512 [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [31 août 1789.) ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. DE LA LUZERNE, ÉVÊQUE DE LANGRES. Séance du lundi 31 août 1789, au matin (1). M. le Président annonce que M. de La Luzerne, évêque de Langres, a réuni dès le premier scru-tin, plus de la moitié des voix pour la place de président, et que les trois secrétaires qui venaient d’être élus sont MM. Rhédon, Deschamps et Henri de Longuèvre. M. le comte de Clermont-Tonnerre adresse à l’Assemblée le discours suivant : Permettez, Messieurs, que je me félicite d’être enfin parvenu à l'extrémité de cette carrière, qui, dans le court espace de quinze jours, met à de si nobles épreuves l’homme à qui votre choix commande de la parcourir. Témoin de vos travaux constants, je vous ai vu consacrer les principes éternels sur lesquels reposent la liberté et la dignité de l’homme. Je vous ai vus consolider la dette publique, créer le crédit national, et donner à l’Europe entière le magnifique spectacle d’une Assemblée législative, qui veut et sait réparer le malheur ou peut-être l’erreur d’une circonstance. Vous allez, Messieurs, commencer le grand ouvrage de la Constitution française. Heureux le citoyen qu’un choix éclairé destine à prononcer les décrets que dicte votre sagesse ! M. de La ïiuzerne, évêque de Langres , président de l’Assemblée, 'dit (2): Messieurs, vous m’élevez à un degré d’honneur auquel je n’aurais jamais eu la présomption d’aspirer. Comblé de vos bontés, j'ose les implorer encore. Pour l’intérêt du bien que vous m’avez chargé d’opérer, pour l’amour de l’ordre dont vous m’avez confié le maintien, je sollicite votre indulgence, je réclame votre appui. Achevez votre ouvrage, Messieurs ; soutenez ma faiblesse ; aidez-moi à supporter cet honorable fardeau, si disproportionné à mes forces, et que les talents supérieurs de mon prédécesseur rendent plus redoutable encore. Concourons tous à la consécration de cet ordre précieux, qui seul peut amener la régularité de vos délibérations et en assurer la sagesse. Que le zèle du bien public, qui nous anime tous, nous réunisse aussi ; et que cette heureuse constitution, qui va régénérer la nation française, soit le fruit, non-seulement de vos lumières, de vos talents et de vos vertus, mais encore de votre union et de votre concert 1 L’Assemblée, sur la proposition de M. de Marguerites vote des remerciements à M. le comte de Clermont-Tonnerre, pour la manière distinguée avec laquelle il a constamment rempli les fonctions de sa présidence. M. le Président rend compte de deux lettres écrites au ministre, de Paris, par le président de l’Assemblée des représentants de la commune de Paris, qui annoncent que des troubles nouveaux ont agité le Palais-Royal ; qu’un nombre considérable de particuliers y ont pris la veille des (1) Cette séance est incomplète au Moniteur. (2) Le Moniteur reproduit inexactement lér* discours de M. de La Luzerne. arrêtés séditieux, et projeté des entreprises violentes contre une grande partie des représentants de la nation. Extrait d'une lettre écrite à M. de Saint-Priest , ministre , de Paris , te 30, à dix heures du soir. « L’Assemblée des représentants de la capitale me charge de vous informer qu’il y a un nombre considérable de citoyens rassemblés dans le Palais-Royal , ils parlent d’aller à Versailles. Elle a chargé M. le commandant de donner de ordres pour arrêter et prévoir les suites de cet attroupement ; nous avons cru devoir vous en instruire pour prévenir tout événement. > Autre lettre, à deux heures du matin. « Je m’empresse de vous apprendre que, malgré l’effervescence des assemblées du Palais-Royal, les précautions prises par M. le commandant ont réussi ; tout est calme. » M. le comte de Lally-ToIIendal. Messieurs, le compte que j’ai à vous rendre est bien douloureux, il est bien déchirant pour mon cœur. Cette nuit j’ai reçu une députation composée d’un avocat du district de Saint-Etienne-du-Mont et d'un ingénieur du district des capucins. Ils m'ont dit qu’ils étaient députés solennellement vers moi, en ma qualité de bon citoyen, pour me remettre une motion qui a été rédigée dans le Palais-Royal, et qui doit être faite demain dans tous les districts ; qu’elle tend à nommer d’autres députés, et que ceux qui seraient remplacés, leurs personnes cessant d’être inviolables, on leur ferait leur procès ; que ce nombre de traîtres et d’aristocrates est considérable ; qu’ils veulent faire passer le veto absolu ; ils les ont nommés. Je leur ai répondu que les personnes qu’ils venaient de calomnier étaient aussi respectables par leur vertu que par leurs lumières ; que j’avais travaillé toute la nuit à défendre la sanction royale; que je la défendrais encore jusqu’à mon dernier soupir, moins pour le Hoi que pour le peuple. Ils m’ont répondu qu’il leur paraissait qu’après la Constitution, la sanction était nécessaire. Us ont terminé par me prier de faire lecture de leur motion. Je ne fais aucune réflexion. Je demanderai la parole lorsqu’il en sera temps pour parler en faveur de la sanction royale. Extrait de la motion faite au Palais -Royal, pour être envoyée aux différents districts et aux provinces. L’article XI de la déclaration des droits de l’homme porte : « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’homme. Tout citoyen peut donc parler, écrire et imprimer librement, sauf à répondre de celte liberté dans le cas prévu par la loi. Nous sommes actuellement au moment , décisif de la liberté française. « Instruits que plusieurs membres s’appuient sur différents articles des cahiers, il est temps de les rappeller, de les révoquer ; et puisque la personne d’un dépufé est inviolable et sacrée, leur procès sera fait après leur révocation. « Le veto n’appartient pas à un seul homme, mais à vingt-cinq millions. « Les citoyens réunis au Palais-Royal pensent [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [31 août 1789.] 513 que l’on doit révoquer les députés ignorants, corrompus et suspects. « Délibéré au Palais-Royal, ce 30 août 1789. » Des cris d’indignation ont interrompu le morne silence avec lequel cet écrit a été entendu. Un membre s’est écrié qu'il fallait faire imprimer la liste de ces prétendus mauvais citoyens pour les justifier. On a donné lecture d’une lettre anonyme, écrite à M. le président, et qu’il venait de recevoir. « L’Assemblée patriotique du Palais-Royal a l’honneur de vous faire part que si le parti de l’aristocratie, formé par une partie du clergé, par une partie de la noblesse, et cent vingt membres des communes ignorants ou corrompus, continue de troubler l’harmonie, et veut encore la sanction absolue, quinze mille hommes sont prêts à éclairer leurs châteaux et leurs maisons, et les vôtres particulièrement, monsieur. » Autre lettre à MM. les secrétaires. « Vous n’ignorez pas l’inOuencede l’Assemblée patriotique, et ce qu’elle peut contre le pouvoir aristocratique. « Nous venons d’instruire M. le président sur son désir particulier de faire adopter le veto absolu, que nous regardons comme destructeur de la liberté. « Il est à craindre qu’il ne passe, et nous en accusons la cabale du clergé et de la noblesse, formée contre le bien public, cent vingt membres des communes qui se sont laissé corrompre. Deux mille lettres sont prêtes de partir pour les provinces et pour les instruire de la conduite de leurs députés ; vos maisons répondront de votre opinion, et nous espérons que les anciennes leçons recommenceront. Songez-y, et sauvez-vous. » M. de Clermont-Tonnerre. Ou nous réussirons en faisânt le bien, ou nous mourrons en voulant le faire. Mon avis à moi est que la liste des citoyens menacés soit imprimée, pour que le blâme des méchants serve de gloire aux honnêtes gens. Je pense qu’il faut que la justice reprenne son cours ordinaire, et informe contre les hommes tels que ceux qui figurent dans les papiers qui nous ont été renvoyés. En conséquence, je propose l’arrêté suivant : « L’Assemblée nationale arrête que M. le maire de la ville de Paris et le commandant de la milice nationale de Paris seront invités à venir prendre leur place pour déclarer s’ils peuvent répondre de la tranquillité de Paris; et dans le cas où ils ne répondraient pas de la tranquillité de Paris, par suite de la liberté des délibérations de l’Assemblée nationale, l’Assemblée nationale se transportera dans un autre lieu. « Arrête, en outre , que le nom des personnes désignées par les factieux comme mauvais citoyens sera honorablement inscrit sur le procès-verbal ; que les tribunaux informeront contre les auteurs d’un pareil attentat, et qu’il sera sursis à l’exécution des chefs, s’il y échoit, jusqu’au rapport du comité des douze. # Un membre demande la question préalable. M. Goupil de Préfeln. Catilina est aux portes de Rome, Catilina menace d’égorger les V9 SÉRIE, T. VIII. sénateurs, et l’on fait la futile et frivole question : Y a-t-il lieu de délibérer ? Certes, quand nous sera-t-il permis de délibérer si ce n’est dans ce moment? M. le duc de Liancourt propose de ne rien délibérer que M. de Lafayette n’ait élé entendu. M. Duport. Nous n’avons pas été envoyés par nos provinces pour être intimidés par les menaces des factieux. Nous avons délibéré au milieu de trente mille hommes armés, commandés par un chef expérimenté, et nous pourrions craindre quinze ou vingt mille hommes sans aucun projet, érigés en république, sans lois, sans constitution, aü milieu même de leur faction ? C’est ici que nous devons sauver l’Etat, même aux dépens de nos jours; c’est ici que nous devons délibérer au milieu de l’effroi ; au moins soyons un éternel exemple de la fidélité avec laquelle on doit servir la pairie. Un membre demande que chaque député soit autorisé à envoyer sur-le-champ un courrier dans sa province, pour prévenir les menaces des factieux du Palais-Royal. On dénonce un membre du clergé, qui disait secrètement que les communes avaient fait bassement la cour à son ordre pour le sacrifier après, et qu’on verrait les communes ramper incessamment. Cette dénonciation n’a pas de suite. On reprend la délibération. M. Mounîer. J’appuie la motion de M. le comte de Clermont, en y faisant cependant un amendement, le même que celui de M. Duport. Il est évident que des hommes pervers veulent élever leur fortune sur les débris de la patrie. Vous voyez le projet d’empêcher la Constitution de se former et de se développer. En un seul et même jour, dans la même heure, toute l’Assemblée a élé plongée dans les alarmes. C’est ici que le comité des douze doit agir ; j’ajouterai encore qu’il faut accorder une récompense de 300,000 livres à celui qui viendra dénoncer les auteurs et les instigateurs de ces faits. L’Assemblée ne doit pas quitter Versailles ; elle doit braver les périls, et s’il faut qu’elle périsse, les bons citoyens de Paris et des provinces la vengeront. M. Muguet de Nanthou. J’applaudis au zèle de M. le comte de Clermont; mais n’est-il pas en contradiction avec lui même? Lorsque les citoyens du Palais-Royal ont été arracher des prisons quelques soldats des gardes françaises, M. le comte de Clermont a dit qu’il n’y avait lieu à délibérer , que l’Assemblée devait laisser gronder les orages autour d’elle et être impassible sur ses sièges. Je pense donc qu’il en est de même aujourd’hui, et qu’il n’y a pas lieu à délibérer. M. de Clermont-Tonnerre. La conduite du Palais-Royal à cette époque n’était qu’un scandale, et aujourd’hui elle est un attentat à la liberté française. Si lorsque trente mille hommes armés voulurent nous réduire à l’esclavage, on eût dit qu'il n'y avait lieu à délibérer , qu’auriez-vous pensé ? Mais vous avez délibéré, et vous avez par votre vertu mis cette armée en fuite. Vous n’avez pas voulu obéir au despotisme armé; obéirez-vous à l’effervescence populaire? L’un commandait des bassesses, l’autre vous commandera des crimes, Vous ne pouvez pas délibérer au mi* 33