[8 janvier 17êl.| [Assemblée nationale.] de la nation, par votre empressement à faire éclater un saint respect pour la loi. « L’Assemblée nationale reçoit avec satisfaction votre serinent, et le nouvel hommage qu’il renferme aux principes purs et religieux dont elle a fait constamment la rèitle de sa conduite, et dont elle ne se départira jamais. * Notre espoir, Messieurs, est maintenant dans vos mains ; car nous avons travaillé plus encore pour la génération qui s’avance que pour c< lie qui passe. Nous avons pensé que ce serait pour nous un prix assez grand des peines que nous avons prises, des dangers que nous avons courus, des sacrifices que nous avons faits, si nous laissions nos enfants libres et jouissant de toute la digndé de l’homme sur c.ette terre où naguère les plus tiers n’étaient pourtant que des esclaves. « C’est à vous, Messieurs, qu’il appartient d’achever ce que nous avons commencé. Rappelez à yos élèves qu’ils ont des droits à conserver, en les insnuisant des devoirs qu'ils ont à remplir : faites-leur aimer la liberté; mais marquez ses bornes et ses écueils. Attentifs à expliquer les rapports qui unissent l’homme à ses semblables, à la société entière, à l’Etre suprême, jetez, développez dans les âmes de la jeunesse qui vous est confiée, le germe et le goût de toutes les vertus, en lui apprenant à respecter, à chérir t >ut ce qui duit être à jama s respectab!e et cher à l’homme de bien, la morale, les lois et la religion. « L’Assemblée vous accorde les honneurs de sa séance. » Un membre demande l’impression de l’adresse et de la réponse de M. le président et leur insertion dans le procès-verbal. (Celte motion est adoptée.) Les officiers municipaux de la commune de Paris sont introduits à la barre. M. Bailly, maire de Paris, s’exprime ainsi : « Messieurs, la commune vient, au renouvellement de l’année, vous offrir ses hommages et ses respects. En vous exprimant les vœux et la reconnaissance du peuple de Paris, nous croyons pouvoir dire que nous sommes les organes de la nation. Nous portons deux années d’orages et de travaux où la dévolution a été faite et la Constitution comm< ncée. Nous sommes aux jours ue l’espérance; nous touchons au moment de recueillir les fruits que votre sagesse a semés. L’ordre public et la paix doivent naître de la loi. « Gomme noire Révolution est un fait unique dans l’histoire, la Constitution française sera le plus bel ouvrage des hommes. Dans tous les temps, nous nous sommes réunisà vous, Messieurs, pour la défendre comre ses ennemis; nous redoublerons d’efforts et de courage pour vous aider à la terminer; et la commune de Paçis donnera toujours le premier exemple de la soumission à vos décrets et de son entier dévouement au Corps législatif et au roi. » (Applaudissements .) M. le Président. « La mesure de la liberté est dans la soumission aux lois; vos cuncitoyens se sont montrés trop jaloux de sa conquête pour ne pas se montrer dignes de toutes les vertus qui la font chérir. L’Assemblée vous accorde les honneurs de la séance. » L’ordre du jour est un rapport du comité des recherches concernant V arrestation du sieur de Bussy et autres. 93 M. Voidel, rapporteur du comité des recherches (1). Messieurs, exactitude et constauce dans les recherches, sévérité dans l’examen des affaires, justice dans les résultats ; tels sont les devoirs que vous nous avez imposés : nous nous sommes efforcés jusqu’ici de les remplir, et nous continuerons nos pénibles travaux jusqu a ce que vous nous ayez donné des successe irs. Sentinelle de la Constitution, votre comité trouve dans les calomnies basses, dans les cris impuissants des ennemis de la France, un témoignage honorable de son zèle, et dans voire estime, la récompense de ses veilles. Un jour, et ce sera pour nous un jour de bonheur et de gloire, nous viendrons vous dire : La patrie n’a plus d’ennemis; foudroyez cette institution qui fait calomnier la liberté, ”et qui rappelle l’idée d’un temps qui n’est plus. Mais ce jour n’est pas encore, arrivé, tous nos ennemis ne sont pas vaincus; et la folle résistance de quelques-uns, les projets qu’elle fait soupçonner, les espérances qu’elle suppose, tout nous fait plus que jamais une loi impérieuse de la plus attentive surveillance. Mais, Messieurs, ce n’est pas dans cette affaire que vous trouverez des projets dangereux, rii des complots criminels telle dous avait paru i’abord se présenter avec des caractères très graves ; nous avons voulu tout savoir, tout découvrir. Plusieurs corps administratifs, des municipalités, des citoyens ont réuni leurs efforts aux nôtres; nous avons multiplié nos recherches ; nous ne les avons enfin cessées que par l’impuissance où nous nous sommes trouvés de les porter plus loin, et lorsqu’elles n’ont plus produit que des redites. A notre avis, tout se réduit à une imprudence. Nous allons vous mettre les faits sous les yeux ; vous jugerez, Messieurs, si nous nous sommes trompes. Le 12 octobre dernier, le district de Saulnière à Valence, sur le rapport d’un citoyen qui ne voulut pas alors se nommer, mais que les informations ont fait cou naître depuis (le sieur Roche), dénonça au zèle de la municipalité de V dence, un projet de contre-révolution, dont M. de B iur-bon-Bussy, résidant dans le Beaujolais, devait être un des principaux agents. Celui-ci, disait-on, devait avoir formé une compagnie volontaire de son nom ; leur uniforme est signalé, habit vert, doublure cramoisi, reverset parements verts, passepoil cramoisi, collet cramoisi, passepoil vert, pattes à trois pointes sur la poche, boulon jaune, avec une Heur de lis dans le champ, aiguillette et trèfle en or, et plumet blanc. Les sieurs Boirie et Blein, le premier ex-geudarme, le second fils d’un receveur aux péages, étaient du i ombre des volontaires; ils devaient aller se réunir, à Besançon, à une armée de 40,000 hommes, sous les ordres de M. d’Autichamp, commandant de cette place. Si la marche de ce corps de volontaires, dit la dénonciation, pouvait causer quelques alarmes, ils se séparaient par baudes de quatre, et passeraient par h s ponts d’Arcias et de Meures, dont les pontonniers étaient gagnés. Soixante-deux br gades de maréchaussée, egalement gagnées, devaient protéger la marche jusqu’à Besançon, en formant l’avant et l’arrière-garde du corps des volontaires. M. d’Autichamp devait se rendre à Paris, pour enlever le roi et dissoudre l’Assemblée nationale. Deux autres armées devaient en même temps entrer en France. L’une, de 40,000 hommes, par le pont du Saint-ARCMVES PARLEMENTAIRES. (1) Ce document est incomplot au Moniteitr. (Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (8 janvier 1791.) Esprit, sous les ordres de M. de Gondé ; la seconde, i de 30,000 hommes, par le pont de Beauvoisin, sous les ordres de M. d’Artois. Le sieur Borie avait fait faire mystérieusement, à Valence, un habit parfaitement semblable à l’uniforme signalé par la dénonciation. Le sieur Blein et lui avaient quitté subitement cette ville. Ce mysière, ce départ firent naître des soupçons. Le procureur du roi en la sénéchaussée de Valence, d’après la dénonciation du district deSaul-nière, rendit plainte; on informa. Quatre témoins furent entendus ; les sieurs Serrepuy et Dupuy, tailleurs; Béranger, praticien; et Championet. Ces deux derniers parlent des faits dont j’ai eu l’honneur de vous rendre compte, comme les tenant du sieur Roche, qui lui-même les tenait du sieur Blein, son ami, désigné l’un des volontaires de Bourbon-Bussv. Voici, Messieurs, quelle fut l’origine de toute cette affaire. Les sieurs Béranger et Championet, se trouvant à souper avec le sieur Roche, dans l’auberge du sieur Constantin, les deux premiers s’entretenaient des motifs présumés du départ des sieurs Borie et Blein; on leur supposait des projets funestes; chacun faisait sa glose : mais tous s’accordaient à dire que, s’ils avaient la moindre connaissance d’un mauvais dessein, ils s’empresseraient de le dénoncer. Vous êtes, disait-on à Roche, l’ami du sieur Blein; vous devez être dans sa confidence. Alors Roche fit un effort sur lui-même, s’ouvrit à eux, conduisit le sieur Championet dans sa maison, et lui remit une note qu’il avait prise des confidences du sieur Blein. Cependant la dénonciation fut bientôt publique. A la sollicitation des cinq districts de Valence, la municipalité en envoya une expédition aux municipalités et gardes nationales de Besançon, Dijon, Mâcon, Lyon, et au département de Rhôue-et-Loire. Celui-ci en fit parvenir à l’instant des copies à tous les districts de son arrondissement. Bientôt toute la contrée fut sur ses gardes ; et le projet eût-il été aussi vrai qu’il pouvait paraître absurde et chimérique, son succès fut dés lors impossible. La municipalité et la garde nationale de Mâcon, averties, comme les autres, mais plus voisines de l’habitation de M. Mignot de Bussy, seul homme du ce nom dans le Beaujolais, lui attribuèrent ce que la dénonciation disait de M. de Bourbon-Bussy; et le 17 octobre, à 5 heures du matin, le château de M. de Bussy fut investi par 200 hommes de la garde nationale de Mâcon, et quelques autres gardes desmumcipalités voisines, recueillies sur le passage, et qui voulurent avoir part à cette expédition. M. de Bussy parut à une croisée, et coucha en joue la garde nationale, mais ne tira pas. Dans le même temps, une malle fut jetée par une croisée; et peu après, le détachement fut introduit dans le château. On en fit une visite exacte ; on y trouva deux trombes, quelques fusils, quelques sabres, des cartouches, et deux barils de poudre, contenant environ quatre-vingts livres. La malle fut recueillie et visitée-, elle contenait six habits de l’uniforme signalé par le district de Valence. Alors se trouvaient au château de Bussy les sieurs Dubost de Curcieux, son parent ; Girier des Fontaines, ex-gendarme; Servan, officiera la suite du régiment de Monsieur-dragons ; Cha-nut, maréchal des logis, et Laupré, adjudant du régimeut de Dragons-Lorraine ; les sieurs Platet fières, habitants de Villiers; et Muzy, habitant de Villefranche. On avait dénoncé à Valence la formation d’un corps de volontaires, sous le nom de volontaires de Bourbon-Bu.-sy. On avait dénoncé des uniformes; huit particuliers, jeunes pour la plupart, se trouvaient au château de Bussy. On avait voulu sauver la malle qui contenait les uniformes. M. de Bussy avait paru vouloir se défendre. Une telle réunion de circonstances pouvait, en ce premier moment, égarer l’homme le plus sage, et lui présenter au moins un commencement d’exécution d’un plan plus vaste, quel qu’il fût: elle parut au détachement et aux officiers municipaux de Mâcon, qui devaient, avec ceux de Villiers, diriger l’opération, dans l’effervescence qui accompagne presque toujours une découverte regardée comme importante, une preuve complète des faits dénoncés. En conséquence, M. de Bussy et ses commensaux furent arrêtés et conduits à Mâcon, où ils furent tous immédiatement interrogés. Avant de vous rendre compte des interrogatoires danslesquels votre comité a trouvé la solution de presque toutes les difficultés que présentait la justification de M. de Bussy, il croit devoir vous parler des incidents qui suivirent à l’arrestation. An mois d’août dernier, un sieur de i’Epinay, ci-devant gentilhomme de Beaujolais, envoya au château de Bussy un homme de confiance, porteur d’un registre contenant, dit-on, une copie collationnée de ses titres de noblesse, avec une lettre de recommandation à M. de Bussy, pour le prier de constater, par sa signature et son cachet, l’existence ou la vérité de ces titres. Le 18 octobre, on saisit à Belleville, chez le sieur Langeron, pontonnier, une malle adressée au sieur Désiré Borie à Lyon : elle fut ouverte et visitée, et on n’y trouva 'de suspect que quatre cocarues blanches de Bazin. Presque dans le même temps, le sieur Borie, fuyant en Savoie, avait été arrêté près du pont de Beauvoisin, cherchant à traverser la rivière au gué, pour éviter l’infaillible et exacte inspection de la garde nationale de cette ville. Pour s’échapper plus sûrement, il avait laissé son portemanteau et sa voiture à la Verpiiliè e, d’où il était parti à pied, après avoir écrit àM. de Bussy la lettre dont j’aurai Phoaneur de vous parler. Il suivait des chemins de traverse, guidé par un domestique que lui avait donné un Anglais venant de Turin, et avec lequel il s’était rencontré dans l’auberge à la Verpillière. Ce portemanteau a été visité, et renfermait l’habit d’uniforme et d’autres effets non suspects. Peu de jours après l’arrestation de M. de Bussy, on intercepta une lettre à son adresse, sans date de jour ni de lieu, mais signée le chevalier Borie, et que Pou a su depuis avoir été écrite par celui-ci de la Verpillière. Elle est conçue eu ces termes: « Monsieur, j’ai l’honneur de vous prévenir que je suis panide Lyon fort heureusement ; car nous avons été dénoncés, à Lyon, comme contre-révolutionnaires. Je me suis entendu nommer à Lyon; et jugez dans quelle situation j’ai dûme trouver. Mais enfin je suis arrivé à la Verpillière, d’ou je suis obligé de partir à pied. Dieu veuille que j’arrive à bon port! Si vous trouvez bon que je vous donne un conseil, c’est de partir sur-le-champ. Je compte avoir l’honneur de vous voir à Chambéry ; mais je vous jure, ma parole d’honneur, qu’au cas qu’on me mette la main dessus, per- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [8 janvier 1791.] sonne ne saura qui je suis. Dès que j’aurai l honneur de vous voir, je vous rapporterai les choses plus au net ; et c’est en attendant le plaisir de vous voir, que je suis, etc. « Signé : le chevalier de Borie. » On avait aussi intercepté une lettre adressée par le sieur Bourdon, ancien secrétaire des ci-devant Etats du Maçonnais, à un ami commun de la famillede M. de Bussy. Votre comité, Messieurs, croit qu’il est nécessaire de vous la . faire connaître : Extrait des actes et registres de la municipalité de Mâcon. Lettre deM. Bourdon à M. de Saint-Fond . « Beaujeu, mardi matin. « Monsieur, je ne pourrais pas aller dîner aujourd’hui à Julliénas ; quelques affaires que je prévoyais, et d’autres que je ne prévoyais pas, m’en empêchent. Mais si vous y allez, Monsieur, je crois qu’il est essentiel de faire sentir à M. le chevalier qu’il n’y a rien de plus pressé que d’envoyer à Paris un homme du Beaujolais, sage, prudent et circonspect, en état de trouver des fours au comité des recherches de l’Assemblée et dans l’intérieur du Châtelet, pour y préparer, s’il est possible, la véritable opinion qu’on doit prendre des étourderies du détenu. Je suis intimement convaincu que tout ce qu’il a pu faire et dire se réduit purement à cela. Le comité des recherches aura directement ou indirectement beaucoup d’influence sur l’instruction : on peut tenir cela pour certain. « Je pense aussi qu’il est inutile, je dis plus, je crois qu’il est essentiel que.la personne qui, par attachement pour la famille/se chargera d’une pareille mission, paraisse n’en avoir aucune ; un fondé de procuration est suspect ; l’intérêt qu’inspire un frère et un parent, ne frappant que sur la note tonique de la majorité, pourrait faire, au commencement d’une affaire de cette nature, plus de mal que de bien. Dans les circonstances où nous nous trouvons, on voit moins ce qui est, que ce qu’on veut prévenir : les premières idées résistent; il faut les ramener, graduellement, au point de raison. Mais, pour cela, il me semble qu’un intérêt direct est un mauvais passeport, et que les remontrances d’un homme, qui rend simplement témoignage à la vérité, sont plus efficaces. Quand on est là, c’est alors que les sollicitations de la famille et des amis peuvent avoir une marche ferme et solide, parce que le terrain est nivelé, parce que les esprits sont disposés à recevoir les impressions de la vérité déjà aperçue, sentie, et dont on n’attend plus que le développement. « Enfin, Monsieur, si mon opinion peut être de quelque poids dans le parti qu’on prendra, je pense que la personne envoyée doit se trouver à Paris comme par hasard. Venant du Beaujolais, les questions ne lui manqueront pas, et c’est à y répondre convenablement qu’elle doit bien s’étudier. En même temps, on doit s’occuper ici, sans perte de temps, à préparer tout ce qui peut conduire, sinon à constater, du moins à faire présumer une effervescence de tête fortement combattue, mais sur laquelle on n’avait point d’inquiétudes, parce qu’on ne croyait pas qu’une pareille extravagance put jamais fixer l’attention publique. Au fait, voilà, je crois, le vrai mot de cette affaire. 95 Bette histoire des brigades de maréchaussée gagnées a bien l’air d’un conte; mais il est précieux, parce que je nu douie pas que toutes les brigades de la route ne s’empressent désavouer très hautement une inculpation aussi grave. « J’aurais bien désiré. Monsieur, que mes affaires et ma positiou m’eussent permis de donner ce témoignage d’attachement à une famille que j’honore, autant que je la respecte. Le zèle que j’aurais mis à la servir, dans une conjoncture aussi délicate, aurait suppléé aux talents que je n’ai pas ; mais je ne peux faire, pour le moment, queces vœux pour que cette affaire soit prisedans son vrai sens, c’est-à-dire soit regardée comme une grande étourderie, désirant ardemment voir renaître promptement la tranquillité et le bonheur dans une famille recommandable à toute sorte de titres. « Agréez, je vous en prie, Monsieur, les assurances de mou respect et celle de mon attachement. Signé , sur la lettre, B..., avec paraphe. « Rappelez-moi au souvenir de M. du Pizai, en lui présentant mes respectueux saluts, je vous prie. » Sur l’enveloppe est écrit ce qui suit ; A Monsieur, Monsieur de Saint-Fond, chevalier de l’ordre royal et militaire de Saint-Louis, au château du Pizai, au Pizai. Par extrait, collationné : Crenelet, secrétaire. Cette lettre dont, après le plus mûr examen, votre comité a adopté le résultat, avait momentanément produit sur ses membres un effet directement opposé à celui que se proposait le sieur Bourdon ; il voyait, dans les mesures indiquées pour donner à cette affaire la tournure d’une étourderie, un piège adroit et des moyens fins de séduction; mais il a senti que la prévention même qui naissait d’un sentiment de délicatesse était le plus dangereux des pièges pour les cœurs honnêtes, et il i’a évité, Je ne vous ai présenté jusqu’ici, Messieurs, que les faits qui peuvent faire paraître M. de Bussy coupable. C’était la partie la plus pénible de ce rapport; en le justifiant, ma tâche devient plus facile et plus douce. Je commence par écarter le plan de contre-révolution, t 1 qu’il est présenté dans la dénonciation de Valence ; une armée de 40,000 hommes se formant subitement dans le cœur du royaume ; deux autres grandes armées sortant, comme par enchantement, du mont Cenis, et attaquant instantanément nos frontières, tout cela me paraît aussi croyable que les contes de fées ou les miracles de Mahomet. Voyons, en peu de mots, à quoi se réduit cet étalage absurde de forces imaginaires. M. de Bourbon-Bussy, disait-on, devait former ou même formait un corps de volontaires de 200 hommes auxquels devaient se réunir 62 brigades de maréchaussée : je ne m’attacherai pas à cette dernière partie ; elle est hors de toute vraisemblance ; dans toutes les recherches très nombnus s et 1res suivies auxquelles cette affaire a donné lieu, rien ne prouve et n’indique même une pareille trahison. Je craindrais d’ailleurs, en voulant le justifier, d’insulter au patriotisme d’un corps qui a toujours, et surtout denuis la Révolution, rendu de grands services à l’Etat, et que vous venez de tirer de l’espèce d’abjec-tiun daus laquelle le despotisme l’avait retenu. 96 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. ]8 janvier 1791.] La brigade de Beaujeu allait quelquefois, dans ses tournées, visiter M. de Bussy; plusieurs cavaliers avaient servi sous ses ordres dans le régiment de Lorraine; il leur faisait des honnêteiés : a-su-rément il n’y a r.en là de répreheusible, et ce fait est prouvé. Le corps de 200 volontaires est réduit aux 10 particuliers ariêtés, et, en y joignant le sieur Blein qui devait en faire partie, cela composerait une troupe de 11 hommes. Les détenus ont été interrogés séparément à Mâcon, puis à Paris; le sieur Burie l’a été au pont de Beauvoisiu; ils sont parfaitement concordants sur les laits essentiels; et des aveux que renferment les interrogatoires, il résulte invinciblement que M. de Bussy avait le projet de s’attacher pour quelque temps, sous le nom de volontaires, mais sans aucun engagement ni règlement, 12 à 15 personnes de bonne volonté, et voici le compte quM re *d de ses motifs ; Au mois d’août 1789, plusieurs châteaux furent incendiés dans le Mâconnais. Ce fait est universellement connu. M. de Bussy rassembla quelques amis, quelques j» unes gens de bonne volonté, se mit à leur tête, se porta aux endroits menacés, et sans effusion de sang parvint à garantir ses proprié és et celles de ses voisins. Il avait alors chez lui quelques uniformes de son régiment, il en revêtit une partie de sa petite troupe, les brigands la prirent pour un détachement de troupes de ligue, et ce stratagème leur en imposa. Les desordres ayant cessé, mais craignant encore qu'ils ne se renouvelassent, M. de Bussy acheta deux pièces de drap vert pour en faire des habits et il leur donna, dit-b, dans son intention, une double destination. Si la dévastation recommençait, il aurait fait faire des uniformes pareils à ceux des volontaires a cheval de Mâcon ; si tout était tranquille, il en ferait habiller ses domestiques. Ainsi il garda le drap, sans l’eui' ployer, pendant près d’une année. Cep» mlant il s’était attaché par reconnaissance les frères Platet, habitants de V i Hiers , qui s’étaient joints à lut pour repousser les brigands ; et depuis lors, ils faisaient leur demeure habituelle au château. A la léderaliondu 14 juillet, les gardes nationales de Vil tiers et de quelques autres paroisses se réunirent pour celte céiémonie. M. de Bussy, accompagné du sieur Cmrnut et de quelques autres, b'y rendit dans l’intention de prêter son serment; ils ôtaient en uniforme l’épée an côté, une badine à la main; ils furent chassés par un détachement de la garde nationale ne Villiers que commandait le sieur Bailly. Celui-ci donna l’ordre à sa troupe de coucher en joue M. de Bussy et ses compagnons, et demandait, au commandant, l’ordre pour faire feu; M. de Bussy se retira, il porta des plaintes de cette i suite d’abord à la municipalité de Villiers,puis au district de Ville-franche; il leur demandait justice et ne put, dit-il, l’obtenir. Il pensa dès lors, vu la disposition des esprits, qu’il pouvait courir des dangers; il apprit à peu près virs ce temps qu’on avait brûlé un château dans la ci-iievant province de Loi raine, il craignit que les feux ne se rallumassent, il crutqu’il était prudent de réaliser son projet de faire faire des unilormes, et il en fit faire srx par un nommé Bcrnillon, tailleur à Brlleville. il paraît que cela se fit sans mystère, car le tailleur, interrogé par la municipalité de Beileviile, déclara qu’on ne lui avait pas recommandé le secret. L’insulte faite à M. de Bussy à la fédération du 14 juillet se trouva confirmée par une déclaration officielle du sieur Bailly. Le simir Muzy, qui allait quelquefois au château, portait, depuis près d’un an, à Vi 1-L anche, un habit de fantaisie qui ne différait de ceux qu’a fait faire M. de Bussy que par la patte des poches ; cet habit n’avait excite aucune réclamation; il crut donc pouvoir sans inconvénient en faire fai.e de semblables. Pour éloigner tout soupçon sur les causes du rassemblement des détenus au château de Villiers au moment de leur arrestation, M. de Bussy dit que sa fortune lui permet de recevoir chez lui habituellement un certain nombre de pet sonnes. Il reprend ensuite en détail les motifs et le temps du séjour de chacun d’eux. Le sieur Dubost, son parent, est sans ressources et il est pauvre; le sieur Girier est chez lui depuis les ravages du mois d’août 1789, et a contribué à les faire cesser ; il lui a offert un asile en attendant la nouvelle organisation de l’année, dans laquelle il espérait trouver une place. Le sieur Muzy avait avec lui des relations d’affaires et d’intérêt, et venait le voir assez souvent ; le sieur Servait, son ami, était venu lui faire visite, et n’était arrivé au château que depuis 7 à 8 jours; le sieur Chunut, maréchal de logis de son régiment, ôtait chargé autrefois du recrutement, et obligé de lui rendre des comptes, ce qui le mettait dais le cas de voir souvent ce so us-officier : entin, le sieur Laupre, adjudant du même régiment, avait été force de s’éloigner à cause de l’insurrection des dragons; il était venu lut demander un asile, qui cependant ne lui avait été accordé qu'à la recommandation expresse du lieutenant-colonel de ce région ut. Deux faits restent à éclaircir: la malle jetée par une croisée lorsque le châieau se trouva investi et la lettre écrite de la Verpilltére par le sieur Borie au sieur de Bussy. Voici comment ce dernier les explique : « Je fus prévenu la veille de mon arrestation, dit-il, de la dénonciation faite à Valence : je fus tranquille, parce que j’étais innocent; mais quand je vis mon château environné, je craignis que la vue de ces unilormes ne Cuniirmât les soupçons qu’avait pu faire naître cette dénonciation : c’est c ■ qui dé-te mina, sans autre rellexion, l’ordre que je donnai de la jeter par les fenêtres. « A l’égard du sieur Borie, je n’eus jamais de relations avec lui ; il me fut présenté par le sieur Girier, son ancien camarade, et je l’accueillis sous ce litre; il avait entendu parler de mon projet d’avoir une petite troupe de volontaires en cas d’incen des : il me lit à cet égard des offres de services, je l’en remerciai en lui disant que je les accepterais avec plaisir s’ils me devenaient nécessaires. Lorsqu’il se vit dénoncé, ainsi que moi, sans doute il craignit les rigueurs d’une détention, il la craignit sans doute aussi pour moi; il prit la fuite et me la conseilla. » Le sieur Borie rend absolument le même compte de sa fuite et ne ses motifs. Une autre dénonciation faite par le sieur Manin, cavalier de maréchaussée à Villetïanche, s’est jmme contre M. de Bussy à celle de Valence : elle porte que le sieur Bletît, quelques jours avant l’arrestation, s’est rendu le soir au château de Villiers; qu’à son arrivée il a eu avec M. de Bussy une conversation longue et secrète; que l’on s’est mis à table ensuite, mais que M. de Bussy et ses commensaux furent fort tristes, et que le sieur [Assamblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [8 janvier 1791-1 Blein repartit le lendemain de grand matin, et le sieur Borie peu de temps après lui. M. de Bussy convient qu’il a eu, avec le sieur Blein, une conversation particulière; il dit que le sieur Blein l’a instruit des bruits circulant à Valence au sujet des uniformes, et qu’il l’a prié de repartir promptement, de retourner à Valence, pour y détruire tous ces bruits, eu disant la vérité. Enfin, Messieurs, nous croyons devoir vous parler d’un fait qui n’a rien changé à notre opinion, sur lequel nous ne vous proposerons aucune disposition particulière, et qui peut seulement prouver que M. de Bussy avait dans son voisinage des ennemis qui voulaient le perdre. Un nommé Meiziat, habitant de Romanèche, gagné, à ce qu’il a dit depuis, par un nommé Bévillon,de Mâcon, a fabriqué deux lettres : l’une, signée le comte d’Artois, la seconde, de Mon-trevel, destinées toutes deux à faire paraître des liaisons criminelles entre les deux prétendus signalaires et M. de Bussy. La fraude a été découverte : le nommé Meiziat l’a avouée, en la traitant de plaisanterie; ce qui lui a attiré une sentence de police de la municipalité de Romanèche, qui le condamne en 50 livres d’amende. Un faux de ce genre, qui tendait à compromettre gravement l’honneur d’un citoyen, nous a paru un grand crime; mais nous avons cru que la poursuite de ce délit privé appartenait essentiellement à M. de Bussy. Toutes les explications données par celui-ci et les détenus nous ont paru, Messieurs, plausibles et satisfaisantes : nous ne pouvons pas scruter les intentions des hommes; leurs actions seules sont soumises à notre jugement. Nous avons trouvé, dans leurs réponses, séparées, et que, très difficilement au moins, ils ont pu concerter, de l’uniformité, et, par une conséquence naturelle, de la bonne foi. Le projet de défendre ses propriétés et celles d’autrui, quoique très légitime et très louable en soi, n’autorisait cependant pas M. de Bussy à faire faire des uniformes à ses amis; mais, dans les circonstances présumées où il se trouvait, était-ce un délit? Nous ne le croyous pas. Un crime de lèse-nation? encore moins : c’était une imprudence grave qui l’exposait à tous les soupçons et à tous les déplaisirs qui en ont été la suite. Mais vous penserez peut-être, comme nous, que trois mois de détention sont une réparation suffisante de cette faute. Nous venons d’exprimer notre opinion sur l’affaire de M. de Bussy et des autres détenus : mais qu’il nous soit permis de saisir encore cette occasion d’apprendre aux ennemis de la patrie que toutes leurs tentatives seront vaines, et qu’il n’est pas une seule de leurs démarches qui ne soit éclairée par mille regards. Sans doute, nous n’avons pas le droit d’exiger le sacrifice de leurs opinions; mais nous avons celui d’exiger leur soumission : la liberté publique, notre repos et leur propre intérêt la leur commandent impérieusement. Nous vous proposons, en conséquence, le projet de décret suivant : « L’Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport qui lui a été fait, au pour de sou comité des recherches, décrète que le roi sera prié de donner des ordres ali n que les sieurs Mignot, dit de Bussy; Dubost, dit de Gursieux ; Muzi, Girier, dit des Fontaines; Chanu, Loin pré, Sur-van, Platel frères, Borie et Besse, dit la Montagne, actuellement détenus aux prisons de l’abbaye de Sainl-Germain-des-Prés, soient mis en liberté, et lra Série, T. XXII. 97 que tous leurs effets leur soient respectivement rendus sous leurs décharges.» (Ge décret est adopté.) L’ordre du jour est la discussion d'un projet de décret du comité d'agriculture et de commerce , relatif à une pétition des pêcheurs français. M. Delattre, rapporteur du comité d'agriculture et de commerce (1). Messieurs, par votre décret du 14 mai dernier, vous avez défendu l’entrée en France du sel étranger ; aujourd’hui, les pêcheurs français viennent vous demander la liberté de s’en approvisionner provisoirement et pour la saline de leur poisson seulement. Leselentre pour beaucoupdans la grandepêche; sans cet agent, il n’y aurait point de grandes pêcheries; c’est un fait incontestable. Il est donc d’une essentielle importance aux pêcheurs français de se procurer le sel avec facilité, à bon marché, et de la meilleure qualité possible. Si le sel étranger est moins cher que celui de France, s’il est meilleur, et qu’en même temps il reste interdit à vos pêcheurs de s’en approvisionner, dès lors vous anéantissez vos pêcheries; vous leur fixez pour mesure la consommation du royaume , en accordant même qu’il puisse vous réussir complètement de repousser le poisson de pêche étrangère, auquel vos ports francs offrent déjà tant d’accès ; vous ôtez à vos pêcheurs les moyens, que vous devriez leur fournir, de rivaliser avec les autres peuples; vous les empêchez d’agrandir une navigation utile, d’étendre des entreprises qui doivent devenir profitables; vous frappez enfin de stérilité une des branches les plus productives de l'industrie des peuples navigateurs et commerçants. Depuis l’abolition de la gabelle, soit accaparement, soit une plus grande consommation, le prix du set a été porté au triple de sa valeur ordinaire, et ce prix est bien au-dessus de celui du sel étranger. L’activité des demandes a été telle, que nos marais salants ont pu à peine y suffire. L’empressement des acheteurs a fait qu’on n’a pas même laissé à la denrée le temps de se perfectionner dans les marais ; enfin, le sel de France est plus cher, il n’est pas d’une aussi bonne qualité que le sel étranger. Permettez, au moins provisoirement, à nos malheureux pêcheurs de s’approvisionner de sel étranger. N’usez point envers eux d’une imprudente sévérité, qui, quand elle pourrait favoriser l’exploitation de nos marais salants, porterait d’une manière trop funeste sur les pêcheurs français, classe d’hommes précieux que nous devons seconder par tous les moyens qui sont dans notre puissance. Observez surtout que le sel de France n’est pas propre à la préparation de la morue blanche; qu’interdire le set étranger, c’est renoncer de votre part à cette espèce de poisson , qu’il faudra vous soumettre à recevoir des Anglais et desHollandais ; et que, pour n’avoir pas voulu recevoir le sel étranger, vous vous trouverez forcés, par une bizarrerie sans excuse, à recevoir à la fois, et le sel et le poisson étrangers. Votre comité vous porte le vœu des marins pêcheurs des ports qui se livrent à la grande pèche, de presque tout le commerce; vous ne serez pas insensibles à un cri aussi universel. Rejetez leur demande, bientôt vous n’avez plus de pèche, et tout à l’heure plus de marins; (1) Voyez le rapport do M. Delattre, Archives parlementaires , tome XXI, séance du 30 novembre 1790, pages 130 et suivantes. 7