696 [Assemblée nationale,] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 mai 1790.] M. de Landine offre en don patriotique de la part des employés des fermes de la ville de Saint-Etienne en Funz, la valeur de 1,173 livres en boucles d’argent et lettres de change. M. de Robespierre donne lecture d’un extrait de la délibération prise à l’hôtel commune de la ville d’Arras portant fédération entre la garde nationale et les troupes qui sont en garnison dans cette ville. M. Charles de ILameth demande que M. le président soit chargé d’écrire à la garnison, à la municipalité, à la garde nationale et à la maréchaussée pour les féliciter des sentiments qui les animent. Cette motion est adoptée. Les députés du district de Üaint-Eustache sont admis à la barre. M. Regnaud, président dudit district, prononce le discours suivant : « Messieurs, le district de Saint-Eustache, assemblé le 4 de ce mois, délibérant sur les avan-tagi s et sur les dangers des confédérations partielles entre les gardes nationales des provinces, a l’honneur de vous présenter son arrêté, ou plutôt le vœu de la capitale pour une seule et même confédération générale. «Permettez-nous, Messieurs, de vous exposer les raisons qui ont entraîné tous les suffrages aussitôt qu’elles ont été connues. « M. de La Fayette, il y a quelques jours, disait dans cette auguste Assemblée, que de Strasbourg à Marseille, de Lille jusqu’à Brest et Nîmes, il règne une fermentation sourde qui tenait les peuples dans une agitation continuelle. Hélas ! il ne pouvait prévoir que les ennemis de l’Etat étaient si près d’armer le fanatisme, et de renouveler les horreurs d’une Saint-Barthélemy. Mais cette agitation, sourde ou sanglante, d’où qu’elle soit excitée, tombera, Messieurs, quand les ennemis cruels de notre repos, ces ennemis qui ont coûté à tout un peuple tant de fatigues et de veilles, verront enfin se réunir dans une seule masse toutes les forces éparses de l’empire. C’est sur nos divisions qu’ils avaient fondé leurs coupables espérances. Ils s’étaient promis d’entretenir les troubles : inutile espoir de l’orgueil, qui vient se briser contre l’airain de vos lois ! Mais leur main forcenée pourrait encore semer la confusion, opposer les ligues saintes de la patrie à la patrie, et de l’oubli auquel vous les avez condamnées, ressusciter les jalousies de province et de religion, et, sur la différence des intérêts et du culte, élever un mur de séparation entre les parties d’un seul et même tout. « Ce qu’ils ne pourront tenter aujourd’hui, ils l’attendront dans le silence des temps. Le despotisme ne dort jamais; et quand il semble respirer à peine sous Je poids de ses chaînes, c’est alors qu’on doit porter sur l’avenir le regard d’une longue prévoyance. « Si la France se divise en plusieurs ligues, si les provinces frontières forment des confédérations séparées, si celles du milieu se joignent aussi par des pacies semblables, quoique réunies par l’impulsion du même patriotisme, n’est-il pas à craindre que, dans un pareil ordre de choses, elles n’offrent aux agents du pouvoir exécutif, et à tous les ennemis cachés de la Constitution, des moyens de troubler l’harmonie générale, de rompre l’union, d’isoler les grandes provinces, et de laisser dans le royaume s’accroître et se fortifier les germes de plusieurs républiques? « Tel était l’état d�s Gaules quand les Romains s’y présentèrent. Telle fut aussi la France pendant près de douze cents années. Les grandes provinces étaient plutôt des républiques, ou de petits royaumes, que les parties d’un seul empire. « Je sais que les temps sont bien changés, que c’est un autre ordre de choses qui ne peut guère soutenir de comparaison avec le passé; que s’il a fallu des siècles pour parvenir aux événements prodigieux de cette législature, il en faudrait peut-être plus encore pour nous reporter du présent au passé. « Nous le croyons tous, et nous en croyons surtout cette énergie et cette profondeur quii du choc de vos opinions, a fait ressortir l’espérance du peuple français. « Mais, Messieurs, le mouvement est donné : qui peut en calculer les progrès? Quand les notables furent convoqués, on devina les Etats généraux; mais, à cette époque d’une régénération si nécessaire, quel homme, ou plutôt quel génie eût osé marquer les faits imprévus qui ont rempli chaque jour, et d’une seule année fourni des siècles entiersà l’histoire? Gomme les tlotsse pressent et se succèdent, les événements rapides se sont précipités sur les événements; et vous, dignes législateurs, emportés sur cette mer orageuse, vous n’avez point désespéré du salut public : mais les flots mugissent encore, et le port où vous courez peut fuir devant vous. « Oui, Messieurs, j’ose le dire, nul d’entre nous, peut-être, ne peut prévoir le terme où les événements nous entraîneront sous les ruines du despotisme. La monarchie s’est ébranlée: aussi fermes que circonspectes, vos mains la relèveront sur des bases plus certaines; mais je ne sais quoi de républicain s’est emparé des esprits. La flamme de la liberté brille plus éclatante que jamais, il est vrai ; mais, pour la rendre pure et durable, la monarchie doit en être l’unique foyer. ’« Il faut donc écarter les ligues particulières qui s’écartent du principe de la monarchie ; il faut, dans leur origine, en séparer tout ce qui pourrait, avec le temps et les circonstances, développer en elles une tendance secrète vers le gouvernement républicain. Vous savez trop, Messieurs, que le patriotisme n’a pas toujours la même ferveur, qu’il varie selon les lieux, tes temps et les intérêts. 11 est possible qu'une différence dans la répartion des impôts, que des suggestions malignes sur la comparaison des avantages plus ou moins réciproques, fomentent des jalousies. Il est possible qu’une guerre étrangère pèse sur une province plus que sur une autre; et quoique, sans ingratitude, sans même se rendre coupable d’indignité, on ne puisse soupçonner le patriotisme d’aucune, cependant il fut vrai de tout temps, que c’est en travaillant ainsi sur les défiances, sur les jalousies et les intérêts, que nos ennemis ont souvent détaché les plus belles provinces du sein de la monarchie; et comme, dans ce moment, chacune d’elles a son armée, que le pouvoir exécutif n’est pas encore revêtu de toutes les forces que lui donnera la Constitution, la ville de Paris, pour prévenir les dangers qui sont loin de la réalité, mais qui sont dans l’ordre des possibles, croitqu’il faut donner à toutes ces confédérations patrioques un centre commun, un seul et même intérêt; en un mot, une confédération générale avec la capitale. « Depuis notre arrêté, Messieurs, la ville d’Arras [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 mai 1790.] 697 l’a demandée : c’est le vœu que vient vous apporter la ville de Sens; c’est celui de toutes les provinces. La nature du gouvernement l’exige, et Je patriotisme de la ville de Paris la rend digne de cet honneur. Croyez, Messieurs, que ce ne sont pas de vaines préférences qu’elle sollicite ; les sacrifices qu’elle a faits, ce qu’elle souffre encore dans cette lutte de la liberté contre ses oppresseurs, vous répond assez, ainsi qu’à tout le royaume, qu’il n’est dans cette vie aucune espèce de" bien, d’espérance, de bonheur, de repos, qu’elle ne soit prête à sacrifier; et c’est ainsi que nous voulons dompter la haine de nos tyrans; nous voulons que notre constance à soutenir tous les maux dont ils nous ont accablés, fasse leur désespoir. Nous avons vaincu, puisque nous savons souffrir. Il n’est de salut pour eux que notre générosité et la vôtre, Messieurs, si la justice vous permet de l’écouter. « Fidèle à ses serments, la section de Saint-Eustache, toute la ville de Paris est soumise à vos sages décrets, et c’est pour les placer sur l'autel de la liberté, qu’elle aspire au moment d’une confédération générali >, et sur cet autel, en présence du meilleur des monarques, sous les yeux des pères de la patrie, à prêter le serment d'union et de fidélité à la nation, à la loi et au roi. » M. le Président répond : « Messieurs, l’Assemblée nationale, qui connaît depuis longtemps le patriotisme des habitants et. de la garde nationale de Paris, me charge de vous témoigner sa satisfaction du zèle que vous témoignez pour le bien public. Elle prendra, dans la plus haute considération, l’objet de votre demande, qui ne tend qu’à faire de tout le peuple français une seule et même famille, réunie par le même intérêt et par son amour pour la Constitution. C’est de cette coalition de tous les bons citoyens, coalition à la tête de laquelle est le monarque lui-même, que dépend le succès des opérations de l’Assemblée nationale. Désormais plus d’ennemis à craindre; et la France, aussi puissante à l’extérieur que libre à l’intérieur, va reprendre dans le monde politique la place qu’elle doit y occuper. L’Assemblée nationale, qui veille également sur toutes les classes des citoyens, prendra en considération votre demande sur les pauvres et les mendiants. Elle me charge de vous dire que vous devez compter sur l’intégrité et la vigilance des tribunaux. Elle vous permet d’assister à sa séance. » M. Girard, major de la garde nationale de Narbonne, admis à la barre, fait un discours rempli des sentiments les plus patriotiques ; il supplie l’Assemblée de ne pas lui refuser la délicieuse satisfaction de faire partager une partie de sa fortune aux soldats volontaires de la Bastille, et de récompenser leur généreux patriotisme en accordant une pension de 300 livres aux veuves des infortunés citoyens, qui, se dévouant à une mort glorieuse, ont expiré sur la brèche, martyrs de la liberté. Il demande en même temps la permission d’élever à Narbonne un obélisque pour transmettre à la postérité la régénération du royaume, les triomphes de l’Assemblée, et la gloire du prince, le père et l’ami de son peuple. 11 a terminé son discours par ces paroles remarquables ; « Sauvons la monarchie; voilà mon cri, voilà mes vœux : sauvons! mouarchie, braves et généreux Français; c’est le cri de la patrie, c’est l’impulsion des grands cœurs, c’est le soupir, c’est l’élan d’un citoyen qui pariera de la patrie jusqu’à ce que sa voix ne puisse plus se faire en’ tendre. » M. le Président répond : Monsieur, l’Assemblée nationale reçoit avec la plus vive satisfaction l’hommage de vos vœux et de votre patriotisme. L’obélisque pour l’élévation duquel vous demandez son suffrage, sera une preuve de votre amour pour le bien public, autant que l’expression de votre reconnaissance pour les représentants de la nation. G’