[8 octobre 1789.] [Assemblée nationale.] quilliser sur les conséquences de ce fait. J’ai entendu comme un autre faire des menaces contre des membres que nous honorons ; mais elles ont été blâmées par tous les honnêtes gens qui rendent à ces députés la justice qu’ils méritent. M. Tronchet raconte qu’ayant demandé à plusieurs citoyens de Paris que les districts de cette ville s’expliquent et fassent connaître s’ils désirent la translation de l’Assemblée nationale dans la capitale, ces districts, après avoir témoigné qu’ils ne l’avaient ni demandé, ni désiré, ont trouvé qu’il n’y avait lieu à délibérer. M le duc de Liancourt. Persuadé qu’en vous déclarant inséparables du Roi, vous êtes déterminés à tenir vos séances à Paris, s’il restait dans la capitale, j’ai demandé à Sa Majesté si elle y demeurerait en effet. Le Roi m’a répondu que l’Assemblée devait prendre ses mesures pour tenir ses séances à Paris. M. l’abbé Grégoire. La translation de l’Assemblée nationale à Paris doit être la matière des plus sérieuses délibérations. Sans parler des alarmes que des personnes mal intentionnées pourront répandre dans les provinces en voyant leurs représentants livrés à la merci d’un peuple armé, pense-t-on que les députés du clergé puissent se rendre à Paris, et braver en sûreté les outrages et les persécutions dont ils sont menacés ? Cependant, Messieurs, quel est le délit des ecclésiastiques de cette Assemblée, car ils ont partagé avec vous tous les périls de cette régénération ? La plupart sont de respectables pasteurs, connus par leur zèle et leur dévouement patriotique. C’est un ecclésiastique qui a déterminé l’Assemblée à nommer un comité pour s’occuper des moyens de pourvoir à la subsistance du peuple. Les curés sont venus les premiers renoncer par une réunion courageuse aux préjugés absurdes de leur ordre. C’est parmi ces respectables pasteurs que se sont trouvés de zélés défenseurs des droits de la classe opprimée.M. l’abbé deGler-get, député du bailliage d’Amont, dans un écrit, le Cri de la raison , aussi éloquent que profond, a plaidé victorieusement la cause des malheureux mainmortables, et concouru puissamment à leur affranchissement par les lumières qu’il a répandues. Les dîmes ont été abandonnées. Les curés ont renoncé à leur casuel ; ils ont souscrit les premiers à la loi qui défendait à l’avenir 4 pluralité des bénéfices ; ils s'y sont soumis à l’instant, quoiqu’elle n’eût pas d’effet rétroactif. Ils ont avec empressement porté dans la caisse patriotique des dons plus proportionnés à leur zèle qu’à leurs facultés. C’est quand on oublie ce qu’ils ont fait, et quand une aveugle effervescence les menace, qu’il faut parler pour eux. Serait-il encore temps de montrer la vérité pour rappeler à la justice ? Quel est le prix qu’ils en reçoivent ? Le peuple de Paris les outrage et leur fait les menaces les plus effrayantes. Il n’y a pas de jour que des ecclésiastiques ne soient insultés à Paris. Vous penserez, Messieurs, que pour l’honneur de la nation française, pour le succès de cette Révolution, l’Assemblée doit prendre des précautions, pour mettre en sûreté les députés du clergé dont vous avez déclaré la personne inviolable et sacrée. 383 Si vous croyez devoir tenir vos séances à Paris, je demande que l’Assemblée nationale fasse de nouvelles proclamations pour la sûreté des personnes des députés du clergé. M. de Montlosier. On a insulté l’Assemblée ici même, lorsqu’elle se rendait chez le Roi. M. le vicomte de Mirabeau. Il est bon de rappeler en ce moment que, dans l’adresse pour l’éloignement des troupes, M. le comte de Mirabeau a dit qu’il ne suffisait pas que l’Assemblée fût libre, mais qu’il fallait encore qu’elle fût crue libre. Beaucoup de membres réclament l’ordre du jour. M. le Président consulte l’Assemblée qui décide qu’elle reprendra la discussion de son ordre du jour concernant le projet d’ organisation du Corps législatif. L’article 7 est adopté en ces termes : « Art. 7. Le Corps législatif présentera ses décrets au Roi, ou séparément, à mesure qu’ils seront rendus, ou ensemble à la fin de chaque sessions. » L’article 8, sur lequel un seul amendement a été présenté, est également adopté ainsi qu’il suit : « Art. 8. Le consentement royal sera exprimé, sur chaque décret, par cette formule signée du Roi : le roi consent et fera exécuter ; le refus suspensif sera exprimé par celle-ci: le roi examinera. » M. le Président. L’article 9 proposé par le comité est ainsi rédigé : « Après avoir consenti un décret, le Roi le fera sceller, et ordonnera qu’il soit adressé aux tribunaux, aux assemblées administratives, aux municipalités, pour être lu, publié, inscrit dans les registres, et exécuté sans délibération, difficulté ni retard. » M. Robespierre. Vous venez de fixer la forme du consentement; vous-allez déterminer celle de la promulgation ; il faut, en même temps, en établir la formule. Vous ûe pouvez adopter ni celle des arrêts du conseil, ni celle des déclarations ; vous rejetterez sans doute ces expressions du despotisme : de notre certaine science, pleine puissance et autorité royale ; car tel est notre plaisir. La liberté doit exister dans les mots par lesquels vous exprimez les choses, et dans la forme de la | loi, comme dans la loi même. Je demande qu’on | s’occupe en ce moment de cette formule. M. Duport. Il faut d’abord déclarer le nom qu’aura la loi, et qu’il soit uniforme. Elle pourrait être dorénavant appelée décrets nationaux ou lois nationales. Mais lois est trop général, et ce terme est purement métaphysique. M. Démeunier attaque cette dernière observation. Le mot loi exprime tout ce qu’il y a de plus imposant, puisqu’il annonce l’acte auquel tous les peuples doivent être soumis. M. Fréteau. Il est à propos de diviser la délibération sur cette formule, en deux parties : le préambule, et la conclusion de l’acte promulga» tif. Dans le préambule, il faut ajouter à ces mots : Louis, par la grâce de Dieu ceux-ci : et par la loi du royaume, roi des Français. C’est le titre donné ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [8 octobre 1789 j [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARI à nos Rois dans les champs de mars et dans les champs de mai. il sera prudent de déclarer responsable celui qui apposera le sceau national à la loi. M. Regnaud de Saint-Jean d’Angely. Le contre-seingdu Roi variepour quelques provinces. Le Roi signe les lois envoyées en Dauphiné, en Provence, etc. : Louis, dauphin ; Louis, comte de Provence. Le contre-seing doit être uniforme. M. Pétion de Willeneuve. Au lieu de se servir de cette expression: Louis... par la loi du royaume, ne serait-il pas plus convenable de dire : par le consentement de la nation ? C’est ce . consentement qui fait les rois. On ne peut conserver par la grâce de Dieu. Un roi n’est roi que par la grâce des peuples, et c’est souvent calomnier l’Etre suprême, c’est consacrer les tyrans que nous pouvons avoir, que de reconnaître qu’ils viennent de Dieu. Charles IX était-il roi par la grâce de Dieu ? M. de Boislandry. La déclaration du Roi sur vos subsistances est une contrefaçon de votre décret. Afin que les ordonnances rendues par Sa Majesté ne contiennent pas désormais des dispositions étrangères, il faut arrêter que le décret sera imprimé à la tête de Pacte destiné à le promulguer. M. le comte de Mirabeau. Il est une manière très-simple d’éviter certaines absurdités qui viennent d’être dénoncées, c’est que la loi sorte toute rédigée de l’Assemblée. Il est clair alors que, par une très-simple formule, la loi sera très-scrupuleusement conforme au décret. A présent j’avoue que je ne vois aux nations aucun intérêt à renoncer aux formules anciennes, surtout lorsqu’elles portent sur des sentiments religieux, et ne peuvent avoir de mauvaises conséquences. Sans doute celles-ci : certaine science ; pleine puissance; tel est notre plaisir, n’ont pas été respectées, et ne prétendent pas l’être aujourd’hui; elles heurlent le bon sens; une certaine science qui sans cesse varie, essaie et se contredit ; une pleine puissance qui vacille, rétrograde et ne peut rien, n’appartiennent qu’à la chancellerie du despotisme. Mais ces mots, par la grâce de Dieu, sont un hommage à la religion, et cet hommage est dû par tous les peuples du monde ; c’est un plan religieux sans aucun danger, et précieux à conserver comme point de ralliement parmi les hommes. Que pourrait-on en conclure dans les violences du despotisme le plus raffiné? Si les rois sont rois par la grâce de Dieu, les nations sont souveraines par la grâce de Dieu. On peut aisément tout concilier ; d’abord, tout préambule doit être banni des lois. Lorsqu’un seul ordonne en son nom et d’après sa volonté, il est tout simple qu’il cherche à se rallier les opinions; mais les représentants de la nation parlent au nom de la nation, et expriment la volonté générale; il suffit donc qu’ils l’exposent pour qu’on y obéisse. Voici la formule que je propose : « Louis, par la grâce de Dieu et par la loi constitutionnelle de l’Etat, roi des Français, confor-mémen t à la délibération et au vœu de l’Assemblée nationale, nous ordonnons ce qui suit. » M. Fréteau. J’en demande pardon au préopinant; mais je crois qu’il est indispensable de conserver la formule, Louis, parla grâce de Dieu. .LEM EMA 1RES. Il v a une providence , son sentiment intime tient à celui de l’amour de la justice et de la liberté ; l’existence des royaumes doit être liée à l’existence de cet Etre suprême : nous trouvons dans sa loi tout ce qui établit les droits des peuples et ceux des rois. J’adopte aussi ces mots : par les lois constitutionnelles du royaume. Vous exprimez ainsi à la tête de chaque loi, que c’est la loi qui fait les rois, et vous annoncez aux peuples d’où les rois tirent leur pouvoir. Permettez-moi, Messieurs, de vous rappeler ces principes qui se trouvent dans le texte d’un des premiers législateurs du monde. Dans l’auteur du Deutéronome, on lit: Israël, en prévoyant son établissement dans la terre promise, se dit à lui-même : « J’établirai sur ma tête un souverain pour me conduire au combat et pour me rendre justice. » Le législateur répond: « Vous ne ferez qu’user de votre droit. » Ce sont là les grands principes qui lient la Constitution à la religion. Les lois se perdent, les Constitutions se détruisent, les nations passent ; mais les principes de la morale restent immuables ; ils sont gravés dans le cœur des hommes. L’édit de Pistes fait mention delà grâce de Dieu, et surtout du choix des peuples comme élection secondaire. Toutes ces idées doivent donc nous déterminer à laisser cette double formule : Roi par la grâce de Dieu et le choix des peuples .' Ce discours de M. Fréteau est vivement applaudi. M. de Boisgelin, archevêque d'Aix. L’on ne peut rien ajouter à ce qu’a dit le préopinant. � L’impression que son discours a faite sur vous,’ et les applaudissements réitérés de l’Assemblée, annoncent qu’il a tout dit. L’on ne saurait, en effet, trop appuyer la formule de la grâce de Dieu ; c’est celle de cette providence qui gouverne les peuples et les nations ; c’est elle qui est la base de l’administration, parce qu’elle est la source de la morale rien n’est plus auguste que de réunir, pour consacrer une loi, toutes les sources de justice. Vous ajoutez ensuite par les lois constitutionnelles de l’Etat : ce sont encore les termes de* l’Evangile ; les rois ne doivent régner que par ( les lois. Sur le titre de Roi des Français, j’observe que c’est celui que le roi d’Angleterre donne à notre monarque. M. Robespierre propose un amendement, sur * lequel il parle longtemps au milieu du tumulte qu’excite la divergence des opinions. Il fatigup l’Assemblée par la rédaction daine formule très-plaisante, et qu’il voulait toujours lire quand ont nesetaisaitpas, et qu’il ne lisait pasquandon faisait silence : sa formule a paru telle à plusieurs� membres, qu’ils l’ont appelée caustique. D’abord il propose une série de questions : ' Que tous les décrets de l’Assemblée soient exprimés par le terme uniforme de loi ; La suppression des anciennes formules usitées, telles que « pleine puissance et autorité royale -j. car tel est notre plaisir, etc. ; » Que ces formules soient remplacées par celle-ci : « Louis, par la grâce de Dieu et par la volonté delà nation, roi des Français, à tous les citoyens de l’empire français : peuple, voici la loi que. vos représentants ont faite, et à laquelle j’ai apposé le sceau royal. » \ 1 385 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. )8 octobre 1789.) Ce commencement paraissait burlesque ; on j n’en a pas laissé lire la lin. ! ' M.LcBerthon insistefortementsurlemot Roi[ des Français, attendu que d’après l’ancienne for-� * mule, Roi de France, tirée du régime féodal, il f y a eu des ministres qui ont soutenu que le Roi r était propriétaire de la France. M. Target propose pour amendement de remplacer ces mots : conformément au vœu et à la ■ délibération de l’Assemblce nationale, nous ordonnons ce qui suit , par ceux-ci : l'Assemblée nationale a décrété, et nous voulons et ordonnons ce qui suit. On demande que ces mots à tous présents et à venir , salut , soient insérés dans la formule. M. le comte de Mirabeau. Si la mode de saluer venait à passer ! ..... ’ L’amendement est retiré. Un nouvel amendement est offert: il consiste à �mettre, au lieu de Roi des Français , Roi de France et de Navarre. f VM. le comte de Mirabeau. Ne serait-il pas à propos d’ajouter : et autres lieux ? L’expression, Roi des Français , est presque A « unanimement admise. 9 Un grand nombre de membres redemandent les >mots de Navarre, ou bien des Navarrais. M. Fréteau. Il est des considérations politiques qui peuvent engager l’Assemblée à exami-1 ner très-sérieusement cette demande : nous rfa-vons qu'une partie de la Navarre, l’autre nous a � été enlevée par des traités ; et comme la justice deces� traités n’est pas très-démontrée, il n’est �peut-être point convenable que nous renoncions' à nos droits. M. Garai l’aîné. Ce n’est pas sans dessein que nos rois ont conservé le titre de Roi de Navarre. Cette province n’a pas ici de députés ; elle en a Cependant nommé qui sont venus sonder le terrain, et ne se sont pas présentés; elle a prétendu qu’elle pouvait avoir des Etats généraux parti-- culiers ; elle se considère comme un royaume séparé : ne favorisons pas les prétentions de l’Ës--pagne, et ne nous opposons pas, sans un mûr examen, aux dispositions connues de la Navarre française. Quelques membres prétendent qu’en adoptant les mots de Roi des Français, on a exclu l’addition demandée. � L’Assemblée délibère et reconnaît le contraire d'e cette assertion. � La question est ajournée à lundi. p On annonce la municipalité de Versailles. Elle est introduite à la barre. L’un de MM. les officiers municipaux dit : Messeigneurs, les officiers municipaux de Versailles, chargés d’exprimer à l’Assemblée nationale les sentiments douloureux de leurs concitoyens sur la perte qu’ils viennent d’éprouver et sur celle qui les menace , s’empressent de �remplir un devoir cher à leur cœur ; ils vous supplient, Messeigneurs, de ne pas abandonner Versailles, et de vouloir bien être, auprès de Sa Majesté, les interprètes de leur amour, de leur profond respect pour sa personne sacrée, et de leurs vœux ardents pour son retour dans une ville qui a‘ le bonheur d’être le berceau et la résidence de hos rois, depuis plus d’un siècle. 4re Série, T. IX. M. le Président répond : Messieurs, les rois de France sont depuis longtemps en possession de voir leurs sujets rivaliser d’amour et de sensibilité. L’Assemblée nationale n’est point étonnée des profonds regrets que vous montrez de la perte que vous avez faite; elle prendra votre demande en considération. M. le Président indique ensuite pour l’ordre du jour de la réunion du soir le projet de ré-formation de l’ordonnance criminelle. La séance est levée à quatre heures. Séance du jeudi 8 octobre 1789, au soir (1). On a fait lecture des différentes offres de dons patriotiques, dans l’ordre qui suit : M. Sallé de Choux a offert de la part de M. Rulhié, receveur des gabelles à Sancerre, la somme de 1,000 livres, formant la cinquantième artie de son bien, sans préjudice de la contri-ution du quart de son revenu, ladite somme de 1,000 livres payable dans huit jours, par les mains de M. Sallé de Choux, membre de l’Assemblée. M. Mereerct a proposé, aunom de M. Antoine Gamein, curé de Ghevannes en Bourgogne, diocèse de Dijon, un don patriotique de la somme de 400 livres, payable par M. Boulliotte, curé d’Ar-nay-le-Duc, membre de l’Assemblée. M. le comte de Lally-Tollendal a annoncé, au nom de la communauté des écoliers irlandais, établis à l’Estrapade, rue du Cheval-Vert, un don patriotique de vaisselle et bijoux en argent, qu’elle a remis au change de la monnaie de Paris les 24 et 28 septembre dernier, suivant les récépissés qui ont été déposés sur le bureau, M. le comte de Cally-Tollendal a dit: Messieurs, les écoliers et les clercs du collège irlandais établi à Paris, rue du Cheval-Vert, me chargent de déposer aux pieds du Roi et de l’Assemblée nationale le produit de toute leur vaisselle et de toute l’argenterie de leur église. Ils me marquent que leur offrande leur a paru trop modique pour qu’ils osassent l’adresser directement à votre président. C’est en effet le denier de la veuve; mais ils donnent plus que ceux qui donnent beaucoup, car ils donnent tout ce qu’ils ont. Ils me marquent encore que, dans leur pauvreté, ils se trouvent trop heureux d’offrir à la France ce faible tribut de la reconnaissance qu'ils doivent à ses bienfaits. Je connais leurs cœurs, Messieurs ; je garantis leurs sentiments, et je les partage. Lié avec eux par une origine commune ; conduits tous, il y a un siècle, dans ce pays, par notre fidélité pour le culte de nos pères et pour le sang de nos Rois, nous avons voué, nous avons juré les mêmes sentiments à la nouvelle patrie et au prince qui nous adoptait. Jamais, Messieurs, jamais aucun de nous ne les a trahis ni ne les trahira. Je dépose sur ce bureau les récépissés du directeur de la monnaie, et je me trouve heureux (1) Le Moniteur ne donne qu’un sommaire de cette séance. j 25