[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [11 juin 1790.] 171 tourné au sein de ia Divinité, le génie qui affranchit l’Amérique et versa sur l’Europe des torrents de lumières ! Le sage que deux mondes réclament, l’homme que se disputent l’histoire des sciences et l’histoire des empires, tenait sans doute un rang bien élevé dans l'espèce humaine. Assez longtemps les cabinets politiques ont notifié la mort de ceux qui ne furent grands que dans leur éloge funèbre; assez longtemps l’étiquette des cours a proclamé des deuils hypocrites : les nations ne doivent porter que le deuil de leurs bienfaiteurs; les représentants des nations ne doivent recommander à leurs hommages que les héros de l’humanité. Le congrès a ordonné, dans les quatorze États de la confédération, un deuil de deux mois pour la mort de Francklin, et l’Amérique acquitte en ce moment ce tribut de vénération et de reconnaissance pour l’un des pères de su constitution. Ne serait-il pas digne de vous, Messieurs, de nous unir à l’Amérique dans cet acte religieux, de participer à cet hommage rendu à la face de l'univers, et aux droits de l’homme, et au philosophe qui a le plus contribué à en propager 1a conquête sur toute la terre? L’antiquité eût élevé des autels au puissant génie qui, au profit des mortels, embrassant dans sa pensée le ciel et la terre, sut dompter la foudre et les tyrans. L’Europe, éclairée et libre, doit du moins un témoignage de souvenir et de regret à l’un des plus grands hommes qui aient jamais servi la philosophie et la liberté. Je propose qu’il soit décrété que l’Assemblée nationale portera pendant trois jours le deuil de Benjamin Francklin. (La partie gauche applaudit avec transport.) MM. de lia Rochefoucauld et de Lafayette se lèvent pour appuyer la proposition de M. de Mirabeau : tout le côté gauche se lève. M. Moreau monte à la tribune. On crie : Aux voix ! aux voix ! M. Moreau (de Tours). Je veux, non contredire la motion, mais la compléter. M. Legrand. Je demande que M. le président soit chargé d’écrire au congrès, pour lui témoigner la part que l’Assemblée nationale prend à la perte qu’il vient de faire. M. le comte de Montlosier. Je demande si M. Francklin est réellement mort, et si sa mort a été notifiée à l’Assemblée nationale par le congrès? M. le comte de Mirabeau. MM. de La Rochefoucauld et de Lafayette, amis de ce grand homme, ont été instruits de sa mort. Cette triste nouvelle a été écrite à M. de La Rochefoucauld par M. Landowsne. Ainsi cette perte n’est que trop sûre ; mais j’aurai l’honneur d’observer que si, par impossible, cette nouvelle est fausse, la sollicitude qu’on montre est de peu d’importance; car votre décret feraitpeude peine à M. Francklin. L’Assemblée adopte par acclamation la motion de M. le comte de Mirabeau et rend le décret suivant : « L’Assemblée nationale décrète que ses membres porteront trois jours le deuil de Benjamin Francklin, à commencer de lundi prochain; que le discours prononcé à cette occasion sera imprimé, et que M. le Président écrira au congrès américain au nom de l’Assemblée nationale. » M. Lebrnn, rapporteur du comité des finances , reprend la suite de son rapport sur les différentes parties des dépenses de la dette publique. La partie dont il s’occupe est dénommée : remises, moins-imposé , modération et non-valeurs. M. Lebrun. Le chapitre des remises, moins imposé, modération et non-valeurs renferme des objets qui tiennent, les uns de la bienfaisance, les autres de la justice, d’autres enfin de l’une et de l’autre, peut-être aussi de l’impuissance de l’ancienne administration. La bienfaisance était justice rigoureuse pour certaines provinces, dans un temps où la mesure de toutes les contributions était forcée, où par conséquent il était impossible de balancer les malheurs elles prospérités des différentes parties d’une même province. Aujourd’hui, le fardeau également partagé pèsera moins, et les calamités particulières seront compensées sans qu’il en coûte au Trésor public. Il faut au Trésor public une recette égale aux besoins calculés par l’économie. Ce sera dans un excédent d’imposition que les départements trouveront les moyens de corriger leurs malheurs locaux. Le comité a pensé qu’il fallait retrancher de la dépense toute la partie des remises, modération et décharges. Elles montent, année commune, pour les pays d’élection et pays conquis, à. . . . 4,769,770 liv. En Languedoc ....... . ....... 400,000 En Provence ................. 3,370 En Roussillon ................ 21,000 En Bretagne ................. 200,000 Terres adjacentes ...... ....... 12,500 A la vallée de Barcelonette jusqu’en 1802 ................ 10,000 Sous le titre de bienfaisance, il faut ranger encore en Provence : Pour le rétablissement du port de Seine ................... 15,000 Pour le dessèchement des marais de Fréjus .............. 15,000 A des pères de famille qui se chargent d’enfants trouvés, environ .................. . 16,000 Tous ces articles doivent être à la charge des départements qui partagent la Provence. D’autres articles s’évanouissent par le nouvel ordre des choses. Ce sont des compensation? d’abonnements de vingtièmes accordés à des princes ou à des particuliers, de capitations retenues sur les gages ou traitements d’officiers civils ou militaires. Restent quatre objets qui paraissent présenter des difficultés que le patriotisme et la justice doivent résoudre. Ce sont des sommes accordées au Languedoc et à la Bretagne pour rembourser les capitaux des emprunts qu’ils font tous les dix ans pour racheter les quatre sous pourlivrede la capitation, Languedoc, 800,000 livres;Bretagne, 300,000 livres. Ensemble, 1,100,000 livres. Ce rachat date, pour le Languedoc, de 1788. Pour ia Bretagne, de février 1789. Le Languedoc a payé 3 millions. La Bretagne n’a encore payé que 2,200,000 liv. au lieu de 4 millions convenus. En tenant compte au Languedoc et à la Breta- 172 {Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. jl 1 juin 1790.1 gne des intérêts des capitaux que ces provinces ont payés pour le rachat des quatre sous pour livre de la capitation, toute justice, peut-être plus que la justice, sera accomplie. Secours accordé à la Bretagne pour concourir à l’amortissement de ses dettes, 300,000 livres. La Bretagne n’insistera certainement pas sur ce secours. Il faudrait justifier qu’elle a été plus chargée que les autres provinces. Elle trouvera, dans une répartition égale, dans l’économie sur les dépenses, bien au delà de ces 300,000 livres. Enfin, quand les autres départements abandonneront les modérations qui leur étaient accordées, elle n’aura rien à réclamer pour elle-même. Pour le don gratuit de la ville de Toulouse, dont elle a fait le rachat, 95,676 livres. Toulouse se rachetait tous les vingt ans de sa contribution, moyennant 400,000 livres ; nayait annuellement 5,000 livres, et recevait 95,676 livres, au lieu de 32,000 livres qui auraient remboursé 400,000 livres en vingt ans. Ce paiement de 400,000 livres vient d’être renouvelé. Le comité des finances propose le décret suivant : « Art. 1er. A compter de l’époque où le nouveau système d’imposition sera organisé, il ne sera plus accordé de décharge et modération ; et le montant d’impositions destinées au Trésor public y sera versé sans aucune déduction. « Art. 2. Il sera tenu compte, s’il y a lieu, aux ci-devant provinces de Languedoc et de Bretagne, et à la ville de Toulouse, des sommes qu’elles ont respectivement payées pour le rachat de quatre sous pour livre de la capitation et du don gratuit. » (La discussion est ouverte.) M. Defermont. Les États de Bretagne renouvelaient tous les deux ans leur contrat avec le roi, l’abonnement de la capitation était fixé à 1,800,000 liv., à raison des diminutions convenues dans ce même contrat. Ce n’est ni à titre de bienfait, ni à titre de secours que la Bretagne ne verse pas en entier dans le Trésor public le montant de son abonnement, c’est en vertu des conditions de ce même abonnement. Le comité des finances a voulu insinuer que cela n’avait été établi que par la suite des abus de l’ancienne administration ; je le réfuterai aisément en représentant la gradation des impositions de la Bretagne, et les réclamations qu’elle n’a cessé de faire de ses privilèges, qui ont toujours été violés. « La Bretagne, dit le comité, n’insistera sûrement pas sur ce secours; et quand les autres départements abandonneront les modérations qui leur ont été accordées, elle n’aura rien à réclamer pour elle-même. » La Bretagne n’a rien réclamé, lorsque les provinces de gabelle ont obtenu une diminution de 20 millions. qui doit être supportée par tous les autres départements. Le comité dit aussi qu’il faudrait justifier qu’elle a été plus chargée que les autres provinces. Je conviens que si l’on considère ce que paient l’un dans l’autre les habitants de cette province, on croira qu’elle n’est pas très chargée ; mais il faut savoir que la plus petite partie de ses habitants est en état de payer des impositions. Il est certain qu’à Rennes, sur quarante mille âmes, il y a à peine cinq mille habitants soumis à la capitation. LaBretagneest chargée de dettes très considérables : il ne peut entrer dans les vues de l’Assemblée nationale de lui faire payer sa dette particulière, et de la faire entrer dans le payement de la dette générale. Ces sommes, qu’on veut faire considérer comme des secours, sont destinées à l'acquittement des intérêts et des capitaux de la dette de la province. L’obliger à verser la totalité de l’abonnement dans le Trésor public, c’est l’exposer à cesser ses payements, et à faire une banqueroute avilissante. Je propose de décréter que les pays d’États continueront provisoirement à verser au Trésor public les sommes qu’ils y portaient, et à faire l’emploi des sommes qui étaient laissées à leur disposition jusqu’à la liquidation de leur dette, pour laquelle liquidation le comité des finances sera chargé de faire incessamment un rapport. M. Lebrun. Il ne s’agit que d’une affaire d’ordre seulement : au 1er janvier prochain, les impositions seront réglées de manière à mettre tous les départements au même niveau. M. d’André. L’intérêt de ma province serait qu’on adoptât la proposition de M. Defermon; mais l’intérêt général demande qu’on établisse dès ce moment une égalité parfaite. Quant à ce que le comité a dit sur les dépenses des ports de Seine et de Fréjus, je demande le renvoi au comité de commerce et d’agricuiture, afin qu’on examine si ces dépenses sont de nature à être acquittées par le Trésor public, ou si elles doivent rester à la charge des départements. M. Lebrun. Il s’agit seulement de ne pas laisser payer par le Trésor public ces dépenses, soit qu’on les affecte sur les sommes qui sont destinées aux travaux publics, soit qu’elles restent à la charge des départements. M. de Richier. Le comité propose que chaque département prenne sur lui les secours à donner aux contribuables : ces secours doivent être accordés sur les fonds communs de la grande famille ; il faut décréter qu’il y aura un fonds général destiné à ces dépenses pour tout le royaume. M. An son. Tout ceci se concilie avec le projet de décret. Vous ferez sans doute très sagement d’adopter les vues du préopinant. M. Carat, Va\nè. On ne parle de renvoyer au 1er janvier 1791 qu’en supposant que le système des impositions sera alors établi; mais, dans tous les cas, l’état actuel des choses doit exister jusqu’à ce moment; ainsi l’on doit ajourner. M. Le Chapelier. L’acte de justice que vous demandez est très facile. L’ancienne imposition doit subsister jusqu’à ce que les nouveaux impôts soient établis. Quand on nous proposait uu abonnement de 1,800,000 livres, on nous disait qu’il y aurait 200,000 livres de retenue: nous ne consentions bien réellement que 160,000 livres. Ne serez-vous pas à temps, en organisant l’impôt, de dire : tel département payera telle somme? L’article est évidemment prématuré : le décréter en ce moment, c’est alarmer les provinces qui ne sauront pas qu’incessamment l’imposition sera plus également répartie. Je demande donc l’ajournement jusqu’à l’instant de l’organisation de l’impôt. M. Le Coutenlx. Ce qui était le plus important pour le comité des finances, c’était de consacrer le principe de l’égalité d’impositions. J’adopte, en mon nom, l’ajournement proposé.