et à l’honneur de vous offrir en personne leurs fortunes et leurs vies pour le soutien et la gloire de votre empire. g 2. Des tribunaux simples de justice. S’il n’y a personne qui ne connaisse les abus des degrés de juridictions aussi multipliés qu’ils le sont aujourd’hui en matière civile ordinaire, il en est peu aussi qui n’aient appris par expérience ceux qui résultent de ce qu’un seul homme soit le juge et l’arbitre de la vie et de la fortune de (1) El si forte subreptant nobis quispiam, ut homiin fuerit, compelenter et fideliler, prout sublimati Regiæ convenit et necessilatibus subjectorum expedit, ut hoc rationaliter corrigatur, vestra fidelis devotio admonere curabit. (Gap. de Charles le Chauve, §§ 4, 5. Baluze.) 34 530 [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Paris hors les murs.] ses concitoyens dans les simples justices ou prévôtés royales ou seigneuriales. Sans compter ici les erreurs attachées à la faiblesse humaine, parce que nos jugements, avec la meilleure intention de les rendre justes, dépen-dendent d’une infinité de circonstances qui décident souvent de notre opinion sans nous en apercevoir, combien y en a-t-il qui ne sont dictés que par la présomption, la haine, l’ignorance, et par l’abus du pouvoir, au lieu que si, avant de les rendre, le juge eut été surveillé par le sentiment contraire de son semblable ou par un meilleur avis qui lui aurait été présenté, il y en aurait beaucoup plus d’équitables qu’il y en a, et par conséquent moins d’appels. Le plaideur de mauvaise foi connaît toujours le côté faible de sa cause, et il est enhardi quand il réussit, ou par l’intrigue, ou par l’ignorance de son juge. Dans les petites villes , comme dans les campagnes, on ne voit que trop souvent les abus d’erreur ou d’autorité, surtout si le juge réunit d’autres places à la sienne, qui lui donnent une plus grande prépondérance : le mal est bien plus grand encore si dans le nombre de ces places, il en est qui sont absolument incompatibles avec les fonctions principales de juge. Cette malheureuse prépondérance asservit même jusqu’aux officiers ministériels du siège, qui, n’osant s’élever contre les erreurs souvent volontaires du juge, ou de la passion, dans la crainte de démériter à ses yeux, et par là de perdre le crédit et la confiance publique, parce que chaque justiciable est à portée de s’instruire si l’officier' ministériel qu’il charge de sa confiance est mal avec son juge, alors il n’y a plus de frein qui puisse arrêter ce juge; il décide en despote, l’innocent se trouve sans appui, et il est presque toujours la victime du coupable audacieux qui, par une rampante bassesse, aura trouvé du crédit sur l’esprit d’un juge de cette espèce. C’est donc pour remédier à ces abus que nous pensons que l’administration de la justice doit être réformée jusque dans les tribunaux. Il ne nous appartient pas de tracer ici le plan de cette salutaire réforme ; Et encore moins du règlement à faire pour la taxe des droits des juges et des officiers publics de la justice. La sagesse du Roi et celle du chef qui honore dans ce moment la magistrature, par ses lumières et ses vertus, paraissent s’en être occupés; d’ailleurs nous avouons l’insuffisance de nos lumières. Mais en présentant nos vœux pour l’établissement de deux seuls degrés de juridiction, nous pensons aussi qu’il importe beaucoup aux sujets du Roi de n’être point exposés aux erreurs des jugements d’un seul juge dans les tribunaux de première juridiction. Peut-être serait-il convenable que les conseillers et assesseurs qui assisteraient les juges fussent pris parmi les justiciables du lieu où chaque tribunal serait établi. Ce nouvel ordre de choses rapprocherait les citoyens de cette partie de l’administration publique, comme ils le sont déjà dans une autre connue sous le nom d’administration provinciale. CHAPITRE XI. .De l’ordre public. Tout est varié dans la nature, tout est réglé par les lois immuables de son Créateur. Depuis le ciron, ou le plus petit insecte, jusqu’au plus terrible des animaux ; depuis l’herbe qu’on foule aux pieds dans nos champs jusqu’au cèdre le plus élevé des montagnes ; depuis le premier rayon imperceptible de la lumière jusqu’au milieu du jour; enfin depuis la première teinte des couleurs jusqu’à la plus foncée, il y a dans la nature une variété infinie, des gradations de force et de puissance, et des teintes plus ou moins agréables à la vue. La mer, malgré ses agitations continuelles, est renfermée dans ses limites, .les éléments semblent être circonscrits dans le cercle qui leur a été tracé, le jour succède à la nuit, la saison agréable du printemps aux rigueurs de l’hiver, des temps calmes et sereins font bientôt oublier les tristes effets des orages. Telle et ainsi nous pouvons tracer ici l’image d’un Etat policé; et, en effet, au premier coup d’œil qu’y aperçoit-on? Une variété infinie dans tous les individus qui le composent, dans leur forme intérieure, dans les habitudes, dans les passions plus ou moins adoucies par l’éducation qui forme leur caractère; un mélange de vices et de vertus, une inégalité graduelle dans les formes, des corps plus considérables, des rangs, des préséances variées à l’infini; des traits de lumière les plus frappants avec l’ignorance la plus profonde; enfinl’intérêt particulier toujours en butte avec l’intérêt général ; les opinions des hommes toujours en contradiction les uns avec les autres; on croirait, par les chocs multipliés que l’Etat reçoit de toutes parts, que tout est prêt à se confondre, et cependant, malgré la variété des individus, malgré leur agitation continuelle, l’empire subsiste par l’ordre public, cette chaîue qui lie tout, et dont le premier anneau est dans la main du souverain et l’y assujettit lui-même. Mais quel est ce moyen, qui rapporte tout sans nous en apercevoir à l’intérêt général? Ce moyen, nous croyons l’avoir aperçu dans la formation même de l’homme, dans l’organisation des sociétés; c’est le besoin que l’Auteur de la nature a mis dans le cœur des hommes, celui de se voir, de s’aimer, de s’aider par de mutuels secours; c’est cette dépendance continuelle où ils sont ainsi les uns envers les autres, que nous croyons être la base de l’ordre public. Que l’on examine de près le système même de la nature, et on sentira que c’est ce principe qui l’anime et qui la vivifie; c’est un ressort caché que son créateur fait mouvoir continuellement à son gré, et qu’il modifie sous des formes différentes; c’est cette même dépendance des éléments entre eux qui en fait l’ordre-et l’harmonie; c’est le principe de la formation et de la composition de tous les êtres. C’est ce système qui forme ce beau spectacle de l’univers, dont la variété des mouvements étonne, et dont la majesté impose à la créature une admiration profonde pour le créateur. De même dans un Etat, ne voit-on pas les secours mutuels se reproduire sous différentes formes, entre tous les individus qui le composent, depuis le monarque jusqu’au dernier de ses sujets? Si le guerrier se voue généreusement aux horreurs des combats pour le salut et la défense de la patrie, le magistrat, de son côté, est continuellement éveillé par la justice, pour prévenir les désordres et pour punir le crime; le riche emploie sa fortune à faire travailler le mercenaire et l’ouvrier, et souvent, sans y penser, c’est lui qui les . nourrit, ainsi que leur famille; le commerçant, par un autre motif, court le hasard de la mer, pour apporter par ses échanges plus de jouis- [États gén. 1789. Cahiers.] sauces à ses concitoyens; l’homme de lettres, par 1 ses lumières, donne à la société des hommes plus de connaissances pour travailler à leur bonheur; les arts utiles leur procurent plus de commodités; le laboureur enfin les nourrit tous; heureux quand le champ qu’il cultive n’est pas autant arrosé de ses sueurs que des larmes que lui arrache souvent l’excès de ses charges personnelles ! tous contribuent enfin, suivant leur état, leur fortune, leurs lumières et leurs talents, à la félicité et à l’ordre publics par les secours variés qu’ils se prêtent entre eux. Telles sont, si nous ne nous trompons, les idées simples et naturelles que l’on doit avoir sur les principes de l’ordre public, qui fait le soutien des États. 11 n’est pas de notre plan d’entrer dans le détail desmoyens secondaires qui contribuentàcetordre, soit pour la police intérieure, soit pour la division des rangs et des états entre les personnes d’un empire; on peut consulter les auteurs qui en ont parlé, entre autres Loiseau en son Traité de V ordre public ; mais chacun peut se faire une idée de la subordination qui doit régner entre ces personnes, d’après le système indiqué par la nature, et que chaque citoyen a adopté pour le régime particulier de sa propre famille ; c’est ce même système qui est la base et la règle de ceux admis par l’Etat dans cette partie de l’administration publique. Ainsi, quand nous avons avancé que l’homme, malgré sa liberté naturelle, était né pour la dépendance, c’était à ce moment-ci que nous nous soumettions à établir les preuves de ce principe, qui peut-être à son aspect révolte notre amour-propre, mais dont la vérité ne laisse pas de se manifester à des yeux attentifs. Nous osons donc avec assurance poser pour principe de l’ordre public dans un empire une dépendance continuelle entre tous les individus qui le composent , depuis le pauvre qui languit dan sa cabane jusqu’au prince assis sur la pourpre, qui, par sa sagesse et les lois, conserve la liberté publique et les propriétés. Qu’on nous permette encore de le dire: si chacun des individus qui composent cet empire eussent toujours été intimement pénétrés de la vérité de ces principes, il y aurait sans doute moins d’abus à réformer, tout serait dans l’ordre et dans un juste équilibre. Chaque corps n’aurait pas cherché à attirer à lui une puissance qui ne doit résider que dans la main du souverain ; chaque sujet eût contribué suivant ses richesses et>ses facultés aux charges de l’Etat qui le protège et le défend ; on n’aurait pas confondu les noms des personnes et les distinctions personnelles qui leur sont dues avec les choses qui leur appartiennent ; la fortune n’eût pas brigué les places qui ne sont dues qu’à la vertu; les ordres ne se seraient pas confondus, et quelquefois avilis par la cupidité et la rampante bassesse employée pour la satisfaire , et notre histoire constateVait moins de faits qui répugnent autant à la justice, à la saine raison, qu’à l’austérité sévère des mœurs publiques. C’est donc pour parvenir à la salutaire réforme que notre bon et génénéreux monarque se propose de faire, avec les lumières de son vertueux ministre et celles des sages de la nation qui vont s’assembler autour du trône, que nous avons osé, avec la soumission la plus profonde, proposer nos doléances et nos vœux. Après avoir tracé le plan de nos principes et leurs motifs pour le bien que nous croyons être à faire, nous allons exposer [Paris hors les murs.] 531 un résumé général de nos vœux ; tel est le motif de cette humble supplique. Mais ce qui intéresse le plus nos cœurs dans ce moment, ce qui les agite de désirs, c’est de voir l’union et la concorde régner dans tous les membres des corps civils que cet Etat va rassembler au trône, c’est qu’ils se laissent avant tout se pénétrer de la vérité des principes indiqués par deux des sages apologues que notre ingénieux et aimable fabuliste a laissés à la postérité pour son bonheur, si elle veut sincèrement s’en occuper (1). Alors, par l’ordre qui renaîtra, toutes les alarmes, toutes les inquiétudes publiques se dissiperont; de beaux jours succéderont aux orages qui ont tant affligé les bons citoyens , et notre Roi, si digne d’être aimé, sera véritablement appelé le père de son peuple. RÉSUMÉ GÉNÉRAL Des vœux conçus à chaque article de cette requête et autres particuliers. Nous, municipalité et habitants susdits et soussignés, supplions très-humblement Sa Majesté et nosseigneurs des Etats d’aviser dans leur sagesse aux réformes que nous allons proposer, et d’ordonner : DES ETATS GÉNÉRAUX. Que l’assemblée des Etats généraux sera à toujours composée des trois ordres de l’Etat, savoir : le clergé, la noblesse et le tiers-état. Que les députés de chaque ordre ne seront choisis que parmi les sujets du Roi de chaque ordre. En conséquence, que les députés du tiers-état ne seront pris que parmi les sujets du tiers-état et non dans ceux des deux autres ordres, ni même parmi les sujets privilégiés, s’il en reste encore quelques-uns après la tenue future des Etats généraux. Que l’Etat du tiers ait un nombre de représentants égal à celui des deux autres ordres de l’Etat, par la raison de la différence d’intérêts qu’il y aura toujours entre les deux premiers ordres et le dernier, attendu les distinctions personnelles qu’il est juste de leur accorder. Que dans chaque bureau qui sera composé aux Etats généraux, soit pour toute autre partie de l’administration publique, où nous désirons que tous les trois ordres soient admis, on observe pour les délibérations, ou autrement, la môme composition de personnel que pour les assemblées générales (2). Que les délibérations y soient faites par tête ou voix, et non par ordre, soit dans les assemblées générales ou particulières, le bien général devant être commun à tous les ordres. RETOUR PÉRIODIQUE DES ÉTATS GÉNÉRAUX-Que Sa Majesté et nos seigneurs des Etats seront suppliés de fixer le retour périodique des Etatsgénéraux ; nous pensons que c’est le moyen d’assurer la constitution de l’Etat, de consolider les réformes et de prévenir de nouveaux abus. DE LA CHOSE PURLIQUE. De la loi. Que la loi, avant d’être promulguée, soit bien examinée et pesée dans tout son ensemble, et (1) La Fontaine : Les membres et l’Estomac. Fable 11 dullle livre. — Le Père de famille et ses enfants Fable 18 du IVe livre. (2) Ordonnance de 1356, art. 5. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 532 [Étals gén. 1789. JCahiers.] qu’une fois arrêtée, il n’y soit plus donné ni exception ni extension par aucune interprétation. La loi doit être une, et ne pas varier. C’est par abus des vrais principes que l’on trouve tant de contrariétés dans nos ordonnances, que nos codes sont si volumineux, et notre jurisprudence si incertaine. Qu'elle soit générale pour l'empire. Comme il n’y a en France qu’une seule nation et un seul roi, nous désirons que la loi soit générale pour toutes les provinces de l’empire et qu’il en soit de même pour les poids et mesures. CULTE PUBLIC. Que le culte public de la religion sainte que nous professons soit fait en langue française: il est raisonnable que l’homme qui rend à Dieu le culte qu’il lui doit se joigne d’esprit et de cœur aux prières qu’il lui adresse, soit en particulier, soit en commun; ce vœu que nous formons regarde la seule police de l’Etat, soit au moral, soit au civil. Ce n’est point un dogme qu’il s’agit d’établir, il ne s’agit pas non plus d’un fait de discipline entre les ecclésiastiques, mais d’une partie essentielle de l’administration générale, à laquelle l’Etat a droit de-veiller sans le secours particulier de l’autre puissance. DÉPRÉDATEURS DU TRÉSOR. Que recherche soit faite de tous les déprédateurs des deniers publics, soit qu’ils en aient eu le maniement, soit qu’ils les aient obtenus par surprise ou obsession ; que leur procès soit fait etparfait d’après la rigueur des ordonnances, non par des commissions particulières, mais par les tribunaux publics, seuls juges compétents, et que les jugements soient rendus publics (1). Il doit importer au Roi que son nom sacré, et à la nation que ses droits soient respectés ; ces actes de justice préviendront les désordres, les abus de toute espèce, et dont l’impunité a semblé autoriser les coupables à les porter aux excès où ils sont parvenus. ÉTUDES PUBLIQUES. Que le régime des études .publiques dans les villes soit réformé ; que le matin soit employé, suivant les degrés des connaissances des sujets : 1° A l’étude de la langue française, à la composition en la même langue; 2° A l’élude de la morale; 3° Aux premiers principes du droit public. Que le soir soit employé aux études des langues mortes et étrangères. C’est, nous le pensons, le seul moyen de créer des citoyens et d’en faire des sujets utiles à l’Etat. DISETTES PUBLIQUES. Que, pour prévenir par la suite toutes les disettes publiques dans un royaume aussi fertile que celui-ci, il soit fait une loi générale pour connaître, chaque année et dans chaque province, ce à quoi peuvent se monter annuellement les récoltes en grains de toute espèce. Moyen pour les connaître. Nous pensons que ce moyen serait aussi simple que facile à exécuter. II consisterait à faire faire annuellement et après les récoltes, dans chaque paroisse, un rôle ou relevé desdiles récoltes en [Paris hors les murs.] grains, par les déclarations des cultivateurs, qui seraient pour ainsi dire contrôlées par le relevé des dîmes. Quand ces déclarations ne seraient pas sincères, on le suppose même', l’Etat ne pourrait jamais y perdre, parce qu’il y aurait réellement plus d’abondance qu’on en aurait déclaré. Chaque municipalité adresserait donc graduellement le rôle à l’administration provinciale, et celle-ci au gouvernement; et d’après le résumé général, l’exportation extérieure serait ou fermée ou permise par une loi publique. Monopoleurs. Que toutes les anciennes ordonnances contre tous les monopoleurs et accapareurs soient éxécutées; nous croyons avoir acquis cette année la triste expérience, combien ces fausses prévoyances des compagnies mercantiles ont causé de maux et de désordres (1). En conséquence, qu’il soit fait nouvelles défenses, sous les peines les plus sévères, de former aucuns établissements, sociétés et compagnies pour le commerce des grains, farines et autres denrées de première nécessité, mais que le commerce en soit limité à chaque simple sujet de l’Etat en particulier, d’une province à l’autre, même hors du royaume, quand la loi l’aura permis, et suivant les forces et les facultés de chaque commerçant seul. Nous pensons que c’est le moyen d’arrêter l’infâme cupidité qui ne sait calculer que son intérêt et jamais apprécier la vie des hommes. GRENIERS PUBLICS Dans chaque province, sous l'inspection des administrations provinciales. Qui si, malgré le moyen que nous avons osé proposer pour connaître annuellement les degrés d’aliondance des récoltes, il était encore nécessaire qu’il y eût des greniers publics, nous pensons qu’il serait à désirer qu’il y en eût un dans chaque province; que ce fût la piovince seule qui, sous l’autorité du Roi, en eût l’inspection; qu’elle en fît seule les fonds d’avance, et qu’elle fût seule chargée de la circulation et de la rentrée aunuelle des grains, de manière qu’il y eût toujours deux années d’avance dans ces greniers publics. DOMAINES DU ROI. Engagements supprimés. Que les engagement à longues années des domaines du Roi soient enfin supprimés, et qu’ils rentrent tous dans la main du souverain. Il n’v a que trop longtemps que ces abus subsistent; ils sont toujours le fruit de la surprise et de l’obsession, et c’est ainsi que l’Etat s’appauvrit par détail. ADMINISTRATION DES DOMAINES. Que l’administration des domaines du Roi soit changée. Nous pensons que s’ils étaient affermés par des baux particuliers et faits sur les lieux pour y exciter la concurrence, ce serait le seul moyen d’en tirer un revenu plus avantageux. PENSIONS ET GRACES. Que les pensions et les grâces sur le trésor public ne soient accordées que sur les représentations des provinces et des commandants en ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (1) Ordonnance de 1345, art. 1er. (1) Ordonnance de 1539, art. 3 et autres. [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Paris hors’les murs.[ 533 chef militaires en faveur des sujets de l’Etat qui les auraient méritées. Nous pensons que, pour éviter toutes surprises à la générosité de nos princes, il est nécessaire que la liste civile soit annuellement rendue publique. COMPTES ANNUELS ET PUBLICS DE L’ADMINISTRATION. Que, pour relever le courage des sujets de l’Etat, il est important que les comptes de situation de l’administration générale soient annuellement publics. SUPPRESSION DES MILICES. Que les milices soient supprimées. Le sort ne peut jamais faire de braves soldats ; d’ailleurs les dépenses annuelles, la perte du temps qu’elles occasionnent aux pères de famille et à leurs enfants, font un nouvel impôt sur les gens de la campagne qui les surcharge annuellement, et en pure perte, puisqu’il est rare qu’un milicien rejoigne sa troupe. Que l’Etat donc daigne s’occuper du bonheur des habitants de nos campagnes, et elles se peupleront sans qu’il soit besoin de les contraindre à cet acte naturel, mais dont les suites font trembler, lorsque les pères de famille n’ont pas toujours du pain à donner à leurs enfants. BANQUEROUTIERS FRAUDULEUX. Que les banqueroutiers frauduleux soient punis suivant la rigueur des ordonnances : les malheurs successifs des temps pourront bien causer des révolutions dans les fortunes des commerçants, mais jamais ils ne doivent autoriser la fraude et la mauvaise foi. ÉGALITÉ DANS LA RÉPARTITION DES IMPOTS. Que tous les biens de quelque nature qu’ils puissent être, appartenant à quelques corps, corporation, ordre ou communauté et à quelques sujets de l’Etat que ce puisse être, soit réels ou fictifs, étant sous la garde et la protection de l’Etat, ils contribuent aux charges de l’Etat, à raison de leur valeur. Les charges d’une société doivent être relatives aux bénéfices et ceux-ci aux mises ; les distinctions accordées aux personnes ne peuvent être appliquées aux choses. SUR LES EFFETS PUBLICS ET DE COMMERCE. Que, pour établir autant que faire se pourra l’égalité entre tous les sujets du Roi par rapport aux charges de l’Etat, ii soit prélevé ou un dixième ou telle autre fixation graduelle avec les biens réels, sur toute négociation, soit d’effets publics ou de commerce. RÉGIME DES ADMINISTRATIONS PROVINCIALES. Que les administrations provinciales ou Etats particuliers des provinces seront à toujours élé-mentairement composés des trois ordres de l’Etat, et leur régime gouverné de la manière et ainsi qu’il sera arrêté par les Etats généraux. LEUR CIRCONSCRIPTION TERRITORIALE. Que le territoire de chaque province, comme celui de chaque ville et de chaque paroisse de campagne, sera circonscrit d’une manière immuable par des procès-verbaux contradictoirement faits avec les provinces, villes et paroisses voisines, dont les doubles ou expéditions seront graduellement déposés dans chaque dépôt public du lieu où ils auront été faits. L’ordre dans cette partie d’administration publique est plus important-qu’on ne le pense. Que chaque diocèse, chaque généralité soient également renfermés dans le territoire ainsi circonscrit de chaque province, de même que les tribunaux de justice, tant simples que souverains, et qu’il n’y ait qu’un seul gouvernement militaire dans chaque province. LEUR INSPECTION SUR LES DENIERS ET TRAVAUX PUBLICS. Que les administrations provinciales ou Etats particuliers des provinces auront, sous l’autorité du Roi, l’inspection sur les fonds publics de chacune d’elles, lesquels seront par elles directement versés dans le trésor royal. SUPPRESSION DES TRÉSORIERS ET RECEVEURS DES FINANCES. En conséquence, que tous les offices des receveurs généraux et particuliers de chaque province soient supprimés ; que la liquidation en soit faite en présence des représentants de la province, et les remboursements faits sur les fonds publics de chacune d’elles. REMPLACEMENT DESDITS OFFICIERS. Qu’il sera établi, sous leur inspection, des receveurs généraux et particuliers dans chaque province pour lesdits fonds publics ; que le receveur général résidera dans la capitale de chaque province, les receveurs particuliers dans les villes, lesquelles auront l’arrondissement des paroisses de campagne, qui sera ci-après fixé à l’article des tribunaux de justice, tous lesquels receveurs seront tenus de donner caution et certificateurs de cautions. Que les administrations provinciales ou Etats particuliers des provinces auront, sous la môme autorité, l’inspection de tous les travaux publics de chacune d’elles; qu’elles seront chargées de leur distribution et de l’emploi des deniers à ce destinés, dont elles rendront un compte annuel et public. Nuis abonnements. Que dans la répartition, soit des impôts généraux, ou particuliers, il ne soit consenti ou accordé à aucuns corps, corporations, ordres, ou communautés ou sujets de l’Etat, aucuns abonnements généraux ou particuliers ; dans ces sortes de marchés, l’Etat y perd toujours, et il n’y a jamais d’égalité pour les autres: TAILLE. Que l’impôt de la taille soit réduit ou changé (1). 11 est monté, ainsi que les accessoires, à un taux qui écrase les campagnes et empêche toute amélioration; tel impôt d'ailleurs n’a jamais été consenti à perpétuité par la nation. Nous pensons qu’il serait à désirer qu’il n’y eût, s’il était possible, qu’un seul impôt ou deux, pour les campagnes ; il est certain que les frais de contrainte, pour chaque payement d’impôt, augmentent la charge du cultivateur en pure perte pour l’Etat. PROLONGATION DE LA DURÉE DES BAUX DE LA CAMPAGNE. Nous pensons encore qu’il serait à désirer que (1) Yoy. l’ordonnance de 1445. 534 [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Paris hors, les murs.] les baux des fermes des biens de campagne fussent d’un plus long cours d’années. Le fermier craint toujours de faire des avances pour des améliorations dont il ne peut proliter, par la trop courte durée des baux. Le propriétaire peut prendre ses sûretés, pour ne pas laisser accumuler les fermages. FIXATION DE LA CONTRIBUTION PUBLIQUE. Nulle augmentation sans le consentement de la nation. Que le montant de la contribution nouvelle pour les besoins de l’Etat, s’il est nécessaire d’en accorder, une fois fixé, soit pour l’Etaten général, soit pour les provinces en particulier, il n’y ait aucune augmentation nouvelle ou addition d’impôts, sous quelque prétexte que ce soit, à moins qu’elles n’aient été consenties par les Etats généraux. AIDES. Gros manquant supprimé. Que, s’il est possible, tous les droits d’aides et gabelles, et mêmeîsur les cuirs, soient supprimés. Quant aux droits d’aides, au moins que, dès à présent, le droit connu sous le nom de gros manquant ou de trop bu soit supprimé ; il est trop déraisonnable. Complication desdits droits. En général, tous les droits d’aides et les droits affermés à la ferme générale sont si compliqués et si multipliés sous des formes différentes que leur régime ne peut être bien connu de celui-qui y est sujet, surtout à la campagne : delà les fraudes souvent involontaires, mais qui ne sontpas moins toujours réputées telles-, de là les frais multipliés, les inquiétudes, les tourments et souvent la ruine des cultivateurs : il faudrait une étude particulière de ce régime, et qui pourrait s’y livrer? il y a tant de règlements qui ne sont pas connus ! Abus desprocès-verbaux pour constater les fraudes. Un autre abus dans cette partie d’administration, est que, lors des fraudes, la foi étant due aux procès-verbaux des employés, qui sont intéressés à trouver des fraudeurs, soit pour leur avancement dans leurs postes ou emplois, soit parce qu’ils sont admis au partage du bénéfice des amendes et des fraudes, il peut arriver que ces procès-verbaux soient faux dans leur exposé ; que comme il en coûte des avances considérables, des frais, des procédures criminelles pour se pourvoir contre ces procès-verbaux suspectés, le malheureux cultivateur ainsi intimidé préfère payer et se mettre à la merci des employés plutôt que de plaider: de là quelles ouvertures pour les vexations et les injustices, si malheureusement les employés sont peu délicats ! A cet égard, nous pensons que, pour mettre le cultivateur à l’abri de ces injustices et de ces suspicions qui peuvent ainsi arriver, il serait nécessaire d’ordonner que le procès-verbal qui doit constater la fraude ne fût pas fait par les seuls employés aux fermes, mais en présence de deux voisins ou autres habitants du lieu où elle serait à constater, lesquels seraient tenus de signer les procès verbaux avec les employés ; l’intérêt du Roi et des fermiers est qqe le droit dû soit payé, et non pas que le débiteur soit tourmenté sur des simples soupçons de fraude. GABELLES. Les droits des gabelles dans les provinces, où l’impôt du sel est forcé d’être pris en nature, sont sujets aux mêmes inconvénients. TRAITES. Que tous les droits de traite soient supprimés de province à province, et reculés aux frontières du royaume. PÉAGES (1). Que, d’après les anciennes ordonnances , les droits de péage soient supprimés, à moins que les revenus n’en soient appliqués suivant leurs anciennes destinations. CAPITAINERIES. Qu’il plaise à Sa Majesté de supprimer toutes les capitaineries qui ne seraient pas auprès de ses demeures royales; elles occasionnent en générai beaucoup de dépenses, et, d’ailleurs, il y a trop d’abus en tout genre, que Sa Majesté n’est pas à portée de connaître. Le malheureux cultivateur en est toujours la victime. Il est même important de supprimer toutes les remises qui sont dans l’étendue des justices et seigneuries particulières. LOTERIES. Que toutes les loteries soient supprimées; c’est un appât perfide qui ruine les particuliers, et souvent même les réduit au désespoir. Si on consultait-les registres de la police, on serait effrayé de la liste de ces victimes. Enfin que, pour réunir le Roi avec ses peuples d’une manière plus particulière encore, pour concourir avec eux au bien public, et exciter la confiance mutuelle qui doit régner entre eux, les députés des trois ordres des provinces soient admis aux conseils du Roi, toutes les fois qu’ils auront à implorer sa justice, afin qu’ils puissent y être mieux entendus et faire valoir leur objet de réclamation auprès du trône. DES PERSONNES. RÉUNION DU PRINCE ET DES SUJETS PAR LES ADMINISTRATIONS PROVINCIALES OU ÉTATS DES PROVINCES. Abolition des coutumes mainmor tables. Que toutes les coutumes de servitude, ou main-mortables soient abolies par une loi générale. Plusieurs chartes et édits ont déjà tenté de le faire; mais ces lois ne sont que particulières. 11 n’y a d’autre joug que celui de la loi. Distinctions personnelles. En France, tous les sujets du Roi étant égaux entre eux aux yeux de la loi, qu’il n’y ait d’autres exemptions pour les charges et contributions publiques que celles dont continueront de jouir personnellement: 1° Tous les sujets ecclésiastiques du Roi, séculiers et étant dans les ordres, à cause de l’excellence de leurs fondions publiques et les services qu’il rendent à l’Etat; 2°Les personnes ou sujets duRoi nobles, soit de race, soit de magistrature, qui ont eu le droit de jouir de ces distinctions à cause de leurs services (2). Suppression de tous les privilèges (3). En conséquence, que tous autres privilèges, (1) Edits de 1452, de 1560 et 1579. (2) Ordonnance de 1445. (3) Même en matières contentieuses. [États gén. 1789. Cahiers.] exemptions, immunités et franchises, attachés jusqu’à présent a aucuns corps, corporations, communautés ou à tous autres sujets du Roi, sous quelque dénomination que ce puisse être, soient supprimés, éteints et abolis. Que le privilège d’exemption personnelle ainsi accordé n’aura lieu qu’en matière d’impôts seulement, et non en matières contentieuses, excepté entre ecclésiastiques pour affaires de discipline, et entres nobtes pour raison du point d’honneur; lesquels sujets du Roi continueront de jouir, pour ces cas seulement, des privilèges accordés à leurs personnesdanslesdites matières contentieuses (1). Enfin que, pour ôter toutes traces de servitude, tous droits de cens, champarts, dîmes, etc., pourront être rachetés ainsique toutes rentes seigneuriales, même les fonctions non rachetablès, et que le prix de ce rachat soit fixé par un règlement général. Que les privilèges personnels accordés aux princes et aux grands de l’Etat, soit pour leurs personnes, soit pour leurs principautés et pairies en matière contentieuse, continueront d’avoir lieu comme par le passé (2), Que le surplus des autres sujets du Roi sera personnellement imposé aux rôles des contributions publiques et jugé par les juges de son domicile sans aucun exception (3). DU CLERGÉ. Propriétés du clergé conservées. Que toutes les propriétés réelles et foncières du clergé lui seront conservées. Que les personnes du clergé séculier seulement, et comme il est dit ci-dessus, continueront à jouir de l’exemption personnelle de tous impôts personnels et de toutes charges publiques. Mais que tous les biens et propriétés réelles et foncières du clergé seront à toujours assujettis à toutes les contributions d’impôts publics, sous quelque dénomination que ce puisse être (i). Suppression des décimes. En conséquence, que le régime des décimes soit supprimé. Administration de tous les biens religieux (5). L’Etat ayant la police et l’inspection sur tous les biens et revenus des sujets qui vivent à l’abri de ses lois, sous leur protection et sauvegarde ; les sujets des ordres religieux n’étant que des usufruitiers des biens donnés aux églises et aux monastères pour le service du cuite divin, la nourriture et l’entretien des religieux, et le soulagement des pauvres, ces personnes religieuses ayant renoncé à toutes les fonctions d’administration publique par les vœux qu’elle ont faits, qui les ont isolés du commerce des hommes ; il soit créé dans chaque province ou diocèse un conseil royal d’administration de tous les biens ecclésiastiques réguliers qui y sont situés, appartenant à aucuns ordres, corps ou communautés ou corporations que ce puisse être, lequel conseil, sous l’autorité du Roi. sera composé des personnes des trois ordres de l’Etat, et dont le (1) Ordonnance de 1302 et autres. (2) Excepté pour les princes, à raison de leurs paieries. (3) Tous les sujets du Roi seront jugés par leurs juges naturels. (4) Mais assujettis aux impôts publics. (3) Ut per singulas civitates et monasteria virorum et puellarum diligenter inquirant, etc. (Cap. Caroli Magni, Cap. 79, de idissi dominici.) [Paris hors les murs.] 535 régime sera fixé parles Etats généraux, à l’effet d’établir une plus égale répartition desdits biens entre tous les ordres religieux, de quelque sexe ou ordre que ce puisse être, et les revenus appliqués: 1° au service du culte divin; 2° à la nourriture et entretien de chaque sujet desdits ordres religieux et des biens desdits ordres et communautés (1). Application des revenus des ordres religieux. Que le surplus en soit appliqué : 1° A l’entretien décent et honnête des curés et vicaires de campagne dont les revenus ne sont pas suffisants; 2° A une retraite à faire pour lesdits curés, après le temps de service qui sera fixé par ledit conseil d’administration ; 3° A l’établissement des maîtres et maîtresses d’écoles dans toutes les villes et paroisses de campagne, où il n’y en a point d’établis, ou dont les gages ou fondations à ce destinés ne sont pas suffisants pour les faire subsister, et se livrer avec zèle à cette partie essentielle et trop négligée d’instruction publique dans les campagnes (2) ; 4° Enfin, à procurer à toutes les villes et municipalités de campagne des secours annuels, pour le soulagement des pauvres, suivant qu’il en sera ci-après parlé à l’article des municipalités (3). Ce simple moyen arrêterait la mendicité et éviterait des dépenses de constructions d’bôpitaux, et tous les frais d’administration y relatifs. Concurrence des non nobles avec les nobles aux bénéfices. Que toutes personnes ecclésiastiques non nobles, mais d’un mérite reconnu, auront avec les ecclésiastiques de race noble un droit égal à la nomination de tous les bénéfices. Que Sa Majesté sera suppliée, ainsi que tous les autres coilateurs, d’y nommer alternativement tous lesdits sujets séculiers nobles et non nobles. Qu’aux rois seuls et auxdits coilateurs, comme protecteurs des biens ecclésiastiques, appartient le droit de présentation et dénomination des sujets ecclésiastiques aux bénéfices du royaume, sans le concours et l’autorisation d’aucune autre puissance, si ce n’est de l'ordinaire, seul, pour connaître de la capacité et régularité de mœurs desdits sujets ecclésiastiques séculiers qui y seront nommés et présentés (4). Qu’il ne doit y avoir que cette voie seule pour être pourvu aux bénéfices du royaume, toutes autres, jusqu’à présent, ayant été autant d’abus. Election pour les seules dignités ecclésiastiques. Que les élections usitées pour les dignités séculières et régulières dans le clergé continueront d’être exécutées. Baux à ferme des biens ecclésiastiques. Que les baux à ferme des biens ecclésiastiques séculiers ne seront pas résiliés de droit après le (1) Monasterium ita débet esse conslitutum ut omnia necessaria intra monaslerium exerceantur, ut non sit nécessitas monachis vel clericis vagandi foras , quia omnino non expedit animabus eorum. (Cap., liv. V, synode sous Charlemagne, art. 373. — Baluze, page 604.) (2) Ant. Can. V. conc. de Latran, sous Alexandre 111. (3) Ut de cura pauperum memores sitis, etpropter qqod res ecclesiasticæ àfidelibus oblatæ etab ecclesia receptæ sint. (Eod., synod. art. 374. — Baluze, page 604.) (4) V. les anciennes remontrances du peuple, sous Louis XI et François 1er, et l’ordonnance de Fontainebleau, du 3 septembre 1551, registrée en parlement, le 7 dudit mois. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 536 [États gén. 1789- Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Pans hors les murs.] décès du titulaire, mais qu’ils continueront d’avoir leur exécution pour le temps qui restera à expirer desdits baux. L’expérience a dû apprendre que les fermiers, craignant la résiliation éventuelle de leurs baux par le décès des titulaires, n’améliorent guère leurs terres, dans la crainte-île perdre leurs avances, ou de les racheter par de trop gros sacritices; d’un autre côté, ils se ruinent par les pots-de-vin que les titulaires ne manquent pas d’exiger des fermiers, lorsqu’ils entrent en possession de leurs bénéfices. Nul sujet régulier ne sera curé et vicaire. Que nul sujet ecclésiastique régulier ne pourra, à l’avenir, remplir les fonctions de curé et vicaire. Réunion des monastères. Que tous les bénéfices simplès réguliers et les maisons composées de six religieux et au-dessous seront supprimés, réunis et incorporés par le conseil royal d’administration diocésaine. Ages des curés et vicaires. Que l’âge compétent pour remplir les fonctions de curé et de vicaire sera réglé. Ordre et inspections hiérarchiques. Que les évêques auront l’inspection sur les curés et ceux-ci sur leurs vicaires ; que dans chaque paroisse de ville ou de campagne, il y ait un curé, un ou deux vicaires tous résidants, et ce, suivant la population desdites paroisses. Revenus annuels des curés et vicaires. Qu’il sera pourvu par l’administration diocésaine à la nourriture et entretien décent et honnête de chaque curé et de chaque vicaire, de manière que chaque curé ait au moins 1 ,500 francs de revenu annuel et fixe, et chaque vicaire 750 fr. outre le casuel. Casuels. Qu’il sera fait un règlement dans chaque administration diocésaine pour ledit casuel. Qu’il sera partagé entre lesdits curés et vicaires, de manière que les curés en aient moitié, s’il n’y a qu’un vicaire dans la paroisse, et s’il y en a deux un tiers. Casuel des fabriques. Qu’il sera fait également un règlement pour le casuel des fabriques. DE LA NOBLESSE. Exemption personnelle pour la noblesse. Que la noblesse continuera de jouir de l’exemption personnelle de tout impôt personnel, ainsi que de toutes charges publiques. Elle sera héréditaire. Qu’elle sera toujours héréditaire : les vertus des pères et de leurs ancêtres doivent servir d’exemples continuels aux enfants, pour les engager à es imiter. Création future des nobles. Que Sa Majesté sera suppliée de ne créer aucun nouveau noble que sur la présentation qui lui sera faite par les provinces des sujets qui auront mérité ce haut degré de l’estime publique, si ce n’est à raison du service militaire et sur la présentation des commandants. Nul office ne pourra donner la noblesse. Que nul office, à l’avenir, ne pourra donner la noblesse héréditaire, à moins que le sujet ne soit présenté par la province. Que tous les sujets du Roi, quoique de l’ordre du tiers-état, et d’un mérite reconnu, auront droit. à tous emplois civils et militaires, à quelques rangs qu’ils puissent élever (1). Que tous règlements civils et militaires contenant des dispositions contraires seront supprimés. Propriétés de la noblesse conservées. Que tous les droits attachés aux domaines nobles, les droits de fiefs et autres seront conservés à la noblesse et à ceux qui les possèdent comme droits de propriétés, excepté tous droits de servitude mainmortable, ou autres droits de cette nature. HAUTE JUSTICE. Seulement conservée dans les villages et paroisses. Que l'exercice de la haute justice ne sera conservé qu’aux seuls seigneurs de paroisses ou de villages, ainsi qu’il sera ci-après expliqué à l’article de l’administration de la justice. Contributions des biens nobles aux charges publiques. Que tous les biens nobles, ainsi que les biens roturiers, de quelque nature qu’il soient, réels, corporels ou fictifs, seront assujettis à toutes les contributions publiques, sous quelque dénomination qu’elles soient connues. DE L’ADMINISTRATION DE LA JUSTICE. Réformations des procédures. Que toutes les procédures civiles et criminelles soient réformées. Taxe des frais. Qu’il y ait une taxe générale pour les frais des procédures, suivant deux seuls degrés de juridiction. - Droits des officiers. Qu’il y en ait une pour les droits des officiers de chaque siège ou tribunal de justice; qu’elle soit graduelle pour lesdits deux seuls degrés de juridiction. Deux seuls degrés de juridiction. Qu’il n’y ait que deux seuls degrés de juridiction, tant en matière civile qu’en matière criminelle : Un tribunal de première instance ; Un tribunal d’appel. Tribunal de première instance. Que le tribunal de première instance aura deux dénominations différentes : l’un appelé tribunal royal municipal, et l’autre appelé tribunal seigneurial municipal. Que dans les villes et paroisses où il y a un juge royal, il n’y aura qu’un seul tribunal. Que dans les villes et paroisses où il n’y aura point de juge royal, ce sera la haute justice de la paroisse qui en tiendra lieu. Leur territoire. Que le tribunal sera circonscrit dans le terri-(1) Matharel , réponses au livre d’Hotteman. — P. Hénault, page 112. [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Paris hors les murs.] 537 toire de la ville ou de la paroisse où il sera établi. A l'exception du tribunal royal qui, outre son territoire, en aura un plus considérable extraordinaire pour la connaissance des cas royaux. Que ce territoire sera également circonscrit. Compétence. Que ces tribunaux connaîtront de toutes matières personnelles, réelles, possessoires et mixtes, police, voiries, eaux et forêts, etc... entre tous les sujets du Roi, de quelque qualité et condition qu’ils soient, tant en matière civile qu’en matière criminelle. Qu’ils pourront juger présidialement en matière civile, savoir : Par le tribunal royal jusqu’à la somme de... Par le tribunal seigneurial jusqu’à celle de... Que le tribunal royal aura, en outre, la connaissance des cas royaux ordinaires, excepté ceux ci-après nommés, qui seront de la connaissance du tribunal seigneurial, savoir : Les rébellions à justice contre l’exécution des mandements ou sentences émanéés du tribunal seigneurial; Le blasphème simple; Le trouble au service divin dans la paroisse ; Et autres cas de semblable police. Appels. Que les appels de ces tribunaux de première instance seront portés directement au tribunal de chaque province. Juges naturels. Mais comme il est dangereux que la vie et la fortune de chaque citoyen ou sujet du Roi dépendent d’un seul juge, comme dans les simples prévôtés royales et seigneuriales, comme anciennement les cités et municipalités avaient leurs juges naturels ; Qu’il est de l’ordre civil que chaque citoyen soit jugé par ses pairs, il serait à désirer que tous les tribunaux de justice, soit en première instance, soit en cause d’appel, soient composés de manière qu’il y eût, surtout en première instance, outre les juges ordinaires qui seront gradués, un des citoyens des trois corps dans le lieu du tribunal de la justice, ou de deux ou en plus grand nombre, suivant la population de la ville ou de la paroisse. Un greffier, un procureur du Roi, ou procureur fiscal résidant. Dans les tribunaux royaux, un avocat du Roi. Que tous officiers seigneuriaux auraient provisions du seigneur haut justicier de la paroisse. Que ces provisions ne seraient révocables, si ce n’est pour forfaiture et prévarication jugées par le tribunal d’appel (1). Ne seront héréditaires. Que ces provisions ne seraient héréditaires en aucun cas, excepté seulement les officiers ministériels des tribunaux royaux. Que, dans les tribunaux seigneuriaux, il y aurait un auditoire décent, une chambre du conseil où sera le greffe et dépôt des minutes du greffe. Qu’il y aura une geôle construite d’après les règlements, et un geôlier avec provisions. Qu’en toutes matières sommaires et où il ne s’agira de l’exécution d’aucun titre, les causes y (1) Ne seront révocables. — Ordonnance de 1467 et autres. seront jugées sommairement, comme dans les tribunaux consulaires. Que dans les autres matières, les procédures y seront suivies, d’après les nouveaux règlements et anciennes ordonnances. TRIBUNAUX D’APPEL. Parlements ou juges d’appel. Que ces tribunaux seront connus sous les noms aussi anciens qu’illustres de parlements. Qu’il y en aura un établi dans la capitale de chaque province, s’il n’y subsiste pas déjà. Qu’ils jugeront souverainement des appels des sentences des tribunaux royaux et seigneuriaux. Qu’ils seront toujours les dépositaires des lois générales du royaume et particulières des provinces. TRIBUNAUX D’EXCEPTION SUPPRIMÉS. En conséquence, que tous les tribunaux de privilège et d’exception seront supprimés et le remboursement des offices payé avec les deniers publics ; Excepté les élections et les cours des aides pour les matières d’impôts; Les officialités pour les matières purement spirituelles et pour les faits de discipline entre les ecclésiastiques seulement; Les tribunaux des maréchaux de France pour les cas particuliers entre les nobles seulement; Et les prévôts des maréchaux pour les cas prévo-taux. DES VILLES ET PAROISSES DE CAMPAGNE. Circonscription territoriale. Que l’étendue et les limites du territoire des villes et paroisses de campagne sero G fixées par des procès-verbaux contradictoires fûts avec les habitants des villes et paroisses voisines, comme il a été proposé ci-dessus. Election des membres des municipalités. Que les membres des municipalités seront électifs. Qu’il y ait, comme il a déjà été demandé, dans chaque ville et paroisse, un curé, un ou deux vicaires résidants, suivant la population des lieux, et que leurs honoraires soient fixés et réglés s’ils n’ont pas de revenus particuliers, suivant qu’il a été proposé et demandé à l’article concernant le clergé. Leurs fonctions. Que les municipalités soient chargées de faire les rôles et la répartition sur tous les habitants domiciliés ou propriétaires, de quelques corps ou conditions ou dignités qu’ils soient, dans l’étendue du territoire de ladite ville ou paroisse, de tous les impôts publics territoriaux ou personnels, sous quelque dénomination qu’ils puissent être connus. Inspections. Qu’elles continueront de surveiller la rentrée des deniers publics et communs, et le versement des deniers publics ès mains du receveur particulier de la province. Qu’elles se conformeront aux règlements, tant anciens que nouveaux, tant pour fa nomination des collecteurs que pour les autres fonctions attribuées aux municipalités. Que, de plus, elles inspecteront dans les paroisses de campagne les comptes des fabriques, qui 538 (États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Paris hors les murs.] seront rendus devant elles. Les curés étant toujours des membres des municipalités, cette inspection ne doit point souffrir de difficultés. On a la preuve journalière du désordre des titres et papiers de fabriques; elles ne sont pas assez surveillées. Qu’aux municipalités appartiendra le droit de nommer aux places de maîtres et de maîtresses d’écoles, ainsi que celui de les destituer, de payer leurs gages avec les revenus qui y seront affectés. Pauvres habitants. Que sur les deniers provenant de l’administration diocésaine, il sera annuellement pris, prélevé et envoyé aux paroisses des campagnes, et suivant leur" population, une somme déterminée pour pourvoir aux besoins des pauvres habitants. Rôle à cet effet. Qu’à cet effet, il sera annuellement fait un rôle des pauvres dans chaque paroisse de campagne, afin de les connaître et de pouvoir les secourir. Que pour prévenir la mendicité, aucuns mendiants étrangers ne participeront à ces secours, mais au contraire ils seront punis suivant la rigueur des ordonnances. Que tout habitant, qui aura quelque grâce ou justice à demander aux administrations provinciales, s’adressera d’abord aux municipalités pour avoir leur attache. Que tout terrain qui restera sans culture pendant trois ans soit réputé vacant. En conséquence, qu’il soit permis à tout citoyen de la paroisse où il sera situé de s’en emparer et de le cultiver, en faisant sa déclaration à la municipalité, à la charge par lui de payer la portion d’impôt dont ledit terrain serait grevé, tant due que future, et par chaque année de récolte, la non-valeur étant à la charge de chaque paroisse; que si le propriétaire réclame le bien vacant avant dix ans, il sera tenu de rembourser les améliorations au cultivateur. SUPPLIQUES Particulières des habitants d'Essonnes. Qu’il y ait un curé résidant dans ladite paroisse. Jusqu’à présent celui qui a ce titre réside en la ville de Corbeil, dont la paroisse où il fait ses fonctions curiaLes n’est cependant que l’annexe. Qu’outre le curé, il y ait aussi le vicaire résidant. La population de la paroisse exige les soins d’un curé et d’un vicaire. Cette paroisse est composée de deux cent cinquante-six à deux cent soixante feux ce qui fait onze à douze cents personnes.- Elle a des écarts considérables. Que l’un et l’autre fussent dotés de la manière indiquée à l’article de l’administration diocésaine. Le curé n’a que 450 livres de gros, quelques fondations de peu de valeur et le casuel, qu’il abandonne pour la subsistance du vicaire qui fait les fonctions curiales; ce casuel, par conséquent, est réglé à volonté, et de là des abus sans nombre, quelquefois môme du scandale, par le défaut de règlement pour tout ce qui concerne les honoraires de ceux qui servent le culte divin. Que le cimetière, soit transporté ailleurs. Ce changement est d’autaut plus instant, qu’on est obligé souvent d’ouvrir une fosse sur une autre. Son état actuel peut faire craindre une épidémie. Que le maître d’école ait plus de gages. Il n’a pas 120 livres de fixe. Qu’il y ait une maîtresse d’école pour les filles. Que l’on répare les chemins publics, qui avoisinent ce village : 1° Celui qui conduisait de ce village aux communes, ainsi que le pont appelé de Vaux; depuis qu’il est tombé les habitants voisins s’en sont emparés; 2° Celui qui conduit à Corbeil par le hameau des Petites-Bordes et le pont qui traverse dans ce chemin un petit bras de rivière; il y a plusieurs années que les habitants de cette paroisse et ceux même de la ville de Corbeil en ont demandé la réparation ; Il y a un mémoire particulier présenté à ce sujet à l’administration provinciale; 3° Celui qui conduit à Villabé par Robinson. Tous ces chemins sont absolument ruinés par défaut d’entretien, malgré les contributions annuelles des habitants soit aux rôles des corvées, soit aux autres deniers publics à ce destinés. Qu’il y ait une visite générale de la rivière d’Etampës ou d’Essonne , pour remédier aux inondations qui ruinent annuellement les propriétaires riverains par des abus multipliés et le défaut de police sur cette rivière. 11 y a à ce sujet un mémoire très-détaillé qui a été envoyé à l’administration provinciale. Tels sont les vœux, supplications et instances que nous, municipalité et habitants de Ta paroisse d’Essonne osons apporter aux pieds du trône et présenter à la nation assemblée. Mais ne concentrant pas font le bien général et particulier que l’on peut faire dans nos seuls désirs et dans nos seules pensées, nous formons un vœu général pour que les sages qui vont décider du sort de cette nation généreuse et aimante, ne s’occupent que de la seule régénération en éloignant tout intérêt particulier de chacun d’eux et de tout corps en général. Remplis d’amour pour notre bon Roi, de reconnaissance pour son vertueux ministre, et de vénération pour chacun des députés qui vont composer cette auguste assemblée; Intimement persuadés de cette régénération si désirée qu’ils vont produire dans tous les Etats et dans nos mœurs, si susceptibles des meilleures impressions, nous osons les supplier tous de nous permettre d’en consacrer un monument public dans ce village, qui puisse rappeler à nos enfants le souvenir d’un aussi grand bienfait. En conséquence, nous, habitants susdits et soussignés, donnons pouvoir à MM. Mariette, Rousseau et Raciol, députés par nous nommés, ou à ceux qui les représenteront, d’insister sur les réformes à faire dans toutes les parties de l’administration publique, d’après le plan que nous venons de présenter, comme bons et loyaux sujets, au Roi et a la nation assemblée. D’aviser sur tous lesdits objets de réforme et sur tous autres qui seraient proposés. De consentir et arrêter en nos noms tout ce que la grandeur des objets qu’ils auront à traiter pour le bien général de l’Etat, et de chaque sujet en particulier, pourra leur suggérer. De se faire donner tous pouvoirs généraux et spéciaux. Fait et arrêté cejourd’hui 14 avril 1789, issue de la messe paroissiale, en l’assemblée extraordinaire de tous les habitants de cette paroisse d’Essonne, convoqués à ce sujet par le syndic de la municipalité, d après la sommation qui nous a été faite le dixième jour du présent mois par [États gén. 1789. Cahiers.] J.-B., Boivin huissier à cheval, à la requête de M. le procureur du Roi au châtelet de Paris et en la présence de M. Charles-Etienne Marsault, procureur fiscal de ce lieu, qui a signé avec nous soussignés, en l’absence de M. Popelin, bailli, juge ordinaire de cette haute justice. Certifions en outre que dimanche dernier, douzième du présent mois d’avril, lecture et publication ont été faites en l’église paroissiale, en la manière accoutumée, par M. Geoffroy duRailly, prêtre, vicaire desservant, tant de la lettre du Roi pour la convocation des Etats généraux à Versailles, en date du 24 janvier dernier, du règlement fait par Sa Majesté en date dudit jour pour les formes à observer pour la tenue desdits Etats généraux, que de l’ordonnance deM. le prévôt de Paris pour ta convocation des trois Etats de la prévôté et vicomté hors des murs de Paris, en date du samedi 4 du présent mois , et de la sommation susdatée faite auxdits habitants en la personne dudit sieur Halles, leur syndic, à l’effet d’exécuter lesdites lettres, règlement et ordonnances susdatées ; en conséquence, procéder à la rédaction du présent cahier, ainsi qu’à la lecture d’icelui, et ensuite à la nomination des trois députés de cette paroisse, lesquels seront tenus de se rendre à Paris le samedi 18 du présent mois, sept heures du matin, en la grande salle de l’archevêché, le tout et ainsi qu’il est plus au long-écrit et ordonné ès articles 5 et 7 de ladite ordonnance de M. le prévôt de Paris. Lequel présent procès-verbal a été aussi signé par le sieur Pierre Dié, greffier de cette municipalité et communauté, pour l’absence de M. Ba-rat, greffier ordinaire de la haute justice de cette paroisse, dont le double, dressé pour servir de minute au présent, conformément à l’article 7 de ladite ordonnance, sera déposé au greffe de cette municipalité et communauté. Au nombre desquels habitants de cette paroisse, composée de deux cent soixante feux, ainsi qu’il a été vérifié en présence dudit maître Marsault, assisté comme dessus, par le rapport fait du rôle des tailles de la présente année 1789, étaient, savoir : Pierre Benoît ; Claude Milard ; Guillaume Bordes ; Augustin Boutet ; Jean-Louis Perrot ; Louis Joyeux ; Louis Mitard ; Germain Gombé ; Sylvain Jolivet. Lesquels habitants ont déclaré ne savoir écrire ni signer, et de plus ceux dont les signatures sont ci-dessous, savoir : Rousseau ; Foucher ; Bocquet ; Villement aîné ; Marquignon ; Michel Dupuis ; Du Châteaux; Gau-lot iJerfin ; Cheron Mitard; Claire Deschamps ; Benoît Meunier; Coste Dorlin ; Viales ; David; François Maquignon ; Couty aîné; Villener; Deschamps ; Courtin ; Davis ; “Aubry ; de La Goûte ; Bezine; Dalenne ; Marceaud ; Radol; Couturie; Clakumps ; Mariette. Gautier, greffier. ARTICLES ADDITIONNELS. Cejourd’hui 16 avril 1789, le bureau de la municipalité d’Essonne, s’étant extraordinairement assemblé à l’effet de prendre une nouvelle lecture du cahier des doléances présenté au nom des habitants de cette paroisse, et s’étant aperçu qu’il y avait quelques articles qui intéressaient'’tant le bien général des habitants de la campagne que ceux de cette paroisse, il a été résolu de les rappeler ici par forme d’addition audit cahier. Art. 1er. Que tout droit de chasse soit supprimé. Art. 2. Que tous les pigeons baudonniers que [Paris hors les murs.] 539 l’on nomme bisets soient détruits, vu le tort qu’ils font dans le temps des semences, ainsi que dans le temps des moissons. Art. 3. Qu’il soit expressément défendu de planter en vignes les terres propres et faciles à la seule culture des grains. Art. 4. La municipalité demande qu’outre la réparation et l’entretien du chemin qui conduit à Villabé par Robinson, il soit ajouté d’Angoulême allant au Moulin-Galant, qui est un hameau écarté de la paroisse, composé de quarante feux, le long duquel chemin il y a quinze roues de moulin tournantes, dont deux à foulon, cinq à la manufacture à papier, un à tan, quatre à farine et trois à cuivre. Fait, clos et arrêté lesdits jour et an que dessus. Signé Foucher; Mouille; Viallé; Couty aîné;’ Radol; Rousseau; David; Villemor; Couturier. CAHIER Des plaintes, doléances et demandes des habitants de la paroisse d’Etiolles , située dans la prévôté et vicomté de Paris (1). Demandent, lesditshabitants, la garantie deleurs personnes et de leurs propriétés, Se plaignent de n’être accablés d’impôts que parce que sans doute il y a une mauvaise administration dans les finances, et demandent de ne payer que ceux consentis par le Roi et la nation assemblés. Requièrent, lesditshabitants, que l’exportation des grains soit abolie hors du royaume ; il est prouvé que la cherté du blé 11’est “survenue que quand l’exportation en a été permise. Ils se plaignent que les choses de première nécessité, comme le pain, le bois, le sel sont d’une cherté affreuse ; le pauvre, quelque fort qu’il travaille, ne peut s’en fournir pour lui et sa famille. Requièrent qu’il serait nécessaire de fixer le prix du blé : si le plus beau ne coûtait que... le cultivateur n’aurait point à se plaindre, et le pauvre trouvant du blé inférieur à meilleur marché pourrait vivre. Et vu la cherté du pain et le peu de récolte de l’année dernière, la longueur et la rigueur de l’hiver dernier, qu’ils fassent le payement de la taille de 1789 jusqu’au 1er janvier 1791 sans payer de fi ais. Cette paroisse a, de superficie, plus de 4,000 arpents; les trois quarts sont plantés en bois, parcs, jardins et potagers et autres choses d’agrément, et sont possédés par des communautés, chapitres, des nobies et des privilégiés qui ne payent absolument aucune de ses charges. Le reste, possédé par les pauvres habitants, paye tous les ;impôts quelconques ; ils souffrent tous les dégâts de la forêt de Senart qui les borde pendant près de cinq quarts de lieue ; ils demandent qu’il leur soit permis d’aller en toutes saisons y ramasser des bois secs et des herbes pour le besoin de leurs bestiaux, et que, comme ils souffrent d’un autre côté des débordements de la Seine, il leur soit permis d’y pécher. Dans cette paroisse, il y a un vignoble considérable; leYin, quoique bon, n’étant pas de lapre-rnière qualité, n’a point de débouché pour Paris, ce qui cause un vrai dommage dans cette paroisse, en ce qu’il faut que l’habitant en con-(1) Nous publions ce cahier d’après un manuscrit des Archives de l’Empire. ARCHIVES PARLEMENTAIRES.