[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [29 janvier 1791.] 549 6° Adresse des sous-officiers et soldats del’hô-te! roval des Invalides, contre un arrêt de la cour des aides du 10 de ce mois. (L’Assemblée en ordonne le renvoi à son comité des rapports.) M. le Président. J’ai reçu de M. le ministre de la justice la note suivante : « Le roi a donné sa sanction, le 9 de ce mois: « 1° Au décret de l’Assemblée nationale du 8, concernant les sieurs Mignot, dit de Bussy, Du-bost, dit Gurcieux, et autres y dénommés, détenus aux prisons de l’abbaye Saint-Germain-des-P rés ; « 2° Le 16 au décret du même jour, 16 janvier, relatif au régiment de Soissonnais, et à la compagnie du régiment de Pentbièvre-Dragon, qui étaient à Avignon; « 3° Et le 19, au décret du 27 octobre, relatif à l’installation de ceux qui sont nommés juges de district, et qui resteront membres de l’Assemblée nationale; « 4° Au décret du 11 janvier, concernant l’établissement de tribunaux de commerce, et la nomination de juges de paix dans différentes villes et cantons; « 5° Au décret du même jour, concernant le payement des pensions des ecclésiastiques détenus dans des maisons de sûreté ou de charité, et de ceux qui sont infirmes, ou âgés de plus de 70 ans; « 6° Au décret du 12, relatif à une sentence rendue par la municipalité de Montmorency, le 13 décembre dernier, contre le sieur Gobert; « 7° Au décret du même jour, concernant les droits du département de Seine-et-Oise, et de la municipalité de Meudon, sur le lieu de Fleury, et ceux du département de Paris et de la municipalité d’Issy, sur le lieu des Moulineaux; « 8° Au décret du même jour, relatif à ce qui s’est passé à Dax, à l’occasion des scellés apposés sur les portes du cboeur de l’église de cette ville; « 9° Au décret du même jour, concernant l’abrogation des coutumes et statuts qui accordaient une autorité et une foi en justice aux cueilloirs et cueillerets ci-devant tenus pour la perception des droits seigneuriaux et des rentes foncières; « 10° Au décret du 12 janvier, présent mois, portant qu’il n’y aura qu’un juge de paix à Limay; « 11° Au décret du 13, relatif aux théâtres publics et aux ouvrages qui peuvent y être représentés; « 12° Au décret du 14, concernant le traitement annuel de 6,000 livres, accordé au sieur Joseph-Louis Delagrange ; « Et enfin, au décret du même jour, relatif à la signature des contrats de rentes constituées ou reconstituées sur l’Etat. « Le ministre de la justice transmet à M. le Président les doubles minutes de ces décrets sur chacune desquelles est la sanction du roi. « Signé : M.-L.-F. Duport. < Paris, le 26 janvier 1791. » L’ordre du jour est la présentation d’un second projet de décret relatif au revenu public à établir sur la consommation du tabac dans le royaume(\). (1) Voyez le rapport de M. Rœderer, séance du 13 septembre 1790, Archives parlementaires, tome XVIII, p. 729. M. Rœderer, rapporteur. Messieurs, votre comité vient de faire imprimer un second projet de décret, qui diffère en plusieurs points de celui que je vous ai proposé à la suite de mon premier rapport. Le voici : « Art. 1er. — À compter de la promulgation du présent décret, il sera libre à toute personne de cultiver, fabriquer et débiter du tabac dans le royaume. « Art. 2. — L'importation du tabac étranger fabriqué continuera à être prohibée. « Art. 3. — 11 sera libre d’importer, par les ports qui seront désignés, du tabac étranger en feuilles, moyennant une taxe de 50 livres par quintal. Art. 4. — Le tabac en feuilles provenant de l’étranger pourra être mis en entrepôt dans les magasins de la régie qui seront destinés à cet usage, et réexporté à l’étranger sans payer aucun droit. « Art. 5. — Nul ne pourra fabriquer ou débiter du tabac dans le royaume, s’il n’a acquitté la taxe qui sera réglée et s’il n’en peut produire la quittance. « Art. 6. — Une régie nationale fera fabriquer et vendre du tabac au profit du Trésor public, et les tabacs en feuilles qu’elle jugera à propos de tirer de l’étranger seront exempts de droits. » Les partisans de l’impôt du tabac diront que le comité a bien mal profité des lumières qu’ils ont répandues sur cette matière. Je répondrai que le comité ne s’est pas dissimulé les avantages de l’impôt du tabac, avantages qui sont exclusifs à cette espèce d’impôt. Dans quelque pays, dans quelques parages qu’il soit établi, il offrira toujours des résultats favorables. Si on le compare avec le droit d’enregistrement, on voit qu’il n’a pas l’inconvénient de se payer en grosses sommes, qu’il ne détruit pas les capitaux. Si on le compare avec le droit du timbre, on voit qu’il n’a pas l’inconvénient de charger également des profits inégaux, des entreprises d’un produit différent. Si on le compare avec d’autres droits indirects, on voit qu’il n’occasionne pas le renchérissement des comestibles, renchérissement qui produit celui de la main-d’œuvre, qui nuit aux manufactures, au commerce intérieur et extérieur. Mais l’impôt du tabac, tel qu’il était anciennement établi, a aussi des inconvénients qui ne sont propres qu’à cet impôt, et qui en contre-balancent les avantages. On vous a dit, par exemple, que l’impôt du tabac n’a d’autre défaut que celui de se percevoir par le moyen d’un privilège exclusif; on vous a dit que tout prvilège au profit d’un particulier était injuste; mais que le privilège que la nation se donne à eile-même, et pour le profit de tous, n’est pas comparable à celui qui serait établi au profit d’un particulier et au préjudice de tous. Il ne s’agit pas ici d’un privilège exclusif, mais bien d’une prohibition du droit inaliénable qu’a chaque propriétaire de cultiver ses terres comme il le juge convenable. Un privilège peut exister, quand il est consenti par tous et pour l’intérêt de tous ; mais quel est le résultat de la prohibition de la culture du tabac? C’est une imposition sur l’industrie ; c’est un privilège exclusif donné aux nations étrangères ; c’est un impôt établi, non pas sur les revenus, mais su� la suppression des revenus. C’est couper, c’est déraciner l’arbre pour en cueillir les fruits; c’est frapper la terre pour la stériliser. C’est une atteinte directe et violente à la liberté et à la propriété... On pour- (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (29 janvier 179l.| 550 raitdire: si c’est une atteinte à la propriété, elle cesse d’être injuste dès que tout le monde l’a consentie. Cet argument est un grand sophisme. Si toutes les terres étaient également propres à la culture du tabac, ce qu’on a dit serait très juste, parce que, chacun faisant un sacrifice égal de sa propriété, il n’y aurait point d’injustice. Mais s’il est des terres privilégiées par la nature, si les environs de Clairac produisent du tabac qui égale celui de la Virginie, de même que les départements de Champagne et de Bourgogne produisent des vins d’une qualité supérieure à ceux du reste du royaume, dire à Clairac de ne pas cultiver de tabac, c’est dire aux habitants de Suresnes de consentir à ne plus cultiver de vin. Il est clair que si la prohibition de la culture n’est qu’un léger sacrifice pour les cantons qui ne produisent que du mauvais vin ou du mauvais tabac, elle ferait la ruine des autres... Mais il est d’aotres considérations qui font voir l’injustice de cette prohibition. La déclaration des droits, ouvrage qui n’est pas le voire, vous n’avez fait que rédiger les principes de la justice éternelle et des droits des nations; la déclaration des droits porte que nul ne peut être privé de sa propriété sans indemnité juste et préalable. Eh bien, les propriétaires des terrains propres à la culture des tabacs vous diraient : donnez-nous une indemnité, car si tel canton ne perd rien à la prohibition, nous perdons beaucoup. Il me reste une grande erreur à combattre. On a supposé que l’impôt du tabac produirait 30 millions, et l’on a trouvé fort doux de tirer d’une seule contribution un produit aussi considérable. Cessez de croire que l’impôt du tabac puisse produire à l’avenir ce qu’il produisait autrefois ; jamais cette plante transplantée sur le sol delà liberté ne produira plus de 15 millions. En Angleterre, il a été impossible d’élever son produit à plus de 8 millions, quelques tentatives qu’on ait faites pour le porter plus haut. Les circonstances ne seront plus ce qu’elles étaient autrefois; les visites domiciliaires seront proscrite-, et cependant on les considérait comme indispensables à la perception ; j’en ai l’aveu dans un écrit en faveur du tabac, fait par M. Duvaucelle, fermier général. Il regarde comme nécessaire à la conservation de l’impôt du tabac celle des visites domiciliaires, au moins dans les provinces frontières , comme si toutes les parties d’un même empire ne devaient pas jouir également des avantages de la liberté; comme si les unes devaient être favorisées au préjudice des autres ; comme si les privilèges dont quelques-unes jouissaient devaient être remplacés par des vexations. Si donc, de l’aveu des percepteurs du tabac, les visites domiciliaires sont nécessaires, nous devons nous regarder comme privés du plus grand moyen de perception. II est un autre moyen, non moins propre à assurer cette perception, que vous avez perdu sans retour: ce sont ces barrières et ces cloisons qui divisaient les provinces, et au passage de chacune desquelles on fouillait les voitures. Quand un fraudeur était parvenu à franchir les premières limites, il avait à craindre de rencontrer de nouvelles barrières à quelques lieues. C’était celte certitude d’èlre, arrêté à chaque pas, qui augmentait la difficulté de la contrebande. Aujourd’hui, on peut parcourir tout le royaume, comme un jardin, sans être arrêté... Le Co l - pénal était un autre moyen de perception : la peine de mort était prononcée contre les fraudeurs, même contre ceux qui auraient seulement accompagné des voitures de contrebande, ou qui auraient été trouvés armés dans les campagnes, uniquement parce que la loi présumait alors qu’on favorisait la contrebande; voilà des lois qui ne peuvent plus exister. La peine des galères, usitée depuis quelque temps, ne peut pas exister davantage pour des délits purement fiscaux ; quatrième moyen de perception anéanti. Et une preuve que ces peines étaient nécessaires à la perception, c’est qu’en calculant les progrès de l’impôt du tabac et ceux des lois pénales, on voit qu’elles sont parallèles. A mesure qu’on ajoutait une ligne de plus à l’impôt, on ajoutait une ligne de sang de plus au Gode pénal. La rigueur des lois et le produit des impôts se sont toujours suivis progressivement; j’en atteste ceux qui connaissent l’histoire delà ferme générale. Mes dernières observations sont relatives, non pas aux intérêts particuliers, mais aux droits des cinq départements, extrêmement importants par leur population, par leur richesse, et surtout par leur voisinage avec l’étranger, des provinces bel-giques et de l’Alsace. Ges provinces ont joui jusqu’ici de la liberté de la culture du tabac : ce n'élait pas un privilège que ce droit de culture. Lorsque le clergé se réservait le droit de voter les impôts, c’était l’effet d’un reste de liberté que le clergé avait conservé pour lui seul. La liberté de culture du tabac était aussi un reste de propriété qu’avaient conservé ces provinces; les en priver serait vous mettre eu contradiction avec vos propres décrets, avec notre Constitution qui consacre les droits de la propriété. Vous agiriez envers ces provinces dans un sens absolument contraire à celui dans lequel vous avez agi pour le reste du royaume. Vous avez dit que les riches payeraient, qu’il n’y aurait plus de privilèges ; vous avez restitué à la partie pauvre et laborieuse les droits et les avantages naturels. Au contraire, en prohibant la culture du tabac, vous sacrifieriez le patrimoine du pauvre. Vous enlèveriez les ressources de subsistance des cultivateurs, des artisans nombreux qui travaillent dans les fabriques de l’Alsace et des provinces belgi-ques. On vous a trop souvent présenté un argument misérable en vous disant que les plantations de tabac exposeraient le royaume à manquer de pain, parce que les cultivateurs négligeraient la culture du blé. Il est de fait que 40,000 arpents de terre cultivés en tabac produiraient 20 millions de livres de tabac, qui sont toute la consommation du royaume. En supposant donc qu’il n’entrât plus de tabac étranger, cette culture ne pourrait jamais nuire à celle des blés, et ne pourrait jamais s’élever au-dessus des besoins de la consommation. La culture des blés sera toujours avantageuse, et le laboureur n’est plus comme autrefois, et comme on voudrait qu’il fût encore, un homme stupide ; libre dans ses actions, son intérêt sera éclairé, parce qu’il sera réfléchi. Jetez les yeux sur les départements bel-giques et sur ceux du Rhin, vous verrez dans ces départements les plus belles terres à blé et les plus nombreux et les plus gras pâturages; vous y trouverez les plus puissants arguments c mire ce qu’on vous a dit. Nous avons pensé, pour plus de clarté dans la discussion, que l’Assemblée pourrait suivre un ordre de questions que voici : 1° La culture du tabac scra-t-elle prohibée? 2° La fabrication du tabac indigène sera-t-elle asservie exclusivement à une régie nationale pour le profit du Trésor public? m l Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [29 janvier 1791.] 3° Le débit du tabac indigène sera-t-il réservé exclusivement à une réuie nationale? 4° L’importation du tabac en feuilles venant de l’étranger, ia fabrication du tabac, son débit, seront-ils réservés à une régie nationale au profit du Trésor public? 5° S’il est libre à toute personne d’introduire du tabac de l’étranger, ce tabac sera-t-il sujet à un droit d’entrée? 6° La fabrication et la vente du tabac, tant étranger qu’indigène, ou seulement de l’une des deux espèces, seront-elles soumises à une taxe? 7° Conservera-t-on la fabrication, et une vente nationale au profit du Trésor public? M. Delley d’Agier. Messieurs, la question importante qui vous est soumise, sur la conservation de l’impôt du tabac, n’eût jamais formé l’objet d’un doute, si des intérêts particuliers et de localité n’eussent élevé leurs voix. L’Alsace surtout a montré ou du moins quelques-uns de ses députés ont présenté la prohibition de la culture, de la fabrication et de la vente, comme désastreuse à leur province. Avant donc de considérer sous un point de vue général la question, je dois vous présenter ses effets sur les provinces ci-devant exemptes : car si je puis réussir à leur prouver que leur véritable intérêt se trouve dans l’acceptation des indemnités et primes qui pourraient leur être accordées, alors la grande diffi-cultéest résolue, tons les autres obstacles disparaissent. Si j’ouvre le premier rapport du comité, j’y trouve que: « les terres des départements belgiques et du Rhin ne sont nullement propres à produire de bon tabac, que les départements méridionaux ont seuls été favorisés à cet égard par la nature; qu’ainsi ces premiers ne doivent les profits de leur culture qu’à la loi qui interdit aux autres de l’entreprendre. » Donc si la culture est libre par tout le royaume, ils cesseront d’avoir des profits et abandonneront cette culture, et cet abandon ne sera suivi d’aucune indemnité. Si au contraire l’Alsace et les provinces belgiques consentent à la prohibition, voici ce qu’on pourrait leur offrir en dédommagement: 1° N’y diminuer que graduellement la culture, et accorder, pendant vingt ans, à chaque planteur de tabac qui voudrait y substituer du chanvre, une prime de 10 livres par arpent; 2* Faire distribuer du tabac à tous les consommateurs actuels, pendant la durée de leur vie, à raison d’une livre de tabac par mois, au prix de 8 et 12 sous la livre, le tabac à fumer, et à 24 sous, le tabac râpé; prix actuel auquel se le procure aujourd’hui le commun des consommateurs des pays exempts; 3' Donner à tous les propriétaires actuels des fabriques ou des recettes générales, ou des entrepôts de tabac, ou des places supérieures dans les manufactures nationales qu’on y établirait; 4° Employer tous les ouvriers, sans en exempter un, dans ces manufactures nationales, où ils seraient nécessaires: car il faudrait y appeler des étrangers pour les travaux des ateliers, s’ils n’étaient pas préférés; 5° Enfin, étouffer les cris, et ce sont ici les plus perçants, de tous les marchands de tabac, qui en ayant regorgé leurs magasins, espèrent gagner de 30 à 40 0/0 dessus, en les revendant à la France entière, pendant que, n’ayant pas encore de plantation préparée, elle ne pourrait se procurer ses approvisionnements. Etouffer leurs cris, dis-je, en leur achetant leur tabac actuellement I en magasin, à un taux qui leur assure ce béné-| (ice de 30 0/0. Il me reste à prouver que ces sacrifices qui doivent rassurer votre justice, et satisfaire les provinces exemptes, ne seront point aussi onéreux que le serait pour l’Etat, la liberté de culture, même indépendamment de la perte dans le revenu de l’impôt, qui ne doit peut-être nous offrir que des considérations secondaires, auprès du grand intérêt d'agriculture et de commerce qui sollicite la prohibition. Reprenons nos propositions d’indemnité. La première consiste à accorder une prime de 10 livres pour chaquearpent, actuellement cultivé en tabac, lorsqu’il le serait en chanvre, colza, etc. Le comité dit que « 40,000 arpents, c’est-à-dire la trois millième partie du soi de la France, cultivés en tabac, fourniraient largement à la consommation du royaume. » Quoique les députés d’Alsace avouent que cette province ne cultive que 10,000 arpents en tabac, je suppose que cette culture en remplace 40,000 dans les pays exempts, la prime à accorder ne coûtera que 400,000 livres par an pendant vingt ans, et occasionnera dans ces départements une augmentation de plus de 2 millions dans la valeur des productions; 40,000 arpents de tabac donneront 200,000 quintaux de tabac en feuilles, qui, à 12 1. 10 s., et ce prix diminuerait si la culture était permise en France, feront 2,500,000 livres de produit brut; tandis que 40,000 arpents en chanvre produiraient, avec la même culture, un pareil nombre de quintaux; mais le chanvre vaut 25 à 30 livres le quintal; ce qui porte le produit brut de 5 à 6 millions. L'excédent du bénéfice sur la valeur de la production brute se trouverait donc de plus de 2 millions; il serait encore décuplé par la main-d’œuvre. Les 200,000 quintaux de tabac, défalcation faite des frais d’achat de tabac à l’étranger pour le mélange, ne vaudraient pas à l’industrie 10 francs par livre, c’est-à-dire, en totalité, 10 millions. Une livre de chanvre ou de lia se changerait en linons, en batistes, et pourrait fournir des fils d’une valeur 200 fois décuple de 10 francs; mais je prends un terme moyen: on fait avec une livre de fil 2 aunes 1/2 de toile valant 2 1. 10 s. l’aune, ce qui fait 6 1. 5 s.; ôtant la valeur première du chanvre, il reste pour le prix de l’industrie 6 livres par chaque livre de chanvre, au lieu de 10 sous par chaque livre de tabac; et pour les 200,000 quintaux, 120 millions, au lieu de 10 millions. Ll est évident, d’après ces calculs, que les provinces qui, en recevant ces 400,000 livres de prime, pourraient obtenir une semblable augmentation dans leur industrie, bénéficiraient bientôt de l’heureuse impuissance où elles se trouveraient de continuer la plantation des tabacs. Le second dédommagement, c’est de faire distribuer à tous les consommateurs actuels des pays exempts, et pendant toute leur vie, du tabac à fumer à 8 et 12 sous, et du tabac râpé à 24 sous; la nation n’y perdrait rien à présent, parce qu’elle pourrait fournir du tabac à fumer très bon au prix de 8 et 12 sous; elle gagnerait au moins 9 sous par livre sur le tabac râpé, même en le fournissant d’une qualité supérieure à celui qui se consomme à présent, à 24 sous. La nation y gagnerait beaucoup par la suite, parce que cette grande quantité de tabac livré à bas prix serait consommée non seulement par ceux qui seraient inscrits , mais encore par ceux, qui ne l’étant pas, s’accoutumeraient à la consommation, et laisseraient, après l’extinction des consommateurs inscrits, une nouvelle génération soumise graduellement et sans efforts à la consommation des prix supérieurs que vous croirez devoir fixer pour tout le royaume. 552 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [29 janvier 1791.J Le troisième dédommagement, c’est de donner à tous les fabricants actuels des emplois dans la régie nationale. Le nombre des fabriques n’est pas aussi considérable qu’on se l’imagine; il y en a 10 à Strasbourg et 40 dans le plat pays : de ces 50, 5 ou 6 ont une prépondérance sur les autres, qui leur assure d'assez gros bénéfices. Il est possible d’obtenir pour ces 5 ou 6 des recettes générales ou autres emplois supérieurs dans les manufactures nationales. A l’égar ! des 44, elles ne valent guère à leur propriétaire, et l’une comportant l’autre, plus de 12 à 1,800 livres. Eh bien, des entrepôts de tabac et des emplois secondaires dans les manufactures valent ordinairement ces sommes; il faudra leur en donner à chacun et agir de môme dans la Flandre et dans l’Artois. Quant aux ouvriers employés dans ces manufactures, il est bien prouvé qu’il en faut beaucoup plus dans les ateliers de la ferme, qui deviendront nationaux, que dans les manufactures ordinaires; ainsi l’on peut encore employer sans exception tous les ouvriers. Mais une chose que je dois observer ici, c’est que si moins de 2,000 ouvriers et manufacturiers des pays exempts exigent Joute votre sollicitude, comment 10,000 ouvriers, 660 entreposeurs, et 40,000 débitants privés de leur état dans tout le reste la France, par la suppression de l’impôt du tabac, ne mériteraient-ils as aussi nos égards? Tant de malheureux ré-uits au désespoir, et disséminés dans tout l’Empire, peuvent bien aussi intéresser notre cœur et peut-être notre prudence. Il me reste la tâche la plus difficile, celle de satisfaire les marchands qui ont rempli leurs magasins, et qui comptaient sur un bénéfice de 30 à 40 0/0. Les achats faits et projetés, comme il ne s’agit pas de dédommager des compagnies, mais seulement des spéculateurs particuliers , n’ont pu s’étendre à plus de 7 à 8 millions de livres pesant, et un bénéfice de 30 0/0 accordé aux marchands sur le prix de l’achat de ces 8 millions de livres pesant ne coûterait pas 15 millions de livres. Je pense que vous ne regarderez pas comme un obstacle aux différents dédommagements que je vous propose les difficultés qui se présenteraient dans leur répartition. Il n’y a point d’obstacle insurmontable en ce genre, lorsque les municipalités etles assemblées administratives voudront s’y prêter, et leur intérêt le leur commandera. L’intérêt des pays ci-devant exempts étant ainsi mis complètement à couvert, il nous reste à examiner la question sous deux points de vue : 1° relativement aux grandes et importantes considérations de notre agriculture et de notre coin-merce; 2° relativement à l’impôt. Si je parcours les ouvrages de M. Brissot, cet apôtre de la liberté, de MM. Clavières et Dumou-thier, et l’opinion deM. Pétion, je trouve constatée dans chacun d’eux cette vérité géométriquement démontrée par l’expérience, que le tabac est une plante vorace, qui épuise le sol qui l’a fait naître; que la culture du tabac ne convient sous aucun rapport à la France: cet Empire est en général trop peuplé pour que ses bonnes terres ne soient pas nécessaires à la production des subsistances et des bestiaux. Il importe surtout à la France de recueillir, sur son propre sol, une assez grande quantité de denrées de première nécessité pour n’êrre pas obligée de recourir aux étrangers; la France doit donc être soigneuse de ne pas favoriser chez elle des cultures dont le produit ne sert ni à nourrir ni à vêtir. Celle du tabac serait surtout funeste dans tous les pays où la rareté des prairies naturelles ne laisse de ressource qu-* les prairies artificielles, genre de prairie qui ne réussit que par les engrais que le tabac absorberait, si l’on y permettait sa culture. A l’égard du commerce intérieur, la culture du tabac est préjudiciable à nos manufactures, parce que l’extension de sa culture diminuerait nécessairement celle des autres matières premières; c’est une vérité démontrée à la rigueur. Quant au commerce extérieur, et surtout à celui que nous voulons et que nous avons tant d’intérêt d’établir avec les Américains, nous ne pouvons douter que le jour où la culture du tabac sera déclarée libre, tous nos liens avec les Etats-Unis ne soient rompus. Les Américains ne peuvent payer qu’avec leur tabac ; et si nous ne tirons presque plus de cette denrée, ils cesseront de rechercher nos marchandises. Un moyen bien simple, en même temps bien vaste, d’assurer à la France presque tout le commerce avec eux, serait, après avoir prohibé la culture du tabac dans le royaume, d’acheter généralement tous les tabacs recueillis par les Américains, au moyen d’un traité fait avec eux et dans lequel il serait stipulé que le payem nt se ferait par des échanges. Dépositaires, alors, de tous les tabacs d’Amérique, nous vendrions fort cher à tous les pays du Nord la partie dont nous ne pouvons nous servir, parce qu’elle a trop de montant, mais qui leur convient, parce que ce montant est nécessaire pour animer leur tabac lourd et trop gras. Ce que nous retirerions par cette vente nous payerait nos achats, et nous aurions en bénéfice réel la valeur des marchandises échangées. Quelle activité donnerait à nos manufactures une semblable spéculation ! quelle force nous prêterait, pour la conservation de nos colonies, un commerce réciproque aussi important pour les deux nations I Faudra-t-il que de minutieuses vues particulières, et, avouons-le, des ménagements de circonstance et une� fausse et honteuse pusillanimité nous obligent à sacrifier d’aussi grands intérêts ? Mais cessons de peser sur des vérités sans doute déjà senties, et hâtons-nous de considérer si, comme impôt , la prohibition de la culture du tabac est admissible avec notre Constitution. Considérée comme impôt, la prohibition de culture, dit-on, est contraire à la liberté et à la propriété. Je réponds : la .liberté des nations, comme celle du citoyen, consiste à n’être gouverné que par la loi , à n’être soumis qu’a la loi, organe de la volonté générale. La propriété consiste dans le droit de jouir, user et disposer conformément à la loi. Ainsi, la loi qui défend la plantation des bois le long des grandes routes, pour augmenter la sûreté; celle qu’il serait nécessaire de porter si tout le monde, ou le plus grand nombre, voulait défricher à la fois ses forêts, ou planter tout en vigne ou établir des rivières, ou la culture de toute autre plante qui infecterait l’air, sont ou seraient des lois auxquelles il faudrait se soumettre sans murmure, parce que ces prohibitions devant tourner à l’avantage de tous ou du plus grand nombre, objet de toute législation, de telles lois n’attenteraient ni à la propriété, ni à la liberté. Ii suitde ce principe que si l’Assemblée jugeait que la prohibition de la culture dût être établie comme nécessaire au produit du plus léger, du plus utile et du plus volontaire des impôts, elle ferait une loi plus sage, plus douce, plus juste, plus analogue à l’état de la liberté, qu’en accordant une liberté de culture désas- [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [29 janvier 1791.) treuse, pour établir à la place un impôt de rigueur et forcé. Concluons que le sacrifice qu’exigerait la volonté générale pour l’avantage général serait un acte de liberté : caria liberté n’est que l’usage du pouvoir de tous pour le bonheur de tous. Ce principe convenu, les autres objections contre l’impôt du tabac tombent d’elles-mêmes ; il suffit de les éuoncer. Les frais de perception sont à peu près nuis; le cordon d’employés pour les douanes suffit pour arrêter la contrebande en grand, la contrebande de filtration n’est pas susceptible d’empêcher les produits : or, le cordon est payé pour les douanes, et ne coûte pas un sou de plus pour le tabac . Au moyen de la prohibition de la culture et du cordon sur les frontières, tout employé, et les visites domiciliaires dans l’intérieur, deviennent inutiles, il suffira d’un seul garde par district qui, en gardant les forêts nationales, empêchera les plantations. Le Code pénal sera aboli, et les plus légères amendes, qui ne pourront jamais être changées en peine afflictives, seront moins un frein réprimant la contrebande, qu’une punition de la violation de la loi... Ainsi l’impôt du tabac ne blesserait en aucune manière la liberté civile ..... Comment pourrait-on balancer à le conserver, lorsque surtout vous n’avez pas encore décidé si vous maintiendrez les entrées des villes, bien autrement vexaloires et coûteuses, puisque non seulement elles réunissent toos les inconvénients des autres impôts indirects, mais qu’elles auraient celui d’arrêter la libre circulation du commerce que vous avez eu en vue en portant les barrières aux frontières. Je n’ai porté les entrées des villes à 40 millions dans mes aperçus sur l’impôt, que parce que je supposais que le tabac serait conservé pour 36 millions et parce que je sentais que l’excès des besoins exigeait qu’on ne négligeât aucun moyen de perception; mais la suppression [du tabac et la conservation des entrées des villes seraient peut-être de toutes les mesures la moins excusable aux yeux de la saine politique. Ces considérations me paraissent d’un si grand poids, que je crois devoir vous proposer de ne vous décider sur la question du tabac qu’après avoir entendu votre comité sur les droits d’entrée des villes. La répartition de l’impôt direct entre les départements devenant peut-être la tâche la plus difficile de tous nos travaux, parles réclamations incalculables auxquelles cette répartition va donner lieu, plus la masse des impôts directs sera considérable, et plus nos erreurs dans cette répartition seront fâcheuses et auront de funestes suites. L’impôt indirect, au contraire, se répar-tissant tout seul, il eût été bien à désirer que, pendant les premières années au moins, l’on put en conserver assez pour alléger l’impôt direct, jusqu’à ce que nous ayons pu nous éclairer sur les bases probables de cette égalité de répartition. Cette considération est plus importante qu’on ne le croit, et les départements attendent l’instant de cette répartition pour juger leurs députés. Un autre motif que je dois aussi faire valoir, c’est que, d’après h s états qui vous seront présentés par votre comité des finances, les dépenses annuelles, avec les augmentations que les circonstances nécessitent chaque jour, approcheront de 600 millions, et peut-être les passeront: mais il ne nous suffit pas d’ob-| tenir une recette égale à cette dépense, nous d >- j vous encore prévoir et les non-valeurs, et surtout une guerre... Assurons un revenu public pro-I portionné à nos besoins, et nous serons le peuple * oo3 le plus libre, comme le plus puissant de l’univers. Je me résume et je me demande qu’il ne soit statué sur le tabac qu’après avoir bien examiné, d’après le rapport annoncé par votre comité sur les entrées des villes: 1° si nous devons conserver ou anéantir ces deux genres d’impôts; 2° si nous devons en conserver un, lequel des deux est le moins défavorable à la circulation du commerce et à la liberté civile. M. de Mirabeau (1). Messieurs, la question que vous discutez est liée, par une foule de rapports, au système général des impositions, à l’intérêt de l’agriculture et du commerce, et à nos relations extérieures ; une aussi haute importance exige le plus sévère examen; et l’hésitation que vous avez pu remarquer dans les différents projets que votre comité vous a présentés rend cet examen encore plus nécessaire. Le dernier projet, le seul dont je parlerai, renferme plusieurs résultats qu’il est essentiel de distinguer. Le premier, c’est que la culture du tabac doit être libre dans tout le royaume : il faut donc examiner s’il est utile que cette culture soit libre. Le second, c’est que l’importation du tabac soit permise, moyennant une taxe de 50 sous par quintal ; Il faut donc examiner si la liberté de la culture est compatible avec l’intérêt du commerce. Le troisième, c’est que deux sortes d’impôts soient établis sur le tabac, l’un pour le droit de l’importer, l'autre pour le droit de le fabriquer et de le débiter : il s’agit donc de décider si un impôt quelconque sur le tabac est compatible avec la liberté de la culture. Le quatrième, c’est qu’il y ait une régie, non pour vendre le tabac à un prix déterminé, mais pour le fabriquer et le vendre en concurrence avec tous les citoyens: il faut donc examiner s’il est utile de donner l’attache du gouvernement à une pareille régie, qui ne serait qu’une maison de commerce de plus dans le royaume. Entiu, le cinquième résultat, c’est que le tabac soit un objet de revenu public, car le comité soumet cette denrée, non seulement à deux sortes d’impôts, mais à un gain éventuel : il importe donc de discuter si le revenu, dont le tabac doit être l’objet, est suffisant, et si ce revenu est établi par le comité de la manière la plus convenable. J’avoue d’abord que je ne m’attendais pas à voir concilier un impôt sur la fabrication et le débit du tabac en France avec la liberté de le cultiver et de l’importer. Je prouverai, peut-être bientôt, qu’un pareil système est évidemment contradictoire. Je dis que je ne m’y attendais pas: car la même question ayant été discutée, il y a trois mois, pendant plusi urs séances, il fut décrété que la discussion serait fermée, et que, sans rien préjuger, le comité présenterait un projet de remplacement de l’impôt actuel sur le tabac. Je crus alors que la questiou avait entièrement changé de face; qu’il fallait ou montrer l’impôt du tabac comme inutile à conserver, attendu la suffisance des autres impositions, ou indiquer (1) Le Moniteur ne donne qu’une analyse de ce discours. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. |29 janvier 1791.] 554 une autre imposition moins onéreuse au peuple, ou conserver le régime exclusif. Je ne voyais aucune alternative possible entre ces trois systèmes. Cependant, Messieurs, d’après le projet du comité, la conservation de l’impôt sur le tabac est indispensable; et ce revenu public ne doit pas être établi sur un autre objet. Il ne s’agit donc que de savoir si la renonciation au privilège exclusif n’est pas une erreur de logique dans un tel système. Ce n’est pas, Messieurs, le droit de 50 sous par quintal sur le tabac introduit en feuille que je regarde comme un impôt: car, par là, le comité n’a voulu sans doute que favoriser la culture de cette plante dans le royaume; et cette précaution était certainement inutile, puisque le tabac américain coûtera, toujours trois fois plus que notre tabac indigène. Cet impôt, d’ailleurs, serait à peu près nul: car fût-il perçu sur la totalité du tabac consommé en France, il ne produirait pas un million, en supposant que tout ce tabac fût importé; et il faudrait en retrancher non seulement tout ce qui serait récolté en France, c’est-à-dire au moins les trois quarts de la consommation, mais encore tous les achats faits par la régie, déclarée exempte du payement du droit par l’article 6 du projet de décret; c’est-à-dire que cette partie du revenu public ne s’élève pas à 300 ou 400,000 livres. Le second impôt établi par l’article 5 du projet de décret serait sans doute d’un produit plus considérable. Le comité suppose que nul ne pourrait fabriquer ou débiter du tabac dans le royaume, s'il n'avait acquitté la taxe qui serait réglée , et s'il n’en pouvait produire la quittance. Or, sur cela, même avant d’examiner si un pareil impôt serait compatible avec la liberté de la culture, et avec la liberté de l’importation du tabac en feuille, j’ai une question à faire au comité. Puisqu’il suppose, ce que je regarde comme incontestable, qu’un impôt sur le tabac est nécessaire, je lui demande à quelle somme cet impôt doit être porté; je lui demande s’il n’est pas indispensable de connaître ce résultat pour décider si cet objet est susceptible de tel impôt, et si tel impôt, une fois déterminé dans sa quantité, peut être établi de telle manière? J’examine d’abord si la perception d’une taxe établie sur le droit exclusif de fabriquer et de débiter le tabac peut se concilier avec la liberté de le cultiver et de l’importer dans le royaume. L’effet inévitable de cette liberté, c’est que chacun pourra, soit qu’il le cultive, soit qu’il l’achète, avoir chez soi du tabac en feuille. Or, je voudrais que l’on m’apprît l’intérêt qu’auraient les fabricants et les débitants privilégiés à se soumettre à une taxe qui ne leur donnerait aucun avantage, et que tout le monde pourrait si facilement éluder. Vingt manufactures de 200 ouvriers prépareraient tout le tabac nécessaire au royaume; ces manufactures pourront-elles surveiller toutes les fabricationsclandestines?quelsseront leurs agents et leurs moyens de résistance? Fera-t-on des visites chez le cultivateur et chez le marchand pour examiner s’ils préparent du tabac pour leur usage ou pour celui de leurs voisin ? Mais à peine pouvait-on empêcher une partie de la fraude, lorsque le tabac était prohibé, lorsqu’il ne s’agissait que de garder des frontières, et un seul point. Gomment donc pourra-t-on s’y opposer quand toutes les parties du royaume, toutes les villes, tous les champs, toutes les maisons seront autant de frontières; quand la matière première de la fraude sera sous la main de chaque particulier; quand au lieu de n’avoir à repousser , comme autrefois, qu’une très petite classe de citoyens, ou aura le peuple entier et le peuple cultivateur à surveiller? Si l’on multiplie les gardes, quel avantage aura-t-on retiré d’avoir reculé les barrières ? Si l’on fait des visites, à quelles vexations ne va-t-on pas se livrer? Ces vexations seront d’autant plus odieuses, que les payeurs des taxes, rénaudus dans le royaume, formant autant de privilégiés isolés, et n’étant point un corps, ne cesseront, chacun de leur côté, d’inquiéter leurs voisins pour tirer quelque parti d’un droit qu’ils auront imprudemment acheté. Un pareil impôt, u’eût-il que cette immoralité de forcer ainsi les citoyens à s’épier et à s’accuser les uns les aulres, devrait par cela seul être rejeté, ne fût-il pas d’ailleurs impraticable ; mais je défie au despotisme le plus absolu de l’exécuter. Ce que j’ai dit des fabricants de tabac, je le dis, à plus forte raison, de ceux qui seront chargés de le débiter. Si la compagnie privilégiée est dans une ville, comment surveillera-t-elle le débit du tabac dans les villages? Si un débitant a payé la taxe pour s’établir dans un village, quel moyen aura-t-il de s’opposer à la réunion de tous les cultivateurs? Non, un tel impôt ne pourrait ni s’établir, ni subsister; et cependant quand on fait payer le droit de vendre, il faut, à moins de vouloir tromper l’acheteur, pouvoir lui assurer un privilège exclusif. Je voudrais d’ailleurs qu’on m’expliquât comment ces taxes, qui seraient autant de privilèges, se concilieraient avec ce système de liberté que l'on réclame, lorsqu’il s’agit de la culture. Le droit de vendre soi-même la denrée qu’on a recueillie est-il moins une propriété que le droit de cultiver telle plante, plutôt que telle autre? esl-on moins le maître des fruits que du sol? Mais lorsqu’un système est vicieux dans ses bases, plus on entre dans les détails, plus on rencontre d’objections. Etablira-t-on une forte taxe pour les vendeurs privilégiés? ils seront forcés de vendre le tabac à plus haut prix; et dès lors comment évitera-t-on une fraude, tout à la fois aiguillonnée par la facilité et par l’intérêt? Vou-dra-t-ou prévenir cet inconvénient par la modicité de la taxe? mais alors le droit ne sera d’aucun produit. 20 francs par quintal seraient un gain très capable d’exciter la cupidité : or, en supposant la moitié de ce bénéfice pour les taxes, et l’autre pour les débitants et pour les fabricants, cet impôt ne grossirait le revenu public que de 2,400,000 livres. Est-ce pour une pareille somme qu’on voudrait établir i’ioquisition la plus révoltante ? L’impôt sur le tabac, regardé comme indispensable parle comité, est donc impossible à concilier avec la culture et l’importation libres de cette denrée, au point que, s’il était démontré que cette liberté fût nécessaire sous d’autres rapports, il faudrait, dans tous les cas, renoncer à la prendre pour base d’un impôt. Mais est-il vrai que le système du comité favorise le commerce et l’agriculture? Il ne sera pas difficile de montrer que c’est une erreur. Je ne discute point encore l’intérêt particulier de quelques négociants; il s’agit principalement d’examiner si le projet du comité ne détruit pas invinciblement notre commerce avec l’Amérique septentrionale; car il est évident qu’aucun avan- (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES ]29 janvier 1791-1 tage particulier ne pourrait compenser cette perte. Je ne veux pas supposer que le tabac indigène recueilli en France pût suffire à sa consommation, ce qui pourtaut arriverait, si l’erreur des propriéiaires était portée au point de préférer une denrée d’un vil prix à des productions cent fois plus utiles : certainement, dans ce cas, le tabac ne serait plus un objet de commerce avec l’Amérique. Je me borne à supposer que la culture propagée produisît les trois quarts de notre consommation, et c’est dans cette hypothèse, que je vais démontrer que nos relations avec l’Amérique seraient totalement ruinées. Il est certain que le tabac indigène de France, s’il était universellement cultivé, ne vaudrait pas plus de 7 à 8 livres le quintal, et la preuve en est fort simple ; aujourd’hui même, il ne se vend que 6 livres dans l’Artois, et 9 ou 10 livres dans l’Alsace ; il n’obtient même ces prix que parce qu’il est placé à côté d’un privilège exclusif, qu’il trouve par là un débouché toujours assuré, et qu'en le mêlant à des tabacs étrangers d’une qualité supérieure, il fournit les moyens d’une utile contrebande. Mais supposons si l’on veut que le prix moyen des tabacs de France fût de 10 livres le quintal, tout le monde sait que celui de la Virginie coûte au moins 25 livres, sans les droits; la ferme générale l’a même acheté à 36 livres et à 40. Je voudrais maintenant que l’on m’expliquât comment, avec une telle différence, le tabac de l’Amérique pourrait soutenir la concurrence dans nos marchés. Dira-t-on que l’Amérique diminuera ses prix?Cda ne se peut point: car même à 25 et 30 livres le quintal, le produit est si faible, que la culture de cette plante diminue de jour en jour dans la Virginie. Dira-t-on que la différence dans la vente pourra subsister à cause de la différence des qualités? Mais le peuple préférera toujours le tabac le moins cher. Les gens plus aisés se contenteront de mêler une petite portion de tabac américain avec le tabac indigène. Il n’y aura donc que les gens riches qui achèteront du tabac de l’Amérique. Or, une vente devenue aussi peu considérable, aussi incertaine, ne découragera-t-elle pas entièrement une nation que sous mille rapports il serait si important de favoriser ? J’envisage l’intérêt du commerce sous une autre relation. Si les Américains, dira-t-on, ne nous vendent pas leur tabac, nous conserverons le numéraire qu’ils auraient exporté; mais ai-je besoin de combattre cette erreur populaire? Pour une nation, le plus sûr moyen de s’appauvrir est de ne rien acheter : car c’est aussi le moyen de ne rien vendre. Ce n’est point notre argent, ce sont nos denrées qu’exportent les Américains qui nous vendent leur tabac; et si nous n’achetons pas les productions des autres peuples, ceux-ci achèteront-ils les nôtres? Voyez l’exemple de l’Angleterre, de cette nation qui a fondé toute sa richesse, et je pourrais dire sa puissance, sur ses transactions commerciales. Elle achète, soit pour le consommer, soit pour le vendre, presque tout le tabac de l’Amérique, et elle n’a pas un seul arpent de terre en tabac. Elle sait que le commerce ne se fait point sans échanges. Le désavantage que le projet du comité est capable de causer aux Américains se fait encore sentir sous un troisième point de vue. Une compagnie exclusive, telle que la régie actuelle, fait tout à la fois de grands marchés et de grands approvisionnements. Qu’un navire chargé de 555 tabac arrive dans nos ports quand il n’y a nul besoin d’acheter, une compagnie exclusive augmente alors ses magasins ; et le vendeur, assuré de trouver un acheteur, ne craint pas de faire un voyage inutile. Supposez an contraire et la liberté d’importation, et la liberté de la culture ; la crainte de trouver en France tous les marchés remplis arrêtera toutes les spéculations dans l’Amérique. Il y a plus: souvent le propriétaire de la denrée a besoin de recevoir des avances; une grande compagnie ne craint pas de les faire, et un négociant serait forcé de s’y refuser ; ainsi, récemment, la ferme générale avança un million à l’Amérique sur un marché de soixante mille bou-cauds de tabac : croit-on qu’un simple particulier aurait voulu faire un tel crédit? Mais, dira-t-on, c’est l’Angleterre et non l’Amérique qui nous vendra le tabac. Cette objection n’est encore qu’une erreur : sans doute, il fut un temps où nous n’achetions le tabac que de l’Angleterre, lorsque cette puissance avait le commerce exclusif d’un grand peuple qu’elle appelait une de ses colonies. Mais il est reconnu que, depuis 1777, la ferme n’a pas acheté un seul bou-caud de tabac en Angleterre; presque toute notre consommation nous a été fournie par l’Amérique; ce sont ou ses vaisseaux ou les nôtres qui en ont fait le transport. L’intérêt du commerce peut être encore envisagé sous un autre aspect. Ou objectera qu’il serait impolitique, autant qu’absurde, d’interdire à nos armateurs d’apporter du tabac en France en échange des marchandises qu’ils vendent en Amérique. Mais cette faculté, je la leur laisse tout entière dans mon système: ils pourront ou transporter le tabac pour la régie, ou l’acheter pour leur compte. Dans ce dernier cas, ils pourront ou le réexporter ou le vendre à la régie; je n’exclus que l’importation libre dans l’intérieur du royaume, et je nie que les négociants éclairés puissent être jaloux de ce droit que je leur refuse. D’abord le payement du fret est presque toujours le principal avantage que les négociants tirent des retraits, et la plupart aimeraient mieux rapporter un chargement de tabac pour la régie, que de l’acheter. D’un autre côté l’incertitude de la vente et la nécessité d’avancer le payement des droits sont les deux plus grandes entraves du commerce. Supposez que la culture et la vente du tabac, dont la consommation est bornée, soient parfaitement iibres, le négociant aura sans cesse à craindre ou une baisse énorme dans le prix, ou une surabondance de marchandises, surtout lorsqu’il aura à lutter contre une denrée indigène d’une valeur trois fois moindre que celle qu’il apportera; ainsi, voulût-il vendre pour son compte, il sera bien plus assuré d’un bénéfice honnête avec une compagnie qui n’attend jamais, pour acheter, que ses magasins soient épuisés. Mais une compagnie exclusive est presque maîtresse de fixer les prix; on dirait, d’après cette objection, que la régie n’a jamais acheté des tabacs de nos négociants, ou que nos négociants n’ont jamais importé, nour leur compte, des tabacs de l’Amérique. Une compagnie exclusive n’est pas la maîtresse des prix, car le vendeur a la faculté de réexporter chez l’étranger; et ne sait-on pas qu’une compagnie, quoique exclusive, étant forcée de maintenir ses approvisionnements et de toujours acheter, parce qu’elle vend toujours, doit suivre nécessairement le prix commun des marchés de l’Europe? J’aurais pu d’ail- [29 janvier 1791.) 556 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. leurs répondre d’un seul mot à toutes les objections tirées de l’intérêt particulier des négociants : car s’il est vrai que la liberté de la culture détruise inévitablement le commerce du tabac entre la France et l’Amérique, ainsi que je l’ai démontré, en quoi, dans ce genre, le commerce particulier des négociants pourrait-il donc consister ? La cessation de nos relations avec l’Amérique n’est pas même la seule perte que la liberté de la culture nous causerait. On sait que le tabac de la régie, soit par sa qualité, soit par la manière dont il est apprêté, est recherché des étrangers; elle en fournit non seulement dans plusieurs Eiats voisins par la voie du commerce, mais à plusieurs compagnies qui ont des privilèges exclusifs ; et les étrangers qui viennent en France en font d> s provisions considérables. 0 s a toujours calculé que les bénéfices de cette double exportation s’élevaient à environ 3 ou 4 millions, et il serait même facile d’augmenter cett ■ branche importante de commerce, en baissant le-! prix de la régie. Mais comment la conserver, si noos n’avions plus qu’un tabac indigène de la plus mauvaise qualité, si on ne vendait plus de tabac de l’Amérique sans mélange, ou si, pour ne pas s’exposer au déchet très considérable qu’exige une bonne fabrication, le tabac se trouvait mal préparé? Mais ce n’est point assez, Messieurs, que le projet du comité ne donne aucun revenu public, ou que l’impôt très incertain auquel il assujettit les fabricants et les débitants de tabac soit une source de vexations et de fraudes ; ce n’est point assez qu’il détrui-e nos relations avec l’Amérique, et par contre-coup une branche importante du commerce national sans aucune utilité pour nos négociants ; il est encore facile de prouver qu’il serait nuisible à l’agriculture en général, et entièrement contraire aux intérêts des punies du royaume où la libre culture du tabac était permise. Je l’ai déjà fait observer : si on cultivait le tabac dans tout le royaume, le prix déjà très médiocre de notre tabac indigène le serait bien plus encore ; et comment serait-on alors dédommagé des frais de la culture, du dépérissement des lerres auxquelles on confierait cette plante vorace, et de la perte des autres denrées ? Ou a cité l’exemple de l’Amérique: c’est dans des terres vierges que l’on y cultive le tabac, et presque partout la médiocrité du produit force à changer de culture dans les vieilles terres. Mais nous avons des preuves plus certaines sous nos yeux. Si le tabac est uue denrée si avantageuse, d’où vient que dans le Gambrésis et l’Artois, à peine quelques terres sont destinées à ce produit? d’où rient qu’en Franche-Comté, où cette culture était étendue, ou l’a tout à coup abandonnée, au point que la régie y vend, dans ce moment, pour plus de 500,000 livres de tabac chaque année? Voulez-vous ne parler que de l’Alsace? eh bien, tons ceux qui ont parcouru ce pays vous diront que la culture du tabac n’y est connue que dans un espace de 10 lieues de longueur sur 2 ou 3 de largeur ; et que là même, les 4 cinquièmes des terres sont destinés à d’autres productions, c’est-à-dire qu’en y réunissant toutes les terres à tabam on ne formerait j as un carré de 4 à 5 lieues dans uue grande province. Je ne vous dirai noint qu’il faut vies terres profondes, fortes et fraîches, des terres que nous n’avons point, pour nourrir une plante qui, dans quelques années, ruine le champ le plus fécond. Je n’ajouterai point que notre sol fournit des productions trop riches pour les sacrifiera un imprudent essai. Mais je dirai à l’Alsace qu’elle se trompe, si elle pense que les avantages qu’elle a retirés pendant qu’elle cultivait presque seule le tabac seront les mêmes, lorsque cette culture sera commune à tout le royaume ; qu’elle se trompe si elle compte vendre son tabac au même prix lorsqu’il ne sera plus en concurrence avec le tabac de la régie, dont le prix était grossi par l’impôt; qu’elle se trompe si elle ne reconnaît point que son bénéfice sur le tabac résultait principalement du mélange qu’on en faisait avec un tabac étranger d’une meilleure qualité, ce qui alimentait une contrebande très active. Or, aucun de ces avantages ne pourrait plus subsister avec la liberté d’une culture générale. Enfin, j’ajoute que l’Alsace ne croit point elle-même que la culture du tabac puisse devenir générale en Fiance, et si elle le croyait, elle ne la solliciterait pas. Quelle est donc sa pensée ? On ne peut pas s’y tromper : son patriotisme ne lui permettant pas de demander un privilège exclusif auquel elle a solennellement renoncé comme toutes les sections de l’Empire, elle demande la liberté, bien sûre que personne ne désirant d’eu profiter, elle conservera sou privilège exclusif. Mais faut-il forcer les Alsaciens à changer subitement de culture, tromper ainsi les espérances des habitants et attenter en quelque sorte à leur propriété? Je suis bien éloigné de le penser; et ce n’est pas moi qui porterais l’alarme dans le cœur de ces bons citoyens que chacun de nous est prêt ici à défendre. Mais d’abord la régie ne pourrait-elle pas établir une grande fabrication de tabac à Strabourg pour y occuper bien plus d’ouvriers qu’il n’y en a dans les petits ateliers de l’Alsace ? Ne peut-on pas accorder six années aux habitants pour le changement de leur culture, et dans cet intervalle forcer la régie à acheter le tabac des habitants, aussitôtqu’il est recueilli, etd’après leur déclaration, sur un pied plus haut que le taux commun depuis les 6 dernières années? Ne peut-on pas, pendant ces 6 années, diminuer u’un cinquième le prix du tabac préparé, quesla régie y débitera pour l’usage des habitants ? Et en prenant toutes ces mesures, en faisant aujourd’hui le recensement des terres dans lesquelles seulement on pourra continuer la culture du tabac pendant 5 années, ne parviendra-t-on pas à concilier l'intérêt public avec la justice ? Mais comment supporter dans une Constitution libre un impôt destructeur de la liberté ? Gomment concilier les formes d’une administration parter-nelle avec un impôt qui se grossit par des inquisitions domestiqœ s, par des peines arbitraires, et qui tend sans cesse un piège aux citoyens en les invitant à violer la loi ? Je réponds : le prix excessif du tabac forçait presque à la contrebande: diminuer ce prix, et qu’au lieu de payer le tabac 5 sous l’once, le peuple puisse l’acheter à 3 sous. Même sur ce pied l’impôt rendra près de 30 millions; et notre exportation de tabac préparé serait encore bien plus considérable. Dans cette partie, le Gode pénal prononçait des peines trop rigoureuses : proscrivez ces peines et changez ce code. Quatre provinces étaient sans cesse tentées de faire des versements frauduleux : ôtez ce piège à de bons citoyens, et détruisez eus privilèges. Des visites domestiques violaient l’asile de chaque individu : ne permettez les visites que dans le cas d’un grand approvisionnement; et qu’un (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [29 janvier 1791.J officier municipal, qu’un magistrat du peuple les autorise par sa présence. Je reviens maintenant à l’impôt: car, pour l’intérêt du peuple, il importe qu’un tribut modéré, et en quelques sorte volontaire, ne soit pas remplacé soit par des impositions plus onéreuses, soit en aggravant celles qu’il ne peut déjà supporter qu’avec peine. La théorie des impôts est la véritable législation du peuple. C’est ici, Messieurs, que nous attendent les ennemis du bien public pour exciter le mécontentement de ceux qui jusqu’à présent n’ont fait que bénir votre ouvrage; comme si les législateurs qui ont aboli la dîme, les exemptions d’impôts et les abus de la féodalité, qui ont rendu au peuple tant de propriétés usurpées, qui lui ont délégué tous les pouvoirs qu’il pouvait exercer ou plutôt retenir; comme, dis-je, si ces amis constants des campagnes pouvaient cesser d’en défendre les droits 1 Si l’impôt du tabac ne peut pas être supprimé sans le remplacer, car jamais vous ne consacrerez l’étrange système que votre comité vous propose, quel impôt plus doux pourriez-vous préférer? Cet impôt est libre, il ne porte que sur une très petite partie des citoyens qui consentent à s’y soumettre. 11 ne tient pas à une denrée de première nécessité. Il n’a pas cela de commun avec la plupart des impôts indirects de peser d’autant plus sur un chef de famille qu’il a plus d’enfants, c’est-à-dire en raison de son impuissance. L’enfance en est exceptée, très peu de femmes y sont soumises; et cet impôt est même très léger pour ceux qui veulent le supporter. Cherchez donc d’autres impositions qui soient aussi douces, aussi équitables. Mais si cet impôt peut être supprimé? Eh bien! vous le pourriez que vous ne le devriez pas. N’avez-vous pas d’autres impôts à alléger? N’avez-vous pas à redouter que les impositions établies sur la terre, cet asile de l’homme, ce pain nourricier des nations, ne soient trop considérables jusqu’à ce qu’on ait rendu aux campagnes les capitaux que la fiscalité lui a si longtemps ravis? Avez-vous même pu calculer exactement si les impôts ou prévus ou décrétés atteindront exactement le résultat que vous avez cru pouvoir indique!? Et pourquoi donc, en prévoyant un déficit très probable, ne conserveriez-vous pas un impôt qui, une fois suspendu, serait impossible à rétablir? On a regardé comme une objection le recule-menl des barrières. Et moi je le présente comme un moyen. Vous avez établi des droits de traite, et par cela seul deux lignes d’employés sur plus de huit cents lieues de côtes et de frontières vous sont nécessaires. Cette dépense est énorme; elle est presque d’un tiers sur le produit total de cet impôt, qui ne s’élèvera peut-être pas à quinze millions. L’imposition du tabac a maintenant cet avantage, que les frais en sont déjà payés : c’est-à-dire, qu’en percevant quarante-cinq millions au lieu de quinze, sans ajouter aux dépenses que les traites rendent déjà nécessaires, vous aurez le produit d’un impôt de plus, sans le sacrifice inutile et toujours si douloureux des frais de la perception. Comparez ce résultat avec celui du comité, vous n’auriez, en suivant son système, ni impôt, ni culture, ni relations avec l’Amérique; car impôt et culture libre, culture libre et commerce avec l’Amérique, sont des idées contradictoires que le comité aurait pu se dispenser de vouloir concilier. Le premier effet de la suppression de la vente exclusive, serait que l’Angleterre, toujours très 557 avisée, verserait sur nos frontières et dans nos magasins du tabac pour plusieurs années, et que nous serions même dispensés de cultiver cette plante parasite, dont on veut nous faire, je ne s iis pourquoi, un si funeste présent, en vertu des principes de notre Constitution, comme si la plupart des objections que l’on peut faire contre l’impôt du tabac n’étaient pus communes à la plupart des autres impôts. Je propose le décret suivant : PROJET DE DÉCRET. Art. 1er. La nation se réserve le droit exclusil lu commerce, fabrication, vente et débit du tabac, tant en feuilles que fabriqué, dans toute l’é endue du royaume, pour ledit droit être exercé, au profit du Trésor public, par les préposés qui seront nommés à cet effet. Art. 2. Lesdits préposés seront tenus d’entre-i enir un nombre suffisant de bureaux, où le tabac en poudre sera délivré au public an prix de 2 liv. 8 s. la livre, ou de 3 sous i’once, et le tabac à fumer au même prix. Art. 3. L’importation du tabac étranger fabriqué continuera à être prohibée. Art. 4. Il sera libre d’importer du tabac étranger en feuilles, dans les ports qui seront désignés ; mais ce tabac y sera mis sur-le-champ en entrepôt, dans les magasins de la régie, pour être ou réexporté à l’étranger, ou acheté de gré à gré par ladite régie, sans payer aucun droit dans aucun cas. Art. 5. La culture du tabac sera et demeurera interdite et prohibée dans toute l’étendue du royaume, dérogeant à tout usage à ce contraire. Art. 6. Et, néanmoins, voulant prévenir les inconvénients qui pourraient résulter d’un changement trop brusque dans le système de culture ■ ïes départements du Haut et Bas-Rhin, de la Haute-Saône, du Doubs, du Nord, de partie de celui du Pas-de-Calais, et de tous autres où la culture du tabac était en usage, ladite culture ue pourra y être étendue ; mais elle ne sera complètement supprimée qu’à la fin de 1796. Art. 7. Les proprietaires et cultivateurs qui auront des tabacs en leur possession, au moment de la sanction et de la publication du présent décrel, en feront, dans la quinzaine, déclaration aux préposés à la vente nationale du tabac, et il sera incessamment statué sur les conditions auxquelles ils seront retirés pour le compte de la nation. Il sera également statué sur l’emploi et la destination des tabacs qui proviendront des récoltes des six années, pendant lesquelles la culture du tabac est autorisée, dans les départements du Haut et Bas-Rhin, de la Haute-Saône, du Nord et du Pas-de-Calais, comme aussi sur les formalités à remplir par les propriétaires et cultivateurs. Art. 8. A l’égard de l’indemnité que réclament les habitants desdits départements, relativement à la plus grande consommation de tabac à laquelle ils sont accoutumés, le comité de commerce et d’agriculture se concertera avec des députés des ci-devant provinces d’Alsace, Flandre, Artois, Cambrésis et Franche-Comté, pour le rapport être fait de leurs demandes, et être statué ce qu’il appartiendra. Art. 9. Ii sera présente, dans le plus court délai, par le comité de Constitution, réuni à celui des impositions, un projet de code pénal pour la contrebande en tabac. En attendant, les règlements