417 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [7 désembre 1789.] Ils l’assurèrent qu’il n’avait rien à craindre, et néanmoins dans le même moment il fut assailli par la populace, sans que cette troupe fît aucun mouvement pour le secourir, et il allait être assassiné sans le secours de MM. Donde et Va-quier, officiers de la milice nationale, qui l’ont traîné à l’hôtel dans l’état le plus déplorable. Dans ce temps critique, M. le comte d’Albert était sorti, accompagné d’une trentaine d’ofticiers, pour le secourir, et ils rentrèrent tout de suite. Le cri du peuple contre cet officier est de l’accuser d’avoir blessé à la main un garde national avec son épée. Il donne sa parole d’honneur qu’il ne s’en est pas servi. Depuis ce moment jusqu’à 2 heures après-midi, il y eut assez de tranquillité pour permettre à quelques officiers de la marine de sortir de l’hôtel pour quelques instants. Dès qu’ils se présentèrent pour rentrer, la garde nationale leur refusa la porte, et il n’y en eut qu’un petit nombre qui put rentrer. Vers les trois heures, M. de Broves fut demandé par le major de la milice nationale, pour le conduire au palais, avec promesse de n’être pas maltraité. Cet officier, qui était sur de n’avoir pas fait le commandement qu’on lui imputait, se livra généreusement. Alors arriva une députation du conseil permanent, accompagnée de M. de Carpiliet, commandant la garnison, qui annonça que le peuple était satis fait, qu’on allait faire rentrer les troupes nationales, à la réserve d’une garde de cinquante hommes que le général accepta, en demandant qu’il y fût joint un détachement de pareil nombre du second bataillon de Barrois à ses ordres. Alors ces messieurs dirent qu’ils avaient besoin du conseil permanent, et qu’ils se flattaient de l’obtenir; mais la milice nationale s’y opposa. Le major fit battre un ban devant chaque compagnie, pour engager les troupes à prendre l’hôtel et les officiers qui s’y trouvaient sous leur sauvegarde. On n’en obtint que des murmures, l’anarchie fut complète, et l’bôtel fut forcé par la milice nationale, qui, entrant en foule, se saisit successivement de M. le comte d’Albert, de M. le marquis de Caste-let, de MM. de Bonneval et de Villages, qu’ils conduisirent au Palais, où chacun de ces messieurs fut mis séparément dans un cachot; mais le consul les en fit sortir dès qu’il fut instruit, et les lit passer ensemble dans une chambre. On chercha longtemps M. Gauthier dans l’hôtel, pour le conduire également dans les prisons du Palais, et les recherches furent vaines. Il eut le bonheur d’échapper à leur projet. Il me serait impossible, Monseigneur, de vous rendre là situation actuelle du corps de la marine; j’entreprendrais vainement de vous en faire le tableau; cependant l’ordre est rétabli dans l’arsenal. Nous sommes au moment de recevoir la réponse de M. le comte de Garaman, à qui un courrier a été expédié. Nous nous flattons tous que vous daignerez prendre les mesures les plus efficaces pour rendre la liberté à nos malheureux généraux, à MM. de Bonneval, de Villages et de Broves. Je suis, etc. Signé : La Roque-Dourdan. M. Malouet. Je demande qu’il soit fait droit à cette plainte sans aucun délai. M. Ilébrard, membre du comité des rapports , observe qu’il est arrivé depuis quelques jours une députation de la commune de Toulon; que les membres qui composent cette députation, étant partis de cette ville sur la fin de novembre, ne sont pas instruits des faits mentionnés dans la lre Série, T. X. lettre de M. le garde des sceaux et dans les pièces qui y sont jointes ; que l’objet de leur mission est relatif à' des objets qui paraissent avoir une grande connexité avec la dernière insurrection de Toulon et qui semblent en être la source. Mais comme les députés de Toulon n’ont remis leurs pièces que dans le jour, il a été impossible au comité d’en prendre connaissance; en conséquence, il demande que les pièces jointes à la lettre de M. le garde des sceaux relative à l’insurrection du 1er décembre, soient remises au comité des rapports, qui les comparera avec celles dont la députation est chargée relativement aux faits antérieurs qui se sont passés dans la même ville, les 17 et 18 novembre, afin qu’il puisse rapprocher les circonstances, juger de la corrélation des faits, et en rendre compte à l’Assemblée, qui, sans ce rapprochement, ne peut être mise dans le cas de prendre un parti. M. Malouet. Les deux affaires sont très-distinctes et l’une ne peut être la suite de l’autre ainsi que tendrait à le faire supposer le comité des rapports. La dernière n’a pris sa source que dans le renvoi de deux ouvriers de l’arsenal par M. d’Albert; ces ouvriers ont ameuté le peuple, c’est l’insubordination qui est la cause de la détention de ces messieurs. Si vous voulez qu’il y ait des lois, que la liberté existe, qu’il y ait un gouvernement, il faut porter un prompt remède à la chose. J’assure qu’il n’y a point de tort de la part du commandant de Toulon ; c’est un officier qui a toujours bien mérité de la patrie, qui a fait ses preuves de patriotisme et d’amour de la liberté, en aidant les Américains à la conquérir. M. le comte de Mirabeau. Je commence par rendre justice au mérite militaire de M. d’Albert, mais je dois en même temps faire remarquer à l’Assemblée que cette question mérite examen et doit être ajournée parce qu’avant de prononcer les deux parties doivent être entendues. Plusieurs membres réclament la lecture des pièces. M. Hébrard, au nom du comité des rapports, rend compte des pièces apportées par les députés de la commune de Toulon. 11 résulte de la teneur de ces pièces, les faits principaux qui suivent : M. d’Orville, officier au régiment de Dauphiné-infanterie, s’étant présenté à la porte de la ville de Toulon vêtu en chasseur et ayant à son chapeau une cocarde noire d’une grandeur remarquable, et au milieu de laquelle était une très-petite cocarde de ruban bleu et rouge, la sentinelle de la garde nationale de Toulon l’arrêta, et lui demanda par quelle raison il semblait éclipser le signe national à l’ombre d’une extrêmement grande cocarde d’une couleur qu’il savait être en horreur à la nation, surtout après les nouveaux événements de Versailles. L’officier répondit en couchant en joue la sentinelle ; les autres soldats nationaux, étant sortis du corps de garde, allèrent à la rencontre de l’officier, qui, se remettant dans la même attitude, leur cria de loin : « N’approchez pas ou sinon... » La phrase ne fut pas achevée. Ayant été rendu compte de ce fait au commandant de la garde nationale et du régiment du Dauphiné, M. d’Orville fut mis au fort de la Mal-gue : il y est resté peu de temps, sa grâce lui 27 [7 décembre 1789.] 4] B |Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. ayant été accordée à la sollicitation de la garde nationale elle-même. Quelques jours après, les bas-officiers de quelques divisions du corps de la marine portèrent au consul de Toulon une déclaration par laquelle, après avoir protesté de leur attachement et de leur soumission à la loi, à la nation et au Roi, ils jurent de s’opposer à toutes les insultes qui pourraient être faites à leurs chefs de terre ou de mer. Le consul fit part de cette démarche à M. d’Albert de Rioms, commandant pour le Roi de la marine de Toulon, qui y répondit en annonçant des vues de conciliation, qu’il désirait voir régner la paix entre les troupes de terre et celles de mer. Il ajoute que le signe national ne doit pas brouiller les citoyens entre eux ; qu’il ne paraît pas que l’on doive dans ce moment y ajouter une si grande importance; que dans la chaleur de la révolution il n’eût pas été prudent d’empêcher les citoyens de le porter ; mais que, le calme renaissant, cela paraît fort indifférent. M. le consul pense qu’il était prudent de ne pas rendre compte à la garde nationale de la déclaration des bas-officiers de la marine, non plus que de sa correspondance avec M. d’Albert. Mais la garde nationale, ayant su d’ailleurs le contenu de la déclaration des bas-officiers de la marine, en conféra avec M. le consul, qui se détermina à leur communiquer sa correspondance avec M. d’Albert. Il fut alors arrêté que le consul se rendrait en députation, avec un grand nombre de volontaires de la garde nationale, auprès de M. d’Albert de Rioms. Cette députation s’y étant rendue, M. d’Albert témoigna à M. le consul son étonnement de voir à sa suite des gens qu’il dit être de la lie du peuple. Le consul répondit que ces volontaires étaient des citoyens estimables, et qu’ils étaient honorés de la qualité de députés dans cette circonstance. L’objet de la députation était d’engager M. d’Albert à faire rendre satisfaction à la garde nationale de ce que la déclaration des bas-officiers de la marine avait d’injurieux, ou que du moins le sens en fût clairement expliqué. Les choses n’avant pu se concilier, il fut arrêté le 9 novembre, “par la garde nationale, par le comité permanent et par la municipalité de Toulon, qu’il serait envoyé à l’Assemblée nationale une députation de trois personnes chargées d’exposer leurs griefs contre M. d’Albert. Ils se plaignent entre autres faits de ce que M. d’Albert a voulu empêcher les travailleurs du port de Toulon de porter la cocarde nationale, de ce qu’il a autorisé les bas-officiers à manquer à la garde nationale, et de ce qu’enfin il lui a manqué lui-même en traitant les volontaires de la garde nationale de gens de la lie du peuple. M. Hébrard conclut en persistant à demander l’ajournement qu’il a d’abord proposé. M. le marquis de Vaudreuil. J’ai servi sous les ordres de M. d’Albert de Rioms et je puis attester hautement et sa valeur et sa prudence. La détention arbitraire de braves militaires qui n’ont fait que leur devoir est une atrocité que vous ne pouvez tolérer un seul instant, aussi je conclus à ce que le président se retire par devers le Roi pour le prier d’informer contre les auteurs d’un acte aussi coupable afin qu’ils soient punis suivant la rigueur des lois. M. Ricard de Séalt, député de Toulon. U n’est ni de la justice, ni de la sagesse de l’Assemblée de prononcer sur des faits sur lesquels ni les officiers détenus, ni le conseil municipal, ni le comité permanent, ni la garde nationale, ni le peuple, ne se sont fait, entendre. Je demande l’ajournement jusqu’à l’arrivée du procès-verbal de la municipalité. M. l’abbé de Bonncval. Gomme frère de l’un des officiers détenus, je viens vous demander de faire prompte justice et de rendre sans retard à la liberté des militaires contre lesquels on n’a produit aucune charge. Je demande, afin d’éviter le retour d’actes aussi coupables, que, par un décret, vous improuviez la conduite de la municipalité et de la garde nationale de Toulon. M. Charles de Canieîli. Le rapport du ministre ne dit pas les faits antérieurs à la détention des officiers et qui cependant doivent avoir une liaison essentielle. Ce sont des circonstances bien singulières que les disputes sur la cocarde nationale soient les mêmes et à la même époque, à Paris, à Versailles, à Marseille, à Toulon et dans d’autres villes frontières. Le projet d’arborer la cocarde noire était donc concerté et annonçait de tous côtés fune contre-révolution. Une cocarde est sans doute peu de chose en elle-même ; mais elle devient un ornement respectable, dès qu’il est adopté comme le signal de la liberté. Je pense qu’il est nécessaire d’attendre de nouveaux écclaircissements et qu’il faut se défier des ennemis du bien public qui ne sont pas encore terrassés. Sans entendre juger prématurément M. d’Albert, dont j’honore le courage et les services, je pense qu’il ne faut pas condamner les citoyens de Toulon sans les entendre. M. llalouet (1). Messieurs, après les détails que vous venez d’entendre, nous sommes tous fondés à nous demander ce qu’est devenu le gouvernement, l’autorité des lois, et sur quels fondements repose la liberté publique; qui commande enfin dans cet empire. Certes, il est temps que l’on sache à qui l’on doit obéir, et qui est-ce qui a le droit d’ordonner, quelle est l’autorité qui nous protège, quels sont ses moyens, quelles sont les forces qui nous défendent, quelles sont celles qui nous menacent. Deux officiers généraux, commandants à Toulon, les principaux officiers de ce département sont traînés dans des cachots par des citoyens armés, en présence d’une nombreuse garnison... Quelle peut être l’issue de cette subversion de toutes les lois, de tous les droits, de tous les principes ? Quel est donc le crime du comte d’Albert et de l’état-major de la marine? Gomment se fait-il qu’un homme qui a vieilli glorieusement dans les armes, qui n’est inférieur à aucun citoyen par son patriotisme, par l’élévation et la générosité de son caractère mais qui a sur beaucoup d’autres l’avantage et l’éclat de ses longs services ; comment se fait-il qu’un tel homme et les officiers distingués qui sont sous ses ordres, soient traînés dans un cachot? Quelles sont les mains criminelles qui ont osé se porter sur le représentant du Roi, sur les honorables défenseurs de la patrie? Quelle violence de leur part, quel crime public a pu motiver cet (1) Le discours de M. Malouet n’a pas été inséré au Moniteur . [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [7 décembre 1789.] attentat? Une violence! un crime! Us en sont incapables. Vous avez entendu, Messieurs, les motifs de cette violence du peuple, ou plutôt des scélérats qui le mettent en mouvement; car je dois rendre témoignage de l’honnêteté du patriotisme des citoyens de Toulon et de leurs magistrats; mais les furieux, les séditieux ne sont compris nulle part dans l’honorable liste des citoyens ; ce sont leurs ennemis. Les motifs de cette insurrection, Messieurs, les voici. Le commandant chasse de l’arsenal des maîtres d’équipage insubordonnés; il veut maintenir une police exacte parmi les ouvriers ; il veut préserver de toute atteinte le dépôt des forces navales qui lui est conüé; et les ennemis, les coupables ennemis de la nation, persuadent aux ouvriers que c’est à eux à faire la loi ; que tout acte d’autorité est désormais une injustice ; que toute discipline est une insulte aux droits du peuple; que tout homme constitué en dignité ne peut avoir ni autorité ni dignité ; que la liberté, enfin, est le droit de tout oser : et voilà le peuple, si facile à séduire, à tromper, qui ignore que tous les désordres, tous les maux de l’anarchie finissent par retomber sur sa tête; qu’il ne peut être un instant tyran, sans devenir bientôt esclave ; voilà le peuple en fureur, et le commandant traîné au cachot. Eh! Messieurs, j’y serais dans cet instant avec lui, si j’étais à Toulon, ou les coupables seraient déjà punis. M. d’Albert n’a pas plus mérité que moi ces indignes traitements ; et comme lui j’aurais chassé de l’arsenal ceux qui pouvaient en compromettre la sûreté. Mais je suppose que le commandant, le directeur général, le major général, le chevalier de Villages, le comte de Broves, que je connais tous pour des hommes pleins d’honneur et de zèle pour la patrie; je suppose que ce que je n’ai jamais vu de leur part fut arrivé à Toulon ; qu’une injustice atroce, une violence criminelle eût été commise envers des citoyens : eh bien ! Messieurs, ce serait encore un attentat inouï, un outrage aux lois, à la paix, à la liberté publique, que d’avoir douté de votre justice, d’avoir puni sans mission, sans tribunal, la violence par la violence, d’avoir ému le peuple, et de l’avoir constitué juge de ses chefs. Peuple sensible et bon, combien de noirceurs, de calomnies, de bruits faux et alarmants sont employés pour l’égarer, pour altérer son caractère ! Je suppose que les ouvriers de l’arsenal aient de justes griefs contre les officiers de la marine. N’êtes-vous pas effrayés, Messieurs, de ces actes, de ces principes de dissolution de toute société? Quoi ! parce qu’un homme et plusieurs sont offensés, ils pourraient s’assembler, s’armer et se venger! Les corporations et les milices viendraient impunément, malgré leurs officiers, malgré leurs magistrats, viendraient fondre dans la maison d’un commandant, l’attaquer, l’insulter, l’arracher à ses foyers, le traîner eu prison. Eh qui voudrait être juge, administrateur, chef d’une telle société? Elfe ne trouverait que des tyrans, elle se précipiterait elle-même dans les bras des tyrans, et le fer et le feu deviendraient les seules relations des différentes classes de citoyens. Et vous -mêmes, Messieurs, vous, les représentants de la nation, quel sort vous attend, si partout où les factieux peuvent pénétrer, leurs attentats sont impunis; si les injures particulières acquièrent toute l’énergie, toute la puissance des intérêts publics; si la liberté des actions des 419 écrits, des paroles, ne consiste que dans la fureur; si les promoteurs de séditions, les audacieux libellistes, qui outragent auiant l’Assemblée par leurs éloges que par leurs calomnies, sont plus longtemps tolérés? Si cette coupable cohorte des ennemis publics n’est bientôt réprimée, craignez, Messieurs, que les violences faites à l’administration ne se répètent sur la législation, craignez que tant d’atteintes portées à l’ordre public n’en détruisent les éléments, ou plutôt, Messieurs, bannissons toute crainte, et que le courage de l’honneur, de la vertu du patriotisme, qui s’est manifesté tant de fois dans cette Assemblée, devienne enfin redoutable aux méchants ! Que l’ordre et la paix se rétablissent dans cet empire par la toute puissance des lois ! Qu’elles frappent enfin sur les têtes coupables ! Que le peuple, tranquille dans ses foyers, ne sépare plus la liberté de la justice; qu’il apprenne à respecter les chefs, à obéir à leurs commandements, et à se reposer sur ses représentants du soin de la chose publique. Que toute audace se taise ou soit punie ! Que les mouvements populaires se calment, ou qu’ils soient réprimés ! Que le pouvoir exécutif reprenne son action et sa vigueur! Qu’il existe par vo9 soins une autorité protectrice de la liberté et de la sûreté de tous ! Croyez, Messieurs, qu’il n’y a ni administrateur, ni officier public qui puissent remplir leurs devoirs et se mêler de gouvernement, tant que les faux principes auront plus d’autorité que les saines maximes de la raison et de la justice, tant que chaque partie du peuple se croira la nation, et autorisée comme elle à exercer la souveraineté, qu’elle ne peut exercer elle-même que par représentants; et cette liberté qui nous est si chère n’existera que lorsqu’il y aura un gouvernement: car la liberté des outrages et des violences de toute espèce est une affreuse servitude qui avilit, qui corrompt tout ce que nous voulons régénérer. Eh! quelle erreur, quelle ivresse pourrait nous empêcher aujourd’hui d’avoir un gouvernement respecté? Qu’attendons-nous pour rendre au Roi le pouvoir qui lui appartient? Quel siècle, quel pays nous présente un monarque plus ami de la justice, de l’ordre et de la liberté! Quels ministres voulez-vous plus dociles que ceux-ci à la direction du Corps législatif, et quelle autre précaution désirez-vous contre les abus du pouvoir, que celle delà nation armée contre tous les abus? Arrêtons-nous donc enfin à un terme raisonnable ; que l’expérience de tous les siècles, que l’exemple de tant d’empires renversés par l’anarchie, ne nous donnent pas de leçons inutiles : la législation est maintenant entre vos mains armée de toute sa puissance. Que le trône reprenne aussi sa véritable splendeur. Que le roi des Français soit véritablement un grand monarque digne de tout notre amour; qu’il soit respecté et obéi pour notre sûreté; que la confiance renaisse parmi nous quand la force est au milieu de nous; que les municipalités fléchissent avec respect sous le pouvoir législatif et sous l’autorité royale. Si nous ne nous hâtons, Messieurs, de prendre ces mesures, nous n’aurons embrassés que l’ombre de la liberté; nous aurons tous les maltieurs, tous les désordres de la licence; et la postérité nous reprochera les siens et ceux de la génération présente. Je conclus à ce que le Roi soit supplié de procurer au comte d’Albert et aux officiers de la marine arrêtés la plus prompte justice des outrages qu’ils ont reçus; et, pour le maintien de [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [7 décembre 1789.] m l’ordre public et de la sûreté de l’administration; je propose le décret suivant : PROJET DE DÉCRET I Le pouvoir exécutif suprême étant, par la constitution, déposé entre les mains du Roi, ceuxaux-quels Sa Majesté confie son autorité, n’en sont responsables qu’au Corps législatif et au monarque. II Il est défendu à toutes les municipalités, et aux différents corps de citoyens armés, d’intervenir dans aucun cas, autrement que par une requête o» pétition au Roi et au Corps législatif, dans les actes de l’administration royale qu’ils ne peuvent ni suspendre, ni troubler, sous peine, contre les infracteurs, d’être punis comme perturbateurs du repos public. III Toute insurrection à main armée contre les officiers, commandants ou administrateurs préposés par le Roi, sera punie suivant la rigueur des ordonnances. IV Il est enjoint auxdits commandants et administrateurs, de maintenir, de la part de leurs subordonnés, l’obéissance qui leur est due, et de faire exécuter les ordonnances militaires et règlements d’administration concernant la discipline et la police des corps et des individus soumis à leur autorité. M. le baron de Menou. On vous a dit qu’il y avait à Toulon une insurrection véritable. Il s’agit de savoir quel en est le caractère et s’il ne s’agit pas d’une résistance légitime à l’oppression. J’appuie donc l’ajournement qui vous a été proposé. M. Emmery. Je pense que toutes les opinions peuvent être conciliées et que l’Assemblée peut prononcer l’ajournement en ordonnant l’élargissement provisoire. M. le marquis de Vaudreuil. Si l’Assemblée adopte cette motion, je demande que le mot provisoire en soit supprimé et qu'après le mot détenus, on ajoute celui d'illégalement. M. le vicomte de Mirabeau. La motion de M. Malouet doit avoir la priorité et je demande à l’appuyer. ( Voy . annexée h la séance, l'opinion de M. le vicomte de Mirabeau.) Plusieurs voix : L’heure est avancée, aux voix, aux voix ! M. le Président consulte l’Assemblée qui ferme la discussion. Les amendements sont successivement mis aux voix et écartés par la question préalable. Plusieurs membres veulent encore parler, mais l’Assemblée demande à aller aux voix avec tant d’instance et de vivacité que toute difficulté cesse et le projet suivant est ratifié. « L’Assemblée nationale charge le comité des rapports de prendre les instructions les plus précises sur tous les événements qui ont eu lieu dans la ville de Toulon et ajourne la délibération jusqu’au moment où les instructions seront acquises ; et cependant son président se retirera vers le Roi pour demander à Sa Majesté qu’elle donne les ordres nécessaires pour que les officiers détenus soient mis en liberté sous la sauvegarde de la loi ». M. le Président lève fa séance, et l’ajourne à demain matin neuf heures. ANNEXE à la séance de l'Assemblée nationale du 7 décembre 1789. M. le vicomte de Mirabeau (1). J’ai dit, Messieurs, que je regardais, non-seulement les auteurs et les instigateurs de l’émeute populaire qui a eu lieu à Toulon le 30 novembre, mais encore ceux qui, pouvant s’y opposer, ne l’ont pas fait, comme perturbateurs de l’ordre public et criminel à la fois, de lèse-nation et de lèse-majesté ; j’ai offert d’en administrer les preuves, et je les tirerai du procès-verbal même qu’ils ont rédigé et dont on nous a fait la lecture ; j’ai dit que le mémoire fait par les trois députés de Toulon, qui sert de commentaire aux pièces justificatives, et qu’on vient de vous présenter, était un libelle, e il suffît, pour s’en convaincre, de le comparer avec les lettres et procès-verbaux, la manière dont il altère et dénature les faits qui paraissent aux auteurs contraires à leur objet ; les qualifications qu’il donne aux expressions simples et mesurées des lettres de M. d’Albert, le rapprochement de deux événements absolument distincts et étrangers l’un à l’autre, l’espèce de diatribe indécente qu’on s’y est permis contre l’honneur et l’esprit militaire; tout a dû vous convaincre de la justesse de la qualification que je donne à cette étrange production. Je n’ajouterai rien à ce que les préopinants ont dit des services éclatants, des vertus et du mérite (1) J’avais demandé et obtenu la parole dans la séance du soir du 7 de ce mois, lorsqu’on a rapporté l’événement incroyable qui a eu lieu dans la ville de Toulon ; mais l’Assemblée a jugé à propos de fermer la discussion et d’ajourner le jugement de cette affaire, avant que mon tour de parler fût venu ; je n’étais assurément pas de l’avis de l’ajournement ; mais je sais que dans toute assemblée délibérante la minorité est liée par le vœu de la majorité, et je n’ai pas l’intention de réclamer contre le décret, cependant plusieurs de mes collègues qui veulent bien prendre quelque intérêt à moi, et dont je prise l’estime, m’ont reproché d’avoir mis trop de chaleur dans cette occasion, et j’avoue que ma seule réponse a été que je ne pouvais qu’être surpris de n’avoir pas vu l’indignation que j’avais éprouvée, devenir un sentiment général; je crois leur devoir, je dois à l’Assemblée, dont j’ai l’honneur d'être membre, je me dois à moi-même de motiver ce sentiment qui a pu paraître exagéré, et pour remplir cet objet, je ne ferai que donner à ce que je me promettais de dire en cette occasion, toute la publicité possible. Personne ne croit plus que moi à la liberté d’opinions, et je vais tâche de le prouver de mon mieux.