ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [17 février 1791.] 234 [Assemblée nationale.] délit; tous les règlements prononcent la punition que ce délit mérite; mais aucun ne donne les moyens de le constater, par conséquent de le prévenir. « Nous savons, Messieurs, que tout est instant dans les travaux qui vous occupent; mais le mal contre lequel nous réclamons le secours de vos lois, est extrême; il gagne toutes les classes de la société, il corrompt la plus nécessiteuse, celle qui a moins de ressources pour revenir au bien. Le vice se propage, les crimes se multiplient, et la source de ces malheurs est sous vos yeux. Les regards des pères de la patrie sont souillés par le spectacle continuel de ces jeux infâmes, établis jusque sur leur passage. Le meilleur des rois, le plus sensible des monarques en a la vue blessée des fenêtres de son palais. Rendez, Messieurs, nous vous en conjurons, rendez le repos à nos familles, la sûreté à tons les citoyens; augmentez, s’il se peut, la gloire dont vous vous êtes couverts aux yeux de tous les peuples; et dans votre sagesse, dans l’intérêt que vous prenez à la régénération des mœurs d’une grande cité, veuillez, Messieurs, déc éter une loi qui, prononçant dans quelle classe on doit placer parmi les crimes les jeux défendus, détermine le genre de preuves que les accusateurs publics seront tenus de présenter aux tribunaux, et les moyens qu’ils devront employer pour les acquérir. « Nous aurons l’honneur de vous remettre, Messieurs, le travail des commissaires que, dans les premiers moments de notre administration, nous avions chargés d’examiner cette matière; non pas que nous ayons l’orgueil de penser que ce travail puisse éclairer votre sagesse, mais parce qu’il sera la preuve de notre zèle et des soins que nous avons pris pour cette partie importante de la police de la capitale. « Le génie de la France vous inspire, Messieurs; avec un pareil guide, tous vos pas sont des victoires remportées sur les désordres. Celui que nous vous dénonçons, cédera, comme les autres, à votre zèle et à vos lumières. Heureuse la municipalité, d’avoir des occasions de venir déposer dans le sein de l’Assemblée nationale ses espérances et son dévouement I « ( Applaudissements .) M. I© Président répond : L’Assemblée nationale voit toujours avec satisfaction le zèle et les motifs qui vous portent à venir déposer dans son sein vos inquiétudes et vos demandes. En établissant les lois qui vont régir l’Empire, elle a cherché également à y régénérer les mœurs. Elle voudrait voir déjà tous les hommes de ce pays ornés de toutes les vertus des hommes libres, sans aucun reste, sans mélange des vices et de la corruption de l’esclavage. Tel est le but de ses immenses travaux, telle en serait la plus douce récompense; mais l’Assemblée nationale sait aussi que ce n’est qu’avec l’aide du temps que les meilleures institutions peuvent agir sur les mœurs, les rectifier, les améliorer. Un des plus grands obstacles à leur restauration dans les grandes villes est l’abus que votre vigilance dénonce dans ce moment. C’est dans les maisons de jeux, dans ce gouffre de la cupidité et du vice, que le citoyen qu’on y attire vient perdre cette fleur de délicatesse et d’honnêteté qu’on ne retrouve plus, et commencer cette gradation funeste, qui conduit de l’égoïsme ou de l’imprudence à l’immoralité, et de là à la bassesse et souvent au crime par le désespoir; c’est là qu’il s’habitue à moins aimer sa femme, ses enfants, ses amis, ses concitoyens, qu’il se dégoûte enfin de toutes ces affections et de ces sentiments dont se composent les mœurs domestiques et individuelles et forment la base la plus solide du bonheur public. L’Assemblée nationale pèsera avec toute la sollicitude qu’elle doit à cl’aussi grands intérêts, les moyens de parer à d’aussi grands désordres. Elle vous accorde les honneurs de la séance. » (Applaudissements.) (L’Assemblée ordonne le renvoi de cette pétition aux comités de Constitution et de jurisprudence criminelle réunis.) (L’Assemblée décrète l’impression de l’adresse de la municipalité, de celle de la commune et de la réponse de M. le Président.) L’ordre du jour est un rapport du comité colonial sur l’affaire de Tabago (1). M. AJquter, rapporteur. Messieurs, les troubles qui ont eu lieu au Port-Louis de Tabago ont la même origine que ceux que l’on a éprouvés dans nos autres colon es; c’est l’effet de la commotion qui s’y est fait sentir lorsqu’on y a appris les événements qui se sont passés en France le 14 juillet. D’après ce qui s’était passé en France et d’après ce qui se passait dans les colonies voisines de Tabago, M. Bosque, avocat, invitâtes Français à se réunir pour former un comité patriotique. Cette assemblée se forma le 23 octobre. MM. Grelier et Guys furent élus l’un président et l’autre vice-président. M. Bosque fut élu secrétaire. Elle envoya une députation aux administrateurs pour les inviter à se joindre à elle, afin de travailler de concert au bonheur de la colonie. Cette invitation fut rejetée par M. Jobal, commandant. La société patriotique arrêta qu’il serait fait des représentations à MM. les administrateurs sur les motifs qui avaient donné lieu à la réunion des Français à Tabago; et qu’au cas d’un second désaveu l'assemblée se dissoudrait. La démarche eut du succès et le commandant approuva la formation de l’assemblée. Cette association n’a duré que 6 jours et n’a tenu que 7 séances ; ses membres ont été constamment attachés aux principes d’ordre difficiles à conserver dans les premiers moments d’une révolution ; mais bientôt les citoyens qui étaient à la tête de cette société sont devenus victimes de l’injustice la plus atroce. A Tabago, comme en France, les officiers militaires virent avec peine se déployer l’énergie de la liberté; ils devinrent lesennemisde l’assemblée patriotique aussitôt qu’elle fut formée. MM. Bosque, Grelier et Guys furent bientôt en butte à la haineila plus active ; et d’après les dépositions de quelques soldats, reçues par leurs officiers, ils furent dénoncés comme coupables d’avoir tenu une assemblée illégale, dau3 laquelle, disait-on, ils avaient tramé une espèce de sédition; la dénonciation fut faite le 3 novembre, par M. Dangleberme, membre de la commission, et remise à M. Jobal. MM. Grelier, Guys et Bosque, craignant pour leurs jours, obtinrent un congé du commandant de la colonie et s’embarquèrent pour la Martinique. M. Jobal les fit poursuivre par une goélette, qui les ramena à Tanago. MM. Guys et Grelier furent mis à terre en liberté, et M. Bosque conduit en prison et mis aux fers. Le procès fut instruit en 4 jours, sur la dénonciation de (1) Voyez aux Annexes de la séance : 1° la pétition du, sieur Bosque; 2° l’adresse des sections de Paris, relatives à Parfaire de Tabago.