[4 mars 1790), 25 [Assemblée nationale. I ARCHIVES PARLEMENTAIRES. semblée de nos représentants; elle a craint que ce mot seul ne les réfutât et ne les confondît. Il semble, en effet, que tous les corps anticonstitutionnels et aristocratiques se sont accordés à refuser son véritable nom à l’Assemblée de la nation ; c’est ainsi, je pense, qu’un athée doit frémir en prononçant le nom sacré de ta Divinité. Les fastueuses descriptions par lesquelles la chambre des vacations a voulu alarmer et soulever le peuple, ne sont que des phrases de rhéteur; ces exagérations convenaient à des remontrances, mais le temps des remontrances est passé. Sans doute de grands maux ont affligé la Haute-Guienne et le Limousin : nous en avons gémi dans le fond de nos cœurs et nous avons cherché à les adoucir et à en prévenir la durée autant que par des arrêts; mais ces malheurs sont à leur terme, et tout est pacifié dans ces provinces ravagées. Où donc est le but de l’arrêt du parlement? Au nom de qui viennent-ils nous commander quand nous avons des représentants et des municipalités légales? Où est la force publique dont ils veulent disposer? Fallait-il d’ailleurs déplorer en style emphatique les malheurs de la nation et calomnier ses représentants, pour consoler et pacifier le peuple? Voyez, Messieurs, la lettre du comité de Brives qui a mis ces droits de l'homme si métaphysiques et cette constitution si compliquée, à la portée du simple paysan ; voilà des citoyensqu’a-nime le bien public l" voilà les vrais missionnaires de la paix et de la liberté!... Pour les chambres de vacations, qu’elles nous jugent, puisqu’il le faut, encore quelques instants; qu’elles vivent et meurent en paix, et ne rappellent plus leur existence, si elles ne veulent hâter l’instant de leur destruction : voilà l'autorité qu’on peut laisser encore à leur justice souveraine. Je me sens entraîné, malgré moi, Messieurs, par l’indignation que m’inspire l’arrêt de la chambre de vacations ; mais le temps m’arrête et me force à me résumer. Les troupes patriotiques se sont formées pour le maintien de l’ordre et de la liberté ; mais pour protéger celle des citoyens, il faut être citoyen soi-même ; ainsi, c’est un grand honneur, en même temps qu’un rigide devoir : Or, comment conserver ce droit glorieux, de défendre les droits de ses concitoyens, à des juges usurpateurs, qui ne reconnaissent point l’Assemblée nationale, par qui nous existons libres et pour laquelle nous nous sommes armés, et qui maudissent publiquement la révolution qui a fait de nous des soldats patriotiques ! Je conclus, Messieurs, àce que le conseil général de Farinée déclare déchus de tous les grades, ainsi que de celui de volontaires, les membres de la chambre des vacations du parlement de Bordeaux. Je conclus, en outre, à ce que l’arrêt rendu par cette chambre, le 20 février, soit dénoncé à la municipalité actuelle, composée des jurats et des électeurs, avec l’instante prière de la dénoncer à son tour à l’Assemblée nationale. Boyer-Fonfrède jeune, aide-major général. ADRESSE DES CITOYENS DE L’ARMÉE PATRIOTIQUE BORDELAISE A L’ASSEMBLÉE NATIONALE. Du 27 février 1790. Nosseigneurs, nous avons juré de maintenir la constitution. Ce serment auguste nous impose l’obligation étroite de poursuivre avec vigueur et de vous dénoncer hautement tous ceux qui chercheraient à y porter atteinte; manquer à l’un ou à l’autre de ces devoirs, rester dans l’inaction ou garder le silence lorsque la constitution et les hommes respectables à qui nous la devons, sont attaqués, ce serait se montrer traître envers la patrie; ce serait se rendre coupable d’impiété: mais nous serons fidèles à notre serment, et au péril même de notre vie, nous remplirons les devoirs qu'il nous impose. Dans votre adresse aux Français, vous paraissiez douter, Nosseigneurs, qu’il y eut un seul homme qui, tournant ses regards en arrière, voulut relever les débris dont nous sommes environnés, pour en composer l’ancien édifice. Eh bien, de pareils hommes existent au milieu de nous, et ce sont les magistrats tenant la chambre des vacations du parlement de Bordeaux. Nous savionsbien qu’ils regretteraient la perte de leur grandeur passée, de leurs illusions, de leurs espérances.... Que ne se bornaient-ils pas àde stériles regrets; mais ils veulent égarer le peuple et se jouer de sa crédulité. Des brigands ont commis de grands désordres dans le Limousin, le Périgord et l’Agenais; et dans bien des lieux ils ont réussi, dit-on, à séduire quelques habitants des campagnes, ils en ont forcé d’autres à les suivre et à partager leurs excès. Personne n’a gémi plus sincèrement de ces désordres que les Vrais amis de la constitution, et personnelle s’est montré plus ardent à les réprimer. Cependant la constitution est restée inébranlable au milieu de ces mouvements criminels. Les ennemis du bien public ont beau les attribuer aux maximes nouvelles, ils ont beau se flatter que la nation regrettera ses fers, leurs espérances sont déçues, et ils sont réduits à employer d’autres moyens. Un arrêt du parlement de Bordeaux, du 20 février, publié et distribué le 24, en tête duquel se trouve un réquisitoire signé Dudon, a jeté l’alarme dans notre cité au moment où tous les bons citoyens s’occupaient paisiblement en exécution de nos décrets de la formation d’une nouvelle municipalité. Plusieurs des membres du parlement, et même l’auteur du réquisitoire que nous vous déférons, avaient prêté, comme nous, le serment constitutionnel.En le voyant dans nos assemblées, nous nous plaisions à croire que, touchés de l’exemple et des conseils que le roi venait de donner à son peuple, ils se réuniraient désormais à nous pour louer et bénir votre ouvrage, et pour jouir, comme nous, du bonheur que de nouvelles lois, des lois qui méritent ce nom sacré, puisqu’elles sont l’expression de la volonté générale, préparent à toutes les classes de la société. Quel a été notre étonnement? Quelle a été notre indignation, de voir qu’au lieu de suivre ces leçons touchantes du roi citoyen, des magistrats n’aient pas craint de lever l’étendard de la révolte, et de publier des principes évidemment f destinés à jeter le trouble parmi nous! Us ont pris le prétexte des attroupements qui ont été commis dans certaines provinces de leur ressort , pour nous calomnier, Nosseigneurs, et affectant de confondre la liberté dont vous avez posé les fondements, avec la licence la plus effrénée, ils osent vous imputer à vous-mêmes, des excès dont vous gémissez, et auxquels vous avez tâché, de concert avec le roi, d’apporter le plus prompt remède. Voilà, disent-ils, en parlant des attroupements séditieux , du pillage , du meurtre et des incendies qu’ils prétendent vouloir réprimer; voilà les pre - |g [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. fier mars 1790.] miers fruits d’une liberté publiée avant la> loi, qui devait en prescrire lés bornes et dont la mesure a été livrée à l'arbürairè de ceux qui avaient tant d’intérêt à n'en connaître aucune. Les premiers fruits de la liberté!... non sans doute; car tout homme, digne d’en jouir, a déjà goûté !e bonheur de sentir que bientôt il ne pourra plus être opprimé impunément au nom des lois par ceux qui s’en disaient les ministres. ... D'une liberté publiée avant la loi quien devait prescrire lés bornes et, dont la mesure a été livrée à l'arbitraire de ceux qui avaient tant d’intérêt à n’en connaître aucune ? Calomnie non moins absurde qu’atroce contre vos décrets sanctionnés par le roi... Décrets auxquels toute la France s’est empressée d’adhérer, parce que toute la France y a reconnu les caractères de la sagesse et de la raison. C’est ainsi qu’on ose insulter, à la fois, aux représentants de la nation, au roi qui a approuvé leur ouvrage, et à ce bon peuple qui jamais ne donna plus de preuve de son patriotisme, disons même de sa générosité, que dans ces circon-tances, où il volait au secours de ses oppresseurs lorsque leurs biens et leur vie se trouvaient en péril par l’effet d’une effervescence passagère excitée peut-être par ceux-la mêmes, qui ont tant intérêt à le tromper. Nous n’entreprendrons point d’analyser ce réquisitoire séditieux, ce réquisitoire où vous trouverez. peut-être, tous les caractères de la forfaiture; mais nous ne pouvons nous empêcher d’en transcrire encore une phrase qui met pleinement à découvert l’esprit qui a présidé, et à sa rédaction et à sa publication. Tout ce que le roi avait préparé pour le bonheur de ses sujets, cette réunion de députés de chaque bailliage, que vous avez sollicités vous-mêmes, pour être les représentants de la nation, pour travailler à la réformation des abus et pour assurer le bonheur de l’Êtat; tous ces moyens si heureusement conçus et si sagement combinés n’ ont produit que des maux qu'il serait difficile d’énumérer. Ainsi, la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, la destruction de l’aristocratie féodale, l’abolition des privilèges, la suppression de la vénalité des offices de la magistrature, tous ces bienfaits de votre sagesse et tant d’autres, sont mis au rang de ces maux qu’il serait difficile d’énumérer. Nous craindrions, Nosseigneurs, d’affaiblir l’impression que doivent produire et le réquisitoire et l’arrêt, si nous étendions plus loin nos réflexions. Nous nous hâtons de finir par une observation qui nous paraît frappante. Quel moment a-t-on choisi, pour répandre cette production vraiment incendiaire? Précisément celui où les électeurs des communes qui se sont occupés avec tant de soin et de succès du maintien de la tranquillité publique, sont réunis à la municipalité, pour procéder au dépouillement des scrutins, pour l’élection des officiers municipaux. Précisément celui où la rareté du numéraire et la stagnation du commerce donnent de grandes inquiétudes. Précisément Celui où les attroupements dont on parle, et les désordres auxquels on feint de vouloir remédier, paraissent avoir pris fin, non seulement par l’emploi des forces que les gardes nationales ont dô-eioppées, de concert avec les troüpes de ligue, mais surtout par le soin qu’on a eu d’instruire les habitants de3 campagnes des intentions du roi et des vôtres, si parfaitement d’accord pour ramener l’Union et la tranquillité dans toutes les parties du royaume; ainsi, il n’y avait pas même dans ce moment le plus léger prétexte à la publication de ce réquisitoire et de cet arrêt; et l’on ne peut pas se dissimuler que, bien loin d’avoir pour objet le rétablissement du bon ordre, il n’en a d’autre que de le troubler. Nous croyons , Nosseigneurs , qu’il importe à la sûreté publique, qu’un délit aussi grand soit promptement réprimé. L’impunité ne pourrait qu’enhardir les coupables et leurs adhérents à se porter à de nouveaux excès, et il est temps qu'un grand exemple apprenne aux peuples qu’ils peuvent s’en remettre aux lois de la punition de pareils attentats. Nous sommes avec le plus profond respect, Nosseigneurs, Vos très humbles et très obéissants serviteurs. M. le comte Mathieu de Montmorency (1), après avoir terminé la lecture des pièces, ajoute : La réunion des pièces dont vous venez d’entendre - la lecture, Messieurs, vous offre le tableau fidèle de ce qui s’est passé dans la ville de Bordeaux. Je craindrais d’affaiblir ce tableau en voulant l’étendre. Les sentiments des habitants de Bordeaux ne sauraient être mieux exposés que par eux, par conséquent mieux défendus que dans leurs adresses; et comme en éclairant votre justice, votre comité doit respecter vos moments, il se bornera à vous rappeler, de la manière la plus succincte, les objets qui ont motivé sa détermination. Vous avez vu, Messieurs, comme le patriotisme vigilant des citoyens de cette grande ville s’est alarmé du réquisitoire et de l’arrêt publiés au moment où ils venaient tous de s’engager solennellement par le serment civique et de procéder à l’élection de leur nouvelle municipalité ; vous avez vu le concours empressé des citoyens de toutes les classes, de ceux que la liberté a armés, de ceux que leurs places rendent les légitimes interprètes du vœu général de leurs concitoyens, et qui vous présentent l’expression de ce vœü consacré dans l’adresse qui vous a été lue, de ceux enfin qui, témoins des faits, ont peut-être le droit de redouter les intentions, et ont sûrement celui d’apprécier les circonstances, de prévoir les suites, et de saisir d’un coup d’œil l'ensemble des éléments dont se compose un délit national. Car c’est un délit national qui vous est dénoncé par les officiers municipaux, jurais et électeurs des communes, par la milice bordelaise, par une foule de citoyens actifs. Ils vous demandent d’apprendre au peuple qu’il peut s’en remettre à la loi, de la punition des attentats qui le menacent. Ils sollicitent, ils osent même presser votre justice, et, à chaque instant, ils attendent votre décision avec la soumission qui convient aux vrais amis delà Révolution, mais avec l’impatience dupatrio-(1) Comme l’Assemblée nationale a adopté le décret proposé par son comité des rapports sur l’affaire de Bordeaux dans la séance même-des rapports où j’ai eu l’honneur de le lui présenter au nom du comité, ce rapport, qui précédait le décret et suivait immédiatement la leciure des pièces, eût été assez inutile à imprimer; mais j’ai pensé depuis qu’il devait l’être, comme la seule réponse convenable a toutes les feuilles qui l’ont cité souvent même inexactement, et à des lettres qui ont été imprimées somme m’ayant été écrites, mais que je n’ai jamais reçues. Montmorency.