(Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (18 novembre 1790.] 521 M. Duport fait observer à l’Assemblée que les députés d’un peuple indépendant doivent être introduits dans la salle même ; et l’Assemblée décrète que les députés de Ja République de Mühlhausen parleront dans la salle. Un membre de celte députation prononce un discours tendant à demander la continuation de l’assimilation de son commerce avec celui de la ci-devant province d’Alsace. M. ïe Président répond : « L’Assemblée nationale, fidèle aux principes d’équité et de justice qui doivent la diriger vis-à-vis des nations voisines; ne s’en écartera sûrement pas dans l’examen des intérêts de la République de Mühlhausen, mêlés avec ceux de la nation française. Vous demandez si le reculement des barrières vous l'era envisager comme étrangers au royaume, ou si vous serez regardés comme regnicoles? l’Assemblée désirerait que tous les peuples ne fussent plus que des frères. Ses décrets sur Ja politique ont dû convaincre les puissances qui l’environnent, que c’est là son vœu le plus ardent. Vous pouvez assurer votre République que la nation française blâmerait ses représentants, s’ils cessaient d’entretenir la bienveillance amicale et réciproque dont les deux pays sont animés. Ce sera donc dans une juste et fraternelle considération que l’Assemblée prendra votre demande : elle vous invite d’être témoins, dans cette séance, de ses délibérations. » (Cette demande est renvoyée aux comités diplomatique, de commerce et d’agriculture.) Les sieurs Gurtius et Cubin-Bonne-Mère sont admis à la barre et font hommage à l’Assemblée de la dernière pierre de la Bastille, sur laquelle ils ont fait graver le plan de cette forteresse, maintenant démolie. M. le Président répond : « L’Assemblée nationale reçoit avec satisfaction l’hommage que vous venez lui présenter ; il sera un monument de votre patriotisme, toujours cher aux bons citoyens. Elle vous permet d’assister à sa séance. » M. le Président. L’ordre du jour est la suite de la discussion sur l'affaire d’Avignon. M. Dnrand-llaillane . J’ai été chargé par quatre-vingt mille citoyens de mon ancien bailliage de demander dans les Etats généraux, devenus l’Assemblée nationale, la réunion à la France du comtat Venaissin et de la ville d’Avignon. Jamais occasion ne fut plus belle; lesAvi-gnonais invoquent pour eux les bienfaits de la Constitution française. Le pape, à qui tout respect est dû comme chef visible de l’Eglise, comme prince temporel trouve cela très mauvais. Pour concilier tout à la fois l’utilité et la justice, voici, je pense, le chemin qu’il faut prendre. Je proposerais le décret suivant : « L’Assemblée nationale, considérantqueia possession, tant de la ville d’Avignon que du comtat Venaissin n’a passe au saint-siège que dans un temps et par des titres qui n’ont jamais dépouillé entièrement la nation française de ses droits supérieurs de domaine public et national, sur l’un et sur l’autre de ces pays, déclare que cette possession temporelle du saint-siège a été et est nécessairement, de-sa nature, perpétuellement rachetable. « Eu conséquence, l’Assemblée nationale, après avoir ainsi déclaré le principe du rachat pour la réunion à la France, sons indemnité, de la ville d’Avignon et du comtat Venaissin, charge son comité des domaines de lui faire, le plus prochainement, un rapport sur le taux et le mode de ce rachat, ainsi que sur les moyens de l’exercer d’une manière qui concilie, s’il se peut, tous les intérêts et toutes les volontés. » M. le Président interrompt la discussion pour donner lecture d’un billet de M. le garde des sceaux, par lequel il fait part à l’Assemblée nationale que le roi a nommé M. Ame-lot, son commissaire près la caisse de l’extraordinaire. M. le Président lit une autre lettre du sieur Valentin de Gullion, membre de l’assemblée générale de Saint-Domingue, par laquelle il informe l’Assemblée qu’il part pour Dijon, où sa mère mourante l’appelle, et qu’il sera de retour le 12 du mois prochain. Une députation du conseil général de la commune et de la municipalité de Paris est introduite à la barre. M. Bailly, maire de Paris, prononce le discours suivant sur la police cle Paris et les prisonniers entassés en grand nombre dans les prisons , faute de juges : Messieurs, le conseil général de la commune de Paris, dont la municipalité fait partie, vient offrir ses hommages à l’Assemblée nationale. La ville de Paris a toujours prouvé sa fidélité à la nation et au roi, sa soumission aux décrets de votre sagesse, son amour pour la liberté et pour la Constitution. Ses nouveaux représentants, pénétrés des mêmes principes et animés du même esprit ne peuvent y ajouter que l’expression de leur zèle. Ce zèle, Messieurs, sera sans bornes comme leur respect pour vous, s’il est permis à ces sentiments déjà connus, à un désir ardent du bien public, de se manifester par des faits. Si la première fois que la municipalité de Paris se présente devant vous, vous approuvez que son empressement recoure à vos lumières et à votre autorité tutélaire, nous vous dirons que, chargés de l’administration de la plus grande ville du royaume, de cette ville qui jouit de la présence du Corps législatif et du roi, nous sommes au centre de tous les mouvements, au point où les moyens sont plus puissants, les ressources plus nombreuses, mais aussi les maux plus grands, les désordres plus redoutables. Paris est l’asile des talents, l’assemblage à la fois des richesses et de la misère. Paris a prouvé ce qu’il recèle de patriotisme et de vertus; mais Paris est aussi le théâtre de tous les crimes, qui viennent s’y cacher dans l’ombre , et se coufondre dans la multitude. La police y doit être immense comme la ville. La police de Paris est différente de toute autre, parce que cette ville ne ressemble à aucune autre; et cette police, toujours proportionnée à une vaste étendue, doit opposer autant d’obstacles, que Paris offre de facilités. Cette administration a besoin d’être armée de surveillance et de sagesse en même temps que de force. Si la vigilance est notre devoir, la sagesse est en vous, la force est dans la loi. Invariablement attachés aux lois fondamentales, nous voulons que notre marche soit constitutionnelle; nous ne voulons faire ni plus ni moins que nous ne devons. C’est à vous, Messieurs, à nous tracer la route et ù nous diriger entre ces deux écueils. 8§2 {Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. Nous vous demandons une loi de police que vous nous avez promise; vous avez vous-mêmes formé notre municipalité. Nous avons tous été élus par Je peuple, mais nous attendons votre loi pour l’exécuter : loi nécessaire, parce que les dangers sont grands, multipliés, et qu’ils s’augmentent tous les jours : loi nécessaire pour que nous assurions cette capitale. C’est à la loi à en répondre; nous ne répondons que de son exécution. Nous vous supplions donc, Messieurs, de nous revêtir de votre sagesse et de votre autorité, pour établir l’ordre et la paix dans cette ville qui nous est confiée, et dont tous les mouvements retentissent dans l’Empire. « Le corps municipal nous a encore chargés, Messieurs, de dénoncer à votre justice des maux également pressants, et que votre humanité se hâtera de terminer. Les tribunaux sont vacants, les accusés n’ont point de juges, déjà un mois et plus s’est écoulé ; il s’écoulera encore plus de temps avant que les tribunaux nouveaux soient établis; et cependant les prisons sont remplies : de nouvelles prisons leur ont é’é ajoutées, et cependant les prisonniers y sont entassés. L’innocent y attend sa justification, le criminel la fin de ses remords ; tous y respirent un air malsain, et la maladie est prête à y prononcer des arrêts de mort. Le désespoir y habite, le désespoir y dit : Ou poignardez-moi, ou jugez-moi! « Quand nous visitons ces prisons, voilà ce qu’entendent les pères des pauvres et des malheureux ; voilà ce que leur devoir est de répéter aux pères de la patrie. Nous devons leur dire que dans ces repaires du crime, de la misère et de toutes douleurs, le temps est infini dans sa durée ; un mois est un siècle, un mois est un abîme dont la vue est épouvantée. « Pardonnez, Messieurs, si nous mettons sous vos yeux une question déjà présentée; mais témoins des maux, nous vous devons de vous les faire connaître, de vous montrer et leur instance, et leur énormité ; témoins des maux, nous devons à la ville de Paris, qui nous l’a ordonné, de demander à l’Assemblée, ou un tribunal provisoire, ou une attribution à l’une des cours supérieures étant encore en fonctions. « Les maux vous sont connus, Messieurs ; les remèdes sont dans votre sagesse : ils sont nécessaires; ils sont pressants : plutôt demain que plus tard ; car tous ces hommes désespérés, tourmentés par le malheur, chaque jour en demandent la fin ; et tous ces désespoirs renfermés étant prêts à s’élever contre leurs gardiens, l’insurrection peut chaque jour les répandre dans la capitale. « Tels sont donc, Messieurs, les objets de la mission dont la commune et le corps municipal nous ont chargés auprès de l’auguste Assemblée qui nous admet en sa présence : l’hommage de leurs respects, soumission et fidélité, la demande instante d’une loi de police qui nous autorise à agir avec justice et sûreté, et la demande non moins instante de tribunaux provisoires qui vident les prisons pour la justification de l’innocence, ou par des exemples de justice. » M. le President répond : « L’Assemblée nationale voit avec la plus douce satisfaction une des plus belles parties de son ouvrage. La municipalité de Paris est pour elle d’un intérêt tout particulier. La commune qu’elle dirige, d’accord avec le conseil général, a droit sans doute à des soins recherchés au milieu de ceux que l’Assemblée donne sans relâche à Puni-(18 novembre 1790.1 versalité de l’Empire. La commune de Paris formerait elle-même un royaume ; mais c’est moins par sa force imposante que par son patriotisme, ses travaux immenses pour la liberté, et son attachement aux bons principes, qu’elle mérite toute la sollicitude que vous désirez. Les deux objets sur lesquels vous fixez les regards de l’Assemblée ne pouvaient échapper aux magistrats zélés qui veillent pour la commune. L’Assvmblée pourrait être sans inquiétude sur le retardement du premier. Quelque immense qu’il soit, ce peuple soumis à votre administration, ne murmurera point de la lenteur forcée de satisfaire à ses besoins ; sa bonté et la sagesse de ses officiers sont de sûrs garants de sa raison et de son obéissance, même dans ses plus vives alarmes. Il serait à désirer que sur le second objet, on pût agir avec la même lenteur ; mais le tableau déchirant que vous venez de mettre sous les yeux de l’Assemblée, l’a trop sensiblement affectée, pour qu’elle ne mette pas en usage tous les moyens que les circonstances permettront. Elle prendra donc dans une considération aussi prompte que sérieuse la demande que vous lui faites sur l’état des prisons. Elle vous invite d’assister à sa séance. » Le commandant général de la garde nationale 'parisienne se présente ensuite à la barre , à la tête des députés de cette même garde, et fait un discours tendant à e?igager V Assemblée à achever , le plus promptement possible, l'organisation des gardes nationales du royaume. M. de La Fayette s’exprime en ces termes : « Messieurs, la garde nationale parisienne, persuadée qu’il n’est aucun genre de courage qui ne soit accueilli par les représentants d’un peuple libre, vient vous présenter des vérités, qui sans doute n’ont point échappé à votre patriotisme, mais sur lesquelles il est urgent de fixer votre attention. « Vous avez décrété, Messieurs, que tous les citoyens du royaume étaient les soldats de la Révolution, et déjà les habitants de Paris avaient accompli le serment de leur cœur avant que leur bouche l’eût prononcé ; déjà ils en avaient préparé le succès avant que vous eussiez consacré la volonté générale. Oui, Messieurs, nous avons tous promis à la patrie nos armes, à la loi notre soumission, au ciel notre liberté ; mais ces armes, cette soumission, cette liberté, ont besoin d’être dirigées par vous. Tous nos devoirs sont encore confondus, et quelque pur que soit notre dévouement, quelque infatigable que soit notre zèle, la première condition pour bien remplir un devoir est de le bien connaître. L’organisation de la garde nationale peut seule faire cesser notre incertitude. 11 est temps que celte institution guerrière et citoyenne soit liée aux bases de la Constitution monarchique ; il est temps qu’une sainte émulation embrase l’universalité des citoyens, que chaque membre de la société connaisse sa véritable place, qu’il sache à quel service il est doux de se livrer, honteux de se soustraire, et que les cœurs froids ou endurcis cessent de jouir dans un lâche repos des bienfaits du patriotisme, qu’ils calomnient. a Tout vous porte, Messieurs, à accélérer cette organisation, et vous penserez que rien ne doit la retarder. Permettez-nous de vous représenter que c’est peut-être de cette opération que dépend Tordre public, sans lequel seraient infructueux yog travaux et les nôtres,