286 lAssemblée nationale.] offices des tribunaux d’amirauté ont été exceptés de l’évaluation de 1771; ceux de Bretagne seulement y avaient été soumis. Il serait long et inutile d’exposer ici les raisons de ces différences ; il en résulte seulement que, pour les amirautés des autres parties des côtes du royaume, on n’a pas aperçu d’abord de moyen certain d’estimer la valeur des offices, puisqu’il n’y a pas eu d’évaluation, puisqu’ils ne sont pas réunis en compagnie et qu’ils diffèrent énormément les uns des outres suivant les ports où ils sont établis, et que la valeur des offices d’une amirauté quelconque ne peut donner aucune base pour ceux de l’amirauté voisine. Ces considérations déterminèrent le comité à proposer une exception qui fut adoptée, et il a été décrété qu’il serait proposé un mode particulier de liquidation pour ces offices. Il est évident qu’on ne peut éviter d’y adapter tous ceux des modes généralement décrétés qui s’y trouveront applicables ; ainsi, quant aux amirautés de Bretagne qüi oüt été soumises à la liquidation de 1771, c'est cette liquidation qui doit être la règle. Dans les amirautés qui n’ont pas été dans le cas de l’évaluation, les officiers actuels qui ont acquis eux-mêmes leurs offices peuvent en établir la valeur par les act’es translatifs des propriétés. Mais il reste encore beaucoup d’officiers d’amirauté qui n’ont aucune ressource à cet égard, parce que ces offices sont dans leurs familles depuis un temps très considérable, quelques-uns meme depuis la création, et ils n’eu peuvent constater la valeur, quoiqu’elle soit devenue leur propriété personnelle par des arrangements de famille, parce qu’il n’y a point d’actes translatifs; qu’ils n’ont pu en faire d’évaluation , puisque l’édit de 1771, si odieux dans sa création et qui le deviendra bien davantage par ses conséquences, ne les concernait pas ; enfin, qu’on ne peut l’estimer d’après la valeur des offices semblables parce que, ne formant pas une compagnie, chaque office a une valeur bien distincte et absolument différente. Tous les modes déterminés par le décret manqueraient donc ici, et on ne peut vouloir rappeler ces officiers à l’évaluation des quittances de finance primitives, moyen injuste et oppressif que l’Assemblée nationale a réprouvé le 7 septembre, sur l’avis de son comité de judicature. Mais la nature du produit de ces offices, dont il n’y a ni titre ni évaluation, fournit un moyen simple et sûr d’en connaître la valeur; leur revenu consistait en quelques droits dont la perception était fixée par d’anciens tarifs qui se trouvent tous réunis dans des lettres patentes de 1770. Ces droits étant en général établis sur l’expédition des navires à leur entrée et sortie des ports, leur perception est constatée sur des registres publics dont l’authenticité ne peut être révoquée en doute. Ainsi, en compulsant ces registres, on peut fixer avec une grande précision quel a été, depuis dix ans, le revenu réel de ces offices, et, afin de ne rien laisser d’arbitraire et d’incertain, on peut même en retrancher tout ce qui tenait à la juridiction contentieuse, c’est-à-dire les épices, qui formaient le principal revenu des autres offices de judicature. Ces officiers seraient ainsi traités moins favorablement que les autres magistrats, mais ils ne seront pas au moins entièrement dépouillés de leur propriété. D’après ces considérations, il me paraît que, pour remplir l’objet de l’ajournement fait sur cette 16 novembre 1790.] liquidation, il serait nécessaire d’ajouter l’article suivant au projet de décret proposé par le comité : « Ceux des titulaires ou propriétaires d’offices « qui ne pourront produire un contrat authen-« tique et personnel d’acquisition, et qui les « possèdent de père en fils ou par succession, « seront remboursés sur le pied du capital au « denier 20 du produit moyen de leurs offices « pendant dix années, à dater du 1er août 1779 « jusqu’au 31 juillet 1789 inclusivement; et ne « seront point comprises dans ce produit les « épices des jugements rendus au vu des pièces. » (L’amendement proposé par M. Ricard est rejeté.) M. Durand-M aillane propose un autre amendement en ces termes : « Que les officiers d’amirauté réduits au rem-« boursement sur le seul pied de leurs finances, « fussent remboursés au double quand leurposi-« tion et celle de leurs auteurs remontera au-« delà de cinquante ans. » On demande la question préalable sur cet amendement. La question préalable est prononcée. Les deux articles du décret proposé par le comité sont ensuite mis aux voix et adoptés sans modification. M. le Président. L’ordre du jour est la discussion du projet de décret du comité des finances sur la liquidation de la dette publique (1). M. de Batz. Je demande que le plan présenté par le comité des finances soit ajourné jusqu’à l’époque à laquelle le comité de liquidation sera en état de présenter le tableau de la totalité de la dette arriérée. Il espère que ce sera la semaine prochaine. M. d’André. Je demande la parole pour m’opposer à l’ajournement. C’est plutôt ici une question de droit qu’une question de fait. Depuis qu’il s’agit de payer les effets qui ne sont pas encore échus, ils ont éprouvé une hausse considérable, et ils gagnent aujourd’hui 5pour 100 sur la place. M. de Montesquion. Le motif de l’ajournement est que le comité de liquidation avait à présenter un état circonstancié de la dette arriérée ; je demande du moins que ce comité s’explique clairement sur le jour où il doit faire son rapport, et qu’il ne soit fait que concurremment avec le comité des finances. Je dis cela parce que dans l’état qui m’a été communiqué, j’ai trouvé des charges déjà liquidées, et que sur 27 millions qui composaient le tableau il y en avait bien 10 qui ne devaient pas s'y trouver. M. de Cazalès. La sûreté de là Constitution repose sur les 800 millions d’assignats qui doivent être mis en émission pour le 1er janvier. Avant de prendre une résolution décisive, vous devez commencer par rembourser ceux dont vous aliénez le gage; le moyen le plus sûr de le rendre et de le dégager d’hypothèque. Le comité de liquidation demande quatre jours : il faut laisser éclairer sa sagesse. Par votre décret du 29 septembre, vous avez ordonné que la totalité de la dette non constituée serait remboursée en assi-(1) Voyez plus haut le rapport de M. de Moutesquiou, séance du 29 octobre 1790, page 107. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. I Assemblée natiOB&le.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [6 novembre 1790. j $g7 gnats, et vous y avez joint une mesure sage en déclarant qu’il n’y aurait jamais plus de 1 ,200 millions d’assignats en circulation. Si vous adoptez le mode de votre comité des finances, cette précaution devient illusoire, et, dans le mois de février prochain, vous verrez ce même comité des finances, ce même M. de Montesquiou venir vous effrayer de la position du Trésor public. Il viendra vous présenter la justice qu’il y a à payer la totalité de la dette arriérée; vous vous trouverez dans des circonstances difficiles; votre délibération sera surprise comme elle l’a déjà été, et vous serez forcés de revenir sur vos décrets. Vous jugez comme moi quels pourraient être les dangers d’une nouvelle émission ; ne prenez donc pas une résolution précipitée. On vous représente que la place est en agiotage, puisque l’emprunt de 125 millions gagne 5 pour 100, il ne peut pas aller plus haut. A droite et à gauche, on parle d’agiotage ; il y a cinq cents membres dans cette Assemblée qui ne savent pas ce que c’est. Je conclus donc, pour l’intérêt de la justice, pour l’intérêt de la Révolution, et je ne suis pas suspect, je conclus, dis-je, à ce que vous ne vous dépouilliez pas de vos assignats. Je demande que la question soit ajournée à samedi, et que d’ici à ce temps le comité de liquidation nous présente des bases fixes sur lesquelles on puisse se reposer. M. Itegnaud, député de Saint-Jean-d’ Angèly. Je ne demande pas l’ajournement du projet qui nous est présenté, c’est plutôt la question préalable qui lui convient; c’est la réponse qu’il nous faut faire à un comité qui propose la violation des décrets. Il faut rassurer les créanciers de l’Etat, leur prouver que leur gage ne peut pas devenir la proie de l’agiotage. La cupidité veille à la porte de cette salle, elle écoute à la porte de vos comités. Punissons les agioteurs qui ont spéculé sur les malheurs publics. Le seul moyen, c’est d’adopter la question préalable que je vous propose. M. d’André. Je me suis opposé àl’ajournement, je m’opposerai aussi à la question préalable; ii ne faut pas rejeter ainsi vingt-neuf articles parmi lesquels il peut s’en trouver de bons. Je demande donc , que l’on passe à la discussion de la quatrième disposition de l’article 27, ainsi conçue : « Au remboursement total de l’emprunt de 125 millions, de décembre 1784, et de l’emprunt de 80 millions, de décembre 1785, suivant le taux qui sera réglé incessamment par l’Assemblée nationale. M. PInteville-Cernon. Comme membre du comité des finances, je dois rendre compte à l’Assemblée de ce qui s’est passé dans ce comité. Le rapporteur a fait, au nom de la section de liquidation, la lecture du rapport; la discussion a été réclamée par plusieurs membres, mais l’heure trop avancée a servi de prétexte pour la refuser. L’ajournement demandé n’a pas été accordé, et c’est en cet état que le rapport vous a été présenté, sans discussion préalable au comité général des finances. 11 ne peut être considéré comme l’opinion de ce comité. M. de Montesquiou. La déclamation a eu assez de succès; j’espère que la vérité aura son tour. Le comité a été chargé de présenter à l’Assemblée un travail: sur l’exécution de son décret du 29 septembre; les commissaires du comité d’aliénation se sont réunis à la section qui s’en est occupée; ils n’y ont épargné ni temps ni peine : le travail que nous avons fait a été la recherche de la vérité. Nous avons vu que l’intérêt de la nation était de se liquider le plus tôt possible de sa dette. La première est les effets suspendus; elle devrait l’être depuis deux ans; nous avons pensé que l’arriéré des départements devait passer ensuite, mais nous tf avons pas cru qu’on dût laisser oisifs dans le Trésor public les fonds qui doivent y être versés. Les préopinants ont oublié que les ventes feront rentrer des fonds, et que, s’il rentre ainsi 400 millions, il faut ordonner une émission d’assignats égale à ceux qui auront été détruits. Tout ce que j’ai entendu dire ne tend qu’à laisser dormir au Trésor les fonds que vous avez destinés à l’acquittement de la dette. Je n’ai pas vu sans surprise demander la question préalable sur vingt-neuf articles dont quelques-uns renferment des dispositions déjà adoptées par vous. Nous avons bien pensé que l’emploi que nous proposions de faire de telle ou telle somme pouvait être modifié, changé ou même rejeté. Laissez de côté les personnalités, et ne calomniez pas des intentions qui certes sont pures. M. Alexandre de Lameth. Je dèmande qüe l’on passe à la quatrième disposition de l’article 2. Probablement elle sera rejetée par la question préalable; alors l’Assemblée verra quel emploi elle doit faire des fonds destinés à remboùrser les objets contenus dans cet article. M. de Cazalès. J’appuie la proposition de M. Alexandre de Lameth. M. de Crillon. Il y a assez de dettes échues pour employer la somme de 600 millions. Si la liquidation des offices ne se fait pas assez vite, on peut augmenter le nombre des membres du comité. Je demande que la discussion soit fermée, et l’Assemblée consultée sur la quatrième disposition de l’article 2. (La discussion est fermée.) M. Brlllat-Savarln. Non seulement je ne suis pas d’avis qu'on rembourse la dette qui ne sera pas échue au mois de janvier; non seulement je pense que les porteurs d’effets n’ont d’autres titres pour être préférés que d’avoir acheté à bas prix ces effets pour les vendre très cher... (On demande à aller sur-le-champ aux voix sur la question préalable.) M. Anson. Si j’étais convaincu que toute l'Assemblée, avant d’arriver à cette séance, eût médité le rapport qui lui a été fait et le décret qui lui a été présenté, il me semblerait tout simple qu’on posât la question préalable ; mais il serait possible qu’une opinion provisoire se fût établie sur le tableau qui termine ce projet de décret, et qui n’en est que le résumé. Je pense aussi qu’on aura bien voulu jeter les yeux sur les signatures apposées à la suite du décret. On ne doute probablement pas queles membres de la section du comité des finances et les commissaires des autres comités n’aient donné leur assentiment après un examen sérieux-ils ont pu se tromper. ’ Le comité dé liquidation croit que, si on destine 200 millions au remboursement des offices qui seront liquidés, et que s’il y a pour 3 ou 400 millions de vente dans l’année prochaine, la totalité du remboursement sera bientôt opérée. Au moins faut-il réserver 200 millions pour les em- 288 [Assemblée nationale.) ARCHIVES� PARLEMENTAIRES. [6 novembre 1790.] prunts dont les chances coûtent 12 ou 15 millions par an à la nation; voilà nos bases. La discussion est importante; j’ai toujours vu que les décrets qui avaint été discutés étaient bous. La précipitation pourrait conduire à des erreurs : traiter légèrement une question de cet intérêt, ne serait-ce pas peut-être altérer la confiance? Si on pense qu’il y aura un plus grand nombre d’offices a rembourser l’année prochaine, on pourrait réunir pour cet objet les comités de judicature, d’aliénation et des finances. M. de Cazalës. La question préalable porte sur la quatrième disposition de l’article 2. Cette question préalable est tellement fondée qu’un calcul de peu de minutes prouvera... (Une grande partie de l’ Assemblée demande à aller aux voix.) L’Assemblée décrète, à l’unanimité, qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur le quatrième paragraphe de l’article 2 du projet de décret. M. Prieur. L’emploi de la somme destinée au remboursement auquel la sagesse de l’Assemblée vient de s’opposer exige de nouvelles dispositions. Je demande le renvoi au comité et l’ajournement à vendredi. L’Assemblée décide qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur cet ajournement. L’article I*r est mis aux voix et décrété en ces termes : Art. 1er. « Sur les 800 millions d’assignats créés par le décret du 29 septembre, il sera prélevé la somme de 200 millions, qui sera mise en réserve pour être employée, sur les décrets de l’Assemblée nationale, à subvenir aux besoins que les événements publics pourraient faire naître, et à mettre au courant, à compter du premier janvier 1791, la totalité des rentes de 1790, dans les six premiers mois de ladite année 1791 ; la partie de cette somme qui serait employée aux dépenses publiques, sera remplacée à la caisse de l’extraordinaire par les produits arriérés des impositions directes, par les reprises sur les comptables, et par l’arriéré du remplacement ordonné de la gabelle. » M»Bandy-Delachaux, député dudépartement de la Creuse , obtient de l’Assemblée un congé de deux mois. M. Arnoult (André-René), député de Bourgogne, notifie son arrivée à Paris depuis hier, après l’expiration du congé qu’il avait obtenu. M. le Président invite l’Assemblée à se rendre dans ses bureaux pour procédera la nomination d’un nouveau Président et de trois secrétaires. La séance est levée à deux heures. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. BARNAVE. Séance du samedi 6 novembre 1790, au soir (1). La séance est ouverte à six heures du soir. L’Assemblée renvoie aux comités réunis des (1) Cette séance est incomplète au Moniteur . domaines, d’agriculture et du commerce, une pétition de dix-sept communautés du département de la Marne qui réclament contre la spoliation d’une propriété en nature de marais de plus de trois lieues d’étendue. Une députation de l'ancienne compagnie des contrôleurs des guerres est admise à la barre. li’orateur de la députation. Notre compagnie a été supprimée en Î782 par les intrigues d’un bureau des finances. Nos charges, évaluées à 18,500 livres, nous furent remboursées sur le pied de 4,400 livres. Nous venons réclamer la conservation des droits qui nous ont été réservés et qui se trouvent aujourd’hui enveloppés dans la proscription générale des privilèges. Pour prouver à l’Assemblée nationale notre patriotisme, nous lui faisons hommage d’un don patriotique de 130,000 livres. (Cette pétition est renvoyée au comité de liquidation.) Une députation des électeurs de Paris en 1789 est également reçue. L’orateur de la députation. Les électeurs de Paris en 1789 vous prient de suspendre un instant vos occupations importantes et d’accepter l’hommage qu’ils vous font du procès-verbal de leurs séances. Heureusement établis dans la maison commune de la capitale au moment de la Révolution, les électeurs ont administré d’après les pouvoirs du peuple. L’usage qu’ils ont fait de ces pouvoirs, secondés par l’approbation de l’Assemblée nationale, a fait respecter en eux la première magistrature populaire, et, en dirigeant vers le bonheur commun les premiers élans de la liberté, ils se sont en quelque sorte associés à vos augustes fonctions. C’est de cette gloire que nous sommes justement jaloux; c’est elle, et notre soumission à tous vos décrets, que nous nous sommes proposés de constater dans le récit de nos séances pendant les mois de juin et juillet 1789; Les faits de cette mémorable époque sont, pour ainsi dire, une suite des délibérations de l’Assemblée nationale, qui les avait préparés. Nous : les avons recueillis. Ce sont des matériaux choisis, sans lesquels l’histoire de la Révolution ne serait pas complète, sans lesquels surtout personne n’aurait une juste idée ni des dangers qui nous environnaient, ni de l’étonnant courage qui vous a rendus supérieurs aux forces combinées de tous les ennemis de la chose publique. Nous joignons à notre procès-verbal la médaille que les électeurs ont fait faire pour consacrer leurs travaux; vous y verrez le nom d’un de3 membres de votre assemblée. Vous n’en serez pas surpris; celui qui, lorsqu’il était président des électeurs, a montré tant de fermeté et de caractère dans les crises les plus violentes de la Révolution, a dû être appelé parmi vous pour joindre sa sagesse à la vôtre, et continuer au milieu de vous et avec vous les sacrifices qu’il, a faits à l’amour de la patrie. Nous vous prions d’ordonner que le procès-verbal et la médaille seront déposés aux archives de l’Assemblée nationale. M. le Président répond : « L’Assemblée nationale reçoit avec émotion ceux qui ont partagé avec elle les périls et les