ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 octobre 1789.] 444 [Assemblée nationale.] la forme ordinaire, et ceux qui seront atteints et convaincus desdits cas seront punis, s’il s’agit d’attroupements séditieux non armés, par une amende à la discrétion du juge, et par un emprisonnement à la maison de correction, pour un terme qui ne pourra être plus court que six ans, et qui pourra s’étendre jusqu’à douze ans, selon la gravité des cas ; et s’il s*agit d’attroupements séditieux faits avec armes, ou accompagnés de violences, ils seront punis de mort comme rebelles envers le Roi et la nation. Art. 11. Tous officiers ou soldats, tant des milices nationales que des troupes réglées, et qui, dans quelqu’un des cas susdits, refuseraient leur assistance aux officiers municipaux pour le rétablissement de la paix, de la tranquillité et de la sûreté publique, seront poursuivis comme rebelles envers le Roi et la nation, et punis comme tels. » Après beaucoup d’applaudissements, on observe à M. le comte de Mirabeau que cette loi n’est pas pour tout le royaume; il répond qu’en effet elle serait parfaitement inique dans les lieux où les municipalités ne sont pas électives. L’Assemblée ordonne l’impression du projet sur les attroupements et ajourne la discussion. M. le Président a ensuite fait connaître à l’Assemblée les noms des membres qui avaient été élus pour le comité des recherches. Le choix étant tombé sur les mêmes personnes qui composaient déjà ce comité, plusieurs observations ont été faites sur l’irrégularité de l’élection ; M. le Président ayant consulté l’Assemblée, il a été décidé qu’il serait procédé, ce soir, à une élection de nouveaux membres. M. le Président a également consulté l’Assemblée pour savoir si elle approuvait que les anciens membres du comité rendissent un compte ce soir. Cette proposition a été approuvée. Une députation d’une portion du commerce de Paris ayant demandé à être admise à la barre, M. le Président a consulté le vœu de l’Assemblée; la demande ayant été accordée, les députés se sont présentés et ont offert un don patriotique de 2,400 livres. M. le Président leur dit: l’Assemblée nationale reconnaît l’attachement ordinaire des habitants de la capitale aux grands intérêts de la patrie ; elle est satisfaite du témoignage que vous lui en apportez, et vous invite à la séance. On annonce un don patriotique de 300 livres fait par M. Dupan, français, domicilié à Saint-Pétersbourg. Un député de la commune de Fontainebleau demande à être admis à la barre. 11 est introduit et donne lecture d’une requête pour demander à l’Assemblée une décision sur plusieurs questions relatives aux officiers municipaux de cette ville. L’affaire est renvoyée au comité des rapports. La séance est levée. Séance du mercredi 14 octobre 1789, au soir. MM. les députés de la Lorraine demandent que plusieurs envoyés juifs des provinces des Trois-Evêchés, d’Alsace et de Lorraine soient admis à la barre ; l’Assemblée les fait introduire. M. Besr-lsam-Besr , juif . Messeigneurs , c’est au nom de l’Eternel, auteur de toute justice et de toute vérité; c’est au nom de Dieu qui, en donnant à chacun les mêmes droits, a prescrit à tous les mêmes devoirs ; c’est au nom de l’humanité outragée depuis tant de siècles par les traitements ignominieux qu’ont subis, dans presque toutes les contrées de la terre, les malheureux descendants du plus ancien de tous les peuples, que nous venons aujourd’hui vous conjurer de vouloir bien prendre en considération leur destinée déplorable. Partout persécutés, partout avilis, et cependant toujours soumis, jamais rebelles ; objet, chez tous les peuples, d’indignation et de mépris, quand ils n’auraient dû l’être que de tolérance et de pitié, ces juifs, que nous représentons à vos pieds, se sont permis d’espérer qu’au milieu des travaux importants auxquels vous vous livrez, vous ne rejetterez pas leurs vœux, vous ne dédaignerez pas leurs plaintes ; vous écouterez avec quelque intérêt les timides réclamations qu’ils osent former au sein de l’humiliation profonde dans laquelle ils sont ensevelis. Nous n’abuserons pas de vos moments, Messeigneurs, pour vous entretenir de la nature et de la justice de nos demandes; elles sont consignées dans les mémoires que nous avons eu l’honneur de mettre sous vos yeux. . Puissions-nous vous devoir une existence moins douloureuse que celle à laquelle nous sommes condamnés ! puisse le voile d’opprobre qui nous couvre depuis si longtemps se déchirer enfin sur nos têtes! que les hommes nous regardent comme leurs frères; que cette charité divine, qui vous est si particulièrement recommandée, s’étende aussi sur nous; qu’une réforme absolue s’opère dans les institutions ignominieuses auxquelles nous sommes asservis, et que cette réforme, jusqu’ici trop inutilement souhaitée, que nous sollicitons les larmes aux yeux, soit votre bienfait et votre ouvrage (1). M. le Président. Les grands motifs que vous faites valoir à l’appui de vos demandes ne permettent pas à l’Assemblée nationale de les entendre sans intérêt ; elle prendra votre requête en considération, et se trouvera heureuse de rappeler vos frères à la tranquillité et au bonheur, et provisoirement vous pouvez en informer vos commettants. L’Assemblée leur donne séance à la barre, et arrête que leur affaire sera traitée dans la présente session. M. le Président fait donner lecture de plusieurs lettres et adresses qui témoignent les craintes que plusieurs bailliages ont de voir l’Assemblée déserte par le grand nombre de membres qui demandent des passe-ports. L’Assemblée a paru mécontente d’une adresse de Château-Thierry. Les uns voulaient qu’on la blâmât, les autres opinaient pour la renvpyer; on a été aux voix, et il a été déclaré qu’il n’y avait lieu à délibérer. M. Barrère de Vieuzac, membre du comité de vérification , lait le rapport des pouvoirs des députés de la Martinique; les principes qui ont décidé l’Assemblée à admettre la députation de (1) Voy. plus loin, annexé à la séance de ce jour, le Mémoire pour la communauté des Juifs établis à Metz. 445 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 octobre 1789.] Saint-Domingue, qui n’avait pas été convoquée ( par le Roi, motivent l’avis du comité. Il consiste à admettre les députés de la Martinique au nombre de deux. Cet avis est adopté par l’Assemblée. MM. Arthur Dillon et Moreau de Saint-Méry, sont admis à prendre séance. Un membre du comité des recherches rend compte de l’affaire deM. de Besenval. Ce comité n’a pu se procurer aucune preuve contre cet officier général ; il lui a bien été remis des copies des deux lettres adressées par M. de Besenval, l’une au commandant, l’autre au lieutenant du Roi de la Bastille; toutes deux, écrites pendant le siège de cette place, engagent ces officiers à tenir bon, et annoncent un secours prochain. Mais le comité n’a jamais pu avoir les originaux de ces lettres. Il a reçu de M. de Montmorin une lettre qui renferme des réclamations de plusieurs cantons suisses, notamment de la république de Soleure, dont M. de Besenval n’a jamais cessé d’être le sujet, du régiment des gardes-suisses, qui demande que cet officier soit jugé par le tribunal militaire établi d’après les traités faits entre la France et la Suisse. Ce rapporteur fait aussi lecture d’un mémoire justificatif de M. de Besenval, qui tend à prouver que les ordres donnés par le Roi et transmis par cet officier général n’avaient pour objet que les brigands qui désolaient la capitale. Le comité pense que, dès qu’il n’existe aucune plainte, aucune accusation légale, aucune preuve concluante, on ne peut détenir plus longtemps M. de Besenval, et que le Roi doit être prié d’ordonner que cet officier général soit mis eu liberté. M. Rewbel observe que le comité des recherches, en proposant un pareil décret, a vraisemblablement oublié que c’est particulièrement à raison de l’affaire de 1. de Besenval que l’Assemblée a arrêté la création d’un tribunal, qui sera établi pour juger les crimes de lèse-nation; il pense que le moment est venu où l’on doit s’occuper de la création de l’établissement de ce tribunal. M. le duc de Liancourt appuie l’avis du comité, et propose pour amendement que M. de Besenval soit mis en liberté sur sa parole d’honneur de se représenter quand il en sera requis. Si l’Assemblée, ajoute-t-il, exigeait une caution de ce serment, et qu’il fût permis à un de ses membres de se présenter pour la remplir, j’oserais m’offrir moi-même pour caution de M. de Besenval. M. le duc de Luynes observe que la vie entière de M. de Besenval dépose en sa faveur, et que lui, qui a servi sous les ordres de cet officier généra], peut assurer qu’il n’a jamais vu en lui qu’un citoyen estimable et toujours fidèle à remplir ses devoirs de citoyen et de militaire citoyen. M. Moreau de Saint-Méry rend un compte fidèle de tout ce qui s’est passé à l’époque où M. de Besenval a été arrêté, époque à laquelle il était lui-même président de la commune de Paris. Il assure que la lettre originale par laquelle il donne des ordres au gouverneur de la Bastille est entre les mains du président du district de Saint-Gervais; il existe encore à l’hôtel-de-ville, ajoute M. Moreau de Saint-Méry, un paquet mis sous le sceau de la ville et sous mon cachet ; il est possible que les pièces contenues dans ce paquet soient entièrement à la décharge de M. de Besenval ; il est possible aussi qu’elles donnent de nouveaux éclaircissements contre lui; je pense donc que l'Assemblée ne peut, sans une justification légale, rendre la liberté à un homme que la voix publique a désigné comme coupable. M. Glezen propose que cette affaire soit renvoyée au Châtelet de Paris. M. Dupont appuie ce renvoi, et veut que toutes les affaires du môme genre soient aussi renvoyées au même tribunal, jusqu’au moment de la création de celui qui doit être établi par la Constitution pour juger les crimes de lèse-nation. M. Target observe que ce renvoi, portant une attribution au Châtelet, ne peut s’effectuer que par un décret de l’Assemblée nationale sanctionné par le Roi ; il ajoute que le Châtelet doit s’adjoindre, pour le jugement de l’affaire de M. de Besenval, un nombre de citoyens notables élus par les citoyens. M . le comte de Mirabeau pense qu’on ne peut adopter ni l’avis du comité, ni celui de ceux qui demandent le renvoi au Châtelet. L’offre généreuse et presque chevaleresque de M. le duc de Liancourt pour un compagnon d’armes , sacré par le malheur, ne peut non plus être acceptée, parce que, dans Paris même où les élargissements sous caution sont admis, ils ne le sont jamais pour des crimes de lèse-nation. Il conclut à l’ajournement de cette affaire, jusqu’à ce que toutes les pièces de conviction pour ou contre M. de Besenval aient été soigneusement recueillies. Après l’examen de la motion de M. Dupont et de quelques amendements qui y ont été et qui y sont encore proposés, l’Assemblée décide « que le Châtelet sera provisoirement autorisé à informer, décréter et instruire, jusqu’au jugement définitif exclusivement, conformément à la loi provisoire, rendue pour la réformation de la jurisprudence criminelle, contre tous les prévenus et accusés du crime de lèse-nation. » La séance est levée à onze heures. ANNEXE à la séance de l'Assemblée nationale du 14 octobre 1789. Mémoire particulier pour la communauté des juifs établis à Metz , rédigé par Isaac Ber-Bing, l'un des membres de cette communauté (1). Depuis quelques années, les juifs de Metz implorent, par les vœux timides, ce grand acte de législation tant désiré, qui rend à rapprocher les distances que les préjugés religieux ont mis entre les citoyens, et à répartir avec plus d’égalité entre eux les produits de cette industrie vivifiante, les avantages de la société, ainsi que ses charges. Ils voyaient avec douleur, que des obstacles retardaient la marche bienfaisante du gouvernement; leur régénération déjà implicitement prononcée, est restée sans effet, par la force des (1) Ce mémoire n’a pas été inséré au Moniteur.