I Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 123 avril 1791.| 273 où les produits de sa direction ne s’élèveraient pas à une somme suffisante pour lui procurer cette remise d’après la fixation ci-dessus déterminée. » {Adopté.) Art. 21 {Art. 22 du projet). « Il sera également accordé aux 8 régisseurs une remise de trois quarts de denier pour livre sur la totalité du produit net desdits droits. » {Adopté.) Art. 22 {Art. 23 du projet). « Les traitements lixés par le présent décret seront payés, savoir : aux préposés des côtes et frontières, à compter du premier janvier de la présente année; aux employés des bureaux de Paris, à compter du 1er avril; et aux 7 régisseurs actuels, à compter du jour de leur nomination. « Le roi sera prié de faire incessamment le choix du huitième régisseur. » {Adopté.) Art. 23 {Art. 24 du projet). h II sera accordé pour indemnité aux préposés des douanes qui auront passé d’un bureau à un autre à plus de 20 lieues de leur résidence, un supplément d’un mois de leurs anciens appointements; lesdites indemnités seront payées sur les produits des traites de l’année dernière. » {Adopté.) Art. 24 {art. 25 du projet). « II sera procédé dans le plus court délai, à la diligence des directoires de district, sous l’inspection des directoires de département, à la vente des bâtiments, meubles et ustensiles servant à l’exploitation des bureaux antérieurs des traites qui sont supprimés, et le prix en sera versé au Trésor public. » {Adopté.) Art. 25 {Art. 26 du projet.) « Le présent décret sera porté dans le jour à l’acceptation et à la sanction du roi. » {Adopté.) M. Pierre de Delley. La France fait en général une exportation d’étoffes précieuses et d’objets de mode. Ces objets ne peuvent pas souffrir le déballage sans éprouver beaucoup d’endommagement; peut-être même aucun négociant ne voudrait s’exposer au danger de les voir périr, parce qu’on ne saurait pas les remballer. Cette considération avait déterminé sous l’ancien régime à avoir, à Paris et à Lyon, des douanes conservatrices. Je ne demande pas que vous décrétiez aujourd’hui cette mesure, mais je pense que l’intérêt du commerce exige que votre comité vous présente des vues sur l’établissement de deux douanes qui seraient à Paris et à Lyon. M. Goudard, rapporteur. Le comité s’est occupé de cet objet et il vous en fera le rapport iu-cessamment. M. le Président annonce l’ordre du jour des séances de ce soir et de lundi matin et invite les membres de l’Assemblée à se retirer dans leurs bureaux respectifs pour y procéder à l’election d’un président et de trois secrétaires. La séance est levée à deux heures et demie. ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 23 AVRIL 1761, AU MATIN. Rapport de MM. J. Godard et h. Itobin, commissaires civils , envoyés par le roi, dans le département du Lot, en exécution du décret de L'Assemblée nationale, du 13 décembre 1790. — Remis au roi, le 6 avril, par M. Godard, en présence de Al. Duport, ministre de la justice, et présenté par lui à Sa Majesté. (Imprimé par ordre de l’Assemblée nationale.) Au Roi. Sire, Des troubles alarmants se sont élevés dans le département du Lot. L’Assemblée nationale a décrété qu’il y serait envoyé des commissaires civils pour y rétablir la paix. Votre Majesté daigna nous confier cette importante mission. Nous allons, Sire, remplir le dernier devoir qu’elle nous impose, celui de vous en rendre compte. Dans une première partie du rapport, nous considérerons quel a été l’objet de notre mission; Dans quel état nous avons trouvé le département du Lot; Ce que nous avons fait pour y rétablir la paix; Et dans quel état nous l’avons laissé ; Puis, nous repliant, pour ainsi dire, sur nous-mêmes, nous examinerons, dans un tableau général des faits, quelles ont été les causes des diverses insurrections; Et quels sont les moyens définitifs propres à affermir à jamais, dans le département, l’ordre qui existe aujourd’hui. Cet examen sera l’objet de la seconde partie. PREMIÈRE PARTIE. C’est le 13 décembre 1790, qu’une pétition du directoire du département du Lot annonça à l’Assemblée nationale les troubles qui affligeaient cette partie du royaume et provoqua les conseils et l’autorité des représentants de la nation. Le directoire commençait par rappeler à l’Assemblée, que, dès le mois de septembre dernier, il l’avait instruite du refus que faisaient dès lors les habitants de la campagne, d’exécuter ceux des décrets qui ordonnent le payement des redevances féodales conservées jusqu’au rachat; des mesures prises pour ramener les citoyens à l'exécution de la loi en leur faisant entendre le langage de la raison ; du peu de succès d’une proclamation du 30 août, sur laquelle on avait fondé de grandes espérances; des menaces, des voies de lait, des excès de toute espèce auxquels se portaient les mal intentionnés; de l’audace avec laquelle ils excitaient l’insurrection et élevaient des monuments séditieux presque sous les yeux de l’administration; du malheur qu’elle éprouvait de voir, en plusieurs endroits, les officiers municipaux être les secrets moteurs, ou les complices, ou les témoins indifférents de pareils désordres; de la faiblesse enfin, et de l’insuffisance des moyens de l’administration pour prévenir ou arrêter des maux aussi graves. Le directoire ajoutait qu’après avoir lutté pendant trois mois contre cette faiblesse et cette insuffisance de moyens, la digue venait de se rompre et que les maux étaient à leur comble; 18 ire Série. T. XXV. 274 [Assemblée nationale J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 avril 1791. J Que, sur la demande du district deGourdon, un détachement de 100 hommes de troupes de ligne et deux brigades de maréchaussée avaient été envoyés sur son territoire; Que les administrateurs du district s’étaient empressés d’employer ces forces à faire abattre toutes les potences," tous les mais, toutes les marques de sédition qui existaient dans leur arrondissement, et à faire arrêter les principaux auteurs des troubles, sur les dénonciations des municipalités, conformément au décret du 3 juin 1790; Que, dans presque tout le district, les intentions des administrateurs avaient été remplies; Que le lieu de Saint-Germain restant seul à purifier de tout monument de licence et d’anarchie, les brigades de maréchaussée, assistées du détachement de 100 hommes d’infanterie, s’y étaient transportées ; qu’elles éprouvèrent de la résistance : et que, le tocsin ayaot sonné dans toutes les paroisses voisines, la troupe des rebelles ayant grossi, et la municipalité étant restée muette, l’officier, qui commandait les troupes, aussi bon patriote que brave militaire (1), ne voulut pas livrer bataille à un peuple abusé ; qu’il se replia sur Gourdon, et y fut poursuivi. Là (continue-t-on) il réclama le3 pouvoirs civils; la municipalité se montra ; elle commanda la garde nationale; elle déploya le drapeau rouge : mais bientôt la ville fut investie par des troupes de paysans, qui arrivèrent de toutes parts, armés de fusils, de haches et de faux. Ces paysans, au nombre de 5,000 environ, avaient un chef ; c’était Joseph Linars. U se conduit en général d’armée ; il envoie des propositions à la ville; il lui aunonce des scènes sanglantes, si elle cherche à se défendre ; elle lui permet d’approcher, et dès lors il se conduit en conquérant. Il entre dans Gourdon ; il court à l’hôtel Commun ; il n’y trouve qu’un administrateur ; il lui demande compte de la conduite du directoire ; il exige la représentation des ordres du département ; il blâme le district ; il dicte un procès-verbal, qu’il ordonne à l’administrateur de signer; il commande l’élargissement des prisonniers ; il annonce au peuple que les maréchaussées seront supprimées, que les troupes de ligne évacueront la ville; lui-même promet de se retirer : cette retraite fut le signal du pillage. La maréchaussée est poursuivie et se disperse ; le détachement d’inlanterie abandonne la ville ; les insurgés pillent, ravagent, détruisent les maisons des citoyens aisés et des administrateurs ; les têtes de ceux-ci sont mises à prix ; les archives du district sont spoliées ; tous les dépôts de papiers sont violés ; les paysans qui se retirent sont remplacés par d’autres. Depuis 3 jours (dit-on encore), ils se succèdent sans interruption, pour consommer la destruction de la malheureuse ville, qui est devenue l’objet de leur fureur. Ils se transportent, enfin, dans tous les châteaux de la contrée, dans toutes les habitations considérables, et y commettent les plus affreux ravages. Quant à M. Linars (disent les administrateurs du directoire du département), il n’a pas craint de nous écrire pour nous annoncer ses exploits; il n’a pas négligé de donner à sa conduite les couleurs du patriotisme. Le procès-verbal dicte par lui à Gourdon, et sa lettre au directoire du département, sont envoyés à l’Assemblée nationale. Après avoir, de cette manière, mais avec plus de développement, rendu compte de sa situation actuelle, le directoire du département fixait l’attention de l’Assemblée nationale sur trois objets: 1° sur les causes ou les prétextes des désordres ; 2° sur les mesures qu’il avait prises pour les arrêter ; 3° sur celles qu’il sollicitait de la puissance de la nation. La cause ou le prétexte des désordres, c’est, dit-on, le payement des rentes. Dans un grand nombre de paroisses, le peuple s’en croit totalement affranchi; dans les autres, il ne veut payer qu’après une vérification rigoureuse des titres : de là, l’érection des potences et des mais , pour effrayer les percepteurs, et même les redevables de bonne volonté. A l’égard des mesures prises pour arrêter les progrès du mal, le directoire du département annonçait à l’Assemblée nationale qu’il avait cru uevoir réunir dans le centre du département une masse de forces imposantes, qu’on put ensuite faire porter avec succès dans les campagnes, pour y ramener l’ordre, enchaîner les chefs de la sédition, et faire disparaître de nouveau toutes les marques d’insurrectmii, qui, depuis trois jours, s’étaient reproduites et multipliées : il annonçait que, pour renforcer 350 hommes en garnison à Gahors, il avait appelé 150 hommes du régimeut de Royal-Pologne, cavalerie, qui venaient d’arriver à Alontauban, et dont cette ville pouvait momentanément se dessaisir; qu’il allait appeler la majeure partie du premier bataillon du régiment de Languedoc, infanterie, en garnison à Figeac; qu’il avait dépêché un courrier à M. d’Esparbès, commandant des troupes de ligne du département, pour l’engager à se rendre à Gahors; qu’il avait fait la même demande à M. Dupuy-âlont-brun, commandant général des gardes nationales du Lot; et qu’il allait concerter avec ces officiers les moyens tes plus prompts et les plus efficaces de rétablir la tranquillité publique. V oilà les mesures prises par le directoire du département. Celles qu’il sollicitait de la puissance de la nation étaient d’autant plus instantes, qu’à l’embarras, à l’impossibilité même de secourir plusieurs lieux qui réclamaient à la fois des secours, se joignait , disait-il, tout ce que prése7ite d' extraordinaire U apparition subite d'un chef de parti à la tâte de 5,(JÜU hommes. Il demandait à l’Assemblée nationale un surcroît considérable de forces, et les conseils de sa sagesse. Sur cette pétition, dont nous avons cru devoir résumer ici les détails tes plus importants, l’Assemblée nationale rendit aussitôt le décret suivant : « L’Assemblée nationale, après avoir entendu son comité des rapports sur la pétition des administrateurs du département du Lot, décrète : « Que son président se retirera à l’instant par-devers le roi, pour le prier : « 1° De douner des ordres pour que, devant les juges du tribunal du district de Gourdon, il soit incessamment informé à la réquisition de celui chargé de l’accusation publique près ledit tribunal, contre tous ceux qui, par des insinuations perfides, auraient cherché à égarer le peuple, et à lui persuader que les décrets de l’Assemblee nationale des 18 juin, 13 juillet et 3 août derniers n’existaient pas, ou ne devaient pas être exécutés, ainsi que contre les auteurs, fauteurs et complices des troubles qui ont eu lieu à Gourdon et lieux circonvoisins, pour, après l’information faite, être, de suite, le procès fait et parfait aux accusés ; « 2° D’envoyer, dans le département du Lot, (1) M. Saint-Sauveur. [Assemblée nationale.| ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 avril 1191. J 275 deux commissaires civils, qui se concerteront avec les administrateurs, prendront les éclaircissements qu’ils pourront se procurer sur les causes de l’insurrection et sur les remèdes qu’il convient d’y apporter, sans que cela puisse retarder l’information ; « 3° Enlin de donner également les ordresles plus prompts pour qu’il soit envoyé aussitôt à Cahors une quantité de troupes suffisante, pour, sur la réquisition desdits commissaires civils et des corps administratifs, concourir, avec les gardes nationales et la maréchaussée, au rétablissement de l’ordre et de la tranquillité publique. Ce décret fut sanctionné le 17 décembre. Le 14, Votre Majesté daigna nous confier l’importante mission qu’elle avait à déférer. Et le 20, nou3 partîmes pour Cahors. C’est à Cahors, chef-lieu du département, qu’il nous parut convenable d’aller d’abord, afin de nous concerter avec les administrateurs sur toutes les mesures à prendre pour ramener l’ordre. Arrivés le 30, nous nous rendîmes, le lendemain malin 31, au lieu où le directoire du département tient ses séances. Après la présentation do nos commissions, et leur transcription sur les registres, nous demandâmes la communication de tous les procès-verbaux, de toutes les pièces qui pourraient nous donner une connaissance exacte des troubles : il importait surtout d’être instruit de l’état actuel du département, afin d’opérer d’une manière sûre et efficace; et nous nous hâtâmes de recueillir tous les renseignements nécessaires, afin d’apporter des remèdes prompts au mal qui nous environnait. Ce mal était très grave; et quoique, à une distance considérable, les maux s’exagèrent si facilement, le récit qui en avait été fait dans la capitale, avant notre départ, était bien au-dessous de la réalité. Dans le district de Gourdon , l’agitation était encore très grande; le triomphe des paysans sur les troupes de ligne avait donné aux premiers une force dont on craignait à chaque instant qu’ils n’abusassent de nouveau; les administrateurs du district, mis en fuite, errants, n’osaient pas encore reparaître; à peine même le tribunal, dont quelques membres avaient aussi été poursuivis, avait-il repris ses fonctions. Le district de Lauzerte était le théâtre des plus affreux désordres. Un rassemblement armé de ci-devant gentilshommes, dont nous aurons occasion de parler dans la suite, y avait excité les alarmes et même la fureur du peuple : chaque jour on recevait la nouvelle de quelques châteaux pillés ou incendiés. Des troubles funestes avaient éclaté dans le district de Figeac; ils étaient sur le point de s’y renouveler ; une fermentation excessive y remuait les esprits. Montauban, dont les divisions n’avaient pas encore cessé, était toujours le sujet des plus vives inquiétudes. Le district de Cahors , dans le territoire duquel le rassemblement armé des ci-devant gentilshommes avait pris naissance, n’était pas encore revenu de la commotion qu’un pareil événement avait été capable de produire. La ville était en proie à des craintes sans cesse renaissantes : une partie de la garnison était pour ainsi dire, en guerre ouverte avec les habitants ; le commandant des troupes de ligne donnai t de l’ombrage aux citoyens. Toutes les différentes parties du département étaient, comme on le voit, agitées par des troubles plus ou moins violents; à l’exception du district de Saint-Ceré, où ne se faisaient entendre encore que de sourdes rumeurs, mais où existaient quelques-unes des causes de l’insurrection qui avait éclaté dans les autres districts, et où l’on redoutait une funeste et prochaine explosion. 11 suffit, au reste, de connaître une partie du discours prononcé par le procureur général syndic, lors de notre première séance au directoire, pour connaître en même temps les maux qui affligeaient le département: « Garantir de la contagion (disait-il) les cantons qui ont eu jusqu'ici le bonheur de s’en préserver ; rétablir le corps administratif du district de Gourdon, et lui assurer le calme qui lui est nécessaire pour l’exercice de ses fonctions; nantir le tribunal de tous les renseignements, de toutes les pièces qui peuvent servir à la poursuite des coupables; étouffer l’incendie dans les lieux qu’il désole, prévenir l’explosion dans ceux où le feu est encore comprimé, remonter à l’origine des désordres; prendre des mesures pour qufils ne se reproduisent jamais, et surtout chercher à retirer le peuple de l’égarement dans lequel il a été plongé; tels sont les difficiles travaux auxquels vous allez vous livrer. » Plus le mal était grave et universellement répandu, plus il était nécessaire de bien choisir le remède qu’il fallait y appliquer. Avant d’agir, il fallait chercher dans les faits, dans le caractère des habitants, dans les principes qui doivent régir un peuple devenu libre, le véritable moyen de réprimer les excès et de ramener l’ordre. Déjà nous avions fait à cet égard d’utiles recherches. Nous étions sur le point de prendre un parti et de le proposer au département, lorsque le 1er janvier tous les administrateurs se rendirent près de nous, pour nous communiquer des nouvelles fâcheuses qu’ils venaient de recevoir du district de Lauzerte. Le directoire du district écrivait que le canton du Bourg était en proie à la plus affreuse insurrection ; qu’une horde de brigands portait partout le feu et le pillage : « Toutes les nuits (disait-il) on y pille, on y brûle un château... — le mal fait tous les jours des progrès plus rapides ; le remède devient plus difficile, etc. » Le directoire envoyait en même temps une copie du procès-verbal de la municipalité de Saint-Nazaire, en date du 28 décembre, et une copie du procès-verbal de la municipalité du Bourg , en date du 31, qui constataient le pillage et l’incendie de deux châteaux ; il annonçait aussi que l’exprès qui avait apporté le procès-verbal du Bourg, avau assuré qu’on avait incendié les châteaux de la Motte et de la Bruguède. Dans des conjectures aussi critiques, rien n’était plus instant que de prendre une délibération, afin de prévenir, sans retard, de nouveaux désordres: rien n’était plus important non plus, parce que c’était des mesures que nous allions adopter que dépendait le sort de notre mission. En considérant dans leur ensemble tous les faits, tous les événements qui, depuis le commencement de la Révolution, avaient eu lieu dans le departement du Lot, on pouvait démêler dans les auteurs et complices des insurrections, d’un côté, de coupables instigateurs, de l’autre, beaucoup de gens égarés et entraînés. — Il paraissait convenable de contenir les premiers par la terreur, et de les environner d’une force armée, qui pût à la fois prévenir ou réprimer tous leurs mouvements. Ne pouvait-on pas aussi éclairer le peuple, le retirer de son égarement ? La raison n’a-t-elle pas un tel empire, que son langage puisse être 270 [23 avril 1791. J [Assemblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. entendu de tous les hommes, et produire sur eux des effets que n’obtiendrait jamais la seule puissance des armes ? Nous arrêtâmes, par la même délibération, conjointement avec le directoire du département : 1° que M. d’Esparbès, commandant pour le roi des troupes de ligne, serait requis d’appeler dans le département toutes celles qui étaient à sa disposition, d’après les ordres qu’il avait dù recevoir, en exécution du décret de l’Assemblée nationale, du 13 décembre ; 2° qu’il serait fait par nous, commissaires civils, une proclamation, dans laquelle nous expliquerions l’objet de notre mission, et les moyens par lesquels nous entendions l’effectuer. Aussitôt la réquisition fut faite à M. d’Esparbès ; et nous écrivîmes en même temps au ministre de la guerre, pour l’inviter à augmenter le nombre des troupes accordées au département. Il s’agissait aussi de pourvoir particulièrement à la sûreté du district de Lauzerle. 30 hommes de cavalerie y avaient été envoyés, le 24 décembre, par le directoire du département. Un renfort considérable était nécessaire pour la protection du pays ; mais il fallait Je proportionner au nombre de" troupes dont il était possible de disposer; et ce nombre n’était pas considérable. Le 2 janvier, M. d’Esparbés fut requis de faire partir le lendemain, pour ce district, 50 maîtres de Royal-Pologue et 40 hommes d’infanterie. Quant à la proclamation, voici dans quel esprit, Sire, vos commissaires crurent qu’elle devait être faite. Il leur sembla qu’en montrant de la confiance au peuple, ce serait le moyen d’attirer la sienne et que, possédant sa confiance, ils parviendraient plus facilement à le convaincre de ce que son avantage et son devoir exigeaient de lui. Ils lui déclarèrent qu’ils se transporteraient, sans armes et sous la sauvegarde du caractère sacré dont ils étaient revêtus, sous celle des bons citoyens, partout où leur présence serait utile, afin de recueillir toutes les plaintes, d’entendre toutes les réclamations et de donner aux citoyens les explications nécessaires sur les lois. C’était là inviter le peuple à renoncer aux voies de fait et aux violences; ils l’y invitèrent expressément par tous les moyens d’utilité générale et particulière qu’ils purent mettre en usage; ils lui peignirent à la fois et leur vive douleur de la prolongation dès excès, et le grand intérêt qu’avaient tous les départements du royaume à se réunir, à rassembler leurs forces pour réprimer les désordres qui feraient de l’un d’eux un sujet de scandale et d’épouvante pour les autres; ils lui parlèrent aussi de la punition réservée aux instigateurs, de l’arrivée de nouvelles troupes, qui seraient employées à protéger la sûreté, la propriété et les droits des citoyens ; ils l’invitèrent enfin, au nom de cette Constitution qu’il adore, à en mériter les bienfaits : « Rendez-vous digues (lui disaient-ils) de cette belle Constitution qui vous offre tant d’avantages et que vos infatigables représentants ont principalement établie pour vous; ne les affligez plus, n’al'fligez plus un bon roi, qui a tant d’amour pour les Français, par des renouvellements de séditions et de désordres; prenez bien garde que, si vous attentez à un seul point de la Constitution, tous les autres qui vous sont si avantageux, s’écrouleront et tomberont d’eux-mêmes. » Gomme il était désirable de ne rien faire, autant qu’il serait possible, que par l’empire de la persuasion, et de ne recourir qu’à la dernière extrémité à l’appareil militaire, nous invoquâmes le secours de toutes les personnes qui pouvaient, en servant nos vues, servir en même temps la chose publique. Nous écrivîmes une lettre circulaire à tous les maires du département, pour les prier, pour prier les officiers municipaux et les notables de faire connaître à tous les habitants et de leur expliquer même, s’il était nécessaire, les idées et les principes de la proclamation. Nous ajoutons que si la municipalité, le conseil général, la commune en corps ou quelques-uns des habitants en particulier avaient des instructions à donner, des mémoires à remettre, des réclamations à faire, des pétitions à présenter, ils étaient invités à nous les faire parvenir, ou à venir conférer avec nous ; et nous ouvrîmes, de cette manière, une correspondance générale avec tous les citoyens du département. Nous écrivîmes aussi une lettre circulaire à tous les curés : « Le ministère de paix qui nous est confié, leur disions-nous, nous ne voulons l’exercer que par l’empire de la raison, de la persuasion et de la loi. Une telle doctrine est celle de l’Evangile que vous prêchez, et notre mission momentanée se rapproche, en quelque sorte, de la vôtre... Vous recevrez, avec cette lettre, notre proclamation; nous vous renouvelons ici l’invitation de la lire au prône de votre paroisse ; et nous vous prions de plus de l’expliquer à ceux qui ne l’entendraient pas, de la traduire dans le langage qui leur est familier, d'user de la sainte influence que vous avez sur eux pour leur en faire adopter tous les principes ; et si nous parvenons, comme nous avons lieu de l’espérer, à voir la tranquillité rétablie et assurée dans toutes les parties au département, nous aimerons à publier partout que vous avez partagé nos soins, notre sollicitude, et que vous avez été de puissants auxiliaires pour nous dans l’importante mission que nous avons à remplir. » La proclamation, les lettres forent envoyées à leur destination par le directoire du département ; et nous restâmes encore quelques jours à Cahors pour recevoir et lire les mémoires qu’on nous envoyait de toutes parts ; pour prendre sur les faits beaucoup de renseignements nécessaires qui nous manquaient; pour entendre les propriétaires dont les châteaux avaient été incendiés, ou qui avaient encore des inquiétudes sur le sort de leurs propriétés; pour décider enfin, avec les administrateurs du département, quelques points essentiels qui tenaient à la tranquillité publique. Lorsque nous eûmes entendu tout le monde, pris une connaissance suffisante des faits, réglé, d’une manière générale, ce qui était relatif à la tranquillité, noussongeâmes ànous rendre àGour-don. Une lettre de Figeac , dont le procureur général syndic du département nous fit partie 7 janvier, annonçait, dans le district de ce nom, de nouvelles menaces de soulèvement et de nouveaux troubles. Mais la ville et le district de Gourdon avaient été le principal objet de notre mission. L’administration du district n’y était pas encore rétablie, et il était instant qu’elle reprit ses fonctions. D’un autre côté, les administrateurs qui n’avaient pas osé reparaître, et que nous avions vus à Cahors, nous avaient promis de se rendre sur les lieux, en même temps que nous nous y rendrions nous-mêmes. Enfin les nouvelles que nous avions reçues de la municipalité de Gourdon , depuis notre arrivée, n’étaient pas satisfaisantes (1). Nous (1) Extrait de la lettre écrite, le 1" janvier 1791, par | Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 avril 1191.] 277 devons ajouter qu’un riche propriétaire de ce district, M. Vairan, était venu nous prévenir qu’il était menacé, par plusieurs villages, de la démolition de ses habitations, s’il ne leur remettait pas une somme de 24,000 livres, pour des droits que son grand-père avait, suivant eux, perçus injustement; et que les paysans s’étaient ajournés au 11 janvier pour exécuter leurs projets, si, avant ce moment, on n’avait pas accueilli leurs réclamations. Toutes les circonstances nous faisaient donc un devoir de nous transporter, avant tout, dans le district de Gourdon ; et nous résolûmes de partir le 8 janvier, bien décidés à nous rendre ensuite dans les autres districts, où notre présence pourrait être nécessaire. Ici il sera peut-être utile de raconter avec quelque étendue tout ce que nous avons fait dans le district de Gourdon pour y rétablir la paix. Notre mission est la première qui ait eu pour objet de ramener à son devoir un peuple égaré ou coupable, et si le langage seul de la raison, employé dans l’exécution de cette mission, a eu quelque succès, il importe que l’on connaisse les détails de cette heureuse tentative et qu’on sache ce que l’expérience nous a appris à nous-mêmes; c’est que des moyens très simples peuvent avoir de grands et salutaires effets. D’abord, avant de partir, nous sentîmes qu’in-dépendamment de la lettre générale écrite à tous les maires du département, il fallait, dès le moment de notre arrivée dans le district de Gourdon, écrire une lettre circulaire à tous les maires et à tous les procureurs de la commune de ce district, afin de les prévenir que nous arrivions au milieu d’eux pour chercher les instructions qu’ils pouvaient nous donner et recueillir les réclamations dont eux ou les habitants de leurs communes voudraient nous faire dépositaires. Les effets d’une telle correspondance devaient être utiles pour nous, en nous éclairant davantage sur les faits utiles pour le peuple, par les conférences fraternelles que nous aurions avec lui ; et dès lors il nous parut convenable d’adopter la même marche dans tous les districts où nous croirions devoir nous transporter, attendu que partout il y aurait des causes de troubles à vérifier et des agitations à calmer. Il y avait cependant plusieurs communes pour lesquelles une pareille lettre ne paraissait pas suffisante. Il était non seulement important, mais nécessaire d’entendre celles qui avaient montré le plus de résistance à la loi, qui avaient arboré des signes criminels de rébellion, qui renfermaient des perturbateurs publics - Celles-là, nous prîmes la résolution de les inviter, d’une la municipalité de Gourdon, aux commissaires civils. « Un de nos bons citoyens vient do nous apprendre votre arrivée à Gahors* et nous nous empressons de vous témoigner la vive joie qu’elle cause à nos habitants, encore abattus sous le poids de leurs malheurs. Depuis un mois, sans force et sans appui, ils traînent dos jours languissants, et leur ville est exposée chaque jour à redevenir le théâtre de scènes d’horreurs. Nous sommes effrayes nous-mèmes, Messieurs, en envisageant les suites affreuses qu’entraînerait, dans une seconde attaque, l’acharnement des deux partis : si, dans la première, la municipalité a cté assez heureuse pour épargner le sang des citoyens, scs efforts seraient désormais inutiles, et elle aurait la douleur mortelle d’en voir couler des Ilots. La chose publique est donc, Messieurs, dans le plus grand danger : elle réclame do vous un prompt secours ; vous clos nos dieux tutélaires, et ce n’est que par vous que la paix et le calme peuvent renaître dans nos murs cl dans nos campagnes, etc.» manière particulière, à se rendre près de nous, de désigner même un nombre plus ou moins considérable des habitants qui devaient s’y rendre ; afin qu’en parlant à plus de monde, nous répandissions davantage les idées et les principes qui devaient faire succéder à l’anarchie et au désordre le règne de la paix et de la justice. 11 y avait encore une autre mesure à prendre. On nous avaitdit assez généralement que le payement des rentes et l’élévation de signes rébelliotmaires étaient les principales causes des désordres, et qu’il était dangereux de parler de ces deux objets au peuple, dans le sens qui n’était pas conforme à son intérêt ou à sa volonté. Ou nous avait dit aussi que, lorsqu’on lui montrait les décrets de l’Assemblée nationale sur la tranquillité publique et sur le payement des droits seigneuriaux rachetables, il répondait que ces décrets imprimés à Gahors y étaient aussi fabriqués et n’émanaient pas de l’Assemblée nationale. Alors, nous finies imprimer à Gahors ces divers décrets et nous résolûmes d’en distribuer des exemplaires à chaque commune, avec la précaution de les sisrner en présence des habitants des campagnes eux-mêmes, pour en certifier l’authenticité. C’était le moyen tout à la fois et de recommander en général celle de tous les décrets, par la conformité exacte que le peuple apercevrait entre ceux que nous lui remettions et ceux qui lui étaient envoyés par le département. Tous ces différents préliminaires étant réglés, nous partîmes le 8 janvier pour Gourdon. Il faut dire ici que, la veille de notre départ, la municipalité de Gahors nous avait envoyé une députation pour nous demander que deux de de ses membres nous accompagnassent dans notre voyage, afin de nous garantir des dangers ou de les partager avec nous. Mais il n’y avait point de dangers avec un peuple auquel on montrait de la confiance ; s’il y en avait d’ailleurs, ils devaient être pour nous seuls; nous partîmes sans aucune escorte ni militaire ni civile. Le jour où nous quittâmes Gahors était le lendemain d’une foire tenue à Gourdon. Sur notre route, nous rencontrâmes un grand nombre d’habitants de la campagne, qui revenaient de cette foire. Ils entourèrent notre voiture, parurent satisfaits de nous voir, nous demandèrent, sur quelques décrets, des explications que nous nous empressâmes de leur donner; et nous jugeâmes dès lors du salutaire effet qu’avait produit sur eux la proclamation qui, la veille, avait été lue dans les cabarets, sur la place publique, et qui avait été le sujet de tous les entretiens. Cependant un des paysans s’approcha de nous mystérieusement et nous dit que nous trouverions des obstacles sur notre passage dans le village du Vigan, à une lieue et demie de Gourdon. Nous continuâmes notre route. Peut-être que, si nous avions été accompagnés de maréchaussée ou de troupes de ligne, nous aurions en effet éprouvé quelques difficultés. Mais le peuple parut touché de notre confiance. Tous les habitants du Vigan étaient rassemblés dans la me de leur village que nous traversions; nous la traversâmes sans aucune résistance; et nous devons même dire que la garde nationale de ce village voulut nous escorter jusqu’à l’endroit où nous rencon-trâmes celle de Gourdon, c’est-à-dire à environ une lieue de cette ville. Ce n’est pas sans attendrissement que nous nous rappelons ici toutes les marques de bienveillance que nous donnèrent les citoyens de 278 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 avril 1791.) Gourdon et les signes de joie qu’ils firent éclater au moment où nous entrâmes dans leurs murs. Quand nous eussions apporté avec nous tous les moyens de réparer les maux qui leur avaient été faits, et dont ils souffraient encore, il eût été impossible de nous prodiguer plus de témoignages de sensibilité. Dès le lendemain matin, nous nous rendîmes à la maison commune. Il est dans les principes de la liberté que le peuple soit toujours présent partout où l’on discute ses droits, où l’on parle de ses devoirs, et où l’on s’occupe de son bonheur; nous demandâmes qu’il assistât à notre séance. C’était la première occasion que nous avions de parler à la fois à un grand nombre d’hommes et d’exercer sur eux tous, dans un seul moment, l’empire de la raison et de la loi. Le peuple entra en effet; et avant de demander l’enregistrement de nos commissions, ainsi que la communication des procès-verbaux relatifs à l’insurrection, nous ne pûmes nous empêcher de jeter un coup d’œil douloureux sur la situation affligeante du pays. Les plus considérables maisons de la ville dévastées; les riches propriétaires mis en fuite; les administrateurs du district, errant depuis plus d’un mois, séparés de leurs familles et de leurs fonctions; l’administration enfin, non seulement sans forces, mais n’existant plus. Eh! qui souffre, dîmes-nous, de tous ces maux réunis? N’est-ce pas le peuple qui, pour la défense de ses intérêts, s’est créé des administrateurs, et qui, en employant à des soulèvements le temps qu’il doit consacrer au travail, perd des journées utiles, nécessaires même à son existence, et montre ensuite le tardif regret de ce coupable et funeste emploi? Nous lui montrâmes que de grands devoirs étaient placés à côté de ses droits, et que ce n’était point parles voies qu’il mettait en usage, mais par de respectueuses pétitions qu’il devait réclamer et faire valoir ceux-ci. Nous lui annonçâmes que nous venions remettre sur leurs sièges les administrateurs qu’on avait forcés de s’expatrier, et redonner ainsi, à toute l’étendue du district, l’activité et la vie qui lui manquaient. Nous lui rappelâmes qu’il devait sa confiance aux hommes qu’il avait choisis; qu’il devait les respecter, même lorsqu’il leur échapperait quelques erreurs; que s’il avait jamais à se plaindre de ses mandataires, ceux-ci avaient des supérieurs toujours prêts à écouter les plaintes du peuple et à recevoir ses réclamations; mais qu’il renverserait la Constitution, qui était principalementétablie pour son bonheur, si, en exerçant cette justice lui-même, il substituait le despotisme tyannique de la force à la sainte autorité de la loi. Nous l’invitâmes enfin à se montrer confiant en nous, comme il voyait que nous l’étions en lui, et à nous aider ainsi à ramener la tranquillité qu’il était d’un si grand intérêt pour lui de voir renaître. Ce qui devait sans contredit en signaler le retour, c’était le rétablissement du corps administratif de Gourdon dans le plein et libre exercice de ses fonctions. Ce fut là aussi ce qui fixa nos regards; mais il nous parut important que la municipalité du chef-lieu de district, qui avait plusieurs fois invité et pressé les administrateurs de se rendre au vœu des bons citoyens, parût dans cette cérémonie imposante, et préparât, en quelque sorte, par la publicité de sa démarche, l’assentiment universel des communes du district. Nous crûmes aussi devoir attendre le jour où les maires, les procureurs de la commune, les habitants de plusieurs municipalités devaient se rendre à Gourdon; parce que, plus il y aurait de témoins ou de coopérateurs de notre ouvrage, lus il y aurait de personnes qui se croiraient ésormais intéressées à soutenir et défendre l’administration; parce que d’ailleurs les administrateurs, replacés dans leurs fonctions en présence d’un peuple nombreux, s’y croiraient, pour ainsi dire, replacés par le peuple lui-même, et reprendraient plus facilement le courage dont ils avaient besoin, après les excès de tout genre dont ils avaient été les victimes. Nous fixâmes donc au 11 janvier cette sorte de réinstallation, si nécessaire pour les intérêts du district entier. La municipalité de Gourdon nous accompagna au directoire; un grand nombre d’officiers municipaux et d’habitants du district, qui s’étaient rendus près de nous, nous accompagnèrent également. La garde nationale voulut aussi prendre part à cette solennité; et tous les citoyens manifestèrent la joie la plus vive de ce premier pas, qui se faisait avec tant d’accord et d’harmonie vers l’ordre et la justice. Arrivés au district, nous y trouvâmes les administrateurs qui nous avaient promis de venir reprendre leurs fonctions; et là, en présence du peuple que nous voulions toujours rendre témoin de nos opérations, nous développâmes tous les principes constitutionnels sur le pouvoir administratif; et nous finîmes par inviter le peuple à respecter toujours, dans les administrateurs qu’il avait élus, non seulement son ouvrage, mais celui de la loi; à les surveiller, s’il le voulait, parce que dans un Etat libre tout doit être surveillé par tous, mais à ne point entraver, par de fausses critiques et d'injustes clameurs, leurs opérations si multipliées et si pénibles; à craindre, en un mot, pour l’ordre public et pour chaque citoyen en particulier, de refroidir leur zèle et de suspendre leur précieuse activité. Tout le monde parut convaincu de la vérité de ces principes. Déjà le poids de nos fonctions nous parut allégé : et nous allâmes commencer, avec les officiers municipaux et les habitants de différentes communes du district, les conférences que nous leur avions demandées, qu’ils désiraient eux-mêmes, et dans lesquelles nous eûmes soin de rappeler avec force tout ce qui était propre à maintenir la confiance due aux corps administratifs. Ces conférences ont duré pendant 3 jours, les 11, 12 et 13 janvier; et durant cet intervalle, nous avons entendu la plus grande partie des municipalités du district, qui, malgré leur éloignement et la rigueur de la saison, ont mis le plus grand empressement à venir nous chercher. Celles que des occupations pressantes avaient retenues, ou qui avaient reçu trop tard notre invitation, sont venues nous trouver à Cahors; en sorte que nous avons conféré avec presque toutes, et que ce que nous allons raconter est l’histoire fidèle des dispositions dans lesquelles nous avons trouvé les esprits dans le district de Gourdon, et de celles dans lesquelles nous les avons laissés. Ce ne sera u’au moment où nous examinerons les causes es troubles, que nous indiquerons les renseignements que nous avons recueillis sur cet objet dans le même district. Le payement des rentes (1) et la plantation des mais ont été le principal objet de notre entretien avec toutes les municipalités. Dans quelques-unes, on avait payé les rentes (1) Terme usuel du pays pour désigner les droits féodaux. I Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (23 avril t191.| 279 de 1789; et l’on était prêt à payer celles de 1790, si le propriétaire les demandait : mais, dans presque toutes, on n’avait payé ni les unes ni les autres; on n’en refusait pas cependant le payement; mais on ne voulait l’effectuer qu’après la vérification des titres. Plusieurs municipalités étaient même à cet égard en instance avec leurs ci-devant seigneurs; leurs conclusions étaient la demande du titre primordial. Ces mots de titre primordial sortaient à la fois de toutes les bouches, lorsque nous prononcions celui de rentes ; et la raison pour laquelle les habitants de la campagne réclamaientavec tantd’instanceetsi uniformément ce titre premier, c’était à la fois le taux excessif des rentes actuelles, et les surcharges énormes portées dans les reconnaissances. Dans certains endroits, nous a-t-on dit, le paysan paye au seigneur le tiers de ce qu’il récolte, c’est-à-dire trois boisseaux sur neuf; et les surcharges sont de moitié et même des deux tiers de ce qui est porté par le titre primordial; en sorte que celui qui, d’après ce titre, payait autrefois douze quarts de blé, est obligé, d’après les reconnaissances, à en payer dix-huit ou vingt. Les surcharges mettaient les paysans dans le cas de demander des restitutions considérables ; voilà pourquoi iis ne se soumettaient point à la loi qui ordonne le payement provisoire. Les restitutions étaient si fortes, suivant eux, qu’il était possible que le bien du seigneur ne fût pas suftisant pour répondre de ces restitutions, et que par conséquent ils risquaient, par un payement provisoire, de perdre encore la somme qui en serait l’objet. Il y a plus; ces restitutions leur paraissaient si évidemment justes, qu’ils croyaient avoir le droit de les exercer eux-mêmes et sans l’intervention de la loi. Dans quelques endroits, ils étaient allés par attroupement les demander au ci-devant seigneur ou à son fermier, et les avaient obtenues. Telle était à peu près la doctrine du pays sur les rentes. Il était diflicile de la fronder ouvertement; et un seul mot contraire à ces idées, depuis longtemps enracinées dans les esprits, échauffait vivement l’imagination des habitants de la campagne. Heureusement la proclamation les avait disposés à nous entendre. Partout elle avait été accueillie avec attendrissement. Dans un village seulement (et c’est M. Valran dont nous avons déjà parlé, et dont nous parlerons encore, qui nous a raconté ce fait), un paysan s’était permis quelques réflexions contre l’arrivée des troupes : mais un autre demanda si les troupes venaient par ordre de l'Assemblée nationale, et si elles seraient autant pour les uns que pour les autres : on lui répondit que oui, et tout le monde fut content. Nous étions aussi, nous, envoyés par le roi, en exécution d’un décret de l’Assemblée nationale; et ce caractère très imposant conservait toute sa dignité aux yeux du peuple. Aussi nous écouta-t-il avec autant de docilité qu'il avait mis d’empressement à venir nous entendre et conférer avec nous. U nous a paru important, Sire, de placer ici l’analyse de nos entretiens avec les habitants de la campagne, afin que vous puissiez y voir que nous n’avons jamais cherché qu’à les éclairer, et que, si nous sommes parvenus à les convaincre, c’est sans avoir employé le lâche artifice de flatter aucune de leurs passions. Nous commençâmes par convenir avec eux qu’il était possible que les dernières reconnaissances fussent contraires au titre primordial, et qu’elles portassent des surcharges aussi injustes qu’exorbitantes : mais nous leur prouvâmes en même temps, par des exemples tirés de leur propre intérêt, que la possession devait rester à celui qui l’avait, jusqu’à ce qu’elle lui fût ôtée également, et que le décret de l’Assemblée nationale qui avait consacré ce principe, était conforme aux premières notions de la justice. Voici un des arguments qui parurent faire le plus d’impression sur les habitants. Vous avez une maison, disions-nous à l’un de ceux qui nous entendaient; si votre voisin prétendait qu’elle est à lui, vous lui diriez : attendez, pour vous en emparer, que les tribunaux vous en aient adjugélapropriété ; mais jusque-là elle est à moi, je la possède, et je dois en conserver la possession. Vous trouveriez avec raison très injuste, très vexatoire qu’il voulût, par menaces, par voies de fait, par violence, vous dépouiller de cette maison. S’il se pourvoyait par les voies légales, les tribunaux commenceraient par juger en votre faveur la question de la possession, avant de juger celle de la propriété. Eh bien, il en est de même de la rente qui appartient à un ci-devant seigneur, et dont il a joui jusqu’à présent : il doit conserver la possession de sa rente, comme vous voudriez et comme vous devriez conserver la possession de votre maison. Vous ne voudriez pas qu’on usât envers vous de voies illégales et barbares pour vous ôter cette possession : il ne faut pas davantage en user envers lui pour le dépouiller de la sienne. Puis, pourrépondreà cet argument, quine laisse pas d’avoir quelque force en apparence, tiré de ce qu’il peutv avoir des risques à payer un débiteur dont on n’est pas sûr d’être remboursé, nous disions que d’abord de pareilles craintes paraissent chimériques; qu’ensuite on ne peut exiger au plus que 29 années d’arrérages, et que le fond sur lequel est assise la rente est bien suffisant pour répondre de la restitution des surcharges pendant les 29 années; que si le seigneur ne payait pas de ses propres deniers cette restitution, il se formerait une compensation entre ce qu’il doit pour la restitution des surcharges qu’il a perçues injustement, et ce qui lui est dû légitimement pour sa rente; qu’ainsi il n’y avait aucun risque à conli-nuer, jusqu’au jugement du fond, le payement provisoire. On nous avait dit que les seigneurs ne demandaient pas leurs rentes. Ils ne les ont pas demandées, disions-nous, parce qu’il y a eu des attroupements; parce qu’on a menacé dans quelques endroits leurs châteaux, leurs personnes, leurs propriétés. Vous ne demanderiez pas non plus, eD pareil cas, ce qui vous serait dû; et vous attendriez avec impatience le moment où il vous serait permis en sûreté de réclamer vos droits. Les seigneurs ont besoin de ce qui leur appartient, comme vous avez besoin de percevoir le revenu du champ que vous cultivez. Vous souffririez du retard qu’on apporterait à votre jouissance; ils souffrent de celui que vous apportez à la leur. Ne faites pas à leur égard ce que vous ne voudriez pas que l’on fît envers vous. Ce langage n’était que le développement des décrets de l’Assemblée nationale. Le peuple nous écoutait avec la plus profonde attention : nous cherchions à démêler parmi ceux qui nous entendaient , ceux qui n’étaient pas encore convaincus; nous les apercevions facilement; et nos explications, nos conférences étaient plus ou moins longues, suivant le nombre de personnes que nous avions à convaincre et la 280 lAssemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 avril 1791.) résistance que nous remarquions quelquefois dans les esprits. Nous disions encore à ces habitants égarés de la campagne : L’Assemblée nationale a ôté aux seigneurs tous les droits de supériorité qu’ils avaient sur vous; et vous êtes aujourd’hui leurs égaux; mais les seigneurs sont vos égaux aussi, et ils ont droit, comme vous, à la sûreté de leurs personnes et de leurs propriétés. Enfin, leur disions-nous, voyez ce que l’Assemblée nationale et le roi ont fait pour vous. Ils ont détruit la dîme, les corvées, la gabelle, une multitude de droits seigneuriaux aussi onéreux qu’humiliaots; ce droit exclusif de la chasse, qui dévorait à l’avance le fruit de vos travaux. Leur donneriez-vous le repentir de tant de bienfaits, en attentant à des propriétés qu’ils ont déclarées sacrées et en ébranlant, par l’anarchie et le désordre, les fondements d’une Constitution qu’ils ont principalement établie pour vous? Sire, nous éprouvons une bien douce satisfaction à vous le dire; votre nom et celui de l’Assemblée nationale produisaient tout à coup dans les esprits une impression qui, sans nous étonner, nous pénétrait d’attendrissement. A peine avions-nous prononcé ces noms qu’il ne faut plus désunir, que le sentiment de la joie, du bonheur et de la reconnaissance se peignait sur tous les visages •. ces noms, enfin, qui rappelaient tant d'actes de bienfaisance et de justice, étaient, pour les bons habitants de la campagne, les meilleurs de tous les raisonnements et nous ont suffi, plus d’une fois, pour toucher leur âme et convaincre leur raison. Tous ont promis de renoncer pour toujours aux voies de fait et aux violences, de n’exercer jamais leurs réclamations que par les voies légales, d’avoir un saint respect pour les propriétésd’autrui ; plusieurs ont aussi promis de payer les renies, même avant la vérification des titres. La plupart, nous devons Je dire, ne nous ont pas fait cetm dernière promesse; et ils donnaient pour raison l’énormité des restitutions qu’on avait à leur faire, la contradiction qu’il y avait de payer quelque chose à son propre débiteur, et la misère sous laquelle ils gémissaient, tant par les surcharges scandaleuses qu’ils payaient depuis des siècles, que par 2 années de disette. Mais ce qu’ils ont juré solennellement, c’est de se soumettre avec respect aux décisions des tribunaux, et de les exécuter dans le cas même où elles leur seraient entièrement contraires. Nous n’avions rien de plus à exiger; car notre mission était d’arrêter les désordres, de ramener la paix, d’assurer l’exécution des lois, de disposer les citoyens à se faire juger par les tribunaux, et nullement de les juger nous-mêmes (t). Mais nous ne les avons pas (1) Le département du Lot, dans son adresse à l’Assemblée nationale, lors de l’insurrection de Gourdon, après avoir indiqué quelqucs-iius dos moyens propres à ramener l’ordre, ajoutait : « Il resterait encore à porter les peuples au payement des droits ci-devant seigneuriaux ; car les ci-devant seigneurs, ne pouvant les percevoir, se trouvent dans l’impossibilité de payer l’inipôt auquel ces propriétés sont assujetties La nation, qui a daus ce département de très grands revenus de ce genre, s’en trouve frustrée, et le Trésor public est ainsi privé d’une partie très importante de ses fonds. Ainsi les embarras du moment en préparent de très grands pour l’avenir. » Mais », le besoin le plus urgent « sans doute, est celui d’assurer l'exécution des lois, a protectrices de la sûreté et des propriétés des citoyens ; « d’arrêter les progrès d’une insurrection, qui, devenant « générale, pourrait menacer la Constitution elle-même, <« et fournir aux corps administratifs les moyens de la moins prévenus de la condamnation de frais qui rejaillirait sur eux par l’effet d’une contestation injuste et de l’intérêt qu’ils avaient d’éviter ce nouveau malheur. Voilà, Sire, ce qui concerne le payement des rentes. A l’égard des mais, que sont-ils? Y en a-t-il partout? Quelle idée y attache-t-on? C’est à cela que peut se réduire ce qui regarde cel article particulier. Les mais, comme on le sait, sont des arbres très élevés et fort droits, plantés sur la place publique, ou sur la place la plus spacieuse d’un village. Dans tous les villages du district de Gourdon, sans exception, il y en a un, et dans quelques-uns, deux et même trois. Quant à l’idée qu’on y attache, il n’est pas d'efforts que nous n’ayons faits pour la découvrir. Lorsque nous faisions quelques questions à ce sujet, les mots de liberté, de signe de réjouissance pour la liberté, étaient à la lois prononcés par tous. Demandions-nous si on ne croyait pas, comme nous l’avaient dit quelques personnes, que lorsqu’un mai était planté pendant un an et un jour, on se trouvait, au bout de ce temps, affranchi du payement de la rente, et si ce n’était pas là le motif de cette plantation universelle de mais, et de l’attachement qu’on montrait pour eux? On repoussait par le sourire une pareille question ; on ne concevait pas que nous pussions avoir une telle idée ; on nous répondait qu’un morceau de bois, planté dans la terre, ne pouvait pas plus détruire un titre qu’en augmenter la valeur ou en créer un nouveau; et cette réponse simple nous a paru si bonne, que nous nous en sommes presque toujours servis, en la développant, pour convaincre de leur erreur le très petit nombre de personnes qui avaient la superstition de croire que la plantation d’un mai, pendant uu an et un jour, dispensait ensuite de paver les rentes. En général, l’idée qu’on attachait aux mais, lorsque nous avons paru dans le district de Gourdon, c’est celle de la conquête de la liberté; les mais presque partout sont ornés de rubans, surmontés d’une couronne de laurier ou d’un bouquet de fleurs, et portent l’inscription civique : Vive la nation , la loi et le roi. Dans toute l’étendue du district, il n’y avait que trois communes dont les mais portassent un signe d’insurrection : Samt-Cirq, Milhac et Lêobard. A Saint-Cirq et à Milhac, les mais portaient des cribles-, ce qui avait quelque rapport à l’affranchissement des rentes. À Lêobard, le mai était surmonté d’une girouette enlevée par les habitants sur le château du seigneur; ce qui était une espèce de trophée de cette voie de fait, et une sorte d’invitation d’en commettre de semblables. Dans ces trois endroits, on nous a promis que ces signes de sédition ou de désobéissance à la loi disparaîtraient. Les signes de sédition, nous devons le dire, étaient plus multipliés autrefois, et cependant un grand nombre de mais n’en portait aucun. Les mais, d’un autre côté, n’étaient pas aussi multipliés qu’ils le sont aujourd’hui; dans quelques villages, il n’y en avait point; et aujourd’hui, comme nous l’avons dit plus haut, il y en a partout, et quelquefois jusqu’à deux et trois. C’est depuis l’affaire de Gourdon, depuis le triomphe que les paysans ont obtenu sur la troupe de ligne, qui venaiflaire abattre leurs mais, que les mais « défendre contre les entreprises audacieuses de scs cn-n: nemis, etc. » [Assemblée naUonale.1 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 avril 1791.j 281 se sont reproduits partout, et qu’on en a planté, où il n’y en avait pas d’abord. Il devenait difficile, d’après cela, de décider si ces mais devaient ou ne devaient pas subsister. Mais il ne doit y avoir de défendu que ce qui l’est par la loi. La loi ne défend que les signes de sédition et non les signes de liberté. Les mais n’étaient point des signes de sédition par eux-mêmes, puisqu’ils ne portaient que des inscriptions civiques. Ils ne l’étaient point par l'idée qu’on y attachait, puisqu’on n'y attachait en général que celle de la liberté, et nullement celle de l’affranchissement des rentes. Dans plusieurs endroits, les mais avaient été plantés le 14 juillet et avaient, pour ainsi dire, été les témoins du serment que les citoyens avaient prêté à la Constitution. Ce fait cous avait été attesté par plusieurs communes, et il est prouvé par une délibération qui nous fut envoyée le 9 janvier, à Gourdon, par la commune de Genouillac. Voici cette délibération : « Aujourd’hui, 14 juillet 1790, est-il dit, tous les citoyens, étant prévenus que le présent jour a été choisi pour la fédération générale de l’Empire français, se sont rendus dans l’église paroissiale, où a été chantée une grand’messe en l’honneur du Saint-Esprit. A l’issue de ladite messe, MM. les maire, ofliciers municipaux et notables, précédés de la garde nationale sous les armes, et suivis du reste des citoyens, se sont rendus au pied d’un arbre de 90 pieds de haut, planté à cet effet, au milieu duquel était clouée une planche, portant cet écrit : A la Liberté; vive la nation, la loi et le roi! Tous les citoyens ont formé, sur plusieurs rangs un cercle autour dudit arbre, le maire, les officiers municipaux et la garde nationale, étant dans l’enceinte du cercle, on a fait plusieurs5, décharges de mousqueterie, au milieu des cris répétés de : Vive la nation , la loi et le roi. Dès que le calme a commencé, M. le maire a fait un bref discours sur l’auguste cérémonie qu’ils allaient faire; et, après en avoir démontré tout l’avantage, il a prononcé à haute et intelligible voix, et tout le monde a répété avec lui : Je jure d'être fidèle à la nation , à la loi et au roi, et de maintenir , de tout mon pouvoir , la Constitution du royaume. Ce serment prêté, tous les citoyens sont rentrés dans l’église dans le même ordre qu’ils étaient sortis, et ou a chanté un Te Deum en actions de grâces. Tous les citoyens ont témoigné leur plus grande satisfaction et se sont donnés réciproquement les marques de l’attachement le plus fraternel, et ont terminé ce jour à jamais mémorable par un feu de joie préparé, au milieu de la place, par ordre de M. le maire, auquel ils ont tous assisté. — A Genouillac, les jour et an que dessus. Les maire, ofliciers municipaux et notables, signé au registre; Guit tard, secrétaire greffier, » Ce qui est consigné dans cette délibération s’était passé, à peu de chose [très, comme nous l’avons dit plus haut, dans plusieurs communes, et nous avait été attesté par différents ofliciers municipaux et habitants des campagnes. Nous ne pouvions donc blâmer et proscrire que les mais qui portaient quelques signes de sédition, ou qui étaient attentatoires aux propriétés. Mais lorsque les mais étaient des monuments de liberté, lorsque les inscriptions civiques dont ils étaient chargés et toutes les autres circonstances l’annonçaient ; lorsqu’on n’y attachait aucune idée de trouble ou de violation de propriété, nous eussions cru attenter nous-mêmes à la liberté, en les blâmant et les proscrivant; nous recommandions seulement qu’on les regardât aussi comme des monuments de l’obéissance due à la loi. La promesse nous en a été faite ; et, en général, nous pouvons assurer que, dans toute l’étendue du district de Gourdon, les mais ne doivent être le sujet d’aucune espèce d’inquiétude. Le fait seul de la demande du titre primordial, formée par les paysans, suffit, d’ailleurs, pour prouver qu’ils n’attachent point à la plantation d’un mai l’idée de l’affranchissement des rentes. Tel est le résultat de nos idées, et tel est aussi celui de nos conférences avec les habitants du district de Gourdon, sur le payement des rentes et sur les mais. Il fallait tâcher aussi de les guérir de frayeurs exagérées et chimériques qu’ils avaient les uns des antres. Si, dans quelques villages, les habitants ont planté des mais, c'est, disaient-ils, parce qu’ils avaient eu peur des paroisses voisines qui les avaient menacés d’une incursion dans le cas où ils ne feraient pas comme elles. S’ils ne payaient pas de rentes, c’est par un effet de la même crainte. S’ils étaient allés à Gourdon lors de l’insurrection, c’est encore par la même raison. Les officiers municipaux de quelques villages nous ont dit aussi que, s’ils avaient paru à la tête de quelques attroupements, c’est parce qu’ils y avaient été contraints par le village entier, et qu’ils n’avaient pu résister à la force. Nous avons d’abord représenté aux habitants, que, s’il n’y avait dans un village que des hommes amis de l’ordre et de la paix, ils ne craindraient ni les menaces ni les incursions de leurs voisins, parce qu’en se coalisant pour le bien, ils parviendraient facilement à en imposer aux perturbateurs publics; et nous ajoutions que de bons citoyens exécutaient la loi, sans s’inquiéter de savoir si les autres l’exécutaient, et sans craindre les menaces de ceux-ci. Vos commissaires, Sire, n’ont pas omis non plus de remettre sous les yeux des offici rs municipaux, les engagements sacrés que ceux-ci avaient contractés envers la patrie, en acceptant les places dont ils avaient été honorés : ils leur ont représenté que leur premier devoir était de donner l’exemple de la soumission à la loi, et que des citoyens fidèles mouraient victimes de leur patriotisme, plutôt que de se déshonorer par une lâche condescendance aux vues de la multitude. Nous leur avons dit que si, dans les circonstances critiques, ils avaient soin d’appeler à eux tous les bons citoyens, de leur demander l’appui de leurs forces, ils formeraient, par une telle réunion, un nombre bien plus considérable que celui des ennemis de la chose publique, et qu’ainsi il leur serait facile de braver toutes les menaces. Enfin, nous les avons engagés à parler souvent au peuple, à l’éclairer sur ses devoirs, à lui montrer son véritable intérêt dans la sou-missionà la loi. Plusieurs fois nous avons éprouvé la puissance de ces fraternels entretiens sur les esprits les plus rebelles. En voici un exemple, Sire, dont vous n’entendrez pas, sans quelque intérêt, les détails. M. Valran, dont il a déjà été parlé, était venu à Cahors nous faire part des menaces dirigées contre lui, ajoutant que, pour les effectuer, les paysans s’étalent ajournés au 11 janvier; et il nous avait remis, à cet égard, un mémoire dans lequel il réclamait vivement notre appui. Le 1 J janvier, il vint nous trouver à Gourdon, et nous [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (23 avail 1791. | 2<82 assura que ses alarmes étaient plus fondées que jamais. 11 nous remit un secoûd mémoire, qui est encore entre nos mains, et dans lequel il exposait que les paysans d’un canton qu'on nomme la Bouyrianne, lui demandaient collectivement 24,000 livres, ou environ , de restitution, et qu'ils se proposaient d’obtenir l’effet de leur demande à main armée , demain ou après-demain pour le plus tard. Pour calmer les craintes de M. Valran, nous lui dîmes que, dans un moment où les envoyés du roi se trouvaient au milieu du peuple, il était difficile de penser qu’il se livrât encore à des actes de violence ; surtout après les marques éclatantes de confiance qu’ils avaient reçues de lui, et lorsque nous invitions tous les citoyens à nous adresser leurs réclamations et leurs plaintes. Nous engageâmes M. Valran à écrire sur-le-champ à ses emphytéotes, et à les inviter, de notre part, à se rendre près de nous. Il leur écrivit, en effet; et le soir même, 12 ou 15 paysans, députés par 6 paroisses, vinrent nous trouver pour nous raconter le sujet de leurs réclamations. Ils avaient amené avec eux un praticien qui pût les défendre. Ce fut contre lui principalement qu’il fallut argumenter. Ses objections étaient nombreuses ; toutes furent réfutées ; et il finit par être convaincu que les réclamations des habitants de fa Bouyriane n’étaient pas fondées. Il restait à éclairer ceux-ci. Nous commençâmes par leur prouver que, dans le cas même où leur prétention serait juste, il ne leur serait permis de l’exercer que par les voies légales : nous leur prouvâmes ensuite qu’elle ne l’était pas; et, après de très longues explications de part et d’autre, ils s’en retournèrent non seulement convaincus que dans toutes les circonstances il ne faut faire valoir ses droits que devant les tribunaux, et qu’il est criminel de vouloir se faire justice à soi-même; mais convaincus encore que leur réclamation était destituée de fondement, et résolus tous à l’abandonner. Ce n’était pas assez de conférer avec les habitants des campagnes : il fallait entendre toutes les personnes dont les propriétés avaient été pillées ou incendiées, soit lors de l’insurrection de Gourdon, soit quelque temps auparavant. Les religieuses de Sainte-Claire avaient aussi souffert quelque dommage ; leur maison avait été forcée ; elles s’étaient vues contraintes de fuir chez un voisin : nous nous sommes transportés chez elles, afin de ne négliger aucun des renseignements dont nous avions besoin. Enfin, il était important d’entendre celui qui avait joué un si grand rôle dans l’insurrection de Gourdon. Il demeure à deux lieues environ de cette ville; nous lui écrivîmes pour l’inviter à se rendre près de nous; il s’y rendit avec son frère qui lui avait servi, en quelque sorte, de premier aide de camp; et nous eûmes une très longue conférence avec eux. Mais ce n’est pas encore le moment de rendre compte du résultat de cette conférence. Nous racontons nos différentes opérations dans le département, avant d’entrer dans aucun détail sur les faits qui ont déterminé notre mission. Celle que nous avions pour le district de Gourdon, en particulier, paraissait achevée. L’administration du district était rétablie dans ses fonctions; les agitations du peuple étaient calmées; son âme paraissait dirigée vers de meilleurs sentiments, et son esprit vers de plus saints principes. Nous avions recueilli, sur tous les faits, les éclaircissements qui étaient nécessaires; encore une fois, tout paraissait terminé. Cependant le corps municipal de Saint-Germain, qui était venu en totalité, et avec plusieurs habitants, nous trouver à Gourdon, nous avait fait envisager comme extrêmement utile, pour la durée de la tranquillité publique, notre apparition seulement dans le lieu même qui avait été le foyer de l’insurrection : il nous avait priés instamment de nous y rendre avant de retourner à Cahors ; et le 14 janvier, nous quittâmes Gourdon pour aller à Saint-Germain. Le maire et un officier municipal nous attendaient à une lieue environ de leur village, pour nous réitérer leurs instances. Bientôt nous aperçûmes la municipalité et la garde nationale qui venaient au-devant de nous. Tous les habitants, au nombre de 1,800 environ, étaient répandus dans les rues du village. Nous nous rendîmes à la maison commune: c’étaient deux petites chambres qui pouvaient à peine contenir les officiers municipaux et le conseil général. Il était cependant important, Sire, que le peuple entendît vos commissaires; il en avait d’ailleurs manifesté le désir: on nous proposa d’aller à l’église; nous y allâmes. Bientôt elle fut remplie de tous les habitants. Un silence profond y régna à l’instant même. Nous rappelâmes au peuple que c’était lui qui avait donné aux autres villages le signal de la révolte; que c’était lui qui était la première cause de tous les désordres survenus à Gourdon et dans tout le département; nous parlâmes avec la plus grande sévérité contre ses déplorables excès: nous ne craignîmes pas, seuls au milieu d’un peuple nombreux, de dire qu’il était dans l’iutention de l’Assemblée nationale que les vrais coupables fussent punis; qu’elle l’avait décrété, et que les tribunaux exécuteraient ses intentions. Nous dîmes aux habitants en général qu’ils se devaient à eux-mêmes, et qu’ils devaient à la chose publique, de donnera tous les autres villages l’exemple du repentir et de l’obéissance, après avoir donné celui de la rébellion et de tous les genres de désordre; que c’était la seule manière de réparer en partie tout le mal qu’ils avaient fait. La raison et la loi furent tour à tour invoquées par nous pour toucher et convaincre les esprits: dans ce temple de la religion, la religion aussi fut appelée à notre aide ; un membre du conseil de l’administration du département (1), qui demeure à Saint-Germain, et qui se trouvait là, ajouta quelques paroles aux nôtres. Il proposa aux habitants de nous donner à l’instant même la preuve de leur repentir et la promesse d’une meilleure conduite à l’avenir, en renouvelant en notre présence, et entre nos mains, le serment civique. Sur-le-champ, cette proposition fut accueillie avec transport et exécutée; et nous partîmes, recevant de toutes parts des actions de grâces, et, de chacun en particulier, le renouvellement des promesses publiques qui venaient de nous être faites. De là, jusqu’à Cahors, les municipalités et les gardes nationales de plusieurs villages nous donnèrent les témoignagnes les plus éclatants de leur confiance et de leur attachement. Elles nous promirent toutes la plus exacte soumission à la loi ; et nous n’eûmes à notre retour que des nouvelles satisfaisantes à donner au directoire du département sur cette partie de notre mission. Notre dessein, après avoir pacifié le district de Gourdon, était d’aller dans celui de Lauzerte, (1) M. Lerticux. (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 avril 1791.] 283 pour y rétablir de même la tranquillité. C’était pour lui particulièrement que la proclamation avait été faite; c'était du moins à l’occasion des troubles qui s’y prolongeaient encore, lors de notre arrivée dans le département. Nulle part le mal n’avait été aussi grave, et n’avait eu autant de durée; en sorte que, sans l’inactivité de l’administration du district de Gourdon, qu’il était essentiel de faire cesser, et si ce district particulier n’eût pas été l’un des principaux objets de notre mission, nous nous serions, avant tout, rendus dans celui de Lauzerte. Vous concevez, Sire, d’après ces faits, combien nous étions impatients d’y porter nos pas. Toutes nos dispositions étaient faites en conséquence, et notre résolution annoncée. Mais une incursion de paysans, arrivée la nuit du 2 au 3 janvier dans l’abbaye d’Espagnac, à quatre lieues de Figeac, et une grande agitation qui existait encore dans les esprits, firent craindre au directoire du département de plus grands désordres. Il crut très urgent de les prévenir, pensa que notre présence produirait un plus grand bien dans le district de Figeac, que dans celui de Lauzerte, où, disait-il, la tranquillité renaissait. Il nous pria même, par une délibéra-ralion expresse, de nous rendre dans ce premier district. Voici cette délibération: <« Lecture faite de deux lettres adressées à M. le procureur général syndic, du district de Figeac, le 11 du courant, ensemble d’une pétition adressée au directoire et à MM. les commissaires civils, par les dames religieuses du monastère d’Espagnac le 14 du même mois, etc.; * Ouï le procureur général syndic; « Le directoire du département, considérant que la présence de MM. les commissaires civils est plus nécessaire, dans le moment, au district de Figeac, qu’à celui de Lauzerte, attendu que les troubles semblent cesser et se calmer dans ce dernier, tandis que, dans celui de Figeac, il existe des mouvements qui font craindre une explosion et des progrès qu’il importe de calmer, et qu’il est d’ailleurs urgent de pourvoir à ce que les menaces faites auxdites religieuses, et par elles dénoncées, ne soient point effectuées; arrête que MM. Godard et Robin, commissaires civils, envoyés par le roi, seront et demeurent priés de se transporter incessamment dans ledit district de Figeac, au lieu d’aller dans celui de Lauzerte, comme ils eu avaient formé le projet. » Cette délibération est du 16 janvier. Nous crûmes d’autant moins pouvoir résister au vœu qui nous était ainsi manifesté par les administrateurs, qu’ils avaient, sur le pays et sur le caractère des habitants, des connaissances légales, que nous, étrangers, nous ne pouvions pas avoir au même degré. Nous nous déterminâmes donc à changer la direction de notre marche, et le 17 janvier nous partîmes pour Figeac. Dans le séjour momentané que nous fîmes à Cahors, il se passa un événement assez remarquable, dont nous croyons devoir dire ici quelque chose, puisqu’il a influé manifestement sur la tranquillité d’une ville, qui a donné pendant longtemps les plus grandes inquiétudes à la France. Les régiments de Touraine et de Royal-Pologne étaient en garnison à Montauban, en vertu d’un décret de l’Assemblée nationale. Le 1er janvier, l’Assemblée, jugeant que l’un de ces deux régiments suffisait pour maintenir l’ordre dans cette ville, et que l’autre pourrait être employé utilement ailleurs, si un décret antécédent ne semblait s’opposer à ce qu'il fût retiré de Montauban, déclara que ce décret n’apportait aucun obstacle à ce que le roi disposât, selon le besoin, du droit que lui donnait la Constitution de régler le mouvement des troupes. Vous ordonnâtes, Sire, que le régiment de Royal-Pologne sortirait de Montauban, et vous autorisâtes M. d’Esparbès à disposer, comme il le jugerait convenable, des détachements de ce régiment, tant pour rétablir le calme dans le département du Lot, que pour le maintien de la tranquillité publique dans les autres parties de son commandement. Le 15 janvier, M. d’Esparbès écrivit au directoire du département que l’annonce du départ du régiment de Royal-Pologne produisait dans la ville de Montauban une fermentation qui pouvait avoir les suites les plus funestes : « Les officiers du régiment de Touraine (ajoutait-il) sont venus en corps me prier d’en conserver un détachement pour protéger leur autorité vis-à-vis des soldats. Une pétition, signée de plus de 700 habitants, m’a été présentée hier au soir, avec une lettre qui contient les expressions de la crainte et de la terreur ; j’ai répondu verbalement que j’y aurais égard ; je suis exhorté à concourir avec MM. les commissaires civils à rétablir la tranquillité dans le département du Lot et, pour remplir cet objet, le roi me laisse le maître d’employer des détachements de Royal-Pologne, quoique les guidons soient à Agen. Je vous prie de vous concerler avec MM. les commissaires civils, dont je requiers, par votre canal, les avis et la présence. » Getle lettre fut envoyée en grande diligence à Cahors; 2 membres du département nous l’apportèrent. Nous étions alors avec M. Dupuy-Montbrun, commandant général des gardes nationales du Lot, excellent citoyen, qui, dans les troubles de Montauban, a donné les preuves du plus généreux dévouement et du patriotisme le plus pur (U . Il avait quitté Montauban le même jour que la lettre avait été écrite, et était en état de nous donner des renseignements sur lesquels nous pouvions compter. Il nous assura que toutes les craintes étaient sans fondement; et que M. d’Esparbès, par son ascendant sur les soldats, et les précautions que sa prudence lui suggérerait, serait maître de prévenir toute espèce d’insurrection. Notre avis fut donc que les ordres du roi devaient recevoir leur exécution ; et cet avis, adopté par le département, fut envoyé à M. d’Esparbès. Mais, le lendemain, un exprès apporta une pétition signée de plus de 1,000 habitants de Montauban, qui confirmaient les nouvelles de la veille, et qui demandaient la conservation d’un détachement de Royal-Pologne. Il parut prudent, pour n’avoir aucun reproche à se faire, de consulter le directoire du district et les commissaires municipaux. Nous attendîmes jusqu’au lendemain leur réponse; elle n’arriva point. Et comme nous avions fixé le jour de notre arrivée à Figeac, et déterminé le temps que nous y resterions, nous partîmes le 17 janvier pour nous y rendre. Mais nous annonçons dès à présent que, sur l’avis du directoire du district et des commissaires municipaux, le directoire du département persista dans l’arrêté qu’il avait pris conjointement avec nous; et que l’exécution de cet arrêté (1) M. Dupuy-Montbrun a fait des prodiges de valeur dans la fameuse journée du 10 mai. Plusieurs fois sa vie a été en danger. Le peuple, reconnaissant de tout ce qu’il a fait pour lui, ne prononce son nom qu’avec attendrissement, et en le comblant de bénédictions. 284 I Assemblée nationale.! AhCHIVES t'AKLEMEISTAlUES. [23 avril 1701. | on plutôt des ordres que Votre Majesté avait donnés pour le départ du régiment de Royal-Pologne, a été le signal d’un calme parlait pour la ville de Montauban. Il y avait eu récemment dans le district de Figeac 2 insurrections: l’une vers la fin de décembre, dans la communauté d’Issepts, pour faire restituer par le fermier les rentes qu’il avait perçues. Cette insurrection avait été l’ouvrage de quelques instigateurs, qui allaient de force enlever les bons citoyens de leurs maisons, pour en grossir leur attroupement; mais les rentes avaient été rendues depuis au fermier par plusieurs de ceux qu’on avait forcés de les réclamer. L’autre insurrection avait eu lieu la nuit du 2 au 3 janvier. Les paysans de plusieurs villages étaient venus, à main armée, autour du monastère des religieuses d’Espagnac, pour demander la restitution des frais auxquels ils avaient été condamnés, il y a environ 20 ans, dans un procès qu’elles avaient, disaient-ils, gagné injustement, et pour n’avoir pas communiqué leurs titres. Des coups de fusils furent tirés, quelques effractions furent faites; mais l’aumônier arriva, parvint à se faire entendre des paysans, qui déclarèrent ne vouloir faire de mal à personne; leur promit qu’il leur serait rendu justice par Mme la supérieure; réussit ainsi à les calmer; et l’attroupement se dissipa. Ces 2 insurrections, qui étaient la suite de quelques autres dont nous aurons occasion de parler dans la seconde partie de notre rapport, jetaient l’alarme dans tous les esprits; aucun propriétaire ne se croyait en sûreté ; et, en effet, fa plus vive agitation régnait dans toute l’étendue du district. G’estlà que, pour arrêter les progrès du mal ,nous comptâmes particulièrement sur l’effet de nos entretiens avec le peuple ; et l’emploi de la force armée ne nous parut encore gu’une ressource ultérieure, dont il ne fallait faire usage qu’à la dernière extrémité. Nous avions d’ailleurs, dans ce district même, un exemple frappant, qui, en venant à l’appui de notre opinion, nous prouvait toute l’efficacité des moyens de douceur et de persuasion. Nous trouvons cetexemple dans une lettre écrite le 11 janvier, par le procureur syndic du district de Figeac (1), au directoire du département ; et nous saisissons avec empressement l’occasion de rendre à cet administrateur citoyen, par le seul récit des faits, et en rapportant les principaux détails de sa lettre, l’hommage dû à son patriotisme et à ses lumières. Après avoir raconté que, sur la dénonciation delà supérieure d’Espagnac, le directoire du district avait arrêté d’envoyer dans le couvent un détachement de 25 hommes du régiment de Languedoc; il ajoute que ces 25 hommes ne furent pas plutôt arrivés sur les lieux, qu’il se forma un attroupement armé, pour savoir pour quoi et par quel ordre ils arrivaient; que le sergent qui commandait le détachement se présenta sans armes, expliqua ses ordres aux paysans ; et que ceux-ci, après plusieurs menaces, finirent par se retirer, en promettant néanmoins de revenir le dimanche suivant. Il dit encore qu’un particulier de Figeac, qui se trouva dans ce moment à Espagnac, courut à toute bride répandre cette nouvelle dans la ville ; que les officiers du régiment se transportèrent sur-le-champ dans la salle du district; que les membres du directoire se rassemblèrent il) M. Cassaignes. tous, quoiqu’il fût déjà dix heures du soir, et qu’onétaitsur le pointd’arrêterque toute la troupe serait envoyée à Espagnac pour secourir le détachement qui y était, lorsqu’il crut s’apercevoir que cet arrêté faisait grand plaisir à certaines personnes dont il n’avait pas lieu d’approuver les principes. — « Je profitai de ce moment (écrit-il) pour m’opposer au départ de la troupe, et je m’offris pour aller sur les lieux m’instruire personnellement du sujet de l’insurrection. Je refusai toutes les offres que me firent les officiers de m’y accompagner, et je pris pour compagnon de voyage un homme brave, mais doux et bien intentionné, d’un état non suspect; c’était le sieur Miret, teinturier. Le mauvais temps nous empêcha de partir avant quatre heures et demie du matin ; et, nous étant égarés dans les bois, nous n’arrivâmes à Espagnac qu’à 10 heures et demie. Nous nous rendîmes au couvent; nous eûmes une conversation avec la supérieure, et de suite nous passâmes la rivière quoique débordée. Nous nous rendîmes à Breingues, dont on nous avait dit que partait le désordre ; nous parlâmes au maire, au procureur de la commune, au sieur Vedrune, officier municipal, et à tous ceux qui se rendirent à notre arrivée chez le procureur de la commune. Nous employâmes tout ce que nous avions de persuasion pour les convaincre des torts de ceux qui, sous prétexte d’un vieux procès de 20 ans, s’étaient poriés à ces excès. Ils ne voulurent pas s’avouer en être les auteurs; mais ils nous promirent, sur leur honneur, qu’ils ne permettraient pas qu’ils se continuassent. De retour à Espagnac, nous fûmes joindre un peloton de gardes nationaux rassemblés dans un cabaret; nous les prêchâmes de notre mieux, ils nous firent mêmes promesses. Le dimancheest passé, et nous n’avons reçu aucune mauvaise nouvel le. Nous nous estimerions trop heureux, si nous avions pu parvenir à tout pacifier par un moyen aussi simple; mais, quoi qu’il en arrive, nous ne ferons pas inconsidérément partir delà troupe. Nous nous apercevons que, bien loin de calmer, ça ne fait qu’irriter ou du moins échauffer les esprits ; et ce sera, à l’avenir, le dernier moyen que nous tenterons ; il faudrait que les circonstances fussent bien difficiles, si nous nous résolvions à employer la force armée. » Celte lettre était en date du 11 janvier. Elle nous fut remise par le procureur général syndic du département, à notre retour de Gourdon; et dès lors même, nous nous applaudîmes de ce que, dans deux districts opposés, et dans le même temps, les mêmes moyens avaient été mis en usage avec un égal succès. Notre marche était donc toute tracée dans le district de Figeac, tant par ce qui y était déjà arrivé que par l’heureuse expérience que nous avions retirée de notre voyage de Gourdon ; et nos conférences avec le peuple commencèrent dès le lendemain de notre arrivée. Elles ont duré trois jours entiers, comme à Gourdon, c’est-à-dire les 19, 20 et 21 janvier; et pendant cet intervalle, nousavons entendu 83 municipalités. sur 90 qui existent dans le district. Là, nous avons trouvé les esprits bien plus intraitables et moins faciles à manier qu’à Gourdon ; plus de mais insurrect ionnaires, c’est-à-dire chargés de cribles et de mesures, quoique, en général, les mais soient en moins grand nombre, et que dans plusieurs villages il n’y en ait pas un seul; nous avons trouvé aussi plus de villages qui avaient payé les rentes de 1789 et de 1790, mais plus de résistance à les payer à l’aveuir. |23 avril 1791. j 285 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. Nous avons entendu, enlin, un plus grand nombre de plaintes sur toutes sortes d’objets ; sur les communaux que les paysans demandent à partager, sur le taux du rachat qu’Ls trouvent trop considérable, sur L'indivis qu’ils disent être un droit vexatoire, sur les mesures qu’ils assurent qu’ou a falsifiées et agrandies. Nos représentations, nos raisonnements, nos invitations à la paix, et nos menaces de la sévérité ont été les mêmes qu’à Gourdon. Seulement nous avons été obligés de les reproduire sous plus de formes, et de prolonger davantage nos entretiens, à raison de la résistance que nous apercevions. Mais toujours nous avons lini par vaincre cette résistance; il n’a fallu, pour y parvenir, que plus de patience et de temps. Ou nous a fait là toutes les promesses qu’on nous avait faites à Gourdon; et nous comptons d’autant plus sur leur efficacité, qu’elles nous ont été faites à la fois par plus de citoyens. Les maires et procureurs de la commune des différentes municipalités du district ne venaient pres-ue jamais seuls; un grand nombre d’habitants e leur village les accompagnaient; il en est venu quelquefois jusqu’à 50 de chaque paroisse ; nulle part nous n’avons vu autant de municipalités et un aussi grand nombre d’habitants de chacune d’elles, que dans le district de Figeac ; et nous avons cru remarquer que ce district, étant celui de tous ceux que nous avons parcourus, où il y avait eu le moins de désordres, c’est par cette raison que les habitants venaient près de nous en plus grand nombre, se présentaient avec plus de hardiesse, et nous parlaient avec un ton plus fier. De ce district, nous comptions aller directement dans celui de Lauzerte, où nous avions toujours pensé que notre présence était d’une absolue nécessité, et où nous regrettions vivement de n’avoir pu nous rendre plus tôt; mais la veille de notre départ, le 31 janvier, nous reçûmes, par un exprès, une lettre de M. le procureur général syndic du département, par laquelle on nous annonçait que les désordres se prolongeaient encore dans le pays, où l’on avait cru cependant que la tranquillité commençait à se rétablir; que deux châteaux venaient d’y être brûlés; que la partie du district de Cahors, qui avoisine l’une des extrémités de celui de Lauzerte, se ressentait de la funeste commotion qui agitait encore celui-ci; que 15 prisonniers avaient été faits par la troupe de ligne, immédiatement après la dévastation du second château; que le directoire du département avait envoyé 30 hommes de plus dans le district de Lauzerte; et la lettre de M. le procureur général syndic finissait ainsi : « Vous jugerez aisément, Messieurs, qu’après que vous aurez fait à Figeac tout le bien qu’on a droit d’y attendre de vous, votre présence sera infiniment nécessaire à Cahors. Le directoire sera impatient de vous y voir arriver. » Dès le lendemain, 22 janvier, au lieu de nous rendre directement à Lauzerte, comme c’était notre projet, nous partîmes pour Cahors, où nous pensions, u’après la lettre de M. le procureur général syndic, que nous avions des délibérations décisives à prendre. Nous n’y prîmes aucune délibération importante, et nous nous bâtâmes de nous transporter à Lauzerte, d’où il semblait que jusqu’à présent tout avait concouru à nous éloigner. Là, Sire, l’affliction de vos commissaires fut profonde; et ils manifestèrent, dans toutes leurs paroles, une grande sévérité. Cette affreuse continuation de désordres semblait accuser à la fois, et le caractère du peuple, pour qui les ménagements n’étaient pas de saison, et notre marche elle-même, cette marche de persuasion et de confiance, par laquelle nous avions cru devoir exécuter notre mission. Quoi, disions-nous à ceux qui nous entendirent les premiers, c’est lorsque les envoyés du roi étaient au milieu de vous; c’est lorsqu’ils vous invitaient à les rendre dépositaires de vos réclamations et de vos plaintes; c’est lorsque vous aviez lu toutes les paroles de paix qu’ils vous adressaient dans leur proclamation, que vous avez continué vos incendies et vos pillages? Vous étiez coupables; mais peut-être aurait-on pu vous croire égarés; aujourd’hui l’on ne verra plus en vous que des criminels, pour qui l’indulgence serait elle-même un crime. A l’instant, on nous assura qu’aucun désordre n’avait été commis depuis la publication de la proclamation. Il nous était difficile de croire un pareil fait. La proclamation, dîmes-nous, fut publiée dans toute l’étendue du district de Gourdon, le 9 janvier ; votre district est encore plus rapproché de Cahors que celui de Gourdon; c’est d’ailleurs pour votre district particulièrement que notre proclamation avait été faite; elle a dû enfin être publiée partout à la même époque. On nous assura de'nouveau qu’elle n’avait point été publiée le 9; que, loin de l’avoir été dans ce temps, elle ne l’avait été que le 23 janvier; quelques municipalités nous attestèrent même qu’elles l’avaient reçue trop tard pour la publier le 23, et qu’elle ne pouvait l’être que le dimanche suivant. Nous eûmes soin de nous faire donner l’assurance d’un fait aussi important pour nous, par les certificats d’un très grand nombre de municipalités. Bientôt nous en acquîmes la certitude par le directoire même du district, qui, instruit de nos recherches à cet égard, s’empressa de nous apporter un mémoire justificatif dans lequel il prouvait que les proclamations n’étaient parties de Cahors que le 13 janvier; qu’elles n’arrivèrent que le 15 à Lauzerte; que du 15 au lendemain, qui était un dimanche, l’intervalle n’avait pas été assez considérable pour faire les envois; qu’ils n’avaient été faits que dans la semaine suivante; et que c’était la raison pour laquelle la proclamation n’avait été publiée que le 23. Nous nous rappelâmes alors cette phrase de la lettre que nous écrivit, le 19 janvier, à Figeac, M. le procureur général syndic du département : Le directoire voit avec la plus vive douleur les désordres se propager, et le peuple sourd à la voix des envoyés du roi, se laisser entraîner partout dans les mômes égarements. Le peuple n’avait point été sourd à notre voix, puisqu’il ne l’avait point entendue; puisque nous étions dans le département du Lot comme des étrangers pour le district de Lauzerte, et que les habitants de ce district ignoraient entièrement notre existence. Notre courage alors se ranima; et si nous avions à gémir sur une longue et déplorable suite de désordres, nous ne désespérâmes pas au moins de convaincre le peuple de cette contrée, comme nous avions déjà convaincu celui de Gourdon et de Figeac, que son intérêt et son devoir lui faisaient un besoin de la paix et de la soumission aux lois. Cette conviction, nous l’avons opérée. Lorsque nous avons parlé au peuple de ses excès, il a avoué ses torts, et en a montré le plus sincère repentir. Lorsque nous avons parlé des effels volés dans 286 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 avril 1791.] les châteaux incendiés ou pillés, et de la nécessité de les restituer, les officiers municipaux ont fait, à cet égard, les plus grandes diligences ; et avant même que nous eussions quitté Lauzerle, on nous a apporté des procès-vernaux qui attestaient que nos intentions avaient été remplies-Nous avons parié aussi des reconnaissances de rentes exigées de quelques ci-devant seigneurs, ou offertes par eux pour sauver le reste menacé de leur patrimoine; le peuple a senti facilement l’illégalité, la nullité de pareils actes, l’injustice qu’il y aurait de les conserver dans le cas même où ils seraient valables; et l’on n’a pas hésité de nous les remettre. On demandait l’élargissement des prisonniers; on sollicitait de l’indulgence pour eux, nous avons répondu que l’indulgence était pour l’égarement; mais que le crime devait avoir sa peine; que, parmi les auteurs et les complices des troubles, il y avait des coupables qu’il était indispensable de punir. On a senti les motifs de cette nécessité; on les a avoués; on finissait seulement par dire que si on punissait le peuple, il fallait aussi punir les nobles, qui, disait-on, par leur rassemblement armé, et leurs vexations, sont cause de tous les malheurs arrivés dans ce district. Quant aux mais, nous avons éu très peu de chose à dire sur cet objet; il n’en existe presque point dans ce district ; et aucun ne porte de signes d’insurrection. Mais dans aucun, ou presque aucun village, on ne paye les rentes. De toutes parts nous avons reçu des plaintes sur les surcharges. Nous avons répété là ce que nous avions déjà dit ailleurs sur les principes de la possession, sur le recours à la loi; et nous avons été entendus de tout le monde. Si dans aucun district il n’y avait eu autant de désordres, dans aucun peut-être il ne s’est montré autant de repentir. Le temps était trop court pour permettre aux paysans d’en multiplier les actes à leur gré; ils nous promirent de nous apporter à Gahors de nouvelles preuves de la ferme résolution où ils étaient d’expier leurs égarements ; et nous parlerons tout à l’heure de l’empressement avec lequel ils ont acquitté leur promesse. En quittant Lauzerte pour nous rendre à Gahors, nous passâmes par Moissac et par Mon-tauban. A Moissac, l’accord régnait entre tous les esprits; et nous n’éprouvâmes dans cette ville, que des sujets de contentement (1). Notre présence (1) Co fut à. Moissac que nous reçûmes la visito d’un conseiller honoraire au parlement de Toulouse, dont le nom et les venus vivront à jamais dans notre souvenir. M. Rernard-Saint-Jeau (c’est son nom), proprietaire de la terre de Marcillac, n'avait jamais fait que du bien à ses censitaires, et avait néanmoins eu la douleur de voir brûler son château, l’un des plus beaux et des mieux meublés du département. Ses plaintes si douces, et toutes les paroles dont il les accompagna, sont encore présentes à notre esprit. Ce n’est pas le peuple qui est coupable, nous disait-il ; il a été égaré ; je ne lui eu veux pas ; je recommencerais à lui fairo tout le bien que je lui ai déjà fait ; cl pendaut la plus grande partie du temps qu’il fut avec nous, il ne s’occupa, pour aiusi dire, qu’à chercher des motifs d’excuse au peuple. Il nous parla aussi des pertes énormes qu’il avait faites; mais ce qu’il regrettait le plus, c’était uu cabinet de livres qu’il avait choisis lui-mème, c’était Y Encyclopédie méthodique, à laquelle il attachait le plus grand prix; il revenait toujours à ses livres, à son Encyclopédie, et il nous pria instamment d’omployor l’iuflueuce que uous donnait dans le pays le caractère dont nous étions revêtus, à la lui faire restituer. Avant do quitter n’avait heureusement aucun bien à y opérer. Nous n’y séjournâmes que trois heures; et nous nous hâtâmes d’aller à Montauban. Le général des troupes de ligne y réclamait depuis longtemps notre présence. Le directoire du district et les commissaires municipaux la désiraient. Geux-ci avaient même fait réimprimer, le 18 janvier, notre proclamation, à la suite de laquelle ils en avaient fait imprimer une, par laquelle ils invitaient tous les citoyens à déposer dans notre sein leurs inimitiés, leurs ressentiments, leurs craintes , et à nous rendre les arbitres d’une réconciliation que tous devaient désirer. Il nous était impossible de résister à des vœux aussi prononcés. Mais, lors de notre passage à Montauban, la tranquillité était entièrement rétablie dans cette ville; le départ du régiment de Royal-Pologne, que les administrateurs du département, sur l’avis de ceux du district, n’avaient pas cru devoir suspendre, n’avait causé aucun trouble; le général des troupes de ligne avait trouvé l’état de la ville tellement satisfaisant, qu’il l’avait quittée la veille, pour se porter dans un autre point de son commandement. Cette ville enfin, qui avait été si longtemps le théâtre d’agitations sans cesse renaissantes, n’offrait, de toutes parts, que l’image de la paix et du bonheur; nous craignîmes, par notre présence, de révéler en quelque sorte, les passions éteintes ou assoupies, en lour-nissant à quelques mécontents l’occasion d’exhaler leurs plaintes dans des pétitions dont ils nous auraient fait dépositaires ; et nous ne voulûmes séjourner qu’un très petit nombre d’heures à Montauban ; après avoir reçu les témoignages les plus favorables sur la conduite du régiment de Touraine; après avoir engagé quelques-uns de ses membres, qui étaient venus nous trouver, à être d’autant plus modérés aujourd’hui, qu’ils avaient plus de force, à se ressouvenir sans cesse aue la discipline est le nerf et la sauvegarde de Tannée; comptant enfin sur lui, de même que sur la surveillance continuellement active du directoire du district et des commissaires municipaux, pour rendre l’ordre durable et éterniser la paix. Il nous tardait d’être arrivés à Gahors, pour nous trouver dans le centre du département et juger de làquel était l’effet général de nos voyages et de nos conférences dans les différents districts que nous venions de parcourir. 1) y avait d’ail-Cahors, nous écrivîmes aux officiers municipaux de Saint-Cyprien, commune dans le ressort de laquelle était situe son château, et nous avons su dopuis, par M. Bernard-Saint-Jean lui-mème, que, sur cetio lettre, plusieurs objets, et notamment plusieurs livres, lui avaient été rendus. Mais nous ne pouvons taire ici que M. Panc-kouke, apprenant les malheurs et les regrets de M. Ber-nard-Saint-Jean, fut touché de la bonté rare do cet excellent citoyen, et par un beau mouvement de sensibilité, prit aussitôt la résolution de lui envoyer toutes les livraisons qui pouvaient lui manquer. Il nous fit rier en conséquence de demander à M. Bernard-Saint-ean quelles étaient ces livraisons ; mais bientôt l'impatience le gagna; il lui tardait d’accomplir le vœu de son cœur ; et voici le billet qu’il nous écrivit le 15 mars. Copie du billet écrit à M. Godard, par M. Panckouke. « Je vous prie, Monsieur, de remettre au porteur, ou de m’envoyer par la petite poste, l’adresse de la personne, en province, dont le château a été brûlé. Je vais lui envoyer Y Encyclopédie. C’est ainsi que les âmes sensibles s’éloctrisent, et qu’un trait de bonté en enfante un autre. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (23 avril 1791.| 287 leurs, dans celui de Cahors, plusieurs villages qui avaient fait des actes ou arboré des signes de sédition. La ville de Castelnau, placée dans ce district, avait été, -pour ainsi dire, le berceau du rassemblement armé des gentilshommes; nous avions là des renseignements très importants à prendre; et la situation d'une partie du district sollicitait de nous toutes les opérations que nous avions faites daüs les autres. C’est le 30 janvier que nous fûmes de retour à Cahors. Il nous est impossible d’exprimer avec quelle rapidité se succédaient chaque jour les signes de repentir, qui, de toutes parts, nous étaient apportés ou envoyés par differentes communes. Les officiers municipaux de Saint-Pantaléon , de Bagat, de Saint-Daunés et de Lasbouygues, quatre des communes les plus inquiétantes du district de Lauzerte , vinrent à plusieurs reprises, dans l’intervalle de notre retour à Cahors et de notre départ pour la capitale, nous apporter des procès-verbaux, des délibérations, qui attestaient que chaque jour de nouvelles et considérables restitutions avaient eu lieu ; ils nous remirent aussi les déclarations de plusieurs citoyens, portant que, lors du pillage, ceux-ci avaient enlevé une multitude d’effets pour les garantir de l’invasion des voleurs, et qu’ils les restitueraient à la première réquisition qui leur en serait faite; ils déposèrent entin, entre nos mains, plusieurs actes de renonciation qu’ils tenaient de leurs ci-devant seigneurs; actes aussi injustes que nuis, mais qui n’en causaient pas moins dinquiétudes à ceux qui les avaient donnés. Du district de Figeac, de celui de Gourdon , on nous envoya des délibérations qui, conformément au désir que nous avions montré, ordonnaient l'abattement des signes d’insurrection placé sur les mais : et les procès-verbaux, qui prouvaient que ces délibérations avaient été exécutées, nous furent aussi apportés. Dans le district de Cahors, plusieurs faits du même genre confirmèrent encore l’expérience que nous avions, que le langage de la raison n’etait pas hors de Ja portée du peuple. En voici deux qu’il nous est impossible de passer sous silence. Vers la lin de notre séjour à Cahots, on vint nous avertir qu’à une lieue de là, dans le village de Galessy, les habitants d’un village voisin, nommé Pasturat et dépendant de la même municipalité, étaient venus au nombre de 35 environ, et par attroupement, enlever sur le grenier de l 'Exacteur public la tente qu’ils y avaient portée. Sur-le-champ nous écrivîmes aux officiers municipaux du lieu, pour les engager à se rendre dès le lendemain près de nous, et à se faire accompagner par le plus d’habitants qu’il leur serait possible. Ils vinrent, nous avouèrent aussitôt qu’ils avaient été égarés, s’excusèrent surce qu’on leur avait dit queles habitants de Galessy devaient aller reprendre toutes les tentes, et sur la peur qu’ils avaient eue que ces tentes ne devinssent la proie d’autrui. Nous leur fîmes à cet égard toutes les représentations que demandaient les circonstances; nous exigeâmes d’eux que, dès le lendemain, ils reportassent la tente enlevée; et dès le lendemain, tous, en effet, la reportèrent. Nous devons ajouter que l’ Exacteur ne voulut pas la recevoir, et que pendant 3 jours de suite nous avons vu ces bons paysans inquiets, ne sachant que faire, tremblants de n’avoir pas suffisamment expié par leur démarche l’égarement dans lequel on les avait fait tomber ; ne s’occupant plus, enfin, de leur travail ; venant à chaque instant nous parler de leur repentir, et ne songeant qu’aux moyens de réparer entièrement le mal qu’ils avaient pu faire. Voici maintenant l’autre fait. La surveille de notre départ, on vint nous dire, comme une chose très alarmante et très grave, que sous nos yeux, pour ainsi dire, à une lieue environ de Cahors, et dans un village dépendant de la municipalité de Cahors môme, on avait élevé un mai auquel était attachée une planche, sur laquelle on avait écrit : Vivent la nation, la loi et le roi, et au-dessous, plus de tentes. 11 nous parut étonnant que la municipalité de Cahors, au zèle et à l’activité de laquelle rien n’échappe, ne fût pas instruite d’un pareil fait. Notre intention était de le vérifier, en faisant venir quelques personnes du pays ; mais, dès le lendemain, un de nos amis (1), qui faisait près de nous les fonctions de secrétaire, et qui réunit une grande prudence à un patriotisme très éclairé, alla sur les lieux, sans nous en prévenir, parla aux habitants du pays, par qui il fut très bien accueilli, et les questionna sur la seconde inscription attachée à leur mai. Rien ne les étonna davantage que les questions qu’on leur tit. Jamais ils n’avaient entendu parler de cette inscription. Ils répondirent qu’ils ignoraient qu’elle existât, et qu’ils n’imaginaient même pas qu’elle pût exister, parce que, parmi eux, la plupart avaient payé la lente, et que les autres étaient prêts à la payer. L’un des paysans se détacha alors des autres pour venir nous raconter lui-même les faits ; nous lui recommandâmes de faire disparaître la seconde inscription, que l’on prendrait, malgré les habitants de son village, pour un signe d’insurrection ; et le lendemain cette inscription avait déjà disparu. C’est ainsi que partout, Sire, nous avons trouvé le peuple docile aux représentations de vos commissaires ; partout nous avons remarqué qu’en dirigeant bien ses facultés, il était possible de l’amener à la plus scrupuleuse observation ne la loi par le sentiment seul de son intérêt et de son devoir; et sur la fin de notre séjour à Cahors, nous recevions autant de nouvelles satisfaisantes et douces pour notre cœur, que nous en avions reçu d’allligeantes et de terribles, daus les premiers jours de notre arrivée. Nous ne crûmes pas cependant devoir quitter le département, sans faire au peuple une adresse dans laquelle nous lui rappellerions ses devoirs; où nous présenterions aux citoyens, d’une manière générale, ce que nous avions dit à chacun d’eux, ou à chaque commune dans nos conférences particulières ; où nous les inviterions, enfin, par les exemples de repentir et de soumission que nous avions à leur citer, à se maintenir dans l’état de tranquillité, sans lequel ils ne jouiraient jamais des bienfaits de la Constitution. Cette adresse nous sembla d’autant plus nécessaire, qu’il nous avait paru, dans nos entretiens avec le peuple, qu’il désirait vivement d’être éclairé, et nous avons même pris de là occasion d’engager tous ses administrateurs à lui parler, à lui écrire souvent, à être, pour ainsi dire, avec lui dans un état presque habituel de correspondance, pour lui rappeler fréquemment ce qu’il est et ce qm’il doit être. Notre adresse fut publiée le 3 février ; les administrateurs du département en joignirent une, (1) M. du Rouzoau. 288 lAsscmblée nationalo.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (83 avril 1791. J dont les principes étaient les mêmes; et le 7 février, nous quittâmes le département du Lot. Sur notre route, nous reçûmes encore de plusieurs municipalités les témoignages les plus touchants dt: confiance, et l’assurance d’une entière soumission à la loi. Celle de Saint-Germain, lieu où avait commencé l’insurrection de Gourdon, nous attendait sur notre passage, pour nous remettre un mémoire instructif sur les faits; et ce mémoire Unissait ainsi : « Soyez, nous vous en supplions, nos interprètes auprès de l’Assemblée nationale ; exposez-lui les motifs qui nous ont fait agir; et si elle trouve dans sa sagesse, que nous soyons coupables de quelque délit, dites-lui que nous invoquons la sévérité de sa justice; mais que si le repentir le plus sincère et le plus amer est capable d’expier nos fautes, elle n’a pas besoin de nous punir. C’est ainsi que pensent ceux qui vivent avec plaisir les défenseurs de la Constitution, et qui mourraient sans peine ses martyrs. » Nous omettions, Sire, de vous rendre compte des dispositions militaires que nous avons faites, conjointement avec le directoire du département, avant de quitter Caliors. C’était une mesure que la prudence indiquait et ne permettait pas de négliger. Les troupes ont été distribuées de manière à protéger également partout les personnes et les propriétés. La force en a été augmentée, où nous pouvions avoir à craindre les efforts de ceux qui pourraient tenter de nouveau d’abuser et d’égarer le peuple; et elles existent encore dans le département, comme un moyen de précaution et de sûreté. Un fait assez digne de remarque, c’esi que ces troupes sont réparties dans tous les districts, et qu’il n’y en a qu’un où nous n’avons pas envoyé un soldat, et où il n’en existe pas un seul; c’est le district de Gourdon. C’étaient pourtant les troubles survenus dans cette contrée qui avaient déterminé notre mission; c’était pour les apaiser que l’Assemblée nationale avait décrété que des troupes seraient envoyées dans le département du Lot. Mais le peuple de ce district a vivement désiré qu’on n’usât point à son égard de cette précaution qu’il redoutait; il a demandé qu’on se fiât entièrement à lui ; et nous lui avons donné la grande marque de confiance qu’il sollicitait; esuërant qu’il mettrait une sorte d’amour-propre à la justifier, et qu’une tranquillité qui serait, pour ainsi dire, son ouvrage, serait bien plus durable que si elle était commandée par l'appareil de la force et des armes. Nos espérances n’ont pas été trompées; tous les troubles étaient calmés lorsque nous avons quitté le département; et depuis notre arrivée à Paris, nous avons reçu du procureur de la commune de Gourdon (1) une lettre dans laquelle il nous dit : « Depuis votre départ, la ville et les campagnes n’ont pas cessé d’être dans une tranquillité parfaite; les communes commencent à s adresser au tribunal, pour le rendre l’arbitre de leurs contestations avec leur seigneur. Nous venons de vous exposer, Sire, quelle a été notre conduite dans le département du Lot, et quel eu a été le résultat. Partout, soit dans les campagnes, soit dans les villes, nous n’avons agi que par l’empire de la persuasiou et de la loi. Les principes de bonté qui caractérisent Votre Majesté semblaient d’abord nous commander cette marché. Mais nous avons cru voir aussi, dans l’esprit de la Constitution, qu’il n’y en avait pas d’autre à suivre, et que c’était à la raison, qui avait élevé le nouvel ordre de choses sous lequel nous allons vivre, à le soutenir contre ses ennemis, et à en assurer la perpétuelle durée. Nous avons pensé que l’esprit de l’homme étant le même dans tous les pays, était également partout susceptible de recevoir la lumière qui lui était offerte, et qu’il fallait seulement plus ou moins de précautions, pour dissiper les nuages qui, dans quelques lieux, l’obscurcissent encore. Nous avons pensé, en un mot, que si, dans les villes, en général, on entend la loi plus facilement que dans les campagnes, si on l’y observe avec plus d’exactitude, lorsqu’un esprit de parti n’v égare pas les citoyens, c’est que l’instruction y est plus répandue; qu'il fallait donc également la répandre dans les campagnes, et ne pas commencer par punir des hommes à qui peut-être on n’aurait à repromais cher que des torts, qui ne sont pas les leurs, ceux d’une longue oppression et d un avilissement qui n’est que la suite de cette oppression môme. Sire, dans l’application que nous avons faite de ces principes, nous avons constamment éprouvé que l’instruction pouvait être aujourd’hui un des principaux ressorts de notre nouvelle organisation; qu’à l’avenir une éducation vraiment nationale peut rendre ce ressort encore plus actif. Nous avons embrassé avec transport l’idée d’un grand peuple, qui n’obéira désormais qu’à l’empire de la raison, et qui se montrera vraiment digne de la liberté, en rendant inutile celui de la force ; et nous sommes heureux de pouvoir mettre sous les yeux de Votre Majesté des vérités aussi douces pour une âme bonne, franche et loyale comme celle de Louis XVI. Ces vérités, Sire, sont le fruit de l’expérience; et l’expérience trompe rarement. L’événement, en effet, a justifié notre marche. Dans toute l’étendue du département, secondés par 2 de nos amis (1) qui remplissaient près de nous les fonctions de secrétaires, et qui étaient nos véritables coopérateurs, soutenus aussi parles diverses sociétés patriotiques du pays, qui, en répandant nos principes, en semant l’instruction, en éclairant les esprits, aplanissaient les difticultés que nous aurions pu rencontrer, nous sommes parvenus, à l’aide d’un mélange de fermeté et de douceur, proportionné aux lieux, aux circonstances et aux personnes, à rétablir le calme et à ramener le règne de la justice et des lois. L’ordre peut encore être affermi par quelques moyens qu’il n’appartient qu’à l’Assemblée nationale et à Votre Majesté de déterminer. Nous allons vous les exposer, Sire, dans la seconde partie de notre rapport. SECONDE PARTIE. Moyens définitifs par lesquels l’ordre peut être ajfenni dans le département du Lot. Pour parvenir d’une manière sûre à la connaissance de ces moyens, il faut avant tout bieu connaître les causes des insurrections. Pour connaître ces causes, il faut auparavant encore avoir une eouuaissance exacte des faits. Uu tableau géuéral de ces faits doit doue précéder toute espèce de discussiou. Pour être COm-tl) M. Cavaignac fils. (1) MM. du Rouzeau et Robin jeune. I Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 avril 1791.J plet, il doit remonter jusqu'au moment où l’Assemblée nationale détruisit le régime féodal; ce qui embrasse un espace de temps considérable; mais nous ferons en sorte de tout abréger. Tableau général des faits. Nulle part la destruction du régime, féodal ne fut accueillie avec filas de transport que dans l’ancienne province du Quercy, parce que c’était là principalement que la féodalité avait les effets les plus terribles. C’était dans celle province que régnait dans toute sa latitude la maxime nulle terre sans seigneur, et qu’une girouette placée au-dessus d’un toit était le titre en vertu duquel le seigneur exigeait de ses vassaux nés redevances énormes. Ces redevances étaient encore accrues d'intervalle en intervalle par les régisseurs, les fermiers, les agents des seigneurs, et principalement par leurs feudistes. Ces feudistes étaient entièrement dévoués à celui qui les employait; on leur abandonnait les arrérages de ce que l’on appelait découverte; ils découvraient beaucoup, parce qu’ils avaient leur intérêt à beaucoup découvrir; le résultat de leurs recherches était toujours qu’il était dû au seigneur plus qu’on ne lui payait; de là toutes les surcharges qui abondent dans une inimité de reconnaissances. Les censitaires étaient ignorants; le fermier leur disait de payer, parce qu’ils devaient, sans leur expliquer comment ils devaient; il fallait qu’ils payassent sur-le-dtainp, aulremeut on les menaçait" de procès ruineux, et qu’ils perdaient presque toujours. Le fermier donnait ensuite à ces hommes qui ne savaient ni lire, ni écrire, des quittances où rien n’était détaillé; où l’on se contentait de dire qu’un tel avait, payé la rente qu’il devait à la seigneurie ; où l’on se gardait bien d’en exprimer la quotité, crainte de s’exposer à des restitutions, en percevant des rentes au-dessus du taux porté par les titres; c’est ainsi qu’on écrasait ces malheureux censitaires, en abusant de leur ignorance, de leur bonté, et de la terreur qu’on savait leur inspirer. On ne se bornait pas à accroître les redevances, en insérant, dans les reconnaissances des surcharges plus ou moins considérables; on agran-disren, dans quelques endroits, les mesures qui servaient à percevoir les droits seigneuriaux. il y avait aussi, dans la plupart dis châteaux, un crible roulant, dont l’objet était d'épurer les grains d’une manière si avantageuse pour celui qui ms recevait, que le blé de rente avait toujours un prix supérii ur de 30 sols à fieu près, par mesure, à celui qui se vendait au marché. 11 serait irop long d’entrer dans le detail de toutes les vexatious, de toutes les fraudes que les divers agents des seigneurs exerçait et, à l’insu même de eei x-ei, contre les paysans. Nous nous bornerons à dire que presque partout, il y avait d.ms 1 s redevances féodales des surcharges immenses; que ces surcharges étaient pour le peuple un fardeau qu’il ne pouvait plus soutenir. qui le réduisait à une misère extrême; et que les girouettes, les mesures, L s cribles roulants, efeu général tout ce qui tenait à la modalite étaient pour lui un objet d’horreur et d’effroi; On devine dès lors avec quel transport il dut l'6 Série. T. XXV. 289 apprendre que la féodalité était détruite. Mais l’excès de ses malheurs produisit aussi des excès dans l’essor qu’il donna aux sentiments de joie dont il fut dominé. L’indignation d’ailleurs s’empara de lui, lorsque, par la découverte de plusieurs titres anciens, il eut la preuve de la différence prodigieuse qui existait entre les reconnaissances surchargeas qu’on faisait valoir contre lai, et ces titres dont on lui cachait depuis longtemps l’existence. Ces surcharges lui donnaient droit à des restitutions; il s’imagina qu’elles devaient surpasser le capital de la rente; et dès lors il se crut, dans quelques lieux, entièrement affranchi des rentes. Entin, il confondit ailleurs les redevances conservées jusqu’au rachat, avec celles supprimées sans indemnité; et cette erreur s’accordait si bien avec son intérêt, qu’il souffrait difficilement qu’on cherchât à l’en guérir. Delà, un grand nombre de mais qui étaient des signes de réjouissances pour la destruction du fléau qui désolait le Quercy. De là, aussi, plusieurs mais, chargés de cribles , de mesures ou de girouettes, qui étaient des signes de l’égarement du peuple, ou plutôt d’une partie du peuple, sur les redevances seigneuriales. De là, enfla, quelques potences plantées pour effrayer les redevables ou les percepteurs. Bientôt ces potences disparurent; et le mouvement extraordinaire qui avait agité les esprits, dans le passage subit de la servitude à la liberté, se calma. Il se renouvela aux mois d ■ mai et de juin 17110, dans le district de Figeac. Les habitants d'un village (1), à l’instigation d’un seul particulier, allèrent prendre possession d’un pré, et en fauchèrent l'herbe, ayant à leur tête le tambour de la municipalité. Dans le mois de juillet, les propriétés de M. Lostanges, situées aussi dans ce district, furent dévastées. Enfin, le moment où les rentes avaient coutume de se payer approcha; et cette circonstance, qui rappelait Us obligations et le fardeau du peuple, renouvela aussi dans les espiits, que de nouvelles découvertes avaient encore aigris davantage, une fermentation qui fut presque universelle, mais qui ne se manifesta cependant par aucun signe de violence. Le directoire du département crut qu’il était de son devoir de s’occuper sérieusement de cet objet, en publiant, uans une proclamation, les principes de la raison et de la loi sur les redevances que l’Assemblée nationale avait conservées jusqu’au rachat. Cette proclamation, publiée le 30 août, dans laquelle on disait au p uple qu’il devait payer d'abord ce qu'il avait payé jusqu’ici, sauf à répéter ensuite ce qui lui était dù, ne produisit pas, dans tous les lieux, l’effet qu’eu attendait le département. A Thuron, dans le district fie Cahors, une potence fut plantée dans le mois de septembre 1790, devant le château de M. de Lunegarde, pour pendre ceux qui payeraient les redevances; et la maréchaussée, qui "re trans orta sur les lieux pour l'ai rucher, fut repoussée par un at roupe cent que les villages voisins avaient g-ossi ; la potence ne tarda p.is cependant à être enlevée. A Galessv, village du même district, et daesle même temps à peu près, une potence fut aussi (1) Aynac. 19 290 jAssemblee nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. )23 avril 1791.) planlée sur la place publique avec l’inscription suivante : « Le présent poteau est pour rétablir « la liberté de France et le bonheur de tous les » bons citoyens, et pour pendre cet aristocrate. » Cette potence, plantée dans la nuit, fut arrachée dès le lendemain matin, par le fils du maire de Galessy et le secrétaire de la commune. Ici nous devons dire que la commune de Ga-lessv, dans une adresse au département, avait l’ait la déclaration formelle qu’elle était disposée à payer la rente aux seigneurs, pourvu que ceux-ci justifiassent des titres primordiaux; et que les habitants de Thuron s’étaient trouvés, le lendemain de la plantation de leur potence, dans une assemblée nocturne, tenue dans un village voisin, où il fut question de l’exhibition des titres : en sorte que, tant à Galessy qu’à Thuron, les potences n’avaient pas pour objet d'empêcher à jamais le payement des rentes, mais seulement avant l’exhibition du titre primordial. On planta encore une potence dans l’étendue du district de Cahors; ce fut le 9 octobre 1790. Les circonstances sont d’une telle singularité, qu’ellesméritent d’être connues dans quelques détails. Au sortir de la messe paroissiale, le valet de la commune de Vire publia que tous ceux qui devaient des rentes à M. üinety, lieutenant de prévôt à Bordeaux, étaient priés de les lui porter le lendemain. Au mot d‘‘ rente, tous les habitants se soulevèrent; on dit hautement « qu’il fallait « pendre celui qui avait été si osé de crier la « rente, et tous ceux qui s’aviseraient de la « payer. » La fermentation alla toujours croissant ; une potence fut plantée sous les fenêtres de la maison commune; arrachée pendant les vêpres, elle fut replantée aussitôt après; et ce ne fut que la nuit du 14 au 15, qu’on lui substitua un mai chargé de raisins, de gâteaux, de gobelets, et portant l’inscription : Vivent la nation , La loi et le roi. Le directoire du département avait été instruit de tous les faits, excepté du dernier. Il arrêta, sur l’avis du directoire du district (1), que deux commissaires seraient envoyés sur les lieux, pour employer, à l’égard du peuple, tous les moyens de persuasion et de confiance, et que cependant, attendu la plantation de la potence et la nécessité de l’enlever, une brigade de maréchaussée et 50 gardes nationales accompagneraient les commissaires. Ceux-ci partirent, ainsi escortés, le 17 octobre. Le peuple ne devina point quelles étaient leurs intentions; il ne vit que la force armée qui l’effraya. On avait d’ailleurs attaché au mai , dans la nuit précédente, un écrit latin, qui fut arraché, lors de l’apparition des commissaires, par le domestique du procureur de la commune; mais dont on avait sans coûte donné l’explication au peuple. Cet écrit signifiait ; <. Tenez 1er-« me ; nous sommes libres, ne vous laissez pas « plonger dans la servitude. » Le peuple, enfin, qui avait arrache la potence, ne voyait rien dans son mai qui pùt exciter la sévérité du directoire du département ; et peut-être les commissaires eurent-ils tort d’appliquer à ce mai l’arrêté qui n’avait été rendu que relativement à la potence. Il insulta la maréchaussée, les gardes nationales, et ne voulut rien entendre de la part des commissaires. il'; (jet avis fat arrêté sur ta roq insinua de àl. llanicl, alors procureur syndic du district, et élevé, depuis notre départ, à la place de procureur general syndic du département; place digue do M. Hamel, et dont il était digue également par >cs talents, son zèle et son civisme. Le procès-verbal de ceux-ci porte que les paysans, quoique sans armes, <■ s’attroupèrent autour un mai avec des femmes et des enfants ; qu’ils crièrent à haute voix qu’on aurait beau faire feu sur eux, que le mai ne serait point arraché; qu’ils l’avaient acheté, qu’ils le voulaient là ; qu’on aurait beau envoyer des troupes, qu’ils trouveraient du secours; qu'ils voulaient payer la rente, mais conformément aux titres primordiaux; et qu’ils ne voulaient pas qu’on les fît proclamer, parce que, s’ils ne les payaie.nl pas après la proclamation, les seigneurs leur feraient des frais. » Le procès-verbal" ajoute que les esprits, loin de se calmer, s’échauffèrent de plus eu plus, et que les commissaires furent obligés de se retirer. Bientôt cependant le repentir succéda à cette violente agitation ; 4 jours après, le 21 octobre, les habitants de Vire prirent une délibération unanime, par laquelle ils arrêtèrent de faire tous leurs efforts pour empêcher à l’avenir toute insurrection, de laisser librement proclamer le payement des rentes, de les payer même, sauf au censitaire à se pourvoir en justice, pour la réduction ou la modération; ils arrêtèrent en même temps d’employer toute leur activité et leur vigilance, pour l’exécution prompte et paisible des décrets de l’Assemblée nationale, sanctionnés par le roi, pour l’exécution des arrêtés du département et du district, et de ceux principalement qui ordonnent le payement des rentes jusqu’au rachat ;et ils envoyèrent cette délibération au directoire du département. De tons ces faits, arrivés aux mois de septembre et d’octobre 1790, dans le district de Cahors, i! résulte que, s’il y a eu trois potences plantées dans ce district, elles n’ont pas tardé à être arrachées ; que dans les trois endroits où elles ont été plantées, le peuple n’avait pas l’idée de l’affranchissement absolu des rentes; enfin que dans le village de Vire, un repentir sincère et un grand respect pour la loi ont succédé aux délits dont le peuple s’était rendu coupable. Dans le même temps, à peu près, où tous les faits que nous venons de raconter se passaient dans le district de Cahors, des placards incendiaires étaient affichés, et des potences étaient plantées dans la terre de M. de Lostange, située clans le district deFigeac. Attachait-on à ces placards et à ces potences l’idée de l’affranchissement des rentes? Vous ne pouvons rien assurer de positif sur cet objet, faute de notions suffisantes : tout ce que nous pouvons dire, c’est que ces signes de rébellion ont existé fort peu de temps, et avaient disparu lorsque le détachement du régiment de Languedoc, qui fut envoyé sur les lieux, y arriva. Voyons maintenant ce qui s’est passé dans le district de Gourdon. Il parait qu’une seule potence y a été plantée; c’était dans le village de Gindou, vers le milieu du mois d’octobre dernier ; et elle avait pour objet d’effrayer tous ceux qui voudraient payer les rentes. Mais des mais étaient plantés dans un grand no lire de villages du district; et sur l’avis qui fut donné au directoire du département que, dans quelques endroits, on les regardait comme un signe d'affranchissement des renies, il donna quelques ordres particuliers pour faire abattre, conformement au décret de l’Assemblée nationale, toutes les marques d’insurrection, sans cependant spécifier les mais ni en prononcer le nom. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES [23 avril 1791.] 291 Ici une grande attention est nécessaire pour tous les faits qui suivent, et qui successivement vont amener la grande insurrection du mois de décembre. Le 15 novembre, le directoire du district de Gourdon, effrayé de la multitude de mais qui existaient sur son territoire, et n’ayant pu, par les voies de la douceur (1), parvenir à les faire disparaître, crut qu’il était temps d’employer l’appareil de la force, et proposa au département de requérir un détachement de troupes de ligne, qui, avec l’adjonction des brigades environnantes, aurait ordre de se transporter dans tous les chefs-lieux de canton, puis dans chaque paroisse, pour abattre les mais, et en général toutes les marques d’insurrection. Le conseil de l’administration du département était alors assemblé; et, les 15 et 21 novembre, il arrêta de faire venir 100 hommes de troupes de ligne en garnison à Figeac, pour les envoyer à Gourdon, où conjointement avec les gardes nationales de cette ville et deux brigades de maréchaussée, ils obéiraient aux réquisition du directoire du district, relativement à l’enlèvement de toutes les marques d’insurrection et à l’arrestation ues coupables. Ges 100 hommes de troupes de ligne arrivés à Gourdon, le directoire du district commença par les requérir de se transporter, le 26 novembre, accompagnés de deux brigades de maréchaussée, au village de Giudou, pour y faire abattre la potence. 11 les requit ensuite de se rendre, le 29, à Lou-piac, pour faire abattre le mai et toutes les autres marques d’insurrection; et les requit en même temps de faire abattre toutes celles qui se rencontreraient sur leur passage. Mêmes ordres furent donnés le 1er décembre, pour aller le 2 dans les villages du Vigan, de Saint-Projet et de Saint-Cirq ; le 3, dans ceux de Guncourès , Saint-Germain et Pey villes; et, dans les divers arrêtés, les mais étaient toujours associés aux marques d’insurrection. Le 3 décembre, les 100 hommes de troupes de ligne, accompagnés des brigades de maréchaussée de Fraissinet et de Souilhac, s’acheminèrent donc du côté de Saint-Ger main ; et là commença l’insurrection, qui lit ensuite de si terribles progrès. Avant même que ce détachement fut arrivé, et dès qu’il fut aperçu, le tocsin fut sonné ; et des bandes de paysans armés descendirent des montagnes, pour se rendre où le tocsin les appelait. A la distance de 100 pas du village, le maire se présenta devant le détachement; on lui fit lecture de l’arrêté du directoire de district ; il pria le commandant de suspendre la marche de sa troupe, jusqu’à ce qu’il eût communiqué cet arrêté au peuple : « et après un quart-d’heure d’absence (dit le procès-verbal du commandant) il est revenu devers nous, et nous a assurés que lorsque le peuple serait bien persuadé que le décret qui ordonnait d’abattre le mai émane de l’Assemblée nationale, il se porterait lui-même à enlever cette marque d’insurrection ; il nous a rendu responsables de tout le sang qui coulerait, si nous employions la force pour dissiper l’at-(1) “ Considérant (dit-il) que les précautions prises par le directoire pour parvenir, par la voie de la douceur, à rétablir le calme, dans la communauté de Loupiac, et à faire détruire les marques d’insurrection qui y existent, n’ont produit aucun etl'et, etc.» troupement : nous lui avons représenté (ajoute M. de Saint-Sauveur) que le réquisitoire du district de Gourdon prescrivait de faire proclamer la loi martiale; il s’est refusé à la sommation que nous lui en avons faite, quoique nous l’ayons prévenu que nous ferions mention de sou relus dans le procès-verbal que nous en dressions. Alors plusieurs ofliciers municipaux sont venus à nous, et se sont joints au maire pour nous engager de nous retirer, alln d’éviter i’etfusiondu sang. Un de ces mêmes officiers municipaux a harangué la troupe et lui a tenu les mêmes propos. » M. de Saint-Sauveur crut devoir céder aux instances pressantes qui lui étaient faites; il pensa qu’il était important qu’il retournât à Gourdon pour conférer avec les membres du directoire du district; et it somma le maire d’annoncer au peuple la retraite de la troupe. En se retirant, elle fut assaillie de coups de pierres, et poursuivie fort loin; trois fois M. de Saint-Sauveur fut obligé de la faire ranger en bataille, menaçant le peuple de faire tirer sur lui « mais sans jamais faire usage de notre feu » (dit-il dans son procès-verbal), « préférant de nous « exposer à tous les dangers, plutôt que de ver-« ser le sang d’un peuple furieux, mais égaré. » Le peuple à la fin se lassa de poursuivre la troupe; et lorsqu’elle fut à peu près à moitié chemin de Saint-Germain à Gourdon, M. de Saint-Sauveur ordonna à un brigadier de maréchaussée et à 2 cavaliers de se rendre en diligence dans cette ville, pour y rendre compte à la municipalité de l’état des choses, et lui demander main-forte, attendu qu’il y avait à craindre qu’avant d’arriver à Gourdon, les habitants de Saint-Cirq, du Vigan et de Saint-Projet, qui la veille avaient vu abattre leurs mais, et près desquels il fallait passer, ne cherchassent à se venger, et ne poursuivissent la troupe jusque dans Gourdon même. Aussitôt que la municipalité fut instruite des faits, elle s’empressa de pourvoir à la défense de la ville, requit le commandant de la garde nationale de faire battre la générale, se hâta d’arborer le drapeau rouge, parce qu’elle vit un danger imminent dans l’approche d’une troupe immense de paysans que l’on voyait de toutes parts accourir par nombreux pelotons; elle proclama aussi la loi martiale, et marcha à la tête de la garde nationale, suivie du détachement de Languedoc, sur l’avenue de Saint-Germain. La troupe se rangea en bataille; on pointa le canon ; et toutes les dispositions propres à se mettre en état de défense furent faites. La troupe villageoise, de son côté, faisait entendre des cris menaçants, tirait des coups de fusil, et devenait effrayante en se grossissant à civique instant, par les bandes de paysans que les tocsins de toutes les campagnes, qui sonnaient à la fois, appelaient de loin en loin. Néanmoins le procureur de la commune (1), et un officier municipal se détachèrent de la garde nationale et de la troupe militaire, pour aller demander aux paysans quel était l’objet de leur incursion. 11 ne parait lias qu’alors ils se fussent choisis un chef; ils repon firent qu’ils voulaient l’élargissement des différents prisonniers faits le jour précédent dans quelques villages, par le détachement de Languedoc, lors de l’enlèvement des mais. Les deux députésde lamunicipalitéemployèrent (Tl M. Cavaignac tils, jeune homme plein do lumières, do zèle et de patriotisme. 292 |Asscuibloe nationale. J ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 123 avril nui.) tous leurs efforts pour calmer les paysans; ils les supplièrent de ne point entrer dans la ville, où ils causeraient les plus vives alarmes; ils leur promirent de travailler de tout leur pouvoir ù obtenir rélargissement qui était désiré; et, pendant un instan:, on crut que la tranquillité allait renaître, et que l'attroupement se dissiperait. Mais les paysans qui arrivaient de toutes parts communiquèrent plus facilement le mouvement qui les entraînait, qu’ils ne reçurent les impressions momentanées qui avaient été données à la troupe villageoise; cette iroupe d’ailleurs finit par se donner un chef; elle se crut alors bien plus forte qu’elle ne l’était auparavant; et il devint plus niflicde de lui faire entendre aucune proposition. De ce moment on entra dans un véritable état de guerre. La ville de Gourdon se regarda comme une vil e assiégée, et ayant l’ennemi à sa porte. Mais quel é : ai t cet ennemi? Le peuple de tous les villag-s du district. L’embarras de la municipalité ( tait extrême. Il était sept htm res du soir à peu près, lorsque la troupe villageoise se choisit un commandant. Ce commandant était M. Joseph Linars, qui était venu à la tête de la garde nationale de Genouil-lac, village où il demeure, et qui, sur sa route, avait recueilli 5 à 600 paysans qui marchaient aussi du côté de Gourdon, et qui s’étaient rangés sous ses ordres. Dès qu’il eut accepté le commandement général de l’armée, il députa le sieur Jean Linars, son frère, à la municipalité, pour la prévenir qu’il était aux portes de la ville avec 4,500 hommes; qu’il demandait à connaître la cause des vexations que la troupe de ligne commettaitjour-ncllement et successivement dans les diverses paroisses du district; et il lui lit déclarer en même temps que si l’on tirait un seul coup de fusil sur sa troupe, il ne répondait plus de rien. La nuinicipaliié lit à M. Linars les promesses qu’il demandait, et lui déclara que c/était par ordre du département que la troupe de ligne s’était transportée dans plusieurs paroisses du district. M. Linars voulut voir cet ordre; M. Taillefer, l’un des membres du directoire du district, et le seul que l’on put trouver, le communiqua. Le député de l’armée villageoise déclara, après l’avoir lu. qu" cet ordre avait été tronqué par les administrateurs du district; qu’il n’était applicable qu’aux signes d’insurrection et non rux mais, qui étaient des signes de liberté; et il s’empressa de faire connaître au peuple que la troupe de ligne n’était point coupable, ei qu’elle n’avait fait que son devoir en obéissant à des ordres supérieurs. Coite troupe s’élait retirée dan? l’église qui avoisine la maison commune, et attendait là les réquisitions de la municipalité. Le peuple demanda qu’elle mît bas les armes. Le commandant et les soldats répondirent, « que, ne les ayant portées « que pour la défense de la patries ils ne les « quitteraient qu’après avoir versé tout leur « sang. » On insista. M. Linars, frère du commandant de la troupe villageoise, dit au commandant de la troupe de ligne, que « dix mille hom-« mes, qui gardaient les environs de G.mrdon, « étaient dans le cas défaire subir la Ici. ■ — Aon « pas, (�répondit M. de Saint-Sauveur) à ceux qui « préfèrent l'honneur à la vie » ; et il alla rejoindre dans l’église les soldats qu: l’y nüendment. Le peuple commençait à s'échauffer; c'était pa ticulièremeiit (outre les administrateurs du district qu’il voulait diriger sa fureur, parce que M. Linars avait dit qu’eux seuls étaient coupables pour n'avoir pas suivi à la lettre les ordres du departement, et pour leur avoir donné une extension arbitraire; il nous a même été assure qu’il avait ajouté, <> qu’ils méritaient d’être pen-« dus, et qu’il n’y avait pas assez de cordes pour « les pendre. » Mais M. Taillefer était le seul des administrateurs qui fût présent; on le peignit à M. Linars comme un honnête homme et un bon citoyen. Celui-ci se rappela alors qu’il avait été son condisciple ; il recommanda au peuple de ne lui faire aucun mal; mais il exigea que, sous sa dictée, M. Taillefer écrivit un procès-verbal qu’il appelait un traité de paix. Cette pièce est très importante, et il est essentiel de la connaître. La voici : « Aujourd’hui 3 décembre 1790, s’est présenté Joseph Linars, à la tête de 4,500 hommes, pour demander au directoire du district la cause des troubles et vexations qu’ont éprouvés déjà plusieurs paroisses, et que craignent d’éprouver toutes celles du district. Sur quoi nous lui avons présenté les ordres que nous avons reçus du département du Lot, dont nous lui avons donné copie, certifiée de nous ; et, d’après la lecture qui en a été faite, nous avons reconnu qu’il ne nous était prescrit que de faire abattre les marques d’insurrection et rétablir le bon ordre; que cependant, dans le délibéré que nous avons donné au commandant de la troupe qui nous a été confié!1, nous n’avons pas excepté les mais érigés à la liberté reconquise, et ce qui a obligé les troupes nationales à la démarche qu’elles ont laite ; « A été arrêté que le canon ne sortira de la maison de ville que lorsque l’ennemi de l’Ltat sera dans les environs, mais jamais contre les citoyens qui voudront se plaindre des exactions ; de plus, que le district se joindra à tous les cantons pour demander la suppression des maréchaussées, ces troupes étant devenues iuutiles depuis le moment que les gardes nationales sont en activité. « Ledit délibéré étant pris, le sieur Joseph Linars a décidé sa troupe à repartir, de peur qu’il n'arrivât d’autres troupes et qu’il ne pù t les contenir. Il a exhorté toutes les municipalités présentes, au cas qu’elles eussent quelques marques d’insurrection, de les mettre bas elles-mêmes, et de ne conserver que les mais destinés à la liberté reconquise; ce qu’elles ont toutes promis de faire, quoiqu’elles aient déclaré n’en avoir aucune. « À Gourdon , les mêmes jour et an que dessus : « Signé : TAILLEFER. » Ce procès-verbal fut signé à onze heures trois quarts du soir. M. Linars, commandant général de l’armée villageoise, en lit lecture au peuple, qui manifesta sou contentement. Il saisit alors ce moment pour promettre de faire retirer sa troupe, de ne pas faire ouvrir les prisons, de retenir, dans toute l’étendue de son canton, tous ceux qui montreraient la volooté de venir à Gourdon; et, à minuit environ, il partit, emmenant beaucou p de monde avec lui, et voyant une grande partie des soldats qu’il commandait regagner leurs villages. Mais il eu resta 5 ou G00, qui, soit par lassitude, soit à cause de l'obscurité de la nuit, soit par rapport aux mauvais chemins, ne vuiilur.'ut pas so mettre en rouie. M. Linars a fait Lh-méme cette déclaration, dans [23 avril 1791.] 293 |.\ssembléii nationale.) AUÙülVES PARLEMENTAIRES. la lettre qu’il écrivit le lendemain au directoire du déparlement. Ces 5 ou 600 personnes, du moment où elles furent sans cher, et livrées à elles-mêmes, s'abandonnèrent aux mouvements les plus désordonnés; leur nombre s’accrut prodigieusement dans cette nuit désastreuse; ceux qui étaient partis revinrent; d’autres se joignirent à ceux-ci; bientôt i! y en eut plus de 10,000 ; on oublia ce qui avait été dit sur la troupe de ligne, et le respect qu’on lui devait; elle s’était renfermée dans f Eglise, dont elle avait barricadé les portes; les plus violeutes menaces furent vomies contre elle; quelques paysans s’efforcèrent même de séparer les soldats d * leurs ofliciers, proposèrent de l’argent aux premiers pour livrer leurs chefs; grenadiers et soldats, tous répondirent qu’ils aimeraient mieux mourir que de commettre une action aussi lâchement barbare, butin le cri général du peuple était celui-ci « que les soldats sortent « sans armes, et que les cavaliers de maré-« chaussée soient massacrés » (1). La troupe de ligne resta ainsi, depuis 6 heures du soir du 3 décembre, jusqu'au lendemain 11 heures du malin, exposée aux insultes et aux menaces, et craignant à chaque, instant de se voir forcée d’en venir avec le peuple à un combat dont les suites, de part et d’autre, eussent été sanglantes. Enfin, à force de représentations, de prières, de promesses, la municipalité obtint du peuple le serment solennel que les soldats sortiraient avec armes et bagages, et qu’ils ne seraient pas maltraités. C’était au directoire du district à faire à la troupe de ligne la réquisition de partir; mais tous les membres de ce directoire avaient fui; ce fut un commis qui lit et signa la réquisition ; et, attendu les circonstances urgentes dans lesquelles on se trouvait, la municipalité consentit au départ de la troupe. Aussitôt cette troupe se mit en marche, ayant à sa tête les officiers municipaux, qui, par leur présence, voulaient lui ménager une retraite sûre; enveloppée de tous côtés par la garde nationale de Gourdon; ayant placé, au milieu des grenadiers, trois cavaliers de maréchaussée, contre lesquels le peuple était tellemem animé, que deux autres n’avaient pas osé sortir et s’étaient tenus cachés dans le clocher de l’église; suivie enfin par une foule de paysans qui faisaient retentir l’air des cris redoublés de Vive la nation. h semblait dès lors que tout devait être terminé, et que le peuple, ayant obtenu la satisfaction qu’il désirait devait rentrer dans l’ordre. Mais à peine le détachement fut-il parti, qu’un s’empara des canons, qu’on en brisa l'affût, et que la maison de M. de Fon langes, ci-devant gentilhomme, devint l’objet d’une fureur universelle; tous les meubles en fuient brisés, les denrées jetées dans ta rue, les murs iux-jüêmes ne furent pas épargnés; de là on fondit sur la maison du sieur Hebray, ci-devant subdélégué, et les mêmes ravages y furent exerces. Le lendemain 5, le nombre des campagnards s' était accru au double, suivant, le procès-! 1 1 bal (1) La haine du peuple contre les cavaliers de maréchaussée venait de ce que ceux-ci paraissaient servir de guides à la troupe de ligne dans îes differentes expéditions qu’elle avait faites, et de ce qu’ils avaient enchaîné et conduit dans les prisons les paysans qu’on avait cru devoir arrêter. de la municipalité, et pouvait, par conséquent, êt; e porté à vingt mille environ. Plusieurs maisons, ce jour-là, furent encore dévastées : celles du procureur syndic et du secrétaire du district; celles du président et du greffier du tribunal; celle même du curé : on se transporta aussi dans tes prisons, pour délivrer les prisonniers. Le 6 décembre, les désordres n’avaient pas encore cessé. On se précipita dans le monastère des religieuses de Sainte-Claire, qui furent obligées de se sauver dans une maison du voisinage. Là, de nouveaux dégâts furent commis par une multitude furieuse; le peuple ne se retira que lorsqu’il s’y vit forcé par la lassitude; mais les malintentionnés ne quittèrent la ville que pour se répandre dans les campagnes, où ils portèrent leur fureur, et où les maisons de M. Taillefer, membre du directoire, et de M. Aisac, membre de l’administration du district, furent dévastées. Ce ne fut que le 7 décembre que la tranquillité commença à renaître dans la ville de Gourdon. Pendant quatre jours entiers, elle fut donc livrée à toutes les horreurs dont on a entendu le récit; et la municipalité fut d’autant pius impuissante pour réprimer les excès, qu’une partie de la garde nationale s’était mêlée aux habitants de la campagne et confondue avec eux. Cependant le 5 décembre, au moment où l’on menaçait d’incendier le bureau du directeur du district, un officier municipal s’y transporta, fit enlever tous les papiers, tous les registres, et les déroba à l’invasion du peuple. Le soir, lorsqu'on pillait la maison du curé, deux officiers municipaux s’y transportèrent également, et firent conduire dans les prisons 5 brigands, qui furent ensuite élargis par les paysans. Voilà tout ce que la municipalité put faire au milieu de la multitude immense dont elle était environnée, et n’ayant aucune force à sa disposition : les municipalités et les gardes nationales de quelques villages, qui vinrent lui offrir leurs secours, arrivé: eut trop tard pour lui être de quelqueutilité ;cellesquivinrent plus tôt n’étaient pas assez fortes pour lutter avec avantage contre ; e torrent. Ce n’est qu’en versant des flots de sang qu’on eût pu arrêter les désordres; et il est probable encore que, sans pouvoir y parvenir, on n’aurait fait, en déployant la force, qu’augmenter la fureur du peuple” et multiplier ses ravages. Les personnes mêmes qui ont assisté aux événements ne peuvent pas se faire une idée de la violencedu mouvement qui avait été imprimé aux esprits : aussi était-il impossible qu’il s’arrêtât tout à coup. Indépendamment des maisons de MM. Taillefer et Aisac, qui furent dévastées le 6 décembre, ou dévasta le même jour et le lendemain le château de M. Touchebœuf-Beaumont, à Léobard. Depuis le 6 jusqu’au 12, on dévasta successivement à Rampoux, à Cazals et a Giudou, 3 maisons appartenant à M. Boisson, ci-devant avocat général de la cour des aides de Montauban. D’autns dévastations ont encore été faites depuis; des restii étions de rentes ont été exigées; ceux qui n’avaient pas encore été pillés ou incendiés étaient menacés dans leurs personnes ou leurs propriétés ; et tous ces désordres, quoique diminués considérablement, n’avaient pas encore cessé au mois de janvier. Lorsqu*- tous ces laits que nous avons recueillis, soit dans les procès-verbaux, soit dans les récits uniformes que nous avons entendus, se passaient dans le district de Gourdon, le district de Gaitora et celui de Lauz-rte, particulièrement, 294 {Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 avril 1791.] Otaient aussi le théâtre di s plus terribles violences et des excès les plus condamnables. Le 9 déembre, le bruit s’était répandu généralement, dans la ville de Cabots, que les ennemis du bien public avaient choisi cette ville pour y opérer partiellement une contre-révolution : c’est dans les procès-verbaux de la municipalité' que nous puisons ce fait, ainsi que les details que nous allons raconter; tous sont ici d’une telle importance, que nous ne les exposerons, le plusqu’tl nous sera possible, que d’après les actes les plus authentiques. Il est parlé dans les procès-verbaux de la municipalité de Cahors, et des alarmes conçues par le peuple relativement au bruit de contre-révolution qui se propageait, et des circonstances qui semblaient autoriser ce bruit. Ces circonstances, c’était l’arrivée perpétuelle, dans la ville, des ennemis les plus acharnés de la Constitution., et une couleur violette portée par quelques indiviuus dans leurcocarde. Le corps municipal, à qui tous ces faits furent dénoncés, se crut obligé d’arrêter entre autres dispositions, le mêmejour 9 décembre: 1° qu’il serait fait une perquisition de tous les étrangers, afin qu’il leur fut enjoint de sortir à l’instant de la ville; 2° que tous les citoyens eussent à ne porter d’autre cocarde que la cocarde aux 3 couleurs de la nation; 3° que le directoire du département serait prié de laisser dans la ville la troupe de ligne qui eu faisait la sûreté. Ce qui augmenta encore les alarmes du peuple, ce fut une déclaration formelle faite à deux reprises différentes, trois jours après l’arrêté ci-dessus, et dans l'hôtel même de la commune, par 5 officiers de Champagne, qu'ils étaient des aristocrates ; déclaration qui força le corps municipal de prier M. d’Esparbès de renvoyer ces officiers. A 4 lieues de Cahors, dans la ville de Castelnau, les mêmes bruits de contre-révolution s’étaient également répandus; et ce sont encore les procès-verbaux de la municipalité que nous allons invoquer; voici ce qu’on y lit à la date du 13 décembre : « Dans ces circonstances (est-il dit) où tous les citoyens honnêtes et tranquilles sont dans l’agitation, et craignent quelques événements fâcheux, depuis qu’ils ont vu une assemblée de plus de 20 de ci-devant nobles se tenir dans la maison du sieur Bellud-Saint-Jean, et qu’ils sont instruits qu’il y a une correspondance journalière par l’entremise du sieur Lauture-Escavrac, entre la maison dudit sieur Bellud et du sieur Bounal, ces deux ennemis irréconciliables, et notamment jeudi dernier, 9 du courant, qu’ils avaient contracté une fédération offensive et défensive ; que d’ailleurs le sieur Bonnai, ci-devant seigneur de Castelnau, et tous les ci-devant nobles, ont enlevé toute la poudre qui était au pouvoir des marchands de cette ville, et qu’ils ont chez eux une quantité considérable de fusils de munition; toutes ces alarmas nous ont décidés à être plus exacts à faire le devoir de notre charge. » Que résulta-t-il de cette exactitude? Le 13 décembre, à 10 heures du soir, le maire et un officier municipal parcourant les rues pour faire la police, et ayant déjà fait retirer plusieurs personne-; qui "étaient attroupées, rencontrèrent 7 à 8 personnes qui l’étaient également, et à qui ils observèrent que » daus des moments aussi criti-« qnes il n’etait pas prudent de voir à 10 heures « du soir un attroupement de 7 ou 8 personnes, « qu’en conséquence ils les priaient de se retirer». Un sieur Seguy, notaire,' était du nombre de ceux à qui s’adressait cette invitation; il s’élança à la tête de sa compagnie sur le maire et sur l’of-ticier municipal, tenant dans chacune de ses mains un pistolet dont heureusement aucun ne partit. Il se saisit ensuite de son épée dont il voulait faire usage, et qu’on parvint à lui arracher; enlin il rajusta scs armes, coucha en joue le maire de Castelnau, et lui tira un second coup de pistolet, qui partit cette fois, et qui blessa une autre personne que le maire; celui-ci, alors, et l’ofticier municipal qui l’accompagnait, crurent que le parti le plus sage était de se retirer. Mais un pareil événement ne pouvait pas être enseveli dans le silence; le lendemain il en fut question dans la maison commune où le corps municipal s’assembla ; et voici quelques-unes des paroles du réquisitoire du procureur de la commune : « Votre vie est en péril, dit-il; les ennemis de la révolution s’assemblent et trament des complots terribles; ils ont fait une ligue et ont juré de perdre leur vie avant de ne pas venir à bout de leur trame odieuse; ils ont, et vous n’en pouvez douter, acheté toute la poudre à tirer des marchands de cette ville ; nous sommes menacés, et nous sommes sans force et sans secours; ils ont, ces ennemis de notre nouvelle Constitution, mis en butte le sieur Seguy, notaire. Vous venez d’entendre la lecture du procès-verbal que deux de vos collègues dressèrent hier au soir à 10 heures ; vous sentez que l’assassinat commis sur les personnes des sieurs de Cayla, maire, et Combebiac, officier municipal, n’est que trop le prélude des noirs complotsque les ci-devant nobles projetèrent dans l’assemblée qu’ils tinrent dans nos murs le 9 du courant, etc. » Le procureur de la commune finit par indiquer les mesures qu’il croit devoir être prises parla municipalité; et le résultat du réquisitoire, ainsi que de la délibération, fut que la proclamation publiée le 9 par la municipalité de Cahors sur le renvoi des étrangers et les couleurs de la cocarde serait adoptée et publiée par la municipalité de Castelnau; qu’il serait porté plainte au département de l’assassinat commis lu veille par le sieur Seguy; qu’un secours indispensable de 50 hommes de troupes de ligne serait demandé; qu’il serait acheté 25 livres de poudre à tirer et 50 livres de balles; « enfin, qu’attendu que faction aussi noire que criminelle dudit sieur Seguy est une suite des trames odieuses ourdies par lès ci-devant nobles et leurs prosélytes, contre la vie des vrais patriotes de cette ville, les commissaires nommés demeurent chargés de supplier le département de faire part à l’Assemblée nationale tant du procès-verbal dressé par ledit sieur de Cayla et Combebiac, que du présent déli-debérée la pétition qu'ils sont autorisés à présenter au corps administratif, etc. » Les inquiétudes, qui étaient très grandes à Cahors, augmentèrent sensiblement à la nouvelle de cet arrêté; et tous les doutes parurent se réaliser, lorsque, le 16 décembre, on entendit les commissaires de la commune de Castelnau déclarer « qu’instruits d’une fédération de contre-révolu-« tionnaires armés qui se sont emparée de toute « la poudre à tirer qu’il y avaii chez les district buteurs, il était de leur devoir de demander « des troupes de ligne pour dissiper cette bande « de factieux ». C’est à la municipalité de Cahors qu’ils firent, cette réquisition de secours. II fut arrêté par celle-ci que 60 hommes de troupes de ligne, et 60 de la garde nationale, seraient envoyés à Castelnau. Ces troupes n’étaient pas encore parties, non [Assemblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 avril 179 l.j 995 plus que le maire qui était venu les réclamer, lorsqu’il reçut de ses collègues une lettre, en date du 17, dans laquelle ils lui marquaient « que les « trames sourdes d’insurrection de la part des « contre-révolutionnaires s’étaient fait sentir la « veille au soir dans les murs de Castelnau; que « le sieur Bel lu t parcourut la ville, et fut à « l’iiôtei de ville, l’é; -ée à une main et une canne “ à l’antre, que plusieurs de ses camarades se « rendirent à Castelnau, au point que tout le « monde fut consterné; que l’alarme est bien " plus forte à présent depuis qu’on a vu arriver « chez le sieur Bel lad 2 gentilshommes étrangers, « éloignés de la mumcmalité, armés de pied en « cap, escortés de plusieurs personnes armées « comme eux. Imaginez notre trouble (ajoutent-» ils), que devons-nous faire? Quelle contenance « avons-nous à tenir? Dénoncez tous ces faits au » département, afin qu’il nous aide dans nos « malheurs par ses bons conseils et par un nom-« breux dé’achement qu’il voudra bien nous ac-« corder do suite. La chose presse : peut-être snm--■< mes-nous au moment d’être tous égorgés ; aidez-« vous de la nuit pour venir à notre secours. « Les bons patriotes ont tout à craindre, et me-« nacent de nous quitter, s’il n’ont un prompt « secours. » L’annonce du secours qui lut envoyé détermina les personnes rassemblées à Castelnau à se retirer à Montcuq, dans le district de Lauzerte. Mais indépendamment de l’effroi qu’elles portèrent avec elles clans ce district, ainsi que nous le raconterons tout à l’heure, l’alarme devint universelle, lorsqu’on entendit parler d’une déclaration faite par les ci-devant gentilshommes, déposée par eux à la municipalité de Lauzerte, et recardée par le peuple comme une véritable déclaration de guerre. Voici cette déclaration, écrite et signée au château de Haut-Castel le 17 décembre ; il est de la plus haute importance de la connaître : « Nous soussignés (est-il dit), informés des brigandages qui se sont commis, il y a quelques jours, aux environs de Gourdon et près de Ca-iiors; que même, en ce moment, les environs de Montcuq sont la proie des brigands qui dévastent les propriétés, pillent et démolissent lèse, bâteaux et maisons particulières, et répandent dans le pays une terreur universelle, nous donnons avis a MM. les officiers municipaux de Lauzerte que nous nous réunissons pour marcher contre ces brigands, et protéger les propriétés de tout individu qu’ils oseraient attaquer; et dans la crainte que cette démarche ne puisse être interprétée dans un sens défavorable, et qu’on ne nous suspecte de vouloir nous opposer à quelques-uns des décrets de l’Assemblée nationale, nous déclarons à MM. les officiers municipaux, qu’eu prenant les armes, nous n’avons d’autre motif eue l’intérêt général et la sûreté des propriétés; que nous serons toujours prêts à voler au secours de tout individu qui serait attaqué; que, sur l’invitation, soit du district, soit des différentes municipalités qui le composent, nous marcherons avec plaisir à leurs secours, et que, dès l’instant où la tranquillité publique sera rétablie, nous nous séparerons et quitterons les armes. « Nous prions MM. les officiers municipaux de communiquer la présente déclaration aux autres municipalités des environs, afin qu'elles ne. puissent pas se méprendre sur le vrai luit de notre union momentanée : nous les [irions également d’engager tous les bons citoyens de Lauzerte à se joindre à nous, afin d’en imposer plus sûrement à tous ceux qui voudraient troubler l’ordre et la tranquillité publics; et nous espérons que leur exemple décidera les habitants des campagnes à s’unir à nous dans les mêmes vues. « Fait au château de Haut-Castel, le 17 décembre 1790. >< Signé: d’Eseayrac, Verlhac, Pechpeyron de Beaucaire, Banal, Crocv-Rozet, la Beruode, Pellaurue-Chà'eian, de" Boissière, le Duc, Boissière fils, Chevalier de Bonnal. » Il est très vrai qu’il y avait depuis quelques jours des dévastations " de propriétés; que 4 ou 5 châteaux avaient déjà été pillés ou incendiés; et si nous n’en avons encore rien dit, c’est que F origine de ces désastres no date que de la nuit du 10 au 11 décembre, tandis que l’assemblée des ci-devant gentilshommes, tenue à Castelnau, (*st du 9, et que l’ordre des faits exigeait qu’on parlât d’abord de ce rassemblement. Nous y reviendrons tout à l’heure, quand nous aurons rendu compte des dévastations, des incendies et des pillages que nous venons d’annoncer. Ces excès déplorables ont continué, presque sans interruption, jusqu’au 18 janvier inclusivement. Durant cet espace de temps, il y a eu, dans le district seul de Lauzerto, près de 30 chute iux ou maisons qui ont été incendiés, ou pillés, ou dévastés. Dans le mois seul de janvier, il y en a eu 5 environ qui ont été la proie des flammes ou du pillage; et soit que ces événements ou ceux de Gourdon, soit que toute autre cause ait influé sur les autres districts, des désordres ont aussi été commis dans ceux-ci, et le mal est devenu tout à coup universel. Il est inutile d’entrer, à cet égard, dans des détails qui n’aurai mt aucune espèce d’utilité, puisque ce ne serait qu’une répétition de faits qui se ressemblent entièrement. Nous nous bornerons à dire que, le 16 janvier, 15 paysans, du nombre de ceux qui venaient (l’i'icehdier un château dans le district de Lau-zerie. furent faits prisonniers, tant par la garde nationale que par la troupe de ligne; que, dans le même temps, et pour la même cause, 5 prisonniers furent faits à Castelnau ; et, dès à présent, nous reprenons eu qui regarde la déclaration des ci-devant gentilhommes. Cela exige plus de développements. Il parait que le jour même que celte déclaration fut faite, on s’empressa de vouloir exécuter ce qu’elle renfermait. Dès le 17 décembre, à sept heures moins un quart du soir, les sieurs Lavaur cadet, demeurant au château de Cliarry, et Bellud, demeurant au château de Bateuc, tous les deux de cette société de ci-devant nobles dont nous avons parlé plus haut, vinrent avertir le maire de Montcuq <> qu’il y avait une troupe de messieurs armés, « en chemin, qui demandaient l’hospitalité, pour » cette nuit, attendu que leur intention était d’al-« 1er arrêter les brigan iages. Lemaire lenrrépon-« dit qu’il n’existait ni brigandages ni troubles >< dans la ville, que tout y était paisible ettran-•> quille, qu’ainsices messieurs feraient bien de » ne pas alarmer les citoyens. » Les deux députés insistèrent. Le suaire deman i aune demi-heure p uir avertir la municipalité et préparer les esprits. Mais, sans attendre la réponse, « la troupe x année entra dans la ville, à cheval, au nombre » de 14 ou 15 hommes, tous armés de fusils à » deux coups, baïonnette au buut, pistolets à la x ceinture, sabres et épées, portant leurs fusils on état de bataille, et semblant prêts à faire 296 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 123 avril 17i?l .] « feu. » L'alarme fut bientôt générale. La municipalité pressa de nouveau cette troupe armée de se retirer, en lui déclarant qu’elle n’avait besoin d’aucun secours. Aucun de ceux qui composaient cette troupe ne voulut céder ; ils mirent pied à terre, et se rendirent, les uns chez la dame de Yivans, les autres dans différents endroits de la ville, protestant qu’ils n’avaient que de bonnes intentions. Le peuple ne continua pas moins à « s’alarmer « de cette entrée nocturne. I! se mit à crier que « si ces messieurs n’avaient aucune mauvaise in-« tention, ils n’avaient qu’àrcmettreleurs armes, « et qu’on les laisserait tranquilles ; et comme il « nous parut (lit-on encore dans le procès-ver-« bal de la municipalité de Montcuq) que la iran-« quillité publique dépendaitde la remise que fe-« raient ces messieurs de leurs armes; MM.Cos-« sane, m.dre, Bru et Boyé, officiers municipaux, « lurent joindre ces messieurs chez la dame Vi-» vans; ils les prièrent de remettre leurs armes, « qu’ils leur feraient rendre aujourd’hui en par-« tant ; mais ils s’v refusèrent constamment ; ce « qui irrita davantage le peuple, qui se réunit « de toutes parts, et sans qu’il fût possible de « contenir sa fureur, qui se bornait néanmoins à i' la remise de ces armes. » Tout cela est extrait mot à mot du procès-verbal dressé, le 18 décembre, par lamunicipalité de Montcuq; et ce qu’on va lire en est également tiré. j ses collègues nous ont attesté que pendant la route il n’avait cessé de louer avec enthousiasme toutes les opérations de l’Assemb'ée nationale. Nous devons ajouter que d’abord il a été fait maire de son village; qu’ensuite il a été fait commandant lie la garde nationale; que deux de ses frères ont aussi obtenu pour les premières places du pays les su tirages du peuple, et que ce peuple, qui sc trompe rarement dans ses choix, surtout lorsqu’il est invité à une sorte de défiance par Petit et la richesse des homnms qui appellent ses regards, n’aurait point accordé à ceux-ci les marques éclatantes de confiance qu'il leur a données, s’ils n’en eussent pas été dignes. Il n’est donc pas vraisemblable que l’ennemi de l’ancien régime et l’ami du nouveau ait voulu détruire celui-ci, en attentant à l’autorité des corps administratifs. Cependant il serait possible que les opinions et les sentiments de M. Linars, si favorables dans les commencements à la Révolution, eussent ensuite éprouvé quelque changement. Examinons-Ie dans l’affaire de Courdon. Un fait certain, c’est que l’insurrection a commencé à Saint-Germain ; que de proche en proche elle s’est étendue dans tous les villages, et lorsque M. Linars est arrivé aux portes de Courdon, à la tête de sa garde nationale et des paysans qui s'étaient joints à lui, il était déjà tard, et que la troupe villageoise qui était arrivée, et qui le nomma son commandant, était très nombreuse ; ce n’est donc pas lui qui a fomenté l’insurrection, puisqu’elle existait avant qu’il se montrât, et que d’ailleurs on n’aperçoit aucunes traces de secrètes manœuvres antérieures à cette époque, Dès qu’il fut revêtu du commandement, il divisa sa troupe en cinq colonnes, en plaça une à chaque porte de la ville, et fit la défense la plus expresse de commettre la moindre hostilité. Mais n’excita-t-il pas ensuite la fermentation du peuple, au lieu de chercher à la calmer? N’a-t-il pas tenu des propos, non seulement despectueux envers les membres du district, mais rébeilion-naires? N’est-ce pas lui, en un mot, qui par ses discours contre le district est la première cause des attaques livrées aux personnes et aux propriétés de plusieurs membres de cette administration ? 11 est certain que M. Linars a hautement accusé le directoire du district d’avoir de sa seule autorité, et contre les arrêtés du département, ordonné l’abattement des signas de liberté. Il partit certain aussi qu’il a dit hautement que les membres du district méritaient d'être pendus. On a dit encore que lorsqu’il arriva à la maison commune, dans le moment où son frère venait de montrer quelque intérêt à M. Taillefer (1), il lui dit, est-ce ainsi que vous vous conduises ! et que ce frère qui lui avait servi de premier aide de camp, lui répondit ; Mon frère , ce qui est fait est fait , monsieur est un honnête homme, U est mare condisciple , etc.; et de tout cola � n a conclu que MM. Linars avaient conçu les dessein-les plus perfides contre le directoire du district. En-lin cet arrêté dicte à M. Taillefer, par lequel le il) Membre du directoire. [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 avril 1191.J directoire s’avouait coupable de tous les torts, et que M. Linars a ensuite lu au peuple, semblait ne plus laisser aucun doute sur les intentions île ce commandant général. Si vos intentions eussent été pures (lui avons-nous dit nous-mêmes) vous auriez usé de tout votre ascendant sur le peuple, de l’extrême confiance qu’il vous avait montrée, pour calmer ses agitations, l’exhorter à la paix, et exiger sa prompte retraite. M. Linars nous a répondu que la fureur du peuple était si grande contre la troupe de ligne et la maréchaussée, qu’il était de la plus haute importance de lui faire voir qu’elles n’avaient ni l’une ni l’autre aucun tort; que pour cela il fallait bien lui dire que c’était le directoire du district qui était reprocliable; qu’il est entré un instant dans tous les sentiments du peuple, afin de pouvoir ensuite le maîtriser plus facilement, et qu’une preuve que cette marche lui a réussi, c’est que pendant tout le temps qu’il a eu le commandement de l’armée villageoise, c’est-à-dire jusqu’à minuit, il n’est arrivé ni dans la ville, ni dans les environs, aucune espèce de dégâts. Voici au reste la lettre qu’il nous écrivit quelques jours après la conférence que nous eûmes avec lui; on y verra que les observations que nous lui avions faites lui avaient fourni matière aux plus sérieuses réflexions. < Dans l'entrevue que j’ai eu l’honneur d’avoir avec vous, Messieurs (nous dit-il), vous m’avez objecté ce qui paraissait tendre à ma charge. Vous m’avez fait l’honneur de me dire que vous étiez convaincus avec tout le monde que le peuple avait tant de déférence à ma volonté, qu’il n’aurait fait aucun dégât si j’étais resté à Gour-don. Permettez-moi, Messieurs, une observation, qui, quoique bien naturelle, ne m’est venue que par réflexion : si tout le monde croit que le peuple aurait fait ce que j’aurais voulu, pourquoi s’obstine-i-on à dire que mon dessein était de mettre la désunion entre les troupes nationales et celles de ligne? Avec les sentiments qu’on me prête et la force que j’avais à ma disposition, d’où vient que je n’ai pas fait égorger le détachement? Pourquoi n’ai-je pas fait livrer au peuple en furie le commandant de la troupe qu’il demandait avec tant d’acharnement? Puisqu’on dit que mon langage était qu’il n’y avait pas assez de cordes pour pendre le directoire du district, pourquoi n’en ai-je pas fait chercher quelques bouts d’après la soumission du peuple à mes ordres? Je pouvais les faire pendre sur-le-champ. Si j'avais voulu opérer une contre-révolution, comme d’autres disent, comment, avec les dispositions où ils prétendent qu’était le peuple de faire ma volonté, ai-je borné mes exploits à la journée du 3? Pourquoi n’ai-je pas profité de l’ivresse où était le peuple? Pourquoi nesuis-je pas resté avec lui pour l’encourager dans le désordre? Cette troupe grossissait à tout moment; la saison, les circonstances, tout m’était favorable en me dépeignant comme on le fait; le peuple n’a point de travaux qui le pressent dans ce moment, et n’a pas trop de quoi vivre; la proposition de se mettre en campagne et d’aller vivre de rapines et de pillage aurait été goûtée par un grand nombre. Je pouvais donc, non pas opérer une contre-révolution que je crois impossible, mais faire beaucoup de mal. Si donc je n’ai rien fait de ce queje pouvais faire, pourquoi me croire si mauvais sujet? Pourquoi ne pas dire de bonne foi qu’obligé de marcher comme le reste des citoyens, il a été heureux que le peuple m’ait donné le commandement dont je me suis 299 servi pour empêcher le mal autant que j’ai pu, etc.? » Dans cette lettre, M. Linars se défend d’avoir tenu contre le directoire du district le propos que nous avons rapporté plus haut; mais ce propos nous a été attesté par tant de personnes, que nous sommes obligés de croire que M. Linars l’a effectivement tenu. M. Linars se défend aussi de l’idée qu’on lui avait prêtée d’avoir voulu opérer une contre-révolution. A cet égard, toutes les circonstances le justifient complètement ; et il est certain, comme il le dit lui-même, que s’il eût voulu profiter de l’ivresse du peuple et de la confiance qu’on lui montrait, il eût pu, dans un moment où le département était presque sans aucune force militaire, et où l’esprit des paysans était si facile à enflammer, produire des maux incalculables. Il ne faut donc pas l’accuser d’avoir voulu attenter à l’autorité des corps administratifs, puisqu’en restant à la tête du peuple avec de pareilles vues, il pouvait malheureusement, en usant de son ascendant, se flatter de les voir remplies. Voici cependant une imputation qu’on lui fait, et qu’il nous est impossible de passer sous silence. On assure qu’un officier municipal ayant emmené les deux frères chez lui, pour leur faire prendre quelques rafraîchissements, M. Joseph Linars, qui était le commandant, dit à cet officier municipal : « que son frère et lui avaient couru pendant 8 « heures consécutives pour ramasser les paysans, « ou les forcer à marcher; qu’il espérait bien « que leurs pas ne seraient pas perdus; et qu’avant « de quitter la ville, ils voulaient faire sauter « 5 têtes. » Ce propos est très grave, et annoncerait, en effet, de coupables projets ; mais il est si ouvertement contredit par les événements; il est tellement certain que M. Linars n’est sorti de Genouiiiac qu’à la sollicitation de sa garde nationale, et d’après le bruit public; il est tellement certain encore, qu’il n’a pu ramasser les paysans , et qu’il ne les a pas forcés de marcher , puisqu’en arrivant aux portes de Gourdon, il a trouvé toute la troupe qui y était déjà rassemblée depuis quelque temps, que, malgré toute la confiance due à un officier municipal, on est forcé de croire qu’il se trompe et qu’il a mal entendu; car, encore une fois, il est impossible de croire que M. Linars ait tenu un propos que tous les faits concourent à démentir. Tout ce qu’il y a de prouvé, et ce qui paraît certain, c’est que M. Linars a accusé hautement le directoire du. district ; c’est qu’il l’a montré comme seul coupable de l’abattement des mais. Cette accusation est-elle un délit? N’est-elle qu’une grande imnrudence ? C’est ce qu’il faut examiner. D’abord, il ne faut pas perdre de, vue les circonstances; et en y arrêtant continuellement ses regards, on voitun'peuple immense, irrité contre ceux qui ont voulu abatbe ses mais, et qui, dans quelques villages, les ont abattus : on le voit désirant une vengeance, la cherchant avidement, accusant la troupe de ligne d’être seule coupable, ne craignant pas d’en venir aux mains avec elle, parce qu’elle sent sa supériorité. La troupe de ligne était là, et le combat pouvait commencer àVheure même. Les membres du district, au contraire, n’v étaient pas, et avaient fui. M. Linars croit voir dans l’arrêté de ceux-ci une extension des ordres du departement; il croit devoir le dire, pourarrêter la foreur du peuple dirigée entièrement contre la troupe de ligne; il le dit;' et si l’on fait attention à la clairvoyance et à la finesse du peuple; 300 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (23 avril 1791-1 ?.i l'on considère qu'il était impossible de lui faire prendre le change; qu’il y avait même tout à risquer à vouloir lui en imposer, on conviendra que M. Linars, dans l’embarras extrême où il se trouvait, et, surtout, si le directoire du distinct avait quelques torts, devait peut-être dire une parlie de ce qu’il a dit. Mais son imprudence est d’en avoir trop dit; son tort est de n’avoir pas assezcherché à effacer les impressions qu’il avait données au peuple contre le directoire du district ; sou plus grand tort, enfin, est de s’être relue avant que tout le monde le fût. Il craignait, nous a-t-il dit, que le nombre de c uxqui arrivaient ne devint trop considérable, et qu’il lui lut impossible de les contenir; il ne d vuit rien craindre, puisqu’il possédait la confiance de sa troupe; il ne devait pas abdiquer le commandement qu’il avait reçu, tout illégal qu’il était, lantqu’il restaitdeshomnies auxquels il fallait commander; il ne fallait pas (ju’il consultât son intérêt particulier, lorsqu’il ne devait voir que l’intérêt général; il fallait qu’il pérît à son poste, plutôt que de le déserter; c’était précisément, enfin, parce qu’il prévoyait que la trou pe, ayant encore son chef, pourrait devenir difficile à contenir, qu’il devait penser que sans chef, et abandonnée à elle-même, elle commettrait encorede plus grands désordres : tout lui imposait donc l’obligation de rester à Gourdou, jusqu’à ce que tous les paysans en fussent sortis pour retourner chacun dans leur village; c’était à lui, eu un mot, à sortir le dernier de cette malheureuse ville. Ainsi, M. Linars, suivant notre opinion, n’est point un chef de parti; on ne peut pas l’accuser d’avoir voulu attenter à l’autorité des corps administratifs ; d’avoir eu des desseins perfides contre la Révolution ; d’avoir excité l’insurrection qui a eu lieu. Mais il est coupable de grandes imprudences, sans lesquelles il eût pu prévenir tous les maux ou une partie des maux postérieurs à l’insurrection. 4° Quelle est donc la véritable cause de celte insurrection? Ce n’est pas une seule, mais plusieurs qui, combinées ensemble, ont produit l'explosion qui, dans un instant, a ébranlé le district entier. Ou se rappelle ce que nous avons dit sur les mais ; il y en avait dans plusieurs villages. Dans les uns (mais c’était le plus petit nombre), ils portaient quelques marques d’insurrection ; dans les autres, ils n’en portaient aucune, et étaient regardés par tout le monde, ou par la majorité des citoyens, comme des signes de liberté. Le peuple était attaché aux uns et aux autres, mais il eût été possible de lui faire entendre raison, en ne faisant arracher, conformément à la loi et aux arrêtés du départ' ment, que les signes insurrection ou de sédition ; tu Ibu qu’il vît, avec une peine extrême, que, sans faire aucune difiérence entre les mais msum ctiouuaires et les mais libre-, on avait ordonné indistinctement l'enlèvement de tous. 11 faut dire qu’il était aigri par les mauvais traitements qu’on accusait la troupe de ligne d’avoir exercés, quelques jours auparavant yl ), à Loupiac, contre plusieurs paysans. M. Saint-Sauveur déclare lui-mème, dans sou procès-verbal, qu’après avoir fait lecture à un officier municipal du réquisitoire du district de Gourdon, et l’avoir sommé de faire abattre le mai, il avait, sur le refus de cet officier municipal, « fait, prendre « 4 hommes pour procé er à l’exécution du u premier ordre ». Le peuple trouvait qu'il était assez dur pour lui de voir exécuter sous ses yeux une opération qui lui répugnait, sans qu’on le forçât encore à l’exécuter lui-mème. Il savait, d’aiileurs, que 4 particuliers avaient été arrêtés lors de l’enlèvement du mai Louniac, et conduits en prison : 2 pour avoir sonné le tocsin lorsque la troupe arriva; le troisième, pour être allé chercher du secours contre cette troupe, dans un village voisin ; et le quatrième, pour avoir, suivant le procès-verbal u u commandant, « tenu des propos séditieux, et « déclaré que le mai ne s’abattait pas encore ». Il s’était répandu dans toute l’étendue du district, et il paraît avéré, que ce quatrième, qui se nomme Bertrand Montez , était un de ceux auxquels on s’adressa pour abattre le mai ; qu’il refusa de le faire, en disant qu’il ne se prêterait à une pareille opération, que si la commune l’ordonnait; et que sur cette réponse, qui fut peut-être prononcéed’un ton séditieux, il fut enlevé, maltraité, enchaîné et conduit avec les trois autres dans les prisons de Gourdon. De si grandes punitions pour un fait, qui, loin d’être un délit aux yeux du peuple, ne lui paraissait, au contraire, qu’un acte de défense légitime, excitèrent son ressentiment; et il ne pouvait plus voir de sang-froid ni la troupe de ligne, ni les cavaliers de maréchaussée qui l’accompagnaient. Enfin, 2 circonstances particulières concoururent à échauffer plus vivement l’imagination de ce peuple, si facile alors à émouvoir. On lui avait dit que le jour où la troupe de ligne était rassemblée sur la place publique de Gourdon, pour se rendre à Gindou, M. de Fontanges, gentilhomme, avait donné de l’argent à M. Saint-Sauveur; et dans le fait, M. de Fontanges, à qui M. Saint-Sauveur avait remis de l’argent blanc qui le chargeait trop, lui avait rendu publiquement de l’or en échange. Le peuple ensuite avait vu à Saint-Germain (1), sur le corps du commandant de la troupe de ligne, le manteau ou la pelisse que portait ordinairement M. de Fontanges. Tout à coup les idées les plus sinistres s’emparent de lui; il aperçoit dans la remise d’argent, faite par un gentilhomme au commandant de la troupe de ligne, un salaire donné à ce commandant, pour marcher contre le peuple; il croit voir dans le commandant, couvert du manteau de M. de Fontanges, M. fie Fontanges lui-même ; tous les soldats, dès lors, lui paraissent autant d’envoyés des ennemis de l’Assemblée nationale, pour détruire 1 r nouvel ordre de choses et ramener l’ancien. Il n’en doute plus, lorsqu’il lui est affirmé par la municipalité qu’elle n’a jamais requis la troupe de ligne, et qu’elle n’a point été avertie par le district, de l’arrivée de (1) Ce n’est pas le mémoire que ta commune de Saint-Germain nous a remis le 7 février, lorsque nous quittâmes le département du Lot, qui a déterminé notre opinion, puisque nous l’avions formée auparavant ; mais voici ce qu’on lit dans ce mémoire: « L’imagination peut à peine concevoir quel fut notre étonnement à cette apparition imprévue ; il ne fit que redoubler, quand notre municipalité nous eût attesté qu’elle c’avait jamais requis le département ni le district d’envoyer des troupes à Saint-Germain, et qu elle n’avait pas môme été prévenue de l’arrivée de celles qui se présentaient devant nous. Toutes ces raisons nous tirent imaginer que c’était une bande d’aristocrates, cl nos tètes furent dans un instant si exaltées, que nous no vîmes plus dans ces individus qu’un nombre de ci-devant seigneurs, d’ecclésiastiques et do laquais, disposés à tenter une contre-révolution, et nous rendre les premières victimes de leurs coupables projets. T> (1) Le 29 décembre. (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 avril 179 l.J 301 celle li-oiij) •. Ceux qui altachaienl à la plantation d’un mai l'idée de l’affranchissement des rentes étaient mus de leur côté par le plus puissant de tous les mobiles, celui de l’intérêt personnel; il n’en fallait pas davantage pour exciter leur colère et les porter à la vengeance. Voilà tuutes les causes qui, par leur réu'ion, ont p r o 1 n i t les grands malheurs de Gourdon ; C'est l’m alternent de tous les mais, sans distinction, sans tempérament, sans avertissement donne à la municipalité du lieu où allaient se faire les opérations; Ce sont les mauvais traitements exercés, dans le coins de ces opérations, contre quelques paysans ; C’est l'imprudence innocente de M. Saint-Sauveur d’avoir reçu publiquement, et pour ainsi dire à la tête de sa troupe, cet argent dont nous avons parlé; C’est cetie amrc imprudence, également innocente d’avoir nam à Saint-Germain, couvert d’un manteau qui n’était pas le sien, et qu’on a reconnu pour appartenir à un homme qu’on sus-p.ecait peut-être injustement, mais qui était sus-peci; C’est enfin l’idée superstitieuse attachée par quelqu s paysans à la plantation d’un mai. La peiner ale cause, sans contredit, et celle dont toutes les autres ne sont pour ainsi dire que les accessoires, ce sont les arrêtés successifs en directoire, contraires à la fois et au decret, de l’Assemblée nationale et aux arrêtes du département. Le décret de l’Assemblée nationale du 3 août 1790 porte « que, dans toute l’étendue du royaume, Sa .Majesté sera priée de donner des ordres pour que les municipalités fassent détruire toutes les marques extérieures d’insurrection et de sédition, de quelque nature qu’elles soient. » Les arrêtés du démirtement sont entièrement c mformes à la loi, et ne parlent que des signes d'insurrection. Le directoire du district, paraissant oublier ces arrêtés et la loi, ordonne l’abattement de tous les mais, et. de-autres signes d’insurreeiion, lorsqu’il est certain que la plupartdes mais étaient élevés à ia liberté. Il ne fait aucune distinction entre les premiers et les seromis ; il rejette toute espèce de précaution ; il fait usage de la force armée, sans avoir employé ou épuisé les moyens de douceur indispensables dans ces premiers temps, où, par l’effet nécessaire et irrésistible des circonstances, la plupart des esprits ont été entraînés au delà du but; il envoie les détachements sans donner le moindre avertissement aux municipalités. Telles sont, autant que nous l’avons pu apercevoir, les principales causes de l’insurrection; et les autres que nous avons détaillées, n’ont fai1, en se joignant aux premières, qu’accélérer l'insurrection ou la rendre plus violente. Nous devons au reste nous empresser de déclarer que si le directoire du district est coupable, ce n’est que d’une erreur ; que cette erreur trouve sou excuse dans le juste désir qu’il avait de hâter le payement des rentes, pour que les proprietaires de celles-ci n’eussent plus aucun prétexte de refuser le payement de l’impôt. Elle avait aussi son excuse dans la persuasion où citaient ces administrateurs que tous les mais étaient des signes u 'insurrection ; parce que quelques-uns l'étaient eu effet, ou parce que les mais, dans l’esprit d’un petit nombre de personnes qu’rs avaient entendues, étaient des signes de l'affranchissement des rentes. Sans doute, les administrateurs auraient dû s’éclairer davantage sur les faits, éclairer le peuple lui-même, se transporter, s’il te rail ait, sur les lieux, comme l’a fait, dans lo district de Figeac, le procureur syndic de ce district ; et nous sommes assurés qu’avec de tels procédés, ils eussent obtenu le succès qu’ils auraient désiré; mais la science de l’admiuistra-tion est si nouvelle encore, que, si l’on mérite des éloges pour suppléer en quelque sorte à la loi en de'ioant et appliquant tous les moyens qui peuvent rendre le retour à l’ordre plus facile, on ne doit encourir aucuns reproches pour ignorer ce que la méditation et l’expérience apprendront bmntôt à tous les administrateurs; et le directoire du district de Gourdon, en particulier, n’en mérite aucuns, par la certitude que nous avons acquise de l’extrême pureté de ses intentions. Les causes de l’insurrection arrivée dans ce district sont connues; il nous reste a examiner celles des districts de Gahors et de Lauzerte. N° 2. Causes de l'insurrection des districts de Cahors et de Lauzerte. L’insurrection seule de Gourdon aurait suffi pour exciter un grand mouvement et produire tes plus fâcheux désordres dans toute l’étendue du département du Lot. Mais il ne faut que jeter un coup d’œil impartial sur la série des faits dont nous avons rendu compte, et considérer seulement la date de ces faits, pour apercevoir sur-le-champ une antre cause du l’insurrection qui a éclaté dans les districts de Gahors et de Lauzerte. Un fait certain, c’est que les dévastations n’ont commencé dans ces districts que dans la nuit du 10 au 11 décembre, et que dès le 9 de ce mois le brr; d’une cmitre-révolutiou prochaine s’était tellement répandu à Gahors, que la municipalité de cette ville a été pendant près d’un mois agitée par la crainte qu’un pareil bruit ne se réalisât; que pendant tout ce temps elle a veillé avec une ardeur infatigable au salut de. la chose publique, et qu’elle s’environnait chaque jour de toutes les précautions que lui suggérait son zèle pour déconcerter les projets des ennemis de la Constitution. Il y avait eu aussi, le 9 décembre, dans la ville de Castelnau, ou dans les environs un rassemblement degcntilshoœmcs, qui avait causé le plus grand effroi à tout le pays; c’éta;t M. d’Es-ayrae, ci-devant seigneur de’Lauture ; connu généralement pour être un des plus chauds ennemis de la Révolution, qui était accuse d’être à la tête de ce rassemblement. 11 faut joindre à ces circonstances l’enlèvement de toute la poudre chez les mamhand-, la provision faite par les ci-devant nobles d’une quantité considérable de fusils ; et quand on voit que tout cela est antérieur aux désordres qui n’ont commencé que daus la nuit du 10 au 11 décembre, il est permis de croire que ces desordres ne sont que la conséquence des événements que nous venons de raconter. Les désordres, à la vérité, se multiplient, se propagent; presque mus bs châteaux sont ou incemiiés, ou ué\asiés, ou menaces; et le peuple m: s’arrête qu’après plus d’uu mois de rupin-s et de pillages. Mais aussi les bruits ne comro-révolutiuii avaient pris ue la consistance; un avait vu les mu n ici paire-concevoir des alarmes a eut égard, et s'approvisionner de poudre et de pluinb pour 302 (Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (23 avril 1791.] se mettre en état de défense; des détachements de troupes de ligne avaient même été envoyés à l’une d’elles pour les défendre, non do peuple, mais de ces rassemblements armés qui avaient jeté partout l’épouvante. Le peuple voit enfin un nombre considérable de gentilshommes, après les conciliabules qu’ils avaient tenus et les approvisionnements qu’ils avaient faits, sortir tout à coup de leurs châteaux, armés de toutes armes, parcourir ainsi les villages et les villes, tirer sur les citoyens, en tuer quelques-uns. Dès lors il se voit menacé de toutes paris; ses propriétés et ses jours sont en danger; la Constitution qui lui a fait tant de bien, va être anéantie; il s’arme aussi, et sa vengeance, aussi prompte que le projet qu’il en a conçu, survit à la cause qui l'a produite; elle dure encore après la dispersion des gentilshommes. Quelques-uns de ceux-ci nous ont fait remettre un mémoire justificatif, dans lequel ils exposent que ce n’est qu’apiès la desiruetion de plusieurs châteaux situés à 2 et 3 lieues de Lau-zerle, savoir * les châteaux du Repaire, de la -< Rouisse, de Follemont, de Saint-Pantaléon, « et trois maisons à Monteny qu’ils se réunirent « au château de Haut-Castel, près Lauzerte, et « qu’ils conçurent le noble projet de défendre « leurs propriétés et celles de leurs voisins, « quels qu’ils fussent, au péril de leurs vies; de « se porter partout où il y aurait du danger, et « de faire leurs efforts pour en imposer aux bri-« gands. » Ils ajoutent que, pour ôter aux malveillants tout prétexte de calomnier leurs démarches, ils en envoyèrent à la municipalité de Lauzerte la déclaration dans laquelle ils expliquaient leurs vues; qu’ils l’envoyèrent par deux députés; « qu’elle fut accueillie comme devait « l’être un acte de patriotisme, qui n’avait et ne « pouvait avoir d’autre but que celui de rétablir « le calme et la paix; que M. le maire de Lau->< zerte en fournit son reçu aux députés, n Ils disent aussi que, le 18, le tocsin sonnant dans plusieurs paroisses, et instruits même qu’il sonnait depuis la veille à Saint-Cyprien, ils se rendirent ou château du Gai, où ils trouvèrent quelques personnes qui s'y étaient rassemblées dans l’intention de porter du secours aux propriétaires qui en auraient besoin; que le 19, avertis qu’il venait de se former un attroupement d’au moins 600 hommes armés chez M. Duc, bourgeois de Cahors, dans la paroisse de Saint-Cyprien, et que ce même attroupement devait de là se rendre au Cal et à Marcillac, pour y brûler les deux châteaux, ils allèrent chez ÏM. Duc pour sauver sa maison du pillage dont elle était menacée ; « qu’avarit d’arriver ils virent effectivement une « troupe de paysans armés de fusils, de faux et « autres arnWoffensives, qui, à leur approche, « quittèrent ce poste pour se réunir dans le vil-« lage de Saint-Cyprien ; » que deux officiers mu-« nicipaux qui étaient aussi chez M. Duc, « dirent « à ces messieurs que c’était par la force et mal-« gré leurs remontrances que les paysans s’étaient >■ emparés de la maison de M. Duc ; que leur pro-« jet en la quittant était d’aller incendier le châ-« teau du Cal et celui de Marcillac; qu’eux gen-« tilshommes observèrent à ces deux ofliciers « municipaux qu’il était essentiel de faire ccs-« ser de pareils désordres, et les prièrent de mar-« cher à leur tète jusqu'au village de Saint-Cy-« prien, pour, de concert avec eux, faire enten-« dre raison à cet attroupement; que ces deux « officiers municipaux approuvèrent fort cette « démarche, et engagèrent même ces messieurs « à venir jusqu’au village, en leur disant que « cela ne pouvait faire qu’un très bon effet, mais « que dès qu’ils furent à portée du village, ou « les menaça avec des hurlements affreux;.... « ..... que ces menaces effrayantes n’empêchè-» rent pas M. Descayrac de s’avancer seul avec « un des ofliciers municipaux pour parler au « peunleet l’exhorter à la paix; que, dans le rao-« ment même où il commençait à leur parler, « un malheureux, que personne n’avait aperçu, « lui déchargea un violent coup de bâton sur « les reins, et qu’un autre le renversa d’un coup « de fusil qui l’atteignit à la tête; que tous ces « messieurs étaient encore immobiles en atten-» dant l’effet de la négociation qui devait s’en-« tamer, lorsqu’un autre des leurs, presque au « même instant, eut son cheval tué sous lui, et « fut lui-même blessé très grièvement en plu-« sieurs endroits ; qu’alors indignés de l’horrible « trahison de ces paysans qui continuaient à « tirer sur eux, ils tirèrent à leur tour pour leur « défense, et s’en retournèrent de suite au châ-« teau du Gai; qu’ils eurent de leur côté 4 per-» sonnes blessées et un cheval tué; et qu’ils ont » appris, après leur retraite, que du côté de ces « paysans, il y avait eu 2 hommes tués et quel-« ques blessés. » Ils Unissent par raconter « qu'à « leur retour au Gai, on leur dit que la muniei-« palité de Castelnau de Montratier avait reçu un « renfort de la ville de Cahors, et qu’elle venait « de rendre une proclamation qui défendait toute « espèce d’attroupement; que d’après cette nou-« velle, et croyant que la ville de Castelnau em-« ploierait utilement ce renfort pour faire cesser « les brigandages qui désolent encore cette con-« trée, ils lui écrivirent sur-le-champ pour la « prévenir que dès qu’elle se trouvait en force « pour rétablir la paix et l’ordre dans cette par-« tie du Quercy, ils allaient se séparer, s’en rap-« portant à leur honnêteté et à leur vigilance « pour ia sûreté des individus et des pr prié-« tés ....... que le soir même la séparation eut « lieu, et qu’il ne resta au Gai que les person-« nés nécessaires pour le garantir de toute in-« suite ..... « Qu’en se séparant, cinq de ces messieurs se « rendirent à Lauture qui était menacé, etc. » D’après ce mémoire, il paraît que les gentilshommes, en se rassemblant et s’armant, n’ont eu que des intentions pures, celles de défendre leurs propriétés : mais, avant d’entrer dans l’examen de cette grande question, nous croyons devoir observer et prouver que presque tous les faits rapportés dans leur mémoire ne sont point exacts. Ils disent que ce n’est qu’après la destruction des châteaux du Repaire, de la Bouisse, de Follemont, de Saint-Pantaléon et de trois maisons à Montcuq, qu’i's se sont réunis. A la vérité, ils n’ont signé que le 17 décembre la fédération qu’ils avaient formée entre eux, mais dès le 9 ils s’étaient réunis; et une preuve que leur réunion a commencé avant le 17, c’est que le 13 il en était parlé dans un procès-verbal de la municipalité de Castelnau; que le 14, le procureur de la commune de cette ville en parla aussi dans son réquisitoire; que le 16, les commissaires de la municipalité de Castelnau allèrent dénoncer à celle de Cahors une fédération de contre-révolutionnaires armés; et qu’aussitôt 60 hommes de troupes de ligne et 60 gardes nationaux furent envoyés à Castelnau, pour mettre la ville et les environs en état de défense contre cette fédération. Or c’est le moment de cette fédération, bien plutôt que le [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES [23 avril 1791.] moment de l’acte qui en a été passé, qu’il faut considérer ici; et il est certain qu’avant qu’elle se fût effectuée, aucun château n’avait été détroit; les trois maisons de Montcuq n’o it même été dévastées que le lendemain de la signature de ia fédération, c’est-à-dire le 18 décembre. Ce n’est donc point, comme le disent les gentilshommes, après la destruetion des châteaux du Repaire, de la tîouisse, de Follemont, de Saint-Rmtaleon et de trois maisons à Montcuq qu’ils se sont réunis; leur réunion a précédé toute espèce de destruction ; et l’acte même de cette réunion, qui a suivi de quelques jours la réunion elle-même, est antérieur à la dévastation des maisons de Montcuq. H est dit aussi dans le mémoire justificatif que le tocsin sonna le 18 décembre à Saint-Cyprien; et les ci-devant gentilshommes donnent ce fait particulier pour le motif de leur réunion au château du liai. Or, ce fait n’et pas encore exact; le tocsin ne sonna que le 19 à Saint-Cyprien, an moment où les gentilshommes arrivèrent dans un nombre si considérable et avec un appareil si menaçant. Ils disent qu’avertis le 19 qu’il venait de se former chez M. Duc, dans la paroisse de Saint-Cvprieu, un attroupement d’au moins GUI) hommes armés, ils allèrent chez ce particulier pour sauver sa maison du pillage dont elle était menacée ; qu’à leur arrivée, les paysans armés de fusils, de faux et autres armes offensives, se retirèrent aussitôt à Saint-Cyprien, « et que deux officiers « municipaux dirent à ces messieurs que c’était « par la force et malgré leurs remontrances que « les paysans s’étaient emparés de la maison de « M. Duc; que leur projet, en la quittant, était « d’aller incendier le château du Gai et celui de >. Marcillac. » Tous ces faits ne sont pas plus exacts que les précédents. D’abord, il s'en faut bien que ce fût pour pilier la maison de M. Duc que les paysan? s’étaient rendus chez lui, puisque c’est, un repas que celui-ci donnait aux paysans de Saint-Cyprien, afin de les mettre dans ses intérêts et de les engager à défendre se? propriétés si elles étaient menacées. La municipalité dit même à cet égara à M. Duc « qu’il était inutile « qu’il se constituât en dépense, que son zèle et » celui de tous les citoyens de Saint-Cyprien les « portaient tous assez à défendre les propriétés « et à prévenir le brigandage sur cette paroisse. » Il ne serait pas vraisemblable ensuite que les paysans se tussent rendus en armes à un repas; il ne le serait pas non plus que s'ils eussent été armés de fusils, de faux et autres armes offensives, 600 hommes ainsi armés eussent fui à l’approche de 50 ou 60 hommes ; mais il est faux qu’ils fussent armés; le procès-verbal de la municipalité dit expressément qu'ils étaient sans armes . Comment a-t-on pu enlin attribuer aux ofdeiers municipaux le propos qui leur est imputé, lorsqu’on lit dans le procès-verbal qu’ils dressèrent le même jour, la phrase qui suit ; « quelle a été « notre douleur et noire tristesse lorsqu’on nous » a appris que la troupe de cavalerie qui fut à » Montcuq dans la nuit de vendredi à samedi « dernier, et qui avait considérablement augmenté « en nombre, venait fondre sur la paroisse de <> Saint-Cyprien, dans le temps que les citoyens » étaient dans la maison du sieur Duc à se diver-« tir avec le sieur Duc fils, qui les en avait si u instamment priés; » lorsqu’on lit encore ce qui suit : « les sieurs marquis d’Escayrac, marquis « de Deaucaire, La Coste, Caminel et autres de-« mandèrent à ces deux officiers municipaux « qu’est-ce qu’ils faisaient là, et ils répondirent 308 « la vérité, qu’ils s’étaient rendus à Loyx à la « sollicitation du sieur Duc fils. » Mais voici où l’inexactitude est la plus frappante. Les gentilshommes disent dans leur mémoire « que les officiers municipaux approuvèrent fort i leur démarche, et engagèrent même ces mes-k sieurs à venir jusqu’au village, en leur disant « que cela ne pouvait faire qu’un très bon effet. » C’est précisément le contraire qu’il fallait dire iu*ur être vrai. Il n’est pas d’efforts qui n’aient été fans par les officiers municipaux, pour empêcher la troupe armée d’entrer dans le village de Saint-Cyprien : « Qa’allez-vous faire, lui dirent-« ils ? Vous mettez le trouble dans une paroisse qui avait le bonheur de jouir de ia paix. » Enfin, on lit dans le mémoire, que ce furent les paysans qui, les premiers, maltraitèrent la troupe armée, et tirèrent sur elle; et il est dit, au contraire, dans le procès-verbal de la municipalité de Saint-Cyprien, que ce fut la troupe année qui, rangée en bataille, fît une décharge d’artillerie sur les citoyens qui s’étaieut réfugiés au clocher pour sonner le tocsin ; fait qui paraît extrêmement vraisemblable ; car, si les paysans avaient eu des intentions aussi hostiles que le suppose le mémoire, ils étaient tellement supérieurs par le nombre à la troupe armée, qu’il leur eût été facile de la massacrer entièrement, tandis qu’aucun individu, appartenant à cette troupe, n’a été tué. De si nombreuses et de si fortes inexactitudes dans le mémoire des gentilshommes jettent tout à coup un jour défavorable sur leur réunion. Cependant, comme il serait possible, ou que ce mémoire eût été rédigé par une personne qui ne connaissait qu’imparfaitement les faits; ou que ces gentilshommes, dans le trouble extrême uü ils étaient, n’eussent fait qu’une légère attention aux événements; ou que leur unique but, en atténuant les circonstances, ait été de vouloir disposer en leur faveur les esprits naturellement prévenus contre eux; cherchons dans les faits, et indépendamment du mémoire, quelles pouvaient être les véritables intentions de ces gentilshommes, en contractant une fédération armée. On devine d’abord bien facilement que, dans un pays où le peuple adore une Révolution qui a détruit cet amas scandaleux de vexations et d’abus sous le poids desquels il était accablé, cette même Révolution doit avoir pour ennemis tons ceux à qui ces vexations et ces abus étaient profitables. La haine de ceux-ci pour la Constitution doit même s’accroître clans ia proportion du soulagement qu’éprouve le peuple; parce que plus le peuple gagne, et plus ils perdent. Mais il y a une grande différence entre ne nas aimer une Révolution, qui supprime une partie des jouissances auxquelles on était accoutumé, et se liguer contre cette même Révolution. Quelques-uns des gentilshommes du département du Lot nous ont dit : « Nous n’aimons pas « la Révolution qui nous fait beaucoup de mal; « mais, en citoyens fidèles, nous observons scru-« pubmsement tous les décrets de l’Assemblée nationale. >• Examinons si ceux qui ont contracté une fédération armée étaient en effet, des citoyens fidèles. ou s’ils n’élaieut pas, comme ils ‘en ont été accusés parla voix publique, de véritables contre-revoLution naires. Nous sommes obligés de dire qu’à Gourdon, il nous fut remis, par un homme digne de foi, un 304 [23 avril 1791. J |Asseu>blee nationale. J AilCIllVES UAKLEMEINTA1KES. mémoire dont nous crûmes devoir extraire ce qui suit : « 11 fut trouvé dans la poche d’un paysan, qui sortait d’une dus maisons dévastées, une lettre contenant à peu près ces termes : « Mon cher, les « choses en sont encore au même point, parce « (iue les coffres ne sont pas encore assez garnis; «mais, sovez tranquille, dès qu’ils le seront, la « bombe éclatera : » après quoi il y avait encore plusieurs mots latins. On sait le nom de l’homme et de la femme qui lurent cette lettre, et qui se décidèrent à la brûler, parce qu’ils remarquèrent qu’elle contenait la signature d’un nom égal à celui d’un habitant de Gourdon, qu’on craignait de compromet re. » Voici un autre fait qui semble venir à l’appui du précèdent. Le 30 décembre 1790, un paquet adressé à la dame Goste, par le sieur Latapie, lieutenant au régiment de Médoc, fut envoyé tout ouvert à la municipalité de Gahors ; ce paquet renfermait une lettre du sieur Latapie à sa femme, et cette lettre commençait ainsi : « Gesse tes alarmes, ma [dus « chère amie, je ne suis ni emprisonné, ni pendu, « ni mort, ni blessé, mais harassé de fatigue; tu « as dû recevoir ce matin une lettre de moi que « je t’ai écrite de Gahors, où j’avais été député « pour des affaires de la plus grande consé-« quence, et dont la France va retentir dans peu ; « les troupes qu’on a fait rentrer à Gahors, n’an-« noncent rien moins que la tranquillité, puisque « le château de Gai fut pillé et brûlé avant-hier « par l’imprudence qu’eurent ces messieurs de « venir au château de Lauture, où je devais me « rendre, pour conférer sur mon importante mis-« sion, etc. » Une pareille lettre parut mériter d’être communiquée au comité des recherches de l’Assemblée nationale. On lui en envoya une copie; l’original fut remis à l’accusateur public, pour qu’il fît incessamment les poursuites nécessaires; et l’on crut d’autant moins pouvoir se dispenser de ce résultat sévère, que le sieur Latapie était accusé d’avoir fait partie du rassemblement des gentilshommes. Voilà, comme vous le voyez, deux lettres qui semblent indiquer que la “Constitution avait des ennemis qui n’attendaient que le moment favorable de faire éclater leur ressentiment, et qui veillaient mèn e pour faire naître ce moment. Il s’élève dès lors les plus violents soupçons conlre le but de la fédération armée; et surtout lorsqu’on en considère toutes les circonstances. D’abord, les gentilshommes se rassemblent secrètement et sans permission ; ils prennent ensuite Je parti de rendre public leur rassemblement ; mats ils font une déclaration, au lieu de faire une pétition ; et ils restent continuellement rassemblés, lorsqu’il ne leur était ; as permis de l’être un seul instant. Ils parcourent, dans l’appareil militaire le plus effraya»!, les villes et les campagnes. Ils entrent dans le sein des communes contre le gré des municipalités, et lorsqu’aucun pillage ne les y appelle ; ils tirent sur les citoyens; ils en tuent quelques-uns. Quel était leur chef? L'homme du pays qui s était déclare le p'us ouvertement contre' la Constitution. Dans quel temps, enfin, leur rassemblement avait-il lieu? Dans le temps à peu près où une commotion, presque générale, aeitait l’Fmpire, et où, détentes les p.nies d u royaume, il arrivait des nouvelles de p o.|e tramés contre la Révolution. Il -eraudonc bien difficile de penser que. Pians e Jé artement du Lot, le ra�sem-blementarmcdes gentilshommes n'ait pas eu pour but quelque1 projets du même genre. Si cependant on fait attention, d’un autre côté, que ce rassemblement n’a pas commencé avant le 9 décembre, et que par conséquent il est postérieur aux troubles de Gourdon; si l’on considère que, l’année précédente, des dégâts multipliés affligèrent le district de Lauzerte, on sera peut-être tenté de croire que les gentilshommes, effrayés par les troubles de Gourdon, et craignant que les malheurs de l'année précédente ne se renouvelassent, ont pris, par cette unique raison, et dans la seule intention de se défendre, le parti de se rassembler. Dans cette hypothèse, ils auraient eu tort de se rassembler saDs permission; ils n’auraient pas couvert l’illégalité de leur rassemblement par leur déclaration envoyée à la municipalité de Lauzerte; ils ne justifieraient, dans aucun cas, ni leurs courses nocturnes ni leurs armements extraordinaires, ni les délits graves qu’ils ont commis. Mais ne serait-il pas possible, malgré toutes tes apparences qui semblent accuser les gentilshommes, que leur rassemblement n’eût eu pour motif que la défense de leurs possessions; défense à laquelle ils auraient été portés par l’aspect des troubles de Gourdon, et par le souvenir de ceux dont ils avaient souffert l’année précédente ? C’est le résultat de l’information, qui seul pourra donner la solution de ce problème. Quelle que soit, au reste, la cause véritable de ce rassemblement, c’est ce rassemblement qui est la cause première des désordres du district de Lau-zerie. A la vérité, l’amour du pillage s’est joint, dans quelques individus, à la nécessité où s’est cru voir le peuple de repousser les hommes qu’il regardait comme ses ennemis; mais il n’en est pas moins vrai que c’est ce rassemblement et tous ses accessoires qui ont fait naître les desordres et qui les ont longtemps perpétués. Tout était tranquille en effet, lorsque se forme la réunion des gentilshommes; la nouvelle de eette réunion et des approvisionnements de poudre, de plomb et d’armes de toute espèce effraye le peuple; et les désordres commencent. Les gentilshommes paraissent ensuite. Leur apparition, leurs courses nocturnes, leur conduite hostile, l’assassinat de plusieurs citoyens, toutes ces circonstances excitent la fureur du peuple; il voit d’ailleurs à la tête des ci-devant nobles, un homme dont nous sommes fâchés de parler aussi souvent, puisqu’il n’existe plus; cet homme est M. d’Es-cayrac, qui, vers le commencement de janvier, a fini par périr dans le département de Lot-et-Garonne, à la suite d’une affaire dont les détails ne seront encore bien connus que par l’information qui s’instruit à Toulouse. Il vexait ses vassaux clans l’ancien régime, et leu r prenait (comme un grand nombre de personnes nous l’ont assuré dans le pays), tout ce qui était à sa convenance. Dans celui-ci, il s’était montré ouvertement con-ire cette Révolution, qui, en réparant toutes les injustices passées, vient si fort au soulagement du peuple; il devait donc, à plus d’un titre, être maint et haï des paysans. Ceux-ci, en le voyant à la tête d’une fédération qui avait toutes les apparences de l’hostilité, ont vu à l’instant mène , : ou seulement la Révolution, mais leurs propriétés et leurs jours en danger ; ils n’ont plus écouté que res-eiitimmt, et n’ont plus vu que la nécessité i e s portait à la vengeance. L’état de guen e a véritablement commencé. G’est. la force quia agi coutre la force; et celle qui a vaincu a fini par aouser de son triomphe. Une preuve manifeste que c’est véritablement ia réimio" dos gentilshommes et leurs procédés [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 avril 1791.) hostile.-’, qui ont excité les d'sordres, se tire des journées de Mmitcuq et de cuint-Cyprien. Les trois maisons de Monteuq n’ont été dévastées que posteriturement à l’arrivée nocturne (tes gentilshommes dans cette ville; et celte dévastation a même été la suite immédiate de l’effroi qu’ils avaient causé au peuple (1). Le pillage et l’incendie du château de Marcillae n’ont été également que la suite de la terrible journée de Saint-Gy priée . Tous les paysans tpe te tocsin attira dans ce village, lorsque les gentilshommes y fuient arrivés, allèrent en se retirant piller le château de Marcillae et y mettre le feu. « Nous nous y sommes présentés, disent les « officiers municipaux de Saiot-Gv prie i , dans « leur procès-verbal du 19 décembre, nous étions « menacés nous-mêmes, notre vie était en dan— « ger, tant les esprits étaient montés contre M. de « Saint-Jean, seigneur de Marcillae, qui, disait-on, « avait envoyé son fils avec la troupe du sieur « Bellud, la nuit même qu’elle lit son entrée dans « la ville de Monteuq. » Ainsi il est certain, et par ia nature même d 'S circonstances, et par l’évidence des faits, que c’est le rassemblement des gentilshommes, qui, dans le district de Lauzerte, a été la première cause des désordres qui y ont été commis. La cause de ces désordres est donc connue, aussi bien que celle des événements de Gourdon; ei l’on voit que, dans l’un et dans l’autre district, ce n’est point l’affranchissement des rentes qui a excité le soulèvement du peuple. Seulement les longues vexations qu’il avait éprouvées à cet égard de la part des ci-devant seigneurs ou de leurs agents, ont pu rendre le soulèvement plus facile, et prolonger la fermentation. Nous allons maintenant, Sire, examiner quels sout les moyens par lesquels il nous semble qu’on peut prévenir à jamais le retour d’une pareille agitation et de si affreux désordres : ce sera l’un des objets île notre rapport qui auront le plus d’intérêt pour le cœur ne Votre Majesté. §3. Moyens définitifs de raffermir la tranquillité dans le département du Lot. Le peuple, Sire, docile à la voix de vos com-missaires, a paru convaincu que les incendies et les pillages étaient des délits dignes de toute la sévérité des lois ; il a montré le repentir le plus sincère; il a restitué avec empressement mut ce qu’il avait pris; et l’un des heureux effets de ces restitutions, a été de iui prouver qu’il ne résulte aucun profit pour lui des incendies et d s p;l-(l) Voici ce qu’on lit dans une lettre des officiers municipaux de Moutcuq au district de Lauzerle, eu date du 20 décembre : « ...... On continuait depuis trois heures à sonner le tocsin, et il arriva une foule de peuple de différentes commîmes ...... Les nouveaux venus, indignés de ce qui s’etait passé, formèrent le projet de saisir ces messieurs, s’il était possible. Mais incertains s’ils étaient encore dans les maisons de Mme de Yivans, ils eu enfoncèrent les portes et y firent des perquisitions; pareille conduite fut tenue dans la maison de M. üailly ; le pillage fut la suite du ressentiment du peuple, et ces deux maisons y furent exposées ; mais les citoyens de cette ville firent tout ce qui fut en leur pouvoir pour arrêter les progrès de ce pillage. 11 fut grand, mais point général : il cul lieu dans une autre maison appartenant à M"" Constans, qui fut ouverte de force, etc. » lrû Série. T. XXV. 305 lages. Mais cela ne suffit pas encore, et comme nous l’ont dit plusieurs paysans, le peuple peut-être finirait par se repentir de ces restitutions, s’il voyait les instigateurs, qui, nar le seul appât du pillage, ont excité ou prolongé les désordres, et qui ne restituent rien, jouir tranquillement et avec impunité au fruit du leurs rapines; il est donc nécessaire que Je peuple voie clairement, non seulement qu’il ne gagne rien, mais qu’il risque tout à commettre des crimes ; et il faut en conséquence que les instigateurs soient punis. Leur punition est d’ailleurs une suite indispensable des décrets de l’Assemblée nationale. Par le décret du 13 décembre 1790, relatif aux troubles de Gourdon, il est dit ; « Que devant les juges du tribunal de Gourdon, il sera incessamment informé, à la réquisition de celui chargé de l’accusation publique près ledit tribunal, contre tous ceux qui, par des insinuations perfides, auraient cherché à égarer le peuple et à lui persuader que les décrets de l’Assemblée nationale des 18 juin, 13 juillet et 3 août derniers n’existaient pas ou ne devaient pas être exécutés, ainsi que contre les auteurs, fauteurs et complices des désordres qui ont eu lieu à Gourdon et lieux circotivoi-sins, pour, après l’information faite, le procès être fait et parfait aux accusés. » Ce décret, rendu pour le district de Gourdon, est applicable à tous les lieux où des désordres ont été commis, et particulièrement au district de Lauzerte. 11 faut donc que dans celui-ci, comme dans le premier, l’information soit faite et les vrais coupables punis. Mais cette information ne doit pas être seulement dirigée contre les paysans, que l’amour seul du pillage a fait agir; elle doit 1 être encore conire les ci-devant nobles, qui, par leur rassemblement armé et leur irruption dans les villages et les villes, peuvent être considérés comme les premiers instigateurs; qui d’ailleurs ont fait périr des malheureux, dont la mort doit être vengée, si l’on veut que la justice soit satisfaite; et il nous paraît nécessaire que l’Assemblée nationale le dise expressément uans le décret qui interviendra, afin de répart r les impressions funestes que la partialité répréhensible du sénéchal de Lauzerle a fait naître dans le pays. Ce n’est en effet que contre les dévastations des châteaux qu’il a permis d’informer et il a passé sous silence les journées de Monteuq et de Saint-Cy-prien, ainsi que tout ce qui leur est accessoire. Ce n’est pas tout; et voici une circonstance vraiment remarquable. Le samedi 29 janvier, jour auquel nous quittâmes Lauzerte, était le jour aussi où le sénéchal, qui devait être remplacé le lendemain par le tribunal de district établi à Moissac, quittait ses fonctions. Aucun décret alors n’était encore rendu; mais le 29, dernier jour de l’existence du sénéchal, 61 personnes furent décrétées; et le commandant des troupes de ligne, qui, le 31 janvier, nous écrivit cette nouvelle, nous marqua qu’elles l 'étaient près que toutes de prise de corps. Tarn d’activité d’une part et si peu de l’autre produisirent le plus mauvais effet; et nous ne craignons pas de dire que, sans le bon esprit dont le peuple commençait a donner des preuves, il eût été a craindre qn’u.œ telle conduite ne le portât à de nouveaux soulèvements. Il est resté paisible, et s est fié entièrement au tribunal de Moissac pour répareras injustices dont il avait à se plaindre; edui-ci les réparera sans doute et fera ce qui a été >nrs par le sénéchal de Lau-20 306 {Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTA 1RES. [23 avril 1791. | zerte. Mais la poursuite de tous les instigateurs, quels qu’ils soient, est si nécessaire— le peuple d’ailleurs nous a dit tant de l'ois: « punissez parmi « nous, ceux qui sont coupables, mais punissez « aussi les nobles qui ont couru sur nous » — qu’il nous paraît encore une fois indispensable que l’Assemblée nationale s’exprime clairement à cet égard en disant que l’information sera également dirigée contre les uns et contre les autres ; elle rassurera tous les esprits par cet acte de justice ; elle fera ce que l’on attend d’elle; et l’avantage qui résultera d’ailleurs de l’information, c’est qu’elle fournira les lumières qu’il importe de recueillir sur le véritable motif des rassemblements armés des gentilshommes. Les informations doivent donc être suivies où elles sont commencées; et elles doivent être commencées où elles ne le sont pas encore. Mais ici nous devons dire que le tribunal de Gourdon ayant été poursuivi par le peuple, lors des troubles affreux qui ont désolé le pays, et ayant même été forcé d’interrompre pendant quelque temps ses fonctions, ne nous paraît pas propre à rester saisi de l’instruction et du jugement de l’affaire; surtout dans un moment où le district est sans aucune force militaire. Il faut considérer que ce tribunal serait regardé comme étant, pour ainsi dire, partie au procès; et dès lors les circonstances exigent qu’un d* s autres tribunaux du département lui soit substitué ; celui de Ca-hors nous paraît le plus convenable, comme étant le plus voisin du district de Gourdon. Ainsi, poursuite de tous les désordres quels çiu’ils soient, et attribution de l’afïaire de Gourdon à un autre tribunal qu’à celui de ce district : voilà un des premiers moyens que nous indiquons, ou plutôt que la justice indique, pour effrayer et contenir les coupables, pour rassurer pleinement les bons citoyens, et pour empêcher à jamais le retour des troubles. En voici un second, non seulement propre à consolider encore la paix, mais à ramener dans le département une partie de l’aisance et du bonheur que d’anciennes vexations en éloignent depuis longtemps. C’est la suppression de ces vexations mêmes, et l’adoption de quelques mesures relatives au payement des rentes. Le ; euple se plaint à la fois de Y indivis; du taux du rachat des rentes : de l’emploi fait, par les ci-devant seigneurs, de mesures falsifiées qui surchargent les redevances; de l’emploi fait également par eux d’un crible roulant qui les surcharge encore; il se plaint enfin de l’obligation à laquelle on veut l’astreindre de paver les rentes avant l’exhibition des titres, lorsqu’il a la preuve que, par des reconnaissances postérieures à ces titres, les redevances ont été surchargées, et qu’il lui est dû des restitutions considérables. Jetons un coup d’œil sur chacun de ces objets. L 'indivis est le droit d’exiger d’un seul em-phytéote la rente due par tous, sauf le recours du premier contre les autres. Ce droit n’existe point partout, mais dans plusieurs endroits; il dérive des inféodations faites en masse, en corps, sous la condition de telle quotité de rente qui sera aussi servie en masse et sans aucune division. On sent tout d’un coup combien il serait injurie de faire perdre à un propriétaire de rente undroit aussi précieux pour lui, et qui résulte des conditions mêmes du contrat primitif; mais on sent en même temps combien ce droit est onéreux pour celui des emphytéoUs que le propriétaire choisit pour son seul redevable, qu’il actionne en conséquence, et qui ensuite est obligé, pour être remboursé de ses avances, d’exercer autant d’actions isolées qu’il y a de débiteurs. Ne serait-il pas possible de concilier l’intérêt du propriétaire et celui du redevable, de manière que celui-ci lut soulagé, sans que le premier éprouvât de préjudice? On désirerait en général, dans le département du Lot, que dans les lieux où l'indivis existe, la communauté se chargeât de payer, soit en nature, soit en argent, la rente entière due au ci-devant seigneur, et qu’elle reprît ensuite sur chaque censitaire ce qui serait dû car lui et ce qu’il payerait par addition à sa cote d’imposition. Ce moyen nous paraît concilier tous les intérêts. Le propriétaire reçoit en masse ce qui lui est du en masse; le redevable ne paye que ce qu’il doit; il ne paye pas pour les autres; tout l’odieux de l'indivis disparaît. L’Assemblée nationale pèsera ce moyen dans sa sagesse, il nous suffit de l’indiquer. fluant au rachat, on se plaint à la fois et de l’exorbitance du prix auquel il est porté, et de l’uniformité de ce prix pour toutes les rentes indistinctement. On nous a dit que, le censitaire ne pouvant racheter sa rente qu’en rachetant aussi la directe et les droits casuels, il ne pouvait se libérer qu’en payant le double, le triple, et souvent même le quadruple de ce que valaient les rentes avant l’époque du décret; et que, le prix du rachat étant de beaucoup supérieur à la valeur de la rente, la faculté de racheter devenait illusoire. On ajoutait que, de l’uniformité du prix du rachat pour toutes les rentes indistinctement, il résultait que quelques-unes ne seraient jamais rachetées : car une rente indivise q t portable , assise sur de bons fonds et peu chargés, a une valeur de 500/0 au-dessus de la rente divise et quérable, assise sur des fonds ingrats, et dont les charges sont considérables; l’une et l’autre cependant sont assimilées pour le prix du rachat. Or jamais on ne pourra consentira payer la seconde autant que la première. L’Assemblée nationale (disait-on) n’a pas voulu faire des lois qui restassent sans application. Voilà les plaintes qui nous ont été répétées par un grand nombre de paysans. 11 est certain que les faits sur lesquels elles sont fondées sont de la plus grande exactitude. Mais peut-être que le Corps législatif, suivant sa marche accoutumée, qui est de ne se laisser arrêter par aucune des considérations que font naître les intérêts particuliers d’un pays, ne voudra apporter aucune modification à sou système général sur le rachat des droits féodaux; peut-être aussi re-gardera-t-il la faculté du rachat comme une assez grande concession faite aux redevables, pour être payée de quelques sacrifices de la part de ceux-ci, lorsqu’ils voudront en faire usage. l)’un autre côté cependant, le rachat d’un objet quelconque doit toujours être en proportion avec la valeur même de cet objet, et il paraît injuste qu’il l’excède. Vous n’osons pas ici indiquer le parti qu’il serait convenable d’adopter, il nous suffit d’indiquer, en même temps, et les moyens qui militent pour la modification que l’on, désire, et ceux qui la combattent. Mais u a parti qu’il paraît désirable de prendre sans retard, c’est d’abolir ces cribles roulants qui sont pour le département entier un monument de scanda e, et pour le peuple une source de vexations. C’est aussi de faire vérifier les mesures dont les propriétaires de rentes font usage, de ramener ces mesures à leur capacité primitive, de les faire approuver par les municipalités, et d’en ARCHIVES PARLEMENTAIRES. (23 avril 1791.] 307 [Assemblée nationale.] faire conserver le type dans la maison commune. C’est enfin de rendre pour le département du Lot un décret particulier, impérieusement sollicité par les circonstances, sur l’exhibition des titres et le payement des rentes. On objectera peut-être que tout est déjà réglé par les décrets rendus sur cette matière; et en effet l’article 29 du titre 2 du décret, concernant les droits féodaux, dit que « lorsque les possesseurs des droits « conservés ne seront pas en état de représenter de « titre primitif, ils pourront y suppléer par deux « reconnaissances conformes, énonciatives d’une « plus ancienne... pourvu qu’elles soient soute-« nues d’une possession actuelle qui remonte « sans interruption à quarante ans, etc. » L’article 4 au titre III dit que <. lorsqu’il y « aura pour raison d’un même héritage plusieurs « titres ou reconnaissances, le moins onéreux au « tenancier sera préféré, sans avoir égard au plus « ou moins d’ancienneté de leurs dates ». L’article 3 du décret du 18 juin 1790, sur le payement des redevances foncières non supprimées, porte que « nul ne pourra, sous prétexte « de litige, refuser le payement de la dîme ac-« coutumée d’être payée, ni de ehamparts, ter-« rages, agriers, comptants, ou d’autres rede-« vances de cette espèce aussi accoutumées « d’être payées et énoncées dans l’article 2 du « titre ». Enfin, dans le décret du 13 juillet 1790, il est dit « qu’il sera informé par les tribunaux ordinaires contre les infracteurs du décret du 18 juin, sanctionné parle roi, contre le payement des dîmes, des ehamparts et autres droits fonciers, ci-devant seigneuriaux, et que leur procès leur sera fait et parfait, sauf l’appel ; qu’il sera même informé contre les officiers municipaux qui auraient négligé à cet égard les fonctions qui leur sont confiées ; sauf à statuer à l’égard desdits officiers municipaux ce qu’il appartiendra, réservant aux débiteurs, lorsqu’ils auront effectué les payements accoutumés, à se pourvoir, en cas de contestation, devant les tribunaux, conformément au décret du 18 juin, pour y faire juger la légitimité de leurs réclamations contre la perception ». Il résulte de ces articles : 1° que tout débiteur de droits seigneuriaux doit, avant aucune contestation, commencer par payer ce qu’il a payé jusqu’à présent ; 2° que la loi a déterminé la nature des reconnaissances qui peuvent remplacer le titre primordial ; et dès lors toutes les difficultés paraissent résolues. Mais quelques réflexions bien simples vont prouver la nécessité d’un décret additionnel à ceux que nous venons de citer. Voilà deux années que dans la majeure partie du département du Lot on n’a point payé de rentes ; on ne les a point payées par l’évidence qu’on a eue des surcharges, et par la difficulté même de payer après deux années de disette ; on ne les payera à l’avenir, dans plusieurs endroits, que lorsqu’on y aura été condamné par les tribunaux ; il n’y a donc aucun inconvénient pour le seigneur, qui dans tous les cas ne peut être payé qu’après un certain laps de temps, et il y a beau; coup d’avantages pour les emphytéotes, à qui l’on évitera des frais, à ne pas s’occuper du payement provisoire, et à rechercher sur-le-champ par quels moyens on pourrait accélérer le payement définitif. L’article 29 du titre IL et l’article 4 du titre III, concernant les droits féodaux, s’appliqueraient difficilement aux difficultés qui divisent le pays, et seraient d’ailleurs d’une très longue application. Presque toutes les reconnaissances en effet portent des surcharges énormes qui sont le fruit de la vexation, et par conséquent ne peuvent point remplacer le titre primordial. D’un autre côté, le titre primitif n’existe pas dans plusieurs endroits: par quelles règles alors se diriger? C’est à l’Assemblée nationale à les fixer ; et pour les appliquer promptement, pour déterminer les bases des reconnaissances nouvelles qui vont être passées entre les redevables et les créanciers, pour rétablir à l’instant et partout l’activité du payement des rentes, et soulager à la fois celui qui doit et celui à qui il est dû, il nous semble qu’une loi salutaire serait celle qui ordonnerait que, dans chacun des districts du département, les électeurs nommeraient quatre commissaires pour revoir les titres des ci-devant seigneurs, et régler les contestations des redevables avec eux ; que chaque communauté et chaque ci-devant seigneur pourraient adjoindre, lorsqu’ils le jugeraient à propos, et pour l’objet particulier qui les concernerait, un commissaire aux quatre nommés par les électeurs du district ; que la décision de ces commissaires ferait loi, lorsque les ci-devant seigneurs et la communauté l’auraient approuvée ; mais que si les deux parties, ou l’une des deux contestait, la décision serait renvoyée au tribunal du district, qui jugerait en dernier ressort. Cette marche est la plus régulière et la plus constitutionnelle que nous apercevions. L’Assemblée nationale pourra sans doute en trouver une meilleure; mais il en faut une, quelle qu’elle soit, pour détruire jusqu’aux germes d’agitation qui pourraient exister dans le département. Voici encore une difficulté sur laquelle il est très important que l’Assemblée nationale s’exprime. Dans le departement du Lot, comme nous l’avons déjà dit, la maxime nulle terre sans seigneur a régné jusqu’ici dans toute sa force; et, en vertu de cette maxime, la girouette qui était le titre du seigneur, dispensait de titres écrits et de reconnaissances. Mais cette maxime ne peut plus subsister; et cependant il serait injuste, d’un côté, que le ci-devant seigneur perdît la totalité de ce qu’il a possédé jusqu’ici de bonne foi ; de l’autre, que le redevable continuât à payer autant qu’il l’a fait jusqu’à présent, s’il est en état de prouver qu’il a été surchargé. Les reconnaissances, dans ce cas, auront-elles pour base ou le prix moyen des redevances perçues sur les héritages environnants, ou le prix le moins considérable? C’est ce que l’Assemblée nationale déterminera. Nous n’avons plus qu’un mot à dire sur cet article relatif aux rentes; c’est que, dans l’espace de 6 mois, si l’on met quelque activité dans les opérations, tout peut être réglé, toutes les nouvelles reconnaissances passées; et que jusque-là il y aurait peut-être de la justice à accorder un sursis aux redevables. Cet acte de justice, comme nous le disions tout à l’heure, n’entraînerait aucun préjudice pour le seigneur ; puisque dans l’état actuel des choses, si le seigneur plaidait pour être payé de ses rentes, il ne" parviendrait peut-être pas à l’être avant 6 mois, à cause des divers degrés de juridictions qu’il aurait à parcourir et des difficultés qu’il éprouverait de la part de ses censitaires. Un dernier objet nous reste à discuter, c’est celui qui concerne les indemnités réclamées par tous ceux dont les propriétés ont été la proie des incendies et du pillage. 308 [Assemblée nationale.| AKCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 avril 1791. J Nous plaçons cet article au no;nbre des moyens propies à consolider la paix; car il est certain que moins il y aura de mécontents et de malheureux dans'le departement, moins il y aura de fermes de discorde. Mais n’est-il pas nécessaire d’abord de faire une distinction entre ceux qui avaient des intentions pures et qu’on ne peut pas sasnecter, et ceux qui par leur conduite, en ap-parê: ce hostile, ont pu exciter la fureur du peuple? N’esi-ce pas, d’un antre côté, un article particulier qui concerne exclusivement les tribunaux, par-devant lesquels Jes parties léséesdoivent se pourvoir, ou contre les individus, ou contre les commîmes, contie les uns comme instigateurs, et contre les autres comme responsables? L’Assemblée nationale semble l’avoir ainsi formellement décidé, lorsque le b octobre, par son décret sur les obstacles apportés dans le département de l’Aude à la circulation des grains, elle a décidé que « l’in-« lemnité desdégâts et dommages sera prise d’u-: born sur les biens des coupables, subsidiaire-• ment supportée par les communes qui ne les « auraient pas empêchés lorsqu’elles l’auraient « pu et. qu’elles en auraient été requises, par les <« oi liciers municipaux, qui sont responsables de « leur négligence à cet égard. » Mais, dans le département un Lot, les individus coupables se-ruie t-ils assez nombreux et assez riches pour payer une partie seulement des dégâts qui ont été fait-? Les communes elles-mêmes si elles étaient criminelles, seraient-elles en état de supporter la condamnation qu’elles éprouveraient? Les propriétaires qui nous ont remis leurs mémoires, et le département lui-même, semblent considérer les indemnités qui sont dues comme une cette nationale (1). Ici, les bornes de notre ministère nous arrêtent; et nous nous bornerons seulement à observerque, quel que soit l’aspect sous lequel l'Assemblée considère les réclamations d’indemnités, et quel que soit aussi le parti qu’elle prenne à cet égard, il nous paraît nécessaire qu’elle connaisse 'avant toui le résultat des procédures qui vont être instruites. Lorsqu’elle connaîtra, lorsque le directoire do département lui aura fait connaître aussi le détail exact des dommages qu’ont soufferts les ur« priétaires des différents districts, elle sera plus en état de prendre le parti que son humanité et sa justice lui suggéreront. Quelques propriétaires tranquilles et honnêtes, et les administrateurs du district de Gourdon, sont dignes de son plus tendre intérêt. Ainsi, en nous résum mt sur U s moyens définitifs les plus propres à affermir le calme dans le département du Lot, nous croyons qu’ils peuvent "se réduire à ceux-ci : Poursuite et punition des coupables; Attribution de l’affaire de Gourdon à un autre tribunal, qu’à celui de ce mstrict; A amination de commissaires par les électeurs de chaque district, pour revoir les titres, et régler les difficultés entre les propriétaires et les redevables; Sursis au payement des rentes jusqu’au règlement de toutes les cm estations ; lequel� suivis néanmoins ne pourra exced r le terme de 6 mois , Abolition dn crible roulant; (G Apres avoir parlé, dans une pétition adressée à P Assemblée nationale, de l'insuffisance des moyens des individus ou des communes, pour paver les indemnités aux propriélaires, le directoire du departemen! ajoute : Les proprietaires attendent, et nous croyons devoir réclamer pour eux qu'il y soit suppke pur votre justice et votre saqesse. Vérification de toutes les mesures, ut destruction de celles qui seront reconnues avoir été falsifiées. Tels sont les principaux moyens, Sire, par lesquels il parait possible ne venir efficacement au secours d’un navs que de violents désordre-om • i cruellement agité depuis quelque temp-, etq d, depuis des siée. es, est accablé sous le poids des plus énormes vexations. Ces moyens n’empêcheront pas l’Assemblée nationale de prendre, en même temps, eu considération les vues que nous avons cru devoir présenter sur l’ indivis , sur te rachat des rentes, sur l’effet de la maxime, nulle terre sans seigneur, dans les lieux où il n’y a ni titres, ni reconnaissances, et où cette maxime supplée aux reconnaissances et aux titres ; en lin, sur les indemnités réclamées par les victimes de l’incendie et des pillages. Mais, jusqu’à ce que toutes les mesures que nous venons de proposer à Votre Majesté aient reçu leur exécution, il est essentiel, malgré la confiance due au peuple, et la conviction intime que nous avons de son penchant à l’or-die et à la paix, d’eniretenir, dans le département, une force suffisante pour garantir ce même peuple des instigateurs qui pourraient continuer à l’obséder; et qui, pour empêcher le bien qui est encore à faire dans ce pays, renouvelleraient peut-être toutes leurs coupables manoeuvres. Cette mesure de précaution, ainsi que la plupart nés autres, ont été, pour ainsi dire, conve-veuues avec le directoire du département, dans la dernière conférence que nous eûmes avec lui. li parut, à cet égard, adopter toutes nos idées. Combien nous eussions désiré que le môme accord eût régné entre nos opinions sur les causes du désordre ! Mais ici nous croyons devoir dire que nous différons presque totalement. Depuis notre retour, Sire, le directoire du département a adressé à Votre Majesté, ainsi qu’à l’Assemblée nationale, un mémoire dont il a bien voulu nous envoyer une copie. Dans ce mémoire, il commence par dire « que « la principale cause de rinsunectiou, la seule « peut-être, se trouve dans le désir et l’espoir auxquels s’est imprudemment livré le peuple e des campagnes, d’être affranchi à jamais des « redevances seigneuriales ». Or, nous avons combattu, de la manière la plus forte, cette opinion; nous l’avons combattue en indiquant les véritables causes de l’insurrection; nous l’avons combattue encore, on prouvant qu’elle était en contradiction avec la conduite uti peuple qui i eclame l’exhibition du titre primordial, et qui ne léciamerait rien, s’il se croyait affranchi de tout. Le directoire dit encore « que c’est chose no-« foire daus toute l’étendue du département du « Lot, que les planteurs des mais, en y attachant « l’idée de leur décharge des droits féodaux, en-« tendaient effrayer, à la fois, et ceux qui les exi-« geaient, et ceux qui s’y soumettaient ». Or, il est impossible de contreuire encore plus direc-t unent notre opinion sur les mais, et sur l’idée que le peuple y attache. Mais l’assertion du directoire du departement ne nous a causé aucune surprise. Dans presque toutes nos conférences avec lui, ctt article a élé l’objet des plus vifs débats; et nous n’avons pu, ni les uns ni les autres, être ramenés à une opinion commune. One autre opinion du directoire du département, également différente de la nôtre, « c’est que « le peuple ne s’est mù en insurrection, dans le « district de Gourdon, que pour défendre, au lieu [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [23 avril I79l.| 309 « de Saint-Germain, les mais qui avaient été plan-« tés dans le dessein non équivoque d’effrayer les « percepteurs des rentes ». Mais, nous l’avons déjà dit, comment pouvait-on avoir un pareil dessein, à Saint-Germain surtout, lorsque, depuis le mois de janvier 1790, les habitants de ce village étaient en instance avec leur seigneur, an sujet du payement des rentes, et avaient manifesté le désir ue payer ce qu’ils devaient légitimement? Par une suite des opinions du directoire, on lit dans le mémoire qu'il a adressé à l’Assemblée nationale, le passage suivant : « Nous devons à « la vérité, nous devons à la justice, nous devons « au zèle du directoire de Gourdon, ne publier « qu’en faisant abattre les mais, il n’a fait que « son devoir, il n’a fait qu’exécuter vos décrets. » Certes, nous sommes loin d’attaquer le zèle du directoire de Gourdon, et nous nous sommes empressés de rendre à la pureté de ses intentions l’hommage qui leur est dû. Mais nous ne croyons pas qu’il se soit exactement conformé aux décrets, en faisant abattre, sans distinction, tous les mais, nous croyons, au contraire, qu’il a excédé la mission que lui donnaient à la fois et la loi et môme les arrêtés du département; nous croyons que cette imprudence, innocente de sa part, est la principale cause de l’insurrection; et en cela, nous différons encore de l’opinion du directoire. Enfin le directoire s’exprime ainsi : « Nous ne « pouvons compter, au nombre des causes de « l’insurrection, les passions et les haines parti-« culières, ni la sortie téméraire des ci-devant « seigneurs; mais nous ne pouvons presque pis « douter qu’à la faveur des agitations populaires, « il n’v ait eu des passions et îles haines parti-« culières assouvies, et que la sortie des ci-devant « seigneurs, aigrissant et irritant le neuple, n’ait « produit le malheureux effet de multiplier et de « porter au comble les excès dans le district de « Lauzerte. » Ainsi, d’après l’opinion du directoire, le rassemblement armé des gentilshommes, et leurs courses dans les villes et dans les campagnes, n’ont été que les causes secondaires, non des désordres en eux-mêmes, mais de leur multiplicité seulement. Nous croyons, nous, au contraire, et nous avons prouvé, que c’était la cause principale de tous les malheurs dont le district de Lauzerte a été le théâtre. 11 était impossible, comme on le voit, que nos opinions et celles du directoire du département, sur les causes de l’insurrection, fussent plus diamétralement opposées. Cette opposition nous était connue avant que nous quittassions le département ; et, à cette occasion, nous ne pûmes même nous empêcher d’observer aux administrateurs, qu’après plus de six semaines de travaux et de reclvrches sur le môme objet, ayant parcouru 5 districts, conféré avec la plupart des municipalités, entendu soit ensemble, soit partiellement, un nombre immense de citoyens, reçu de toutes parts des mémoires instructifs, il nous était neut-être permis de croire que notre opinion était fondée sur des notions plus exactes et plus sûres que celles des administrateurs eux-mêmes, nécessairement détournés de leurs recherches par tous 1 *s objets d’administration générale qui, à chaque instant, appellent leurs regar.is et absorbent leur attention. Ce que nous leur avons dit à eux-mêmes, nous pourrions peut-être le répéter ici. Mais notre unique dessein, en mettant en opposition notre opinion et la leur, a été d’éveiller les doutes, d'inviter les esprits au plus sérieux examen, et de les mettre, pour ainsi dire, en garde contre les impressions qu’ils pourraient recevoir de la lecture de ce rapport. Nous avons cherché la vérité, de bonne foi, sans esprit de parti, avec le caractère d’impartialité qui convient à l’importance des fonctions que nous avions à remplir; mais il serait possible que, sur quelques objets, l’erreur fût le résultat de nos recherches; et il a été de notre devoir d’annoncer, entre le directoire du département et nous, une différence d’opinions, dont le premier effet doit être de prouver que l’on peut parvenir à un autre résultat que le nôtre, et qui doit faire voir aussi que des causes différentes peuvent solliciter des remèdes différents de ceux que nous avons indiqués. Sire, le département du Lot attend, avec, impatience, et le choix et l’application de ces remèdes. Vos commissaires n’ontpu aair que d’une manière provisoire. C’est à Votre Majesté, ainsi qu’à l’Assemblée nationale, qu’il appartient de travailler définitivement; d’embrasser, dans leur bonté prévoyante, tous les individus et toutes les générations; de détruire non seulement tous les maux qui ont survécu à l’ancien régime, mais d’elouf-fer jusqu’à leur germe; et d’accorder à un peuple repentant, bon et sensible, tous les bienfaits qui s’allient avec la justice. Fait à Paris, le 15 mars 1791. J. Godard (1). ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. CIIABROUD-Séance du samedi 23 avril 1791, au soir (2). La séance est ouverte à six heures du soir. Un de MM. les secrétaires fait lecture des adresses suivantes : Adresse de félicitation et dévouement de rassemblée électorale du district de Châtellerault. Elle annonce qu’elle a procédé au remplacement des curés fonctionnaires publics, réfractaires a la loi du 27 novembre dernier. Adresse de la société des amis de la Constitut ion séant à Sarzau , qui sollicite une loi tendant à lier d’une manière irrévocable les officiers de l’armée à l’observance des lois constitutionnelles; ils demandent en même temps que tons les fonctionnaires publics démissionnaires par le refus de prêter le serment exigé, soient tenus de quitter, lors du remplacement, la paroisse où ils étaient en fonction, et ne puissent choisir le lieu de leur habitation à moins de 5 lieues de distance de la paroisse où ils étaient en fonction. Adresse des administrateurs composant les directoires du département du Calvados, du département de l'Aveyron, du département des Ardennes , du département du Jura ; des membres du directoire du district de Tonnerre et du district de Rochefort, des officiers municipaux d' Etampes, de Marseille , (t) Ce rapport n’est pas signé de M. Robin, envoyé car le roi dans le département du Gard et dans les départements voisins. Mais avant son départ toutes les bases en avaient été arrêtées avec lui. (2) Celte séance est incomplète au Moniteur.