476 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [26 juin 1790.] annonce les législateurs qu’on y vieDt révérer ; c’est dans ce temple que se préparent les destinées de la France; votre voix s’y fait entendre, et le monarque que nous chérissons s’y est uni à vous, Messieurs, pour former ces salutaires décrets que la renommée publie pour l’instruction de l’Univers. Vous y avez rappelé l’homme à sa première origine ; et l’ordre des conditions, rétabli sur les lois de la nature, y fait goûter le bonheur du premier âge. Le vrai mérite ne sera plus éclipsé par l’homme puissant; vous avez brisé l’idole de la faveur ; et les vertus seules sont les degrés qui élèvent à l’estime publique; ce sont là, Messieurs, dans l’ordre social, des prodiges qui commandent l’admiration. Mais rendre à l’homme ses droits primitifs, le faire jouir de sa liber té, soutenir l’Empire penchant à sa ruine, et s’occuper continuellement de ses besoins journaliers, déiruire tous les abus, maintenir la paix au seia de la France ; porter sur les frontières des regards vigilants ; repousser avec fermeté la guerre et ses fléaux dans ces contrées où règne encore la volonté sans lois; travailler constamment au rétablissement du crédit, qui renaîtra bientôt avec le regret d’avoir disparu : ce sont, Messieurs, de ces bienfaits précieux à l’humanité, qu'on ne peut recevoir sans émotion et sans être pénétré de la plus vive reconnaissance. Daignez agréer, Messieurs, l’hommage de la nôtre. Tous les administrateurs du département de l’Yonne, que nous avons l’avantage de représenter, éprouvent les mêmes sentiments. Leur premier devoir a été de vous en adresser l’expression, et nous sommes venus vous en renouveler l’assurance la plus sincère. Ils attendent avec impatience que vous leur donniez des règles de conduite dans l’application qu’ils ont à faire des principes de votre sagesse et de votre justice: j ai dit avec impatience, parce que c’est alors que les peuples jouiront véritablement du fruit de vos travaux, pour l’établissement de cette belle et heureuse Constitution, que toutes les nations étonnées admirent, et qui nous conduira à l’immortalité. M. le Président répond ; Le département de l’Yonne, l’un des premiers organisés, a l’avantage d’avoir fait luire aux yeux des peuples l’aurore consolatrice de ces administrations destinées à adoucir leurs maux, et à effacer jusqu’aux cicatrices douloureuses des chaînes dont ils étaient accablés. Déjà l’Assemblée nationale a distingué honorablement l’hommage de vos concitoyens et l’adresse que lui ont envoyée vos électeurs. Exempt de toute espèce de désordres, votre département a eu le bonheur de conserver la tranquillité la plus désirable, et la liberté est née sans efforts dans vos heureuses contrées. Versez-y, Messieurs, de nouveaux bienfaits par la sagesse, par la popularité, par la fraternité de votre administration. L’Assemblée nationale a jeté par ses travaux les germes du bonheur public : elle vous les confie ; vos mains sauront les rendre féconds. Veuillez, Messieurs, assister à sa séance. M. de la Forge demande l’impression et l’insertion au procès-verbal du discours de la députation de l’Yonne et de la réponse du président. Cette motion est adoptée. M. le Président. J’ai reçu de M. de Mirabeau le jeune, la lettre suivante : « Monsieur le Président, « Il y a 72 heures que j’ai reçu l’ordre de me rendre à l’Assemblée et j’accours de 200 lieues. J’espère lui prouver que je n’ai pas cessé d’être digne de siéger dans son sein. Si elle veut m’entendre ce soir, je suis prêt à paraître. Si elle veut attendre à demain, je pourrai réparer, en attendant, 13 nuits d’insomnie. « J’ai l’honneur d’être, etc. » L’Assemblée décide que M. de Mirabeau le jeune sera entendu demain. M. le Président annonce que la députation de la ville d’Avignon demande à être admise. Quelques membres demandent qu’elle soit admise dans l’Assemblée et non à la barre. D'autre membres estiment qu’elle doit paraître à la barre seulement. M. Bouche présente les observations qui suivent : Si vous recevez les députés à la barre vous les regarderez comme députés nationaux. C’est en raisonnant dans le système de ceux qui s’y opposent que je crois que vous devez mettre de la différence entre les députés de la nation et les députés extraordinaires. C’est un état souverain qui vous envoie des ambassadeurs. Ce n’est pas d’après le plus ou le moins d’étendue de la ville d’Avignon que vous devez fixer l’honneur que vous ferez à ses députés. Je demande qu’ils soient admis dans l’Assemblée. (Cette motion est mise aux voix et adoptée.) M. le Président donne ensuite lecture de la réponse qu’il se propose de faire aux députés. Les termes en sont approuvés par l’Assemblée. Les députés sont introduits dans la salle. L’un d’eux prononce un discours dont voici la substance : « Députés par un peuple libre, indépendant et souverain, ce n’est pas en vain que nous venons jurer une fidélité inviolable à la nation française... Nous ne vous rappellerons pas ici en détail toutes les opérations glorieuses qui ont assuré l’immortalité de vos travaux : assez d’orateurs vous ont déjà présenté le tableau de la prospérité de la nation française. Nous ne vous offrirons point des conjecturés vagues : c’est par des faits que nous parlons ; et si ce langage n’est pas le plus pompeux, il est au moins le plus sincère... En se réunissant à la nation française, le peuple d’Avignon a sans doute prouvé son admiration pour aile. Oui, nous osons le prédire, et peut-être temps n’en est pas éloigné, le peuple français donnera des lois à l’univers entier, et toutes les nations viendront se réunir à lui, pour ne plus faire de tous les hommes que des amis et des frères. Le peuple avignonnais a voulu être le premier. Placé au milieu de la France, ayant les mêmes mœurs, le même langage, nous avons voulu avoir les mêmes lois... 11 est temps, avons-nous dit, que nous cessions de porter la peine du crime que nous n’avons pas commis... A peine avez-vous déclaré que tous les hommes sont libres, que nous avons voulu l’être. Nos municipalités se sont organisées d’après les lois établies par vos décrets, et nous étions déjà constitués lorsque [Assemblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES, [26 juin 1790. 477 des brefs incendiaires et tyranniques, lancés par le Vatican, sont venus frapper d’anathème la Constitution française... (L’orateur fait le tableau des dispositions préparées sourdement à Avignon pour tenter une contre-révolution en France.) Des hommes armés parurent tout à coup au milieu de la ville : bien tôt, pressés de toutes parts, ils abandonnèrent le champ de bataille. Le sang pur des citoyens patriotes fut confondu avec celui des assassins qu’on avait suscités contre nous. — Nos alliés volèrent enfin à notre secours ; et s’ils n’ont pu nous garantir entièrement des coups qui nous étaient portés, ils sont du moins parvenus à empêcher la punition prématurée de quelques coupables, et à nous rendre la paix. Le lendemain de ces scènes de sang et de carnage, les citoyens actifs de tous les districts de la ville d’Avignon s’assemblèrent légalement. C’est dans cette assemblée que le peuple, considérant qu’il ne pouvait être heureux et libre que par la Constitution française, déclara qu’il se réunissait à la France, qu’il supprimait les armes du pape, qu’il y substituait celles du roi de France, et qu’il députait vers lui pour lui témoigner le respect et la fidélité que lui vouaient les Avignonnais. Vous connaissez nos droits : les délibérations de tout le peuple avignonnais. Vous connaissez nos motifs : notre roi veut être despote, et nous ne vouions plus être esclaves. La France est libre; nous ne pouvons le devenir que par elle, et nous nous jetons dans ses bras. ( Des applaudissements réitérés interrompent l’orateur.) Vous accepterez sans doute un peuple qui vous appartenait autrefois, un peuple enfin qui a versé son sang pour le maintien de vos décrets. — Nous remettons sur le bureau les délibérations de la ville et de l’Etat d’Avignon. » M. le Président. L’Assemblée nationale prendra en très grande considération l’objet de votre mission. Il est glorieux pour elle d’avoir inspiré aux citoyens d’Avignon le vœu que vous venez d’exprimer. Quel que soit le résultat de la délibération, la nation française sera toujours flattée de votre affection et de votre confiance. Une députation de V administration du département de Seine-et-Oise, dont le chef-lieu est à Versailles , est introduite a la barre. Elle présente des témoignages d’adhésion, de respect et d’admiration pour toutes les opérations de l’Assemblée nationale; elle blâme avec chaleur toutes les tentatives des ennemis du bien public. « Si nous n’étions persuadés, dit l’orateur, que le temps les amènera au repentir, nous les dévouerions à l’exécration et à l’infamie, comme nous y dévouons d’avance tous ceux qui, par leurs discours ou par leurs écrits, ont cherché à égarer les peuples... » L’orateur est interrompu par les agitations et les cris de la partie droite. — Au milieu de ce tumulte et des applaudissements de la partie gauche, on n’entend que ces mots prononcés par M. de Foucault : « Retournez à votre département! » M. Malouet monte à la tribune. — Une grande partie de l’Assemblée manifeste le vœu de ne pas l’entendre. — Les membres du côté droit quittent leurs sièges, se répandent dans la salle, s’agitent et s’écrient. M. le Président se couvre. — La partie gauche garde subitement le plus grand silence. — Le désordre continue dans la partie droite. — Les membres qui s’y trouvent placés crient à l’indécence et se couvrent à leur tour. — Peu à peu le désordre cesse : la partie droite devient silencieuse. M. le Président se découvre. M. le Président. Le tumulte et les murmures auxquels viennentde se livrer plusieurs membres ont été si grands, si affligeants, que j’ai cru devoir suspendre le cours des délibérations de l’Assemblée. Je la supplie, au nom de la décence, au nom de sa propre dignité et du bien public, de rentrer dans l’ordre. Je n’ai point interrompu l’orateur de la députation, parce qu’il me semble que si les expressions d’un discours paraissent dignes de reproches, les plaintes des membres de l’Assemblée ne doivent être présentées qu’après le discours ..... (Il s’élève beaucoup de murmures dans la partie droite.) Un grand tumulte vient d’interrompre votre président; que l’Assemblée le juge elle-même. M. Malouet demande la parole. Je prie l’Assemblée de prononcer sur cette demande. L’Assemblée décide que M. Malouet ne sera point entendu (Voy. sa motion annexée à la séance). L’orateur de la députation continue; il demande les instructions qui sont nécessaires pour l’exécution complète des décrets. M. le Président. L'Assemblée nationale est sensible à l’expression de votre patriotisme... Plusieurs voix du côté droit : Gela n’est pas vrai! M, le Président. L’Assemblée nationale est sensible à l’expression de votre patriotisme... (La partie gauche applaudit à plusieurs reprises.) Elle regarde les assemblées de département comme le plus ferme appui de la Constitution : elle s’occupe en ce moment de l’instruction que vous désirez. Votre zèle est un sûr garant du succès avec lequel vous allez parcourir la carrière qui s’ouvre devant vous. L’Assemblée ordonne l’impression de l’adresse du département de Seine-et-Oise et de la réponse du président. En voici le texte complet : Adresse du département de Seine-et-Oise (1). Messieurs, l’assemblée administrative du département de la Seine-et-Oise n’a pas été plutôt organisée, que le premier vœu qu’elle a formé a été celui de vous offrir ses hommages, de vous assurer de son zèle et de son adhésion respectueuse à tous vos décrets. C’est à regret, Messieurs, qu’elle s’est vue contrainte de différer jusqu’à ce jour un si juste tribut de ses sentiments. Oui, Messieurs, telle est notre vénération pour nos législateurs et pour les oracles sacrés qui sortent de ce temple de la patrie, que chacun de nous n’a pu voir qu’avec un sentiment d’indignation quelques personnes égarés par le fanatisme oser faire entendre des réclamations et publier des protestations séditieuses contre des lois qui font le bonheur de la France. Si nous (1) Cette adresse n’a pas été insérée au Moniteur.