[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 août 4790.} 599 dentes qui nous menacent aujourd’hui ne paraîtraient mériter aucune attention de notre part; et tout ce que nous voudrions faire, ou conserver pour nos alliés de propre à maintenir notre sûreté mutuelle, serait représenté comme incompatible avec notre Constitution. Ceux qui diffèrent à ce point, dans l’application de leurs principes politiques, s’ils sont amis de notre Constitution , n en sont pas amis éclairés, ni logiciens; et certes, ils ne sont pas amis de notre sûreté extérieure, et de la conservation intégrale de notre Empire. Us disent, il est vrai, qu’en rompantnos traités, nous pourrons en conclure d’autres beaucoup plus raisonnables et qui seront plus solides, parce qu’ils seront complètement et uniquement nationaux. Mais voudraient ils que l’on fît un traité dans un jour? Ne conçoivent-ils pas que tout traité demande une discussion et une négociation préalables ? N’est-ce pas même pour que cette discussion et cette négociation aient lieu de nouveau et à loisir, qu’ils désireraient que l’on commençât par rompre nos traités? Si notre sûreté, si celle que nous devons à nos alliés en échange, tiennent à nos conventions réciproquement défensives, ne voient-ils pas qu’un temps considérable s’écoulerait nécessairement, pendant lequel n'ayant plus notre ancienne garantie, n’ayant pas encore établi la nouvelle, nous serions dénués de toute sûreté politique; et ce temps suffirait peut-être pour que les puissances confédérées contre nous et qui paraissent l’être si intimement chez nous-mêmes avec les fauteurs de l’anarchie, parvinssent à nous rayer de la liste des nations? Que dirait-on de ceux qui croiraient les systèmes de foriification de M. de Montalembert ou de M. de la Clos, supérieurs à celui de Vauban, et qui proposeraient, en conséquence, de faire sauter, en un jour, toutes nos places fortes pour les reconstruire à neuf et à loisir dans l’un ou dans l’autre système; qui nous conseilleraient de laisser nos frontières ouvertes en attendant? , L’expérience montre que la passion, l’ambition, les intérêts particuliers, la démence peuvent hasarder ces sortes de conseils. Mais la raison et le patriotisme crient qu’il ne faut pas détruire l’édilice du salut public, avant d’en avoir construit un autre; que notre plus pressant besoin, quant à nos traités politiques, est de tranquilliser nps alliés qu’on alarme et de déclarer authentiquement que, dignes de leur amitié et de leur estime, nous sommes sérieusement résolus de remplir, avec la plus sévère exactitude, nos engagements défensifs; enfin que l'examen que nous réservons des autres conditions de nos traités, ne portera aucune atteinte à la parfaite et puissante garantie que nous avons promise aux nations qui garantissent elles-mêmes nos possessions et nos droits. Tout ce que peuvent désirer les citoyens vraiment bons, qui veulent avec raison perfectionner toutes nos conventions politiques, et y porter à la fois la prudence, l’équité, la loyauté qui conviennent à une grande nation rentrée dans ses droits, est cette résolution, cette déclaration si nobles : Toutes les dispositions défensives, prises par les traités faits au nom de la France, sont sacrées. Toutes leurs dispositions offensives sont nulles. Toutes leurs dispositions commerciales seront examinées, mais subsisteront jusqu’au résultat de l’examen. DEUXIÈME ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 3 AOUT 1790. Observations sur la réclamation faite au roi d’Espagne, par son ambassadeur à la cour de France, M. le comte de Fernan-Nunez, et communiquée à V Assemblée nationale, le 3 août 1790, par M. Le Couteulx de Canteleu, député de Rouen. I L’Assemblée nationale ne peut différer de donner la plus sérieuse attention à ses relations extérieures. Si dans lout ce qu’elle a fait pour la régénération de la France, il lui eût été si utile de bien distinguer les vrais amis de la patrie, il ne lui est pa� moins imporiant de bien connaître quelle est la nation qui est sincèrenbent et essentiellement unie aux Français par la nature, ainsi que par ses intérêts réciproques. L’Assemblée nationale a déclaré que la nation française renonçait à toute espèce de conquête, et qu’elle n’emploierait jamais ses forces contre la liberté d’aucun peuple. Cette déclaration, si honorable pour les représentants d’une nation qui, depuis tant de siècles, jouit d’une si grande prépondérance dans les intérêts politiques de l’Europe, peut contribuer à affermir l’équilibre établi depuis plusieurs années entre les puissances qui nous environnent ; mais l’Assemblée nationale a paru en même temps se persuader que la nation française ne pourrait être entraînée dans une guerre que dans le cas des hostilités imminentes ou commencées, d’un allié à soutenir, d’un droit à conserver par la force des armes. Lorsque son comité diplomatique lui rendra compte des traités qui vont être soumis à son examen, elle reconnaîtra que ce ne sont plus les conquêtes ni les violences à mains armées qui divisent aujourd’hui les nations; qu’au moment même où on entame les négociations de la paix entre deux puissances épuisées par la guerre, commencent des entreprises d’un autre genre qui sont de la plus grande conséquence, et dont les effets sont d’autant plus dangereux, qu’ils sont déguisés sous des paroles de paix, et par une prétendue réciprocité d’intérêts à laquelle la nation la plus fatiguée de la guerre ou la moins éclairée dans son administration, donne toujours une aveugle confiance. Ces entreprises sont celles qui s’exercent par des conventions commerciales, Il n’est pas sans exemple que, par le seul article d’un traité, une puissance ait anéanti une branche de commerce et d'industrie de celle avec laquelle elle paraissait s’allier. La France en a fait une cruelle expérience ; mais ce n’est pas seulement dans les traités directs de là France, que ses intérêts peuvent être compromis : ils peuvent souffrir sensiblement dans un traité ou dans des c inventions auxquelles elle n’aurait aucune part. On peut adroitement la supplanter dans les marchés étrangers, où les productions de son industrie obtenaient le débouché le jiiuà 600 {Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [3 août 1790.) étendu et le plus utile. Sous ce point de vue, on sait combien notre alliance avec l’Espagne nous est précieuse. Ne nous dissimulons pas que l’Angleterre ne déploie ses forces maritimes que pour en alfaiblir les liens, pour nous faire perdre les avantages que les liens du sang et l’amitié personnelle, qui unit les deux souverains, ont ajouté à ceux auxquels nous sommes appelés par la nature et notre position. C’est dans ce sentiment que je m’empresse de publier les observations suivantes. Je pourrais avoir la prétention de les produire à la tribune; mais ce n’est point dans des questions d’une si haute impor tance, que je me hasarderai d’y monter. 11 est du devoir d’un bon citoyen de laisser, dans ces grandes occasions, le champ libre aux orateurs, qui, par leurs talents et leur génie, peuvent donner à l’Assemblée les impressions et les mouvements les plus salutaires. Je me permettrai seulement un aveu, c’est que le comité diplomatique, qui ne compte parmi ses membres aucun négociant, imite cependant 1 exemple des Anglais qui ne s’occupent essentiellement d’un traité que sous les rapports qui peuvent être utiles à leur commerce, à leur industrie et à leur navigation et qui, par cette conduite encore plus que par le succès de leurs armes, se sont élevés depuis un demi-siècle au plus haut degré de prospérité, lorsque notre ancienne administration, même dans un traité de commerce, a dédaigné les lumières et les réclamations des négociants. II Tout annonce que la querelle qui vient de s’élever entre l’Espagne et l’Angleterre, minutieuse en apparence dans ses causes, est cependant profondément combinée pour devenir d’une grande conséquence dans ses résultats. Sans examiner de quel côté sont les prétentions exagérées, ce qui serait prématuré pour le moment, parce que nous manquons de données suffisantes et qu’il faut que nous ayons acquis le droit de faire cet examen : je me bornerai à dire mon avis sur la manière dont nous devons accueillir la démarche de la cour de Madrid. Nous sommes les alliés de l’Espagne ; quels qu’aient été, dans l’origine, lesmotits qui on fait resserrer nos liens avec elle, le traité subsiste, et plusieurs fois déjà il a eu son application. On n'a pas oublié qu’en 1761, l’Espagne, malgré le besoin senti qu’elle avait de la paix, s’associa à un désastre .et partagea les douloureux sacrifices que nous imposa le traité de 1763. En 1779, après avoir épuisé tous les moyens de nous rapprocher de l’Angleterre, elle fit taire mille arrangements qui militaient contre le vœu des colonies américaines, pour n’obéir qu’à ses engagements. Ce n’est pas ici le lieu de discuter si ses secours ont eu pour nous toute l’efficacité que nous pouvions en attendre-, il suffit de savoir qu’en cette occasion elle nous immola ses intérêts les plus chers; et, qu’après tout, elle fit au moins, aux forces navales de l’Angleterre, une diversion utile à notre cause. Enfin, nous l’avons vue, en 1787, au moment où les troubles de la Hollande nous menaçaient d’un nouvel orage , se mettre en mesure de remplir les devoirs d’une alliée fidèle. Si la reconnaissance n’est absolument qu’un vain nom pour les nations dans leurs relations, comme corps politique, convenons, du moins, qu’une conduite aussi franche, aussi désintéressée, nous commande la réciprocité, sous peine d entacher l’époque de notre régénération. Mais ce n’est pas au tribunal du sentiment que je cite mes concitoyens, c’est à celui de la raison et de leur intérêt, bien entendu. J’aime ma patrie, j’aime la paix, tant dedans qu’au dehors, et c’est précisément à cause de cela que j’oserai parler de la guerre. Le pacte de famille existe ; ne soyez pas effarouchés de ce mot, Messieurs; n’en concluez pas que la nation française soit vendue à de vains intérêts de famille, et que le moment est venu de la racheter; quelle affection personnelle pouvait-on su pposer entre deux souverains qui ne s’étaien t jamais vus? Dira-t-on qu’un attachement puéril à la gloire de leur nom ait été un des mobiles qui les ont rapprochés? Mais quelle alliance aurait pu poser depuis si longtemps sur d’aussi frêles fondements? La maison de Holstein occupe les trois trônes du Nord ; l’Europe sait si un parfait accord règne entre ses branches ! Notre alliance avec l’Espagne est donc fondée sur des rapports plus durables que les relations du sang : elle repose sur la conviction de l’identité des intérêts des deux nations, et de la force imposante qui doit résulter de leur concert, non qu’elles veulent effrayer le reste de l’Europe par leurs vues ambitieuses. (Loin de nous désormais ces vues, aussi contraires à notre prospérité qu’aux principes sages qu’a consacrés l’Assemblée.) L’unique but de leur association ne peut être que de contenir l’ambition de leurs voisins, et offrir à l’Europe une masse redoutable, contre laquelle doivent se briser désormais les projets de conquêtes; les causes de fraternité sont durables; l’expérience a même, dans l’ancien système, prouvé leur solidité. Il n’est rien dans le nouvel ordre de choses qui puisse, je ne dis pas nous conseiller, mais même nous permettre de nous écarter de ces principes; sans doute, et j’aime à m’en flatter, lorsque notre régénération sera consolidée, lorsque la liberté aura ajouté à notre force, lorsque tous les genres d’industrie, tous les moyens de vivification encouragés par elle nous auront mis en pleine possession des avantages que nous promettent notre sol, notre climat, notre population, notre activité naturelle, sans doute alors les alliances pourront être moins utiles, quoique jamais superflues et capables, peut-être, de donner des lois à l’Europe; nous bornerons notre gloire à n’en recevoir de personne, si alors, dis-je, il pouvait nous être permis de nous isoler dans le monde politique, qui oserait dire aujourd’hui que nous sommes déjà assez puissants pour nous passer d’amis et pour provoquer impunément tous lés ressentiments ! La carrière est ouverte, mais nous n’y avons encore fait que quelques pas. Craignons qu’une présomption prématurée ne nous arrête au milieu de notre course glorieuse et n’éloigne de nous ce but vers lequel tendent nos généreux efforts. Le traité de 1761, qui désormais ne sera plus un pacte de famille, mais un pacte de nations, ce traité nous offre deux sortes d’avantages : les uns regardent notre commerce; nous en jouissons pendant la paix, nous en jouissons depuis nombre d’années. Ici, Messieurs, je ne pourrais vous faire connaître ces avantages et vous donner le développement de notre commerce avec l’Europe; mais la question qui vous occupe aujourd’hui, amènera naturellement la discussion sur le pacte de famille, et les conventions subséquentes, relativement à nos relations commerciales ; nous aurons alors, sous ce point de vue, quelques griefs jAssemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. ]3 août 1790.] 601 à énoncer contre l’Espagne; mais aujourd’hui il me suffit de dire que, dans l’état actueldes choses, l’Espagne est encore pour la France un des débouchés les plus avantageux et le plus considérable de ses manufactures ; qu’elle alimente notre numéraire, que plusieurs villes en France, qu’un nombre infini de familles dans le royaume, que des millions d’ouvriers, cette classe pour laquelle vous devez avoir dans la circonstance actuelle une si pressante sollicitude, doivent leur prospérité, leurs richesses et leur entretien à la consommation annuelle que fait l’Espagne et ses colonies des produits de notre industrie. Les autres se rapportent à notre défense extérieure, et deux fois, dans cet espace, de temps nous les avons recueillis. Les uns sont réciproques entre l’Espagne et la France, et, sous ce rapport, l’une n’a rien à reprocher à l’autre. Mais observons qu’en vertu de ce traité que j’invoque, nous en avons profité en deux circonstances majeures, et qu’une seule fois, en 1770, lors de la querelle pour les îles de Falkland, nous nous sommes trouvés dans le cas de faire, en faveurde l’Espagne, les démonstrations qui, à la vérité, ont eu leur effet, puisqu’elles ont concouru à opérer une conciliation, mais qui ne peuvent être assimilées qu’aux pareilles démonstrations qui ont eu lieu en 1787, et nullement à ces secours effectifs et très dispendieux que l’Espagne nous a prêtés en 1771 et 1778. Et lorsque cette puissance paraît menacée par l’ambition inquiète de nos rivaux communs, et qu’elle invoque à son tour notre assistance, sera-ce uniquement par un armement modique et par l’intervention stérile des négociations que nous acquitterons notre dette envers elle ? L’Europe reconnaîtrait-elle à cette marche ambiguë et impuissante, la nation généreuse et fière qui, malgré l’embarras de sestinances, a signalé ses premiers pas dans le chemin de la liberté, par la reconnaissance solennelle d’une dette publique, immense? Sera-ce à l’époque où les principes les plus nobles et les pfussamts prévalentparminous, que nous nous rendrons coupables d’inconséquence et de perfidie ?Nousavons pris tous les créanciers de l’Etat sous notre sauvegarde, eh bien, c’est à ce titre que l’Espagne se présente à nous; sera-t-elle seule exceptée de cetfe fidélité universelle qui nous rend respectables à toute l’Europe? La dette qu’elle réclame est pl-us pressante encore que toutes celles que nous avons sanctionnées et n’est pas moins sacrée, c’est celle de l’honneur et de notre intérêt ; mais si elle les invoquaiten vain, ces titres, sur la validité desquels elle a dû compter, n’en doutons pas, et ne nous dissimulons pas les conséquences: nos liens avec elle seraient rompus pour longtemps ; son juste ressentiment l’aveuglerait sur les suites fatales qu’aurait pour elle-même une pareille résolution ; et lorsque la raison et l’expérience viendraient enfin l’éclairer, le mal serait peut-être sans remède. Je sens mieux que personne tout ce qu’une guerre, dans les circonstances où nous sommes, aurait pour nous de pénible et de hasardeux : occupés à nous guérir d’une maladie presque mortelle, nousparaissons peu propres à une lutte pour laquelle nous n’aurions pas trop de toute la vigueur de la santé. Oui, sans doute, il faut l’eviter cette guerre, qui ajouterait encore à notre embarras; mais devons-nous l’éviter au prix de l’honneur? Il y a plus, croyons-nous l’éviter en abandonnant notre alliée dans la crise où elle se trouve ? N’en doutons pas, la puissance qui semble vouloir abuser de notre position, encouragée par ce premier succès, ne s’en tiendrait pas là; aurès avoir divisé deux nations dont la réunion fait la force, croyons qu’elle serait bien tentée de les opprimer l’une après l’autre, et qu’elle n’attendrait pas, pour consommer ce chef-d’œuvre de son ambition impérieuse, que nous nous fussions mis en état de la réprimer. Loin de moi ces haines nationales qui ont fait assez longtemps le malheur du monde, et que la philosophie moderne, l’application de nos principes constitutionnels, le soin même de notre prospérité, doivent nous faire abjurer pour jamais. Mais en nous dépouillant de ces sentiments odieux, ne nous flattons pas de les étouffer de sitôt chez les autres ; et sans vouloir les réveiller dans aucune nation, conduisons-nous comme devant y être exposés encore longtemps. On m’objectera, sans doute, qu’il serait souverainement imprudent d epou-er une querelle dont nous ne connaissons pas la nature ; que l’Espagne sans être ambitieuse ni injuste, peut former des prétentions exagérées, et que même au sein de la force et de la prospérité, ce serait le comble de la déraison que de soutenir celles de son allié le plus intime, sans les avoir examinées, sans avoir employé l’ascendant de l’amitié et de la raison, pour les renfermer dans des bornes raisonnables. Ne croyez pas que j’aie l’idée de combattre ces principes, qui faisaient partie du code universel des nations avant que nous les eussions consignés dans le nôtre. Non, sans doute, fûssions-nous au faite de la puissance, eussions-nous déjà atteint ce but vers lequel nous tendons, nous ne devrions pas nous précipiter aveuglément dans une guerre, sans être convaincus de la légitimité de ses motifs. Il faut donc l’écarter, s’il est possible, ce fléau redoutable, et de nous et de nos alliés. Mais quel accès pouvons-nous trouver auprès d’eux, si nous ne les aidons que de nos conseils et de nos exhortations? Quelle énergie peut avoir notre intervention auprès de la puissance qui paraît vouloir la braver, si nous ne nous présentons armes que de vœux et de menaces impuissantes ? Que nous reste-t-il donc à faire dans cette crise, l’une des plus pressantes où se soit jamais trouvée la France? Je n’hésite pas à le dire; il faut poursuivre nos armements maritimes et confier au roi tous les moyens de leur donner et l’étendue et l’énergie propre à en imposer à l’Angleterre. L’embarras de nos finances, auquel une pareille résolution semble devoir mettre le comble, ne saurait être une objection valable. Une pusillanime économie n’écarterait pas le danger, il l’éloignerait tout au plus pour quelque temps, et cet acte de faiblesse, cet aveu solennel de notre impuissance en provoquerait bientôt un autre plus direct encore et plus redoutable; jamais épargne n’aurait été plus mal calculée. Nos décrets sur les biens nationaux nous ont créé une ressource abondante; leur produit, il est vrai, a déjà sa destination. Mais à quoi pouvons-nous mieux en employer une portion, même considérable, qu’à sauver notre honneur et la patrie? Déployons donc, s’il est nécessaire, toutes nos forces maritimes et toutes nos ressources pécuniaires, et disons à l’Espagne : elles sont pour vous., si vos prétentions sont justes ; et à l’Angleterre, elles vont être employées contre vous, si vos réclamations ne sont pas fondées. Cette audace, au sein d’une détresse que les ennemis du bien public se plaisent à exagérer ; 602 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. cette audace, croyez-moi, Messieurs, conjurera plus mûrement l’orage qui nous menace, que les timides conseils d’une fausse prudence. L’Angleterre osera-t-elle braver deux nations fortes par leur union? Ira-t-elle livrer aux hasards d’une guerre douteuse les avantages qu’elle tire du dernier traité de commerce; renoncer au plan de la restauration de ses finances, plus délabi ées encore que les nôtres; accroître la ma«se de ses impôts, dont le fardeau paraît déjà si lourd à sa nation? Avec un pareil langage, avec de telles démonstrations , nous pourrons encore remplir avec honneur, et peut-être avec succès, le rôle d’arbitres et de médiateurs. Mais si notre allié, abandonné par nous, est obligé de subir les lois impérieuses de l’Angleterre, qui osera répondre que le sacrifice de nos intérêts les plus chers ne sera pas le prix d’un accommodement qui s’opérerait sans notre concours? Sa Majesté Britannique vient d’annoncer le vœu de conclure un accommodement à des conditions justes et honorables. L’E-pagne partage, sans doute, ce vœu de la raison et de l’humanité. Mais acquérons le droit de le présenter et de le faire valoir et osons croire qu’aussi longtemps il ne sera pas repoussé. . Je mets toutefois, Messieurs, les choses au pis; je veux que l'Angleterre, malgré tant de raisons qui lui doivent, comme à nous, faire désirer la paix, affronte les forces réunies des deux nations. Eh ! Messieurs, c’est dans un moment comme celui-ci où tous les esprits sont enflammés par le développement que la nouvelle Constitution a donné aux talents de tous les individus, qu’une guerre, la première que la nation a entreprise, une guerre fondée, non sur l’esprit de conquête, mais uniquement sur le noble but de réprimer une ambition démesurée et des demandes insidieuses ; cette guerre, dis-je, ne peut manquer d’être courte, animée et glorieuse. Les guerres précédentes n’ont pas donné à la nation l’énergie ni la volonté de développer ses moyens. Ici chaque Français voudra concourir à une cause nationale, et on verra alors l’effet de la puissance de l’Empire français sur sa rivale. C’est par la ruine de son commerce, qui seul fait son existence, qu’on cherchera à l’humilier. Je me résume: quelles que soient nos résolutions intérieures, le pacte de famille qui ne doit plus désormais être connu que sous le nom de pacte national , ce pacte subsiste encore ; nous en avons profité en trois occasions; notre allié l’invoque à son tour. Déjà, sans être provoqué, nous en avons rempli la première stipulation. Mais il en est une aussi qui exige le déploiement de toutes nos forces, quand nous en sommes requis; c’est elle que l’Espagne réclame en ce moment. Tromperons-nous ses justes espérances? Perdrons-nous le fruit de notre généreuse démarche et les dépenses d’un premier armement? La nation, en l’approuvant, a pris tacitement l’engagement de lui donner toute l’étendue qu’exigeraient les circonstances. Si telles n’étaient pas nos dispositions, Messieurs, il ne nous resterait plus qu’un parti à prendre, ce serait de dire à l’Espagne : Nous vous abandonnons, cequiseraitdireà l’Angleterre en d’autres termes : nous nous livrons à vous; donnez le signal de notre perte, et prononcez 1 arrêt de notre honte. Mais non, nous n’obéirons pas aux calculs d une fausse économie, ni aux conseils d’une lâche prudence. C’est dans notre généreuse con-[3 août 1790.] duite, dans notre loyauté, dans nos intérêts bieu entendus, que nous puiserons nos résolutions. TROISIÈME ANNEXE A LÀ SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 3 AOUT 1790. Lettres de m. Alexandre de Lameth. (Extrait du Moniteur.) Réponse à une lettre des bas-officiers de la garnison de Lille , le ..... mars 1790. J’ai reçu, mes camarades, la lettre obligeante que vous m'avez fait l’amitié de m’écrire; je vous dois des remercîments pour les témoignages de bienveillance que vous m’accordez, et auxquels je n’avais droit que par zèle, puisque je n’ai fait que remplir un devoir et de citoyen et de militaire, en faisant valoir dans l’Assemblée nationale les droits et les intérêts de l’armée; votre cause, mes camarades, a été facile à plaider devant les représentants de la nation, qui rendent à votre patriotisme toute la justice qui lui est due, et qui sentent combien l’équité exige que le sort des militaires devienne aussi avantageux que leurs services sont utiles et leur profession honorable. L’Assemblée nationale a regardé comme un des droits du roi, celui de prononcer sur l’organisation intérieure de l’armée. C’est donc de Sa Majesté que les bas-officiers tiendront une partie des avantages qui résulteront nécessairement pour eux de la nouvelle formation, et que leur assurent, d’une manière particulière, les intentions paternelles du roi; quant aux objets qui sont restés de la compétence de TAssemblée nationale, les bas-officiers peuvent attendre d’elle avec toute confiance la justice et l’intérêt que méritent, à tant d’égards, et l’activité de leur zèle et l’importance de leurs services. Recevez de nouveau, mes camarades, tous mes remercîments et l’assurance des sentiments d’attachement et que je vous ai voués, et dont je serai heureux de vous donner des preuves daus toutes les occasions. Signé ; Alexandre de Lameth. Réponse 'aux régiments de Beauce et de Normandie, Paris, ce 23 mai 1790. J’ai reçu, mes camarades, la lettre obligeante que vous m’avez fait l’amitié de m’écrire, et les exemplaires de votre pacte fédératif; c’est avec un plaisir extrême que j’ai vu les sentiments qui vous animent; votre respect pour la Constitution et votre attachement pour le roi doivent faire votre bonheur en assurant celui de la nation. Continuez, mes camarades ; réunissez le respect pour la discipline à l’amour de la liberté, et vous aurez bien mérité de votre patrie, et vous aurez des droits à la reconnaissance de vos concitoyens. Quant aux témoignages de bienveillance que vous me donnez pour la manière dont j’ai défendu vos intérêts, je n’y ai droit, je vous assure, que par mon zèle, tant l’Assemblée natio?