SÉANCE DU 13 VENDÉMIAIRE AN III (4 OCTOBRE 1794) - N08 43-45 281 titre de secours provisoire, imputable sur la pension à laquelle elle a droit. Le présent décret sera inséré au bulletin de correspondance (57). 43 Un secrétaire donne lecture du procès-verbal de la séance du 25 thermidor, sa rédaction est adoptée (58). 44 Une députation de la section de la Réunion [Paris], admise à la barre, assure la Convention de son entier dévouement, lui jure un attachement constant, et de verser son sang plutôt que de souffrir qu’il lui soit porté la moindre atteinte. Elle offre de déposer sur le bureau une somme de 9 157 L, produit d’une collecte faite dans la section pour la construction d’un vaisseau, et réclame la somme de 6 514 L 14 s., qui étoit le produit d’une collecte destinée à secourir les épouses des défenseurs de la patrie, laquelle somme, conformément à l’arrêté du comité de Salut public du 15 prairial, a été versée au trésor national. Mention honorable, insertion au bulletin, et renvoi au comité des Finances (59). [La section de la Réunion à la Convention nationale ] (60) Citoyens représentants, la nation française s’est élevée à la dignité de l’homme, et notre unique intérêt est de maintenir dans toute leur intégrité les principes qui nous assurent la jouissance de la liberté. Des hommes impurs se sont agités pour nous enlever cette bienveillance précieuse ; mais leurs succès fondés sur l’imposture, n’ont pu être de longue durée. La voix du peuple a été comprimée par la terreur; mais la Convention clairvoyante a écrasé les oppresseurs, et a fait luire le jour où l’amitié, la fraternité et la vertu ne seront plus étouffées par la défiance. La section de la Réunion, pénétrée d’admiration pour tous vos sublimes travaux, nous a députés auprès de vous : 1° Pour vous assurer en son nom de son parfait et entier dévouement : constamment attachée à la Convention nationale, cette section a (57) P.-V., XL VI, 269. Bull., 14 vend, (suppl.). C 320, pl. 1330, p. 30, minute de la main de Saint-Martin, rapporteur. (58) P.-V., XL VI, 269. (59) P.-V., XLVI, 269-270. Gazette Fr., n° 1007; J. Paris, n° 14; Mess. Soir, n° 777. (60) Moniteur, XXII, 150-151; Bull., 14 vend, (suppl. 2); Débats, n” 744, 217-218. juré à l’unanimité de lui faire un rempart de son corps, et de verser jusqu’à la dernière goutte de son sang plutôt que de souffrir qu’il soit porté atteinte à chacun de ses membres ; 2° Pour vous offrir une somme de 9 157 L, produit d’une collecte faite dans la section, pour la construction d’un vaisseau qui servira à balayer la mer de tous les esclaves des tyrans qui l’infectent ; 3° Pour réclamer auprès de vous la somme de 6 514 L 14 s., aussi le produit d’une collecte destinée à seconder les épouses des défenseurs de la patrie, laquelle, conformément à l’arrêté du comité de Salut public, en date du 15 prairial dernier, a été versée au trésor national, et qui n’était destinée qu’au paiement de ces secours. Législateurs, restez à vos postes, c’est notre seul point de ralhement : travaillez à faire le bonheur du peuple : toutes les sections de Paris ne font qu’une; nous serons toujours debout lorsqu’il sera question de seconder les opérations de la Convention nationale. Vive la ré-pubbque! Vive la Convention nationale! La Convention nationale a décrété la mention honorable de cette pétition, l’insertion au Bulletin et le renvoi au comité des Finances. LE PRÉSIDENT : La France connaît les vertus républicaines des citoyens de Paris ; la Convention s’est plu bien des fois à les proclamer hautement. Bons Parisiens, l’intrigue et la malveillance veulent creuser un nouvel abîme; les agents de la tyrannie reprennent une nouvelle audace pour vous diviser ils se servent encore d’une popularité usurpée à force de crimes pour égarer le peuple. Fixez les auteurs de ces agitations; fixez ces hommes à figure atrabilaire; vous y verrez l’empreinte de tous les crimes. Le bonheur est là, vous allez enfin en jouir avec tous les Français : c’est contre cette féhcité que sont armés les malveillants, les voleurs et les assassins. Paris a sauvé la patrie; a concouru à l’anéantissement de la tyrannie ; il achèvera son ouvrage en anéantissant les intrigants et les fripons (61). 45 PORCHER, au nom du comité de Législation, a fait le rapport suivant (62) : Citoyens, Marseille, à qui la France libre doit des actions de grâces ; Marseille, qui contribua si puissamment à la chûte du trône, et qui arrosa du sang de ses enfans le berceau de la République, victime en 1793 des passions qui l’agitent encore aujourd’hui, vit flétrir quelque temps sa gloire, et la contre-révolution aiguisa ses poi-(61) Moniteur, XXII, 150-151; Bull., 14 vend, (suppl. 2); Débats, n” 744, 217-218. (62) Bull., 14 vend. 282 ARCHIVES PARLEMENTAIRES - CONVENTION NATIONALE gnards dans le même atelier où fut forgée la foudre qui écrasa le tyran. Je ne vous rappelerois point ici l’époque douloureuse et pour vous et pour elle, où l’oubli des principes, qu’elle avoit jusqu’alors hautement professés, lui devint si fatale, si je n’avois à vous entretenir, au nom de votre comité de Législation, de la fausse application d’un décret que vous força de prendre la révolte, et les assassinats judiciaires par lesquels ses chefs cherchèrent à l’appuyer. Dans une commune aussi énergique et où la liberté conservoit de très chauds partisans, une tyrannie froide, cette tyrannie qui méprise des esclaves qu’elle ne croit pas dangereux, ne pou-voit s’établir... Un tribunal de sang parut donc aux chefs des révoltés, nécessaire à l’exécution et au maintien de leurs projets ; il fut formé, et le sang des patriotes coula. Alors votre autorité voulut mettre des obstacles au crime, et elle fut méconnue; toutes les tentatives que dictoit la prudence furent inutilement essayées, et il ne vous resta de ressource que de lancer la foudre contre un tribunal qui, par la terreur profonde qu’il inspiroit, pouvoit mettre en péril la liberté dans le Midi. Vous rendîtes donc le 19 juin un décret, dont l’art. 3 condamne à mort tous les citoyens qui prêteroient leur ministère, même comme témoins, aux actes et jugemens de ce prétendu tribunal. Lorsque les armées de la République furent entrées triomphantes dans cette commune rebelle, un nouveau tribunal fut chargé de punir les forfaits de l’ancien, de venger la souveraineté nationale, et d’immoler légalement sur le tombeau des patriotes, des assassins teints encore de leur sang. Mon devoir n’est pas d’examiner ici si les passions, ces ennemis étemels d’un bon gouvernement et du bonheur du peuple, ne le firent pas quelquefois dévier du but unique de son institution : ma mission se borne à dénoncer une erreur d’autant plus grave, qu’il n’est plus en notre pouvoir de la réparer entièrement, et qu’avec la consolation d’avoir exercé un acte de justice, je laisserai dans vos coeurs l’amertume, que de cinq citoyens, une seule femme, pauvre, épouse et mère, et dont le supplice a été retardé par sa grossesse, est aujourd’hui à même d’en recueillir le fruit. Les procédures révolutionnaires dans des temps de crise doivent, je le sais, marcher rapidement. L’énergie et l’activité de la justice peuvent égarer celles du crime, et toutes les mesures de gouvernement doivent être au niveau du danger dont il est menacé. La justice, la politique consacrent cette manière de sentir et de voir; mais on ne doit pas l’étendre au-delà des bornes qui pourroient compromettre la vie des citoyens, essentiellement placée sous la sauvegarde des lois. La punition du crime, j’en appelle ici à vos principes qui ne me démentiront pas, exige toujours impérieusement une accusation déterminée, une conviction pleine et entière du coupable, et une loi précise qui s’applique aux délits. La procédure dont j’ai à vous rendre compte ne fatiguera pas votre attention par sa prolixité; elle ne contient que quelques lignes, et en vous la mettant toute entière sous les yeux, il vous sera aisé de voir si elle porte les caractères dont nous avons parlé. Claire Monnier, femme de Bonde, tanneur à Aubagne, la seule des accusés dont je doive vous entretenir ici, fut mise en jugement le 5 floréal dernier. Je dénonce, dit l’adjoint de l’accusateur public, je dénonce cette femme qui ne s’est pas contentée de porter une seule accusation contre les républicains; elle les a dénoncés dans plusieurs occasions et calomniés partout. (Voici l’accusation en son entier, voyons le prononcé des juges). « Condamnons à la peine de mort, en vertu de l’article 3 de la loi du 19 juin, Claire Monnier, femme Bonde, convaincue d’avoir dénoncé calomnieusement dans le comité général de sa section. » Rapprochons maintenant la loi qui a motivé la condamnation, rapprochons-la du délit, et s’il est vrai, comme votre comité l’a unanimement pensé, que l’erreur en ait abusé, qu’on en fait une fausse application, hâtons-nous, puisqu’il en est temps encore, d’arracher à ses coups une victime qu’elle ne pouvoit atteindre. « A compter de la publication du présent décret, dit l’article 3 du décret du 19 juin, seront réputés complices des assassins composant le prétendu tribunal populaire de Marseille, et poursuivis comme tels indistinctement, tous les citoyens qui, de quelque manière que ce puisse être, prêteront leur ministère, même comme témoins, aux actes et jugemens de ce prétendu tribunal ». La femme Bonde se trouve-t-elle dans le cas prévu par cette loi? votre comité ne l’a pas pensé; et vous qui venez d’entendre le récit exact et littéral des faits, vous jugerez sans doute avec lui qu’elle est entièrement étrangère au délit pour lequel elle a été condamnée. Une loi sévère, mais juste ; disons mieux, une loi humaine, puisqu’elle tendoit à arracher des victimes à un pouvoir arbitraire, défendoit, sous peine de mort, de porter témoignage devant le tribunal séant à Marseille : alors les citoyens, légalement avertis, qui méconnurent la voix de la justice et de l’autorité, qui, au mépris de la souveraineté nationale qui s’étoit prononcée sur cette infâme institution, concoururent à perpétuer son existence et à l’aider dans ses forfaits ; tous ces citoyens dis-je, pouvoient être justement frappés par la loi. Mais en est-il de même de celle qui déposa dans la section d’une petite commune, distante de quatre lieues de celle où il tenoit ses séances, dans un comité de section, illégal sans doute, mais que le législateur n’avoit pas réprouvé. Eh ! qui donc oseroit, sans calomnier votre loi, lui donner une pareille extension? Ah ! si votre intention eût été d’étendre la peine de mort à tous ceux qui auroient déposé dans leurs sections, dans toutes les villes du département des Bouches-du-Rhône, certes, vous l’auriez dit : vous saviez bien que les lois pénales doivent être claires et précises ; que le législateur est comptable au peuple des erreurs de ce genre, auxquelles l’obscurité peut donner SÉANCE DU 13 VENDÉMIAIRE AN III (4 OCTOBRE 1794) - N08 46-47 283 lieu. Mais vous n’avez rien à vous reprocher dans cette circonstance ; la loi étoit claire et précise : on a peine à comprendre comment des juges qui dévoient y trouver la règle de leurs devoirs et de leur conduite, ont pu s’abandonner à un arbitraire aussi funeste. Je m’arrête à ces courtes observations : il est des vérités si frappantes, qu’on les affoiblit en voulant les démontrer; et vous sentez déjà, comme votre comité la nécessité de rendre à la vie et au bonheur, une mère de famille qui a sans doute des torts, mais qui ne se rendit certainement pas coupable d’un délit pour lequel la loi eût prononcé la mort. Citoyens, tous les yeux vous observent, tous les coeurs volent au devant de vous : on a plaint des malheurs et des maux que vous avez doublement partagés; la révolution qui vous rendit la hberté, fut l’ouvrage de votre intrépidité réunie à celle des bons citoyens, et elle doit leur garantir que le temps du pouvoir arbitraire qui opprime, et du pouvoir indolent et foible qui laisse opprimer, est disparu sans retour : en adoptant ces principes, le comité de Législation ne croit pas que le jugement du tribunal révolutionnaire de Marseille, où il a reconnu une fausse apph-cation de l’article 3 de la loi du 19 juin 1793 (vieux style), puisse subsister, et il vous propose, par mon organe, le projet de décret suivant. La Convention nationale, sur le compte qui lui a été rendu par son comité de Législation, du jugement du tribunal criminel révolutionnaire séant à Marseille, en date du 5 floréal, qui condamne à la peine de mort Claire Monnier, femme de Bonde, tanneur à Aubagne, en vertu de l’art. III de la loi du 19 juin 1793 (vieux style) ; Considérant que cette loi ne s’applique nullement au délit dont cette femme est déclarée convaincue, casse et annule la partie du jugement qui la concerne, et ordonne que ladite Claire Monnier sera sur-le-champ mise en liberté (63). 46 ROVÈRE : Mes collègues et moi, lorsque nous étions dans les départements méridionaux, avons sollicité une loi claire et précise sur les fédéralistes; nous n’avons pu l’obtenir, et voilà pourquoi vous êtes obligés d’annuler un jugement injuste. Je demande que le comité de Législation vous présente enfin une loi claire et précise sur cet objet. -Adopté (64). Sur la motion d’un membre, La Convention nationale décrète que ses comités de Législation, de Salut public et de Sûreté générale, sont chargés de faire un (63) P.V., XLVI, 270. C 320, pl. 1330, p. 31, minute de la main de Porcher, rapporteur. Bull., 14 vend.; J. Fr., n 740; J. Paris, n“ 14; Mess. Soir., n° 777; M. U., XLIV, 216. (64) J. Fr., n° 740. rapport, dans le plus court délai, sur le fédéralisme, et de présenter un projet de loi pour faire cesser l’arbitraire et l’incertitude qui règne dans les tribunaux révolutionnaires, sur l’application des diverses lois de circonstance rendues sur cet objet (65). 47 Des réfugiés Corses présens à la barre, expriment leur vive reconnoissance à la Convention nationale d’avoir rendu diffé-rens décrets en leur faveur; ils observent qu’un décret de secours, annoncé dans les feuilles du 4 fructidor, ne se trouve point dans les procès-verbaux : ils prient la Convention de vouloir bien le rétablir. Ils ajoutent que les vrais patriotes ont arraché dans leur fuite leurs familles au contact empesté des rebelles et des Anglais; mais que ces enfans, que la nation veut nourrir, gênent leurs pères qui combattent dans l’armée d’Italie, et manquent des moyens d’éducation. Ces mêmes réfugiés, dans une adresse particulière, donnent des détails sur la trahison de Paoli et l’invasion des Anglais dans l’isle de Corse. Mention honorable, insertion au bulletin, et renvoi aux comités des Secours et d’instruction publique (66). On admet une députation des patriotes réfugiés de Corse. L’orateur prononce le discours suivant : Représentants, un peuple que le despotisme avait asservi, que la justice du peuple français a rendu à ses droits après avoir lui-même revendiqué les siens, que la générosité de ce grand peuple a ensuite associé à ses hautes destinées, aurait été à jamais fidèle à ses engagements, s’il n’avait été égaré par le plus lâche, le plus scélérat des traîtres, en abusant d’un crédit usurpé par cinquante ans d’une hypocrisie la plus raffinée, et surtout du pouvoir national dont il se trouvait malheureusement investi. Oui, représentants, Paoli, ce perfide dont les vrais Corses ne peuvent plus prononcer le nom qu’avec horreur, et dont l’existence n’est depuis un an qu’un attentat à la loi, a été seul cause de la rébellion d’une partie de la Corse et de son invasion par les Anglais. La grande majorité des habitants de ce pays malheureux a été toujours et est encore aujourd’hui française dans le coeur; le despotisme le plus affreux a étouffé sa voix. Ce n’était qu’à Saint-Florent, à Calvi et à Bastia que l’on pouvait être à couvert de ses coups; aussi ce fut principalement dans cette dernière place que grand nombre de patriotes prirent le parti de se réfugier. (65) P. V., XLVI, 270. Bull., 14 vend, (suppl.). C 320, pl. 1330, p. 32, minute de la main de Rovère, rapporteur. J. Per-let, n” 742; M. U., XLIV, 216. (66) P. V., XLVI, 270-271.