122 {Assemblée nationale,] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [16 mai 1791.] énormes qui, sous nos yeux mêmes, ont été dilapidées par les ministres, sans que nous nous en doutassions? Certes, Messieurs, ces malheurs ne seraient pas arrivés si nous eussions eu parmi nous des hommes qui seraient sortis d’une législature précédente avec l’estime universelle de la nation ; ils nous auraient éclairés sur les entraves et sur les abus qu’on ne rougissait pas de faire naître à vos côtés. Croyez-vous, par exemple, que vos finances n’eussent pas été mieux administrées, plus sagement, plus économiquement, dès l’ouverture des Etats généraux, si dès lors nous avions eu sur cette matière l’expérience que nous avons acquise ? Que pourra faire à cet égard la prochaine législature, si, comme nous, elle est obligée d’attendre six ou sept mois pour qu’il se forme dans son sein un nouveau Camus? ( Applaudissements. )\\ faut un temps considérable pour s’instruire d’une foule de détails que les membres des législatures devront savoir. En finance surtout, les détails sont indispensables : or, le nombre des hommes instruits en finance est bien petit dans les départements. . . On craindra sans doute l’influence d’un homme ui joindrait à une grande éloquence bavardage 'avoir déjà concouru aux opérations d’une législature. Mais cet homme pourrait être sûr, j’en appelle aux mânes de Mirabeau, que s’il voulait tromper, abuser l’Assemblée, il s’attirerait un reproche d’immortalité, dont la supériorité de ses talents ne suffirait pas à la longue pour effacer l'impression... J’appuie donc l’opinion du comité. (Aux voix! aux voix!) M. le Président. J’ai reçu de M. de Lessart, ministre par intérim de la marine (1), la lettre suivante : « Monsieur le Président, « J’ai l’honneur d’adresser à l’Assemblée les dépêches arrivées hier de la Martinique, et qui (1) Suit la lettre par laquelle M. de Fleurieu a adressé au roi sa démission de ministre de la marine : Lorsque Votre Majesté daigna m’appeler au département de la marine et des colonies, elle voulut bien accueillir les observations qu’elle me permit de lui adresser, sur la nécessité de diviser un département dont les détails étaient trop nombreux, trop compliqués, pour qu’un seul ministre pût y suffire, surtout depuis que la responsabilité qui lui est imposée exige de sa part une surveillance plus active, plus immédiate, sur toutes les parties de ce vaste ensemble. Votre Majesté, dans la lettre dont elle m’honora, voulut bien me répondre qu’elle agréait la division du département ; mais qu’elle désirait que je me chargeasse d’en faire toutes les expéditions jusqu’à ce que la manière dont s’opérerait cette division put être décidée. Je n’écoutai que mon zèle et ma soumission aux volontés de Votre Majesté; j’entrai avec effroi dans une carrière dont j’avais été à portée de mesurer l’étendue ; mais j’étais souienu par l’espérance d’une division prochaine qui, en détachant du département l’administration des colonies, trop étrangère aux connaissances que j’avais pu acquérir, le réduirait à l’administration de la marine, à laquelle je pouvais espérer d’appliquer utilement l’élude et l’expérience de plusieurs années. Mais l’Assemblée nationale, qui a pesé dans sa sagesse les avantages et les désavantages pour la chose publique de la séparation des deux départements, s’est décidée pour en maintenir la réunion. J’ose renouveler à Votre Majesté les représentations que je pris la liberté de lui adresser avant d’entrer au contiennent des nouvelles satisfaisantes sur l’état dans lequel était cette colonie à l’époque du premier avril dernier. L’Assemblée nationale apprendra avec satisfaction que le fort Royal et le fort Bourbon sont rentrés dans l’obéissance sans qu’il y ait eu une goutte de sang répandue. (. Applaudissements .) « Signé : DE Lessart. » M. Charles de Cameth. La date de la lettre ?... (L’Assemblée renvoie cette lettre et les pièces qui y sont jointes au comité colonial.) Un de MM. les secrétaires fait lecture des trois lettres suivantes adressées au Président: l8 Lettre des députés de Saint-Domingue. « Monsieur le Président, « Nous allons adresser à nos commettants le décret que l'Assemblée nationale a rendu hier matin, concernant les gens de couleur et nègres libres. Dans l’état actuel des choses, nous croyons devoir nous abstenir des séances de l’Assemblée et nous vous prions de lui en faire part. (Applaudissements.) « Nous sommes, etc. « Signé : de Gouy-d’Arsy, de Reynaud, de PÉR1GNY, DEYlLLEBLANCHE, GÉRARD. » 2° Lettre des députés de la Guadeloupe. « Monsieur le Président, « Le décret que l’Assemblée nationale a rendu hier, concernant les hommes de couleur libres, nous met dans la nécessité de nous abstenir de ses séances. « Invariablement attachés à l’intérêt de nos commettants et à celui de la nation, nous en servirons mieux l’un et l’autre. Nous ne cesserons pas, dans les circonstances imprévues et ministère. L’exercice de quelques mois, bien loin de m’avoir rassuré sur la mesure de mes forces pour remplir une tâche si vaste, n’a fait que confirmer dans moi la conviction de leur insuffisance. Trente-six années effectives d’un service pénible ou d’un travail forcé, une santé toujours incertaine, des facultés usées, ne me laissent plus la possibilité d’acquérir les connaissances multipliées qui me manquent et qu’exige l’administration des colonies. S’il ne s’agissait que de sacrifices de ma part, mon dévouement pour la personne de Votre Majesté, mon amour du bien public me les rendraient tous faciles. Le désir d’être utile à ma patrie ne m’abandonnera jamais ; tous les instants de ma vie y seront consacrés: mais quand on a bien mesuré ses moyens, et qu’on les trouve .insuffisants, on doit imposer silence à son zèle et se rendre justice. Je dois donc, en bon serviteur du roi, en bon citoyen, eu honnête homme, supplier Votre Majesté, et je la supplie d’agréer ma démission de la charge de secrétaire d’Etat au département de la marine et des colonies. Je ne me permets point, dans ce moment, de penser à ma position, à mes intérêts : j ai dû oublier que je suis absolument sans fortune. Il me suffit que, pendant le temps que j’ai rempli les fonclious délicates du ministère, ma conduite ait pu mériter l’approbation de Votre Majesté, et ma conscience m’assure que l’Assemblée nationale rendra justice à la pureté de mon administration, comme à celle de mes principes. Signé : de Fleurieu.