616 [Convention nationale/] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 3 fanS 1794 qui est une maladie attachée, jusqu’à un certain point, au climat, ne diffère guère de la maladie fédéraliste attachée à l’intrigue, à la vanité, au royalisme et aux crimes des puissances coalisées, et à leurs partisans en France. Il produit les mêmes effets, les mêmes dangers : il faut donc le proscrire sans pitié. Mais il est encore un fédéralisme maritime que le législateur doit chercher sans cesse à atté¬ nuer et à détruire. Il est bien plus dangereux sur la mer que sur le continent : car celui de la mer a, pour le soutenir, les distances, les voyages maritimes, l’indiscipline, la désorganisation navale; celui de la terre est comprimé par le législateur toujours présent, et par les diverses autorités qui secondent sa vigilance. Il faut donc infuser la République sur toutes les parties des forces militaires et navales; il faut fondre tous les marins, comme nous avons fondu tous les soldats; il faut amalgamer les escadres, comme nous avons amalgamé les armées; les bataillons des Alpes et des Pyrénées doivent aller à Toulon et à Cette, comme les marins du Yar et du Rhône doivent servir dans les ports de l’Ouest, de la Rochelle et de Lorient. Pourquoi les naufrages de la Méditerranée se¬ raient-ils ignorés des marins qui connaissent les tempêtes de l’océan? Les républicains doivent connaître les rochers d’une mer comme les écueils d’une autre. Les Français doivent s’ac¬ climater dans tous les ports où la voix de la patrie les appelle; ils doivent s’embarquer sur toutes les mers où l’intérêt du commerce natio¬ nal les appelle. Est-ce à nous de nourrir, de défendre cette étrange et funeste rivalité d’un port à un autre ; cette funeste antipathie que le despotisme avait intérêt de conserver, mais que l’unité de la République doit proscrire? Est-ce à nous de créer sur les ports des fédéralistes, nous qui les punissons? J’appelle ici votre attention sévère, citoyens : préservons les escadres, préservons les mers, préservons la République du plus dan¬ gereux des fédéralismes, et qu’il expire aujour¬ d’hui sous la force de vos décrets. Une dernière pensée a affecté le comité en vous présentant le projet de décret : il aurait désiré pouvoir briser les chaînes dont l’ancien régime chargea quelques hommes, dont une partie est peut-être plus malheureuse que cou¬ pable. Il n’est pas venu à leur idée de chercher à être libres en défendant les intérêts de la Répu¬ blique; mais ils n’ont pu, au milieu de leur supplice, oublier qu’ils étaient Français, et ils se sont empressés d’éteindre l’incendie des vaisseaux. Un d’eux a brûlé ses mains pour éteindre le brais et le goudron qui, placés sur une traînée de poudre, allaient embraser un de nos plus importants magasins. Si ces forçats eussent été contre-révolutionnaires, ils auraient augmenté l’incendie pour fuir au milieu des flammes; si ces forçats eussent été semblables aux habitants de Toulon, ils auraient aidé, mais par une conduite opposée, les ennemis. N’ont-ils donc pas payé ainsi une rançon patriotique? Nous ne vous proposerons pas cependant des mesures qui puissent être accusées d’immora¬ lité; ainsi ne brisons pas aveuglément les chaînes de tous les forçats de Toulon. Mais l’amour de la patrie n’a-t-il pas purifié des cœurs qui n’ont dû leur corruption qu’aux vices de l’ancien régime, à la misère, peut-être même aux lois du despotisme que vous avez renversé? Ne pouvez-vous pas faire rechercher la nature des-délits ou des crimes qui ont pu motiver leur condamnation? Ne pouvons-nous restituer à la société des hommes qui peuvent devenir ci¬ toyens, et qui ont connu une patrie quand ils l’ont vue en danger? Les représentants ont écrit à la Convention que les forçats étaient les seuls patriotes de Toulon. Eh bien ! sans exagérer, sans compromettre la reconnaissance nationale, qu’elle vienne aujourd’hui consoler des malheu¬ reux et prononcer que la patrie ne fut jamais insensible à aucun genre de dévouement ! Décret. La Convention nationale, après avoir entendu le rapport du comité de Salut public, décrète : Art. 1er. « Le ministre de la marine est chargé de donner sur-le-champ les ordres nécessaires pour la construction de tous les vaisseaux que les cales et les emplacements du port delà Montagne pourront contenir. Art. 2. « Il donnera en même temps des ordres dans tous les ports de la Méditerranée pour y faire construire tous les bâtiments de guerre qu’ils pourront contenu-dans les cales et dans les chantiers de construction. Art. 3. « Le ministre de la marine fera réparer à Tou¬ lon, avec la plus grande célérité, tous les établis¬ sements dépendant de son administration; il est autorisé, à cet effet, à mettre en réquisition tous les maçons et ouvriers nécessaires du dé¬ partement du Var et de tous les départements voisins. Art. 4. « Les représentants du peuple envoyés dans les départements méridionaux feront partir vers Marseille et Toulon, aussitôt que le décret leur sera parvenu, tous les bois de construction, tous les objets et matières mis déjà en réquisi¬ tion, et qui sont propres à la construction et à l’armement des vaisseaux. Art. 5. « Les corps administratifs sont tenus de mettre la plus grande activité pour faire parve¬ nir à leur destination les divers objets et ma¬ tières destinés au service de la marine. Art. 6. « Les représentants du peuple dans le dépar¬ tement du Mont-Blanc sont chargés d’accélérer l’exécution du décret précédemment rendu pour la coupe des bois dans ce département; ils les feront parvenir incessamment à Marseille et à Toulon. Art. 7. « Les ouvriers propres à la construction et aux travaux de la marine, et qui se trouveraient faire partie de la première réquisition armée, sont requis par le présent décret de se rendre à Toulon pour les travaux qui vont être commen¬ cés. Les ministres de la guerre et de la marine donneront à cet effet les ordres nécessaires. s Le ministre de la marine enverra à la Con¬ vention et fera imprimer la liste des citoyens [Convention nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, j 617 qu’il tirera de la réquisition pour les employer dans la marine. Art. 8. « Tous les charpentiers, caifats ou voiliers, ouvriers de profession ou arts maritimes, sont mis en réquisition par le présent décret, pour être employés dans les divers arsenaux et ports de la République, sur l’indication faite par le ministre de la marine. Art. 9. « Le ministre disposera le service de la marine de manière à ce que les marins des régions mari¬ times du nord et de l’ouest soient employés dans les régions maritimes du sud, et récipro¬ quement. Art. 10. « Tous agents civils et militaires de la marine, et tous autres employés dans cette partie, qui négligeront, entraveront, ou qui ne secon¬ deront pas de tous leurs moyens les travaux, les approvisionnements et les opérations de tout genre dans les ports et arsenaux de la Répu¬ blique, et partout ailleurs où ils seront employés, seront destitués par le ministre de la marine et mis en état d’arrestation comme suspects. Art. 11. « Les représentants du peuple à Toulon sont autorisés à nommer une Commission de trois membres chargés d’examiner, d’après les regis¬ tres du bagne, la nature des délits et les juge¬ ments qui ont été rendus contre les forçats qui sont à Toulon; l’avis des commissaires sera en¬ voyé incessamment à la Convention, ainsi que la notice des jugements rendus, pour être sta¬ tué par elle définitivement sur leur état. Art. 12. « Toutes les pétitions et pièces jointes qui ont été adressées aux législateurs et aux ministres par les forçats détenus au port de la Montagne et autres lieux, seront adressées à la Commission dans les vingt-quatre heures. Il sera à cet effet fait sur-le-champ les recherches les plus soignées de papiers dans les différents bureaux. Art. 13. « La Convention nationale décrète que le forçat qui a brûlé ses mains en éteignant les brais et goudrons qui étaient près d’incendier un établissement national, sera sur-le-champ mis en liberté : il lui sera donné, par les repré¬ sentants du peuple, une somme de 600 livres à titre de secours. Compte rendu du Moniteur universel (1). Barère, au nom du comité de Salut public, Citoyens, après avoir célébré le triomphe des armes de la République sur l’infâme Toulon, il est digne des représentants du peuple de porter leurs regards régénérateurs sur le port de la Montagne. Un bon décret doit couronner une fête civique. (1) Moniteur universel [n° 105 du 15 nivôse an II (samedi 4 janvier 1794), p. 422, col. 1], Nous repro¬ duisons, en entier, le compte rendu du Moniteur à cause des nombreuses variantes qu’il présente avec le texte imprimé Laissons à l’histoire le soin de tracer la pompe auguste et simple de la fête des victoires, de raconter comment les chars de triomphe ont été, pour la première fois, convertis en hom¬ mage patriotique pour les armées, au lieu de n’appartenir qu’aux généraux; laissons à la philosophie rappeler aux défenseurs de la patrie, que, pour la première fois, les honneurs de la victoire ont été décernés aux soldats blessés pour la République, et que les repré¬ sentants du peuple ont su honorer à la fois le courage et le malheur. Chez les anciens, on con¬ sacrait les arbres frappés de la foudre; chez les républicains français, la reconnaissance publique a consacré les soldats frappés par les armes des despotes. C’est de ces citoyens, épar¬ gnés par le canon dans les hasards de la guerre, qu’échappent tous les jours de nouveaux traits de civisme militaire. Encore hier, en sortant de la Convention, un invalide, tout joyeux des nouvelles du Rhin et de la Moselle, s’écriait : Il sera bien glorieux d’être invalide de cette cam¬ pagne de Landau contre les Prussiens. Ce serait aux arts, ce serait aux peintres de l’histoire à transmettre à la postérité les traits de courage républicain qui ont éclaté à Toulon. C’est un beau sujet pour les artistes médiocres ; c’est un poème magnifique pour les artistes passionnés pour la liberté. Aux théâtres nationaux, aux jeux scéniques de répéter aux Français ce qu’ils ont fait sur les bords de la Méditerranée. Ces monuments seront des éloges civiques pour les uns, et pour les autres des avertissements de ne pas dégénérer de la gloire nationale. En attendant que le génie des arts paye son tribut au génie de la liberté, en attendant que les artistes, les poètes et les théâtres immor¬ talisent cette nuit orageuse où, à travers une pluie abondante, les soldats de la liberté s’ap¬ prochaient avec un courageux silence de la redoute anglaise, ce boulevard de leur vénale trahison; cette attaque simultanée et héroïque de toutes les redoutes, de tous les forts par les Français; en attendant que les artistes et les théâtres fassent entendre le tocsin de la peur sonné par l’Espagnol, tandis que la bravoure anglaise fuyait vers la Méditerranée, sa com¬ plice; les cris effrayants et confus des langues diverses, des Napolitains, des Portugais, des Romains, des Anglais, des Espagnols et des émigrés, invoquant à genoux des matelots et des pilotes pour fuir une terre déshonorée qui les restituait à la mer qui les porta; en attendant qu’ils nous offrent l’armée française se por¬ tant subitement vers les murs de la ville infâme au moment où la mine d’un fort faisait explo¬ sion è ses côtés, où le feu à des poudrières dans la ville couvrait l’air de bombes et n’épargnait la vie précieuse de nos soldats que parce que leur intrépidité les avait placés plus près du danger ; en attendant qu’ils nous peignent cette déportation bienfaisante de tous les scélérats Toulonnais, et les femmes plus coupables encore que la terreur précipitait dans les chaloupes; et qu’ils nous montrent cette frégate anglaise et ces chaloupes d’embarcation cordées bas par notre formidable artillerie, le rapporteur du comité doit se borner à vous rappeler le crime et la lâcheté destructrice de ces ennemis achar nés qui, en fuyant, ont mis le feu à notre escadre. Voyez cet incendie, il nous découvre cette embarcation confuse et subite des héros d’Albion et des nobles Castillans; il nous montre