472 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE LE PRÉSIDENT (120) : Je reçois ce billet : « Citoyen président, douze membres, de la société des Amis de la Liberté et de l’Égalité, séant aux Jacobins, demandent à être admis pour lire une pétition. » QUELQUES VOIX : Demain, demain. La Convention consultée ordonne l’admission. BOURDON (de l’Oise) : Avant que la députation soit admise, je demande qu’elle soit interpellée pour savoir si c’est une pétition individuelle. PLUSIEURS MEMBRES : Oui, [cette pétition est individuelle.] (121) La députation est introduite à la barre. PAILLARDELLE, orateur de la députation : Citoyens représentants du peuple, les citoyens soussignés, membres de la société des Amis de la Liberté et de l’Égalité, séant aux Jacobins, inviolablement attachés à la Convention nationale, seul centre du gouvernement comme l’espoir du salut public, ont été profondément affligés en apprenant que quelques membres de cette société ont été accusés d’un grand crime. Un représentant du peuple, dont les paroles tirent un grand poids de ses fonctions au comité de Sûreté générale, a dénoncé une correspondance de Jacobins avec un comité d’émigrés en Suisse. Il faut que les Jacobins non seulement soient purs, mais encore soient reconnus pour tels. Les Jacobins demandent qu’il soit fait un rapport, afin que les coupables, s’il y en a, soient punis. ( Quelques applaudissements s’élèvent d’une des tribunes.) LE PRÉSIDENT répond à la députation que c’est à leur amour pour la représentation nationale, à leur soumission à ses lois, que l’on recon-nait les vrais patriotes; que c’est en donnant l’exemple que les Jacobins se rendront, comme par le passé, redoutables aux ennemis de la liberté. CLAUZEL : Les représentants du peuple qui émettent dans cette assemblée les opinions que leur amour de la patrie exige d’eux n’en doivent compte qu’à la Convention; [c’est vrai, s’écrie-t-on\ (122) cependant, comme on pourrait, de la pétition présentée à cette barre, induire que le représentant qui a parlé hier a voulu dénoncer toute la société, il n’est pas inutile d’en dire ici deux mots. Dans une contrée étrangère [en Suisse] (123), où il y a un ministre de la puissance [Angleterre] (124) qui a juré à la République française la plus mortelle haine, ce ministre est convenu avec les Lameth et d’autres émigrés qu’on ne pouvait vaincre la France que par la (120) J. Fr., n° 772 indique que c’est Treilhard qui tenoit le fauteuil. (121) Débats, n° 775, 666. (122) Débats, n° 775, 666. (123) Débats, n° 775, 667. (124) Débats, n° 775, 667. division. Ils ont dit : Il faut diviser la Convention, qui est l’effroi des puissances coalisées, d’avec les sociétés populaires ; il faut faire demander la tête de trois à quatre cents membres ; il faut qu’un homme dise que, si cinq à six hommes avaient autant de courage que lui, les affaires changeraient bientôt; il faut envoyer à Marseille des émissaires qui la soulèvent. (Emissaires qui, punis par le glaive de la loi, ont crié : Vive Louis XVII!) (125) N’a-t-on pas vu le président des Jacobins [Bassal] (126), ce même jour où la Convention prenait des mesures qui ont sauvé le Midi, demander l’ajournement de ces mesures? On voudrait bien connaitre cette correspondance fidèle qui instruit le gouvernement des complicités liberti-cides. Vous ne supposerez pas que des scélérats, qui ne manquent ni de talent ni d’esprit, entretiennent des correspondances avec toute une société; mais il y a quelques membres payés par Pitt et Cobourg pour semer le trouble et la discorde, dernier moyen qui reste aux ennemis de la République triomphante. BASSAL : Je suis étonné que Clauzel me représente comme ayant cherché à exciter le feu dans le Midi. Je me suis opposé à la mise hors la loi [d’un individu sur une lettre dont rien ne constatoit l’authenticité] (127); je m’y opposerai toujours parce que cette mesure est atroce et injuste. Quant à la motion que j’ai faite, je demande si ce n’a pas été avec la dignité qui convient à un représentant du peuple. CLAUZEL : Bassal ne s’est pas seulement opposé à la mise hors de la loi, il a demandé aussi l’ajournement des mesures salutaires que prenait la Convention. Au surplus, je ne cherche pas à inculper Bassal ; mais je dis qu’il y a des émissaires des puissances étrangères qui cherchent à attiser ici le feu de la discorde. MAURE : Je demande à faire une motion d’ordre. La démarche des Jacobins est pure. (On murmure.) La société populaire des Jacobins n’envoie point demander compte des opinions énoncées dans la Convention; les Jacobins connaissent trop les principes, ils ont trop de respect pour la représentation nationale; mais la correspondance dénoncée existe ou n’existe pas. Les membres de la société ont le droit de demander qu’on nomme les coupables, s’il y en a. Je demande l’insertion de la pétition au Bulletin. (On murmure.) (128) REUBELL : Maure vient de parler dans les vrais principes, il a fait sentir que les Jacobins ne devaient pas être plus purs que les autres citoyens, qu’il y a entre tous la plus parfaite égalité. Nous ne devons donc pas nous occuper (125) J. Mont., n° 24, indique le cri : « Vive le roi d’Angleterre! » (126) J. Mont., n° 24 ; Ann. Patr., n° 675 ; Ann. R. F., n° 46 ; C. Eg., n° 810. (127) Débats, n° 775, 667. (128) Mess. Soir, n° 811 présente différemment l’intervention de Maure : cette gazette insiste sur les rires que provoquent quelques maladresses de style. SÉANCE DU 16 BRUMAIRE AN III (6 NOVEMBRE 1794) - N08 40-41 473 plus longtemps des Jacobins. Si, chaque fois qu’on avance un fait à cette tribune, tous les citoyens venaient en demander compte, il faudrait les entendre tous, décréter l’insertion au Bulletin de toutes leurs pétitions. Je demande l’ordre du jour. L’ordre du jour est adopté (129). 40 Le citoyen Mangin, architecte, fait offre de plans pour l’embellissement de Paris. Mention honorable, renvoyé au comité de Salut public (130). 41 La discussion est reprise sur la loi relative aux émigrés, article de la pénalité du crime d’émigration. ESCHASSERIAUX : Avant de vous proposer des dispositions pénales contre la complicité avec les émigrés, je crois devoir vous présenter, pour les motiver, quelques observations essentielles sur les différents cas qui constituent cette complicité. Parmi ceux auxquels vous avez reconnu ce caractère, il en est dont les nuances ne doivent point échapper au législateur, qui doit toujours peser dans la balance de l’équité les peines qu’il prononce. En effet, si l’on considère le but de l’action dans laquelle réside cette complicité, on sentira qu’il existe réellement entre les complices des émigrés une différence qui doit également s’étendre aux peines que doit leur appliquer la loi. Ceux, sans doute, qui ont pris une part active aux complots des émigrés, qui leur ont fourni des secours, ou porté des citoyens à se joindre à ces perfides et scélérats ennemis de la République, doivent être associés à leurs peines, comme ils l’ont été à leurs forfaits ; mais en doit-il être ainsi de ceux qui n’ont eu, dans leurs relations avec les émigrés, que l’intention de les soustraire au châtiment qui leur est réservé? On ne peut se dissimuler la gravité de leur délit; mais lorsqu’il s’agit de l’application de la peine, on reconnaitra aisément qu’il est entre les délits des uns et des autres une différence bien marquée, et que les motifs de ceux qui ont réellement secondé et favorisé les projets des émigrés doivent être jugés sous un (129) Moniteur, XXII, 442. Ann. Patr., n° 675; Ann. R. F., n° 46; C. Eg., n° 810; Mess. Soir, n° 811; J. Fr., n° 772; M. U., XLV, 270-271 ; F. de la RépubL, n° 47; J. Perlet, n° 774; Rép., n° 47 ; J. Paris, n° 47 ; J. Mont., 24 ; J. Univ., n° 1807 ; Gazette Fr., n° 1039. (130) P.-V., XL EX, 14. autre rapport que ceux qui ont déterminé l’action qui constitue la complicité des autres. Pour fixer à cet égard vos idées, je pense qu’il suffira de vous rappeler que vous avez reconnu cette différence en ne prononçant, dans la loi du 28 mars 1793, que la peine de quatre années de fers contre ceux qui auraient favorisé la rentrée d’un ou plusieurs émigrés sur le territoire de la République. De là naturellement on doit induire que votre intention n’est pas, si vous jugez que cette disposition doive être maintenue, d’en séparer des cas qui lui paraissent analogues. En effet, recéler un émigré ou favoriser sa rentrée sur le territoire de la République ne sont-ils pas des délits identiques qui concourent évidemment au même but, celui d’atténuer les dispositions pénales de la loi à l’égard de l’émigré, et ne s’ensuit-il pas par cela même qu’il doit y avoir parité ou au moins approximation de peines pour ces mêmes délits? C’est d’après ce rapprochement que j’ai cru, avec les membres qui composent la commission chargée de la révision de la loi sur les émigrés, devoir vous proposer de décréter une semblable peine contre ceux qui seraient convaincus de cette espèce de complicité avec les émigrés. Quant à ceux qui ont fabriqué de faux certificats, leur délit a dû paraître beaucoup plus grave, en ce qu’il soustrait en même temps à la loi et la personne et les biens de l’émigré, et c’est sous ce rapport qu’il a été jugé convenable de donner plus d’intensité à cette peine. Au reste, si, dans le projet qui vous a été présenté, l’opinion de la commission n’était pas celle que je vous soumets en ce moment, c’est qu’elle se trouvait alors obligée de la subordonner à une loi funeste, celle du 22 prairial, qui frappait indistinctement de la même peine tous les délits qui ont trait à la révolution; mais cette loi n’existant plus, vous jugerez sans doute qu’il est de votre sagesse de revenir aux principes que vous avez déjà consacrés, en reconnaissant qu’une loi qui prononce des peines disproportionnées aux délits est presque toujours illusoire, en même temps qu’elle excède les bornes d’une juste sévérité. Plusieurs membres ajoutent des observations à celles du rapporteur. Les articles suivants sont décrétés (131). La discussion se reprend sur la loi concernant les émigrés; les articles sui-vans sont décrétés. Titre IV. Peines contre les émigrés et leurs complices. Section première. Article premier. - Les émigrés sont bannis à perpétuité du territoire français et leurs biens sont acquis à la République. (131) Moniteur, XXII, 471-472.