[Assemblée nationale. J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 juin 1791. J M. Merlin. Il est bien inconcevable que, pour assurer aux ennemis de la Constitution le droit de venir nous égorger (Rires ironiques à droite. — Applaudissements à gauche.), on oublie sans cesse ce qui a été si bien établi par M. le rapporteur, à savoir que vous n’avez en ce moment qu’à établir une loi. Je demande donc le renvoi de toutes les observations au comité de Constitution, et l’adoption de 1 'article tel qu’il est. ( Murmures à droite.) Voix diverses à gauche : Aux voix 1 aux voix ! Fermez la discussion 1 M. de FoIIeville. J’ai l’honneur de vous représenter que les Romains avaient élevé un temple à la peur, mais ils n’y sacrifiaient jamais dans le Sénat : or, ici, quel est l’holocauste que l’on vous propose? Ce sont des hommes; c’est votre Constitution. Je demande donc que, sans avoir égard à la proposition de M. Merlin, vous mettiez mon amendement aux voix. M. Delavigne. On vous parle de la peur; il est évident que la peur n’existe pas dans les vrais amis de la Constitution, mais bien dans ceux qui craignent l’application de la peine que vous allez prononcer. (Vifs applaudissements à gauche. — Murmures à droite.) (L’Assemblée consultée renvoie tous les amendements aux comités.) M. Foucault-liardimalie . Je demande la question préalable sur l’article des comités... A droite : Oui! oui! M. Foucault-Lardimalle . J’observe tout particulièrement qu’une quantité de familles flamandes sont, par cette loi, dans le cas d’être pendues pour avoir servi dans les pays autrichiens et chez les Wallons espagnols. Le métier des armes est un métier comme un autre; il y a des hommes qui sont attachés au plaisir de la gue re. (Murmures.) Comme un homme de plume aime à recueillir les épices de .con cabinet, vous savez que depuis longtemps la France a fourni à l’Europe d’excellents officiers; et, sans l'ambition de servir, ceux qui n’ont reçu de leurs pères d’autre héritage que des armes setaient peut-être devenus de riches commerçants. Ne croyez pas, pourtant, Messieurs, qu’en cela je veuille me dessaisir de mes anciens préjugés : l’article qui vous est proposé est un titre de proscription contre les officiers français qui sont au service étranger. Ainsi, puisque malheureusement le renvoi au comité a été rejeté, je demande la question préalable. M. de FoIIeville. J’appuie la question préalable. A droite : Oui! oui! (Murmures à gauche.) M. de Faucigny-Fucinge. Tout ce que je puis dire, Messieurs, c’est de prendre garde aux représailles. A droite : Peut-on porter une pareille loi contre des Français? A gauche : Contre des traîtres 1 A droite : Vous avez peur, Messieurs ! 13 M. Delavigne. Ce n’est pas nous qui avons peur; ce sont ceux qui craignent l’application de la loi que nous allons prononcer. (L'Assemblée consultée décrète qu’il y a lieu à délibérer sur l’article du comité.) M. le Président. Je consulte l’Assemblée sur le fond de l’article; j’en donne une nouvelle lecture : Ait. 3. « Tout Français qui portera les armes contre la France sera puni de mort. » (Cet article est adopté.) M. Le Pelletier de Saint-Fargeau, rapporteur, donne lecture des deux derniers articles de la première section du titre premier, ainsi conçus : Art. 4. « Toutes manœuvres, toute intelligence avec les ennemis de la France, tendant soit à faciliter leur entrée dans les dépendances de l’empire fiançais, soit à leur livrer des villes, forteresses, ports, vaisseaux, magasins ou arsenaux appartenant à la France, soit à leur fournir de3 secours en soldats, argent, vivres ou munitions, soit à favoriser d’une manière quelconque le progrès de leurs armes sur le territoire français, ou contre nos forces de terre ou de mer, soit à ébranler la fidélité des officiers, soldats, et des autres citoyens, envers la nation française, seront punis de la peine de mort. » (Adopté.) Art. 5. « Les trahisons de la nature de celles mentionnées en l'article précédent, commises en temps de guerre envers les alliés de la France, agissant contre l’ennemi commun, seront punies de la même peine. » (Adopté.) Un de MM. les secrétaires fait lecture d’un billet de convocation pour quelques comités. Un membre demande à cette occasion que le comité de révision reçoive l’ordre de s’assembler et de s’occuper sans interruption de la tâche qui lui a été imposée. (L’Assemblée adopte cette motion et décrète qu’il en sera lait mention au procès-verbal.) M. le Président fait en conséquence l’invitation au comité de révision de se réunir. M. le Président. Je rappelle à l’Assemblée qu’elle a décidé de tenir ce soir une séance extraordinaire où la question des domaines con-géabies sera discutée exclusivement à toute autre. M. le Président fait donner lecture, par un de MM. les secrétaires, d’une adresse des membres de la ci-devant assemblée générale de Saint-Domingue , ainsi conçue : « Paris, le 5 juin 1791. « Monsieur le Pré.-ident, « Depuis le 14 septembre 1790, nous sommes débarqués en France. Le seul désir de soumettre à l’Assemblée nationale nos œuvres et nos intentions nous y avait amenés. « Nous avons été retenus dans cette capitale par le décret du 12 octobre dernier; notre soumission à ce décret a été sans bornes, comme [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENT AIRES. [6 juin 1791.] l’est et le sera toujours notre attachement à la mère patrie. « Mais il doit être, un terme à noire détention. Nos .sacrifices sont incalculables: 6 de nos collègues ont payé un éternel tribut au changement de climat ei nos ressources sont dès longtemps épuisées. « Nous vous conjurons, Monsieur le Président, de mettre sous les yeux de l’Assemblée notre détresse, et de nous obtenir de sa justice, avec la liberté de retourner dans nos foyers, les secours qui nous sont nécessaires pour nous y rendre. « Nous sommes, avec respect, Monsieur le Président, les membres de la ci-devant assemblée générale de Saint-Domingue. » M. liavle. Les membres de la ci-devant assemblée de Saint-Marc se plaignent de la lenteur inconcevable de vos comités; ils demandent que, sous le plus bref délai possible, leur rapport soit fait. Il est impossible de les retenir davantage dans ce pays-ci; voilà 9 mois qu’ils y sont. (L’Assemblée décrète le renvoi de l’adresse des membres de la ci-nevant assemblée générale de Saint-Domingue aux comités réunis des colonies, de marine, militaire et de Constitu'ion.) M. le Président. Messieurs, vous avez chargé votre président, alors M. Bureaux de Pusy, de faire réponse à la lettre des représentants du peuple de Pensylvanie àl' Assemblée nationale (1). M. Bureaux de Pusy a préparé son projet de réponse et il vous demande Ja permission de vous en faire lecture. Voix nombreuses : Oui ! oui ! M. Bureaux de Pusy fait lecture de son projet de réponse; il est ainsi conçu : L’ASSEMBLÉE NATIONALE DE FRANCE aux représentants du peuple DE PENSYLVANIE « Messieurs, « Après l’approbation du peuple dont l’Assemblée nationale de France exerce et distribue les pouvoirs, nulle approbation n’était plus propre que celle des représentants du peuple de P. nsvl-vanie, à Pencourager dans l’achèvement de ses travaux. Il est pour elle d’un heureux augure, au milieu du silence inquiet de ces nations qu’a-veugleul le despotisme et le préjugé, u’tntendre au loin retentir la voix fraternelle de l’Amérique. Nous établissons, sous l’autorité constitutionnelle d’un roi, la même liberté qu’elle a su affermir sous des formes républicaines, liberté bien différente de celle qui, se composant de chartes et de privilèges, altère par des distinctions héréditaires l’égalité civile, ce patrimoine inaliénable des hommes réunis eu société; qui, balançant l’éternelle souveraineté du peuple par les prérogatives de la naissance et les droits du hasard, laisse encore apercevoir, sur les traits tiers et hardis u’une nation régénérée, les cicatrices de so.n ancien esclavage. « Il fallait traverser l’océan pour trouver une terre propre à recevoir et à faire germer les semences de cette précieuse liberté; il fallait toutes les vertus d’un peuple pur et nouveau, pour réduire en pratique des vérités contre lesquelles l’erreur, l’habitude, l’ignorance semblaient .avoir prescrit sans retour, et que l’orgueil de la féodalité reléguait avec mépris au rang de ces chimère» philanthropiques que l’amour de l’humanité conçoit, sans que l’art des gouvernements puisse jamais les réaliser; il fallait ensuite tous les efforts, toute l’énergie d’une nation nombreuse, pour transplanter dans la vieille Ëuropecet inestimable présent du nouveau monde, et pour défendre de la conjuration de tous les genres de préjugés une doctrine qui devait y trouver tant et de si puissants ennemis. Cette révolution inespérée est enfin accomplie, et déjà les droits des hommes, gravés sur le marbre et sur l’airain, ornent les temples de la Liberté dans les deux hémisphères. « La Fiance n’oublie point ce qu’elle doit à vos exemples, cequMle doit à cette sage Pensylvanie, au sein de laquelle les législateurs de l’Amérique osèrent annoncer au monde les vrais principes de l’art social. Puissent les habitants de cette terre glorieuse et fortunée, reconnaître, dans le décret de l’Assemblée nationale, les sentiments qui animent les premiers amis de l’indépendance américaine! et puisse cet acte de la volonté du peuple français, resserrant l’union des deux nations que confondent leurs principes, accroître b urs relations mutuelles, identifier leurs intérêts, et leur rappeler toujours qu’elles sont libres l’une par l’autre! « Par ordre de l’Assemblée nationale de France. Signé: J.-X. BuREAUX-PüSY, Président. » (L’Assemblée adopte cette réponse et ordonne qu’elle sera imprimée et insérée au procès-verbal.) M. le Président lève la séance à trois heures. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. DAUCHV. Séance du lundi % juin 1791, au soir (1). La séance est ouverte à six heures du soir. M. d’André., ex-président, occupe le fauteuil. Un de MM. les secrétaires fait lecture d’une lettre de M. Guichard, qui fait hommage à l’Assemblée d’un ouvrage intitulé: Traité du tribunal de famille. Un membre du comité d'aliénation propose la vente de biens nationaux à diverses municipalités et soumet à la délibération le projet de décret suivant : « L’Assemblée nationale, après avoir entendu son comité de l’aliénation des domaines nationaux, des soumissions faites dans les formes prescrites, par les municipalités ci-après nommées, déclare leur vendre les biens nationaux dont l’état annexé aux procès-verbaux respectifs d’estimations et d’évaluations, aux charges, clauses et conditions portées au décret du 10 mai 1790, et pour les sommes ci-après, payables ,{t) Y© y. séance du 2 juin 1791, t. XXVI, p. 710. (1) Cette séance est incomplète au Moniteur.