427 [Assemblée nationale.! ARCHIVES PARLEMENTAIRES. lié novembre 1790.1 Art. 5. « L’appel corame d’abus sera porté au tribunal du district dans lequel sera situé le siège épiscopal auquel l’élu aura été nommé, et il y sera jugé en dernier ressort.» (La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.) M. Ic Président fait donner lecture d’une adresse à l’Assemblée nationale, contenue en une lettre à M. le Président, en date de ce jour, des sieurs Léonard Gorbin, ci-devant avocat au parlement, Léger de Monthuon, et Jacques Claude Péron, notaire à Paris, le premier légataire universel, le troisième légataire particulier, et le second exécuteur testamentaire du feu sieur de Boullon-Moranges, portant répétition de sommes notables vers les sieurs et dame de Polignac et d’ Aspect, et le Trésor public, relativement aux marais et terrains vains et vagues de la Basse-Normandie. (Cette adresse est renvoyée au comité des domaines.) Une députation pe la section de Mauconseil est admise à la barre; elle supplie l’Assemblée nationale de vouloir bien rendre un décret constitutionnel pour abolir les duels. M. le Président accorde à la députation les honneurs de la séance. La séance est levée à trois heures. ANNEXE A LA SÉANCE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE DU 14 NOVEMBRE 1790. Nota. Nous insérons ci-dessous les observations de M. l’abbé Samary sur plusieurs des articles de la constitution civile du clergé. — Ce document, ayant été imprimé et distribué, fait partie des documents parlementaires de l’Assemblée nationale constituante. Réflexions sur quelques articles du projet de décret provisoire sur le clergé , par M. Samary, curé de Carcassonne , membre de l’Assemblée nationale. Je tiens encore, comme bien d’autres, à ce qu’on appelle la rouille de certains vieux préjugés ; c’est-à-dire à la bonhomie de nos pères qui croyaient en Jésus-Christ, à son évangile, à sa religion, à son église, et qui osaient faire profession de leur croyance. Comme je conserve ce faible dans un siècle où l’on se croit si fort, on ne doit pas être surpris si, à la lecture du projet d’un décret provisoire sur le clergé, mon esprit a été frappé, ou plutôt alarmé, de l’étonnante singularité de quelques articles ; on n’a fait distribuer sans doute ce projet à tous les honorables membres de l’auguste Assemblée, qu’afin qu’un chacun pût y faire ses remarques. Je vais user de mon droit. § Ier. — <■ Sur l’habit ecclésiastique. L’article 19 est conçu en ces termes : « Tout « privilège exclusif de costume pour uu ecclé-« siastique , hors des fonctions de son état , « est aboli. L’habit d’un fonctionnaire public, « quel qu’il soit, ne lui est nécessaire que pour « son service. Hors de là, il n’y a que des ci-« toyens, et ce serait affecter un orgueil trop « ridicule, chez un peuple libre, que de porter « dans la société la prétention de se distinguer « nar un habit exclusif. » Mais d’abord les ecclésiastiques n’ont jamais prétendu porter dans la société les habits réservés aux fonctions sacrées, ce qui serait une véritable ‘profanation ; ils ne portent donc, hors de leurs fonctions, que ce qu’on appelle l’habit clérical. Or, ce n’est de leur part, ni une nouveauté, ni un orgueil, ni une prétention de se distinguer, ce qui serait une vraie folie. Tout le monde sait qu’après que Constantin eût rendu la paix et la liberté à l’Eglise, ses ministres, insensiblement et peu à peu, prirent l’usage d’un habit clérical, c’est-à-dire plus adapté et plus convenable à leur état. L’Eglise leur en lit une loi, et plusieurs conciles en réglèrent depuis la couleur et la forme. Quoique ce ne soit qu’un objet de pure discipline, je ne vois pas pourquoi on voudrait obliger aujourd’hui tous les ecclésiastiques à prendre, hors de leurs fonctions, un habit séculier. Je ne vois pas le rapport intime qui peut exister entre la liberté du peuple et la soutane avec le rabat de son évêque ou de son curé ; enfin, je conçois encore moins en quoi ce serait affecter un ridicule orgueil, que de porter dans la société cet habit exclusif. Si jusqu’ici l’habit clérical a été exclusif, c’est par la nature de la chose même, et non par une exclusion de mépris, puisque cet habit est un costume, pour ainsi dire, de signe et de caractère, qui ne peut conséquemment convenir qu’à ceux qui annoncent être ce qu’ils sont effectivement. Ainsi ce ne fut jamais ni par orgueil, ni par une prétention de se distinguer des autres citoyens, que l’Eglise, conduite „par l’esprit de Dieu, a voulu que scs ministres portassent, en tout temps et en tous lieux, un vêtement conforme à leur profession, qui n’eût rien du faste et du luxe du siècle, et qui, par sa simplicité, sa forme et sa couleur, les rendît plus vénérables au peuple, en même temps qu’il leur rappellerait sans cesse à eux-mêmes la sainteté de leur consécration. C’est donc comme un moniteur perpétuel qu’il serait dangereux de leur ôter. La régularité ne leur est pas moins recommandée dans leurs habits et dans leur extérieur, que dans le reste de leur conduite ; et le monde lui-même a toujours été en droit de soupçonner tout ecclésiastique à qui le costume clérical était à charge. Mais ne voyons-nous pas les militaires, et surtout les milices nationales, se faire une gloire de porter toujours l’uniforme de leur profession, el un costume qui les distingue des autres citoyens? Les taxera-t-on pour cela d’orgueil ou d’antipatriotisme? Etendra-t-on jusqu’à eux la loi prohibitive qu’on veut imposer au clergé? Et si l’on nous réplique que les militaires sont censés être toujours en fonction, ne pourrons-nous pas le dire, à plus forte raison, du clergé qui exerce une milice toute spirituelle? Est-il en effet de curé ou de vicaire, qui dans un sens ne soient toujours en fonction ? car à chaque instant on peut avoir besoin d’eux ; on peut réclamer à tout moment le secours de leur ministère ; ils sont à tontes les heures du jour et de la nuit exposés à courir auprès des malades (14 novembre 1790.] 498 {Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. pour les administrer, et sujets à être appelés d’un moment à autre, pendant la journée, à l’église pour différentes fonctions. Ne serait-ce pas un jeu que de les obliger à quitter et à reprendre sans cesse leur costume? Un prêtre ne doit-il paraître tel que dans l’église seulement? Doit-il, pour entrer dans la société, déposer la marque extérieure de son sacerdoce, dont il porte Je caractère auguste et ineffaçable ? La gravité sacerdotale, relevée par la modestie du costume clérical, a-t-elle jamais offusqué les gens de bien ? Et combien de fois n’en a-t-elle pas imposé aux libertins les plus hardis, en se montrant seulement devant eux? Il est vrai, comme on dit, que l’habit ne fait pas le moine, ni par conséquent le prêtre; mais il ne fait pas non plus le citoyen ni le soldat. Pourquoi donc vouloir priver le clergé d’une marque distinctive qu’on ne lui a jamais disputée, et dont il doit s’honorer pour l’avantage de la religion, et non par orgueil ; ce qui lui serait aujourd'hui bien difficile, tant on a avili son état qu’on confond avec tous les autres fonctionnaires publics! Ce n’est pas que les prêtres ne soient tels à la rigueur, car ils exercent des fonctions publiques; mais la langue française n’avait-elle aucune expression qui fût plus propre à caractériser un état dont les fonctions soni partout appelées angéliques, célestes et divines? Que penseront les peuples, quand ils verront les ministres de la religion honteusement dépouillés d’un habit saint, dont ils avaient été revêtus par la religion elle-même ? Ne serait-ce pas diminuer peu à peu leur respect pour cette religion, en dégradant en quelque sorte, à leurs yeux, leurs pasteurs, qui, quoique obligés sans doute de se distinguer par leurs vertus, ne doivent pas moins être distingués par leur costume, comme étant le symbole extérieur, public et perpétuel de leur conféra tion au service des autels ? On doit être content d’avoir dépouillé le clergé de tous ses biens ; on en a trouvé le motif dans le besoin de l’Etat; mais le besoin de l’Etat demande-t-il qu’on aille jusqu’à le dépouiller de son habit? c’est ce qu’on ne croit pas et qu’on ne persuadera jamais à personne. § II. — Sur la dispense des vœux. L’article 36 porte : « Tous les ecclésiastiques « et religieux, non encore engagés dans la prê-« trise, seront relevés de leurs vœux par l’au-« torité légitime, et recouvreront leur ancienne « liberté. »> Mais l’autorité légitime peut-elle se contredire? C’est elle qui a approuvé, reçu, ratitié les vœux en question. Peut-elle, doit-elle les casser aujourd’hui, les annuler sans cause, sans raison, sans motif, jusque dans ceux-là même qui sont engagés dans le sous-diaconat et le diaconat? Les décrets de l’Assemblée nationale, dont l’autorité sera toujours très illégitime quant à cette partie, sont-ils des motifs suffisants ? La liberté qu’elle a voulu procurer à tout citoyen est-elle une raison valable de dispense? Et le mécontentement de quelques individus ecclésiastiques ou religieux pourrait-il en devenir une juste cause ? L’autorité, quelque légitime qu’on la suppose, n’a jamais pu, ni ne pourra jamais dispenser sans de bonnes raisons. Toute dispense sans cause légitime est nulle de plein droit; elle ne saurait décharger la conscience de celui qui la reçoit, mais charge la conscience de celui qui la donne: les conciles et les pères de l’Eglise sont unanimes et univoques en ce point. En un mot, quelles bonnes raisons pourront alléguer aujourd’hui tous ces ecclésiastiques et ces religieux, eux qui probablement n’en avaient aucuue, et ne prévoyaient pas même qu’ils dussent en avoir, avant lès décrets de l’Assemblée nationale? Nous convenons que les vœux en eux-mêmes, considérés avant leur émission, ne sont pas des préceptes, mais des conseils : cela est incontestable. Mais aussi il ne l’est pas moins que des vœux, une fois valablement émis, ne sont plus des conseils, mais de vrais préceptes de rigueur, de l’observance desquels nul ne peut être dispensé, sans de véritables et légitimes causes. Leur solennité seule est du ressort de la puissance temporelle. § III. — Sur le célibat des prêtres. Dans l’article 12 on lit : « Nul individu ne < pourra à l’avenir faire le vœu antisocial de « rester célibataire pendant toute sa vie. » Voilà ce qu’on appelle une proposition antichrétienne dans toute la force du terme. Voilà donc, par un seul mot, le célibat des prêtres aboli. Personne n’ignore sans doute que le célibat des prêtres n’est ni de droit naturel, ni de droit divin, mais seulement de droit ecclésiastique. Mais taxer d’antisocial un célibat volontaire et de choix, qu’on n’a embrassé que pour traiter les saints mystères avec une plus grande pureté de corps et d’esprit, que pour être uniquement et tout entier à ses fonctions, en se débarrassant des dissipations, des sollicitudes, de la servitude du mariage ; c’est visiblement se jouer des termes et vouloir flétrir bien gratuitement la vertu précieuse de continence qui a toujours fait dans l’Eglise la gloire du sacerdoce chrétien. Je dirai plus : c’est calomnier le Saint-Esprit qui, dans nos livres saints, nous enseigne que la continence est un don de Dieu, qui n’est pas accordé à tous, mais à ceux qui le lui demandent, et à qui il est nécessaire. Or, ce qui contrarie la société, ce qui en trouble l’ordre et le bonheur ; en un mot, ce qu’on appelle antisocial, ne peut venir de Dieu, de celui qui est le fondateur de toute société, et qui doit en être l’âme et l’appui. Le vœu de continence serait vraiment antisocial, si tous les membres de la société étaient obligés de s’y engager. Mais il embellit au contraire cette même société lorsque, pour son service, son édification et son avantage spirituel, ce ne sont que quelques individus qui s’y consacrent, en vertu d’une vocation qui les destine aux sublimes fonctions du sacerdoce. Eh ! n’est-ce pas le célibat de tant de citoyens qui s’isolent dans le monde, et qui ne renoncent, pour la plupart, au lien conjugal, que pour être plus libres dans leurs plaisirs et dans leurs penchants, qu’on doit regarder comme antisocial, plutôt que le vœu sacré d’une vertu qu’on pourrait appeler angélique, dont Jésus-Christ fait un si bel éloge dans l’Evangile, que l’apôtre saint Paul relève si fort dans ses épitres, ainsi que les pères et les docteurs de l’Eglise dans tous les siècles ? Oui, la doctrine de Jésus-Christ et des apôtres est antisociale, elle est dès lors fausse, inadmissible et vicieuse : il faut alors la rejeter, puisqu’elle est contraire au bien de la société. Cependant elle n’a été annoncée, elle ne s’est accréditée dans le monde, que pour faire le bon- [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 novembre 1790.J 429 heur de cette société. Cependant, malgré qu’en disent nos philosophes, il n’y aurait jamais de société plus heureuse, que celle où cette doctrine serait exactement pratiquée. Et l’on viendra nous dire qu’elle contient des articles antisociaux, comme le vœu de continence, qui d’ailleurs ne se trouve compris que dans la classe des conseils évangéliques 1 Quelle honte, pour notre siècle, de prétendre relever la morale de la philosophie moderne au-dessus et sur les débris de l’antique morale du christianisme. La morale chrétienne nous apprend à modérer nos passions et à réprimer les penchants de notre nature, parce qu’elle a été corrompue par le péché originel. Et comme, par un effet de cette corruption, les lumières de notre raison peuvent nous égarer et la concupiscence de notre cœur nous pervertir, il serait infiniment dangereux de suivre aveuglément les impulsions trompeuses et déréglées de cette nature, toujours insatiable. La morale philosophique, au contraire, dit qu’il faut suivre en tout l’instinct, satisfaire tous les désirs, contenter tous les besoins prétendus de la nature. Et c’est de ces maximes, mises en pratique, que dérivent tous les crimes et tous les désordres qui troublent bien plus la société, que le célibat des prêtres et des religieux. Mais encore, comment peut-on s’élever contre le célibat des prêtres, sans être alarmé des inconvénients sans nombre qui résulteraient, même pour la société, de leur mariage ? Alors que de troubles, de jalousies, de rivalités, de désordres dans les paroisses, qu’exciteraient le plus souvent des épouses d’une espèce toute nouvelle? Il suffit de connaître les rapports en tout genre qu’un curé et ses paroissiens doivent avoir réciproquement ensemble, pour sentir toutes les suites de ces inconvénients inappréciables et incalculables. Que deviendraient ensuite les enfants nés de ces mariages, surtout après la mort de leur père, qui ne pourrait jamais leur laisser de quoi vivre ? Quelle surcharge pour la société, qui se remplirait infailliblement de mauvais sujets, que la misère et l’oisiveté plongeraient dans toute sorte de vices. Il est inutile d’étendre ces idées. Un bon esprit qui sait penser, prévoir et combiner, ne peut qu’être effrayé à leur premier aperçu; il verra que les inconvénients qu’on a voulu attacher au célibat des prêtres n’ont aucune proportion avec ceux qui s’ensuivraient de leur mariage. S IV. — Réduction du clergé. L’article 7 déclare que « le clergé, à l’avenir, « ne sera plus composé que d’évêques, de curés et « de vicaires. » Il faut avouer que ce sont les seuls ministres nécessaires à la religion, et dont elle ne peut se passer. Néanmoins, pourquoi tout le clergé de l’Eglise de France serait-il ainsi restreint, surtout après l’abolition entière des ordres religieux? Pourquoi n’aurions -nous plus aucun chapitre, chargé des fonctions de la prière publique, qui est un des grands moyens pour assurer, le succès du ministère pastoral, parce qu’elle est comme lecanal ordinaire dont se sert la divine Providence pour répandre sur les peuples ses grâces et ses bénédictions? Que nos philosophes tournent en dérision cette grande vérité, tant qu’ils voudront, elle n’en est pas moins certaine et inattaquable. Mais encore, pourquoi enlever aux évêques leur cathédrale, qui doit en être inséparable, qui est comme leur sénat, où ils ont ordinairement leur conseil et leurs grands vicaires? Pourquoi donc seraient-ils sans clergé dans leur propre église? Pourquoi voudrait-on ainsi diminuer la majesté du culte divin, qui est toujours plus imposant dans les cathédrales? Il paraît donc aussi important qu’utile de conserver du moins les chapitres cathédraux dont l’institution est d’ailleurs si antique et si vénérable. Ils pourraient servir de retraite aux anciens curés à qui l’âge et les infirmités ne permettraient plus l’exercice de leurs fonctions paroissiales. Je ne m’étendrai pas sur la destruction projetée par l’article 18 : « de toute corporation ec-« clésiastique tant générale que particulière, tant « régulière que séculière. » Si l’on croit l’esprit de corps nuisible à la société, il faut également abolir toutes les corporations laïques et civiles, dans lesquelles cet esprit de corps ne domine pas moins que dans les corporations ecclésiastiques. H faut abolir et supprimer tous les bureaux des collèges, toutes les administrations des hôpitaux et de charité, toutes les académies, tous les régiments, et toutes les, je ne dis pas mystiques, mais mystérieuses loges des francs-maçons. De bonne foi, croit-on que les municipalités elles-mêmes soient exemptes de cet esprit particulier qu’on reproche à toute corporation quelconque. Les services importants et journaliers que les illustres corps des oratoriens, des doctrinaires, des prêtres de la mission, etc..., rendent à la société, devraient les mettre à l’abri de leur destruction, dont le seul projet ne peut qu’exciter l’indignation des esprits qui n’ont pas fait divorce encore avec la reconnaissance. Il est rare de voir ailleurs des grands hommes que dans les corporations où se trouvent l’émulation, l’exemple et le secours des lumières pour les former. Mais enfin, à quoi aboutiront les destructions de tant de sages et belles institutions, reçues autrefois avec enthousiasme par nos pères, et rejetées aujourd’hui avec mépris par leurs enfants ? Le génie destructeur du siècle présent est-il plus conforme à l’esprit de la saine philosophie, que le géûie créateur des siècles passés? Pourquoi nous croire plus sages et plus éclairés que nos anciens? Réformons tous les abus, nous le devons ; mais pour guérir un malade ne portons pas la mort dans son sein. § Y. — Réduction des évêchés et des cures. Plusieurs articles supposent la suppression ou extinction de plusieurs évêchés, cures et vicariats, relativement à la nouvelle division du royaume et conformément au plan du comité ecclésiastique, etc... De deux choses l’une : ou l’on veut conserver la religion catholique, ou l’on veut la détruire. Si on entend l’abolir, on ne saurait mieux s’y prendre qu’en supprimant les cures et les évêchés; de telle sorte qu’à raison de leur petit nombre, et, par conséquent, de l’étendue immense des diocèses et des paroisses, les évêques et les curés soient dans l’impossibilité morale et physique de remplir leurs fonctions. Or, c’est ce qui arriverait dans les suppressions projetées. Car, pour m’arrêter aux fonctions curiales, puisque je n’ai pas l’honneur d’être évêque, elles sont si multipliées, si embarrassantes, si pénibles et difficiles dans les paroisses ordinaires, qu'une nouvelle surcharge 430 [Ataemblée nationtl®.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [14 novembre 1790.] deviendrait insupportable à un curé, quelque zèle qu’on lui suppose. Si l’on veut conserver la religion, il n’y a pas trop de ministres. Il y a longtemps que, dans plusieurs diocèses, on se plaignait deleur pénurie, dans un temps où l’on ne pensait pas à éteindreles ordres religieux qui étaient d’un grand secours. Il n’y aurait peut-être pas d’inconvénient à supprimer quelques petits évêchés, trop voisins les uns des autres, ou quelques petites paroisses, où il y a trop peu du monde pour occuper un prêtre; mais une suppression, telle qu’elle est projetée, porterait un coup mortel et irréparable à ta religion dans le royaume. Que fera un curé dans le vaste territoire de sa paroisse? Car, la messe qui est, sans contredit, la plus auguste et la plus sainte de toutes les fonctions, n’en est pas cependant, sous certains rapports, la plus importante ni la plus nécessaire. Ne faut-il pas encore qu’un curé soit toujours en haleine pour instruire ses paroissiens, catéchiser les enfants, préparer les jeunes gens à la première communion, entendre les confessions, administrer les sacrements, entretenir la paix dans les familles, reconcilier les ennemis, empêcher ou accommoder les procès, soulager les pauvres, visiter les malades, assister les mourants, veiller à tout, être prêt à tout ; et cela à toutes les heures du jour et de la nuit? Nous en appelons au témoignage de nos paroissiens. Qu’on compare maintenant les devoirs si fréquents, si urgents et si essentiels, avec l’étendue trop vaste d’une paroisse. Gomment un curé seul, ou presque seul, pourrait-il suffire à tant de fonctions toujours renaissantes? A combien de dangers et d’accidents ne seront pas journellement exposés les malades et les enfants à baptiser, à raison de la trop grande distance des lieux ? C’est pourquoi si chaque communauté a sa municipalité, pourquoi n’aurait-elle pas sa paroisse? Pourquoi ne conserverait-elle pas son curé? L’administration spirituelle est-elle moins précieuse que l’administration temporelle? Et si l’on a l’intention de tenir les administrés toujours à portée de leur administration, pourquoi voudrait-on éloigner les paroissiens de la présence et du ministère de leur pasteur? Non, ce n’est point à des vues d’économie pour le bien de l’Etat, qu’il convient de sacrifier le bien spirituel de la religion, qui doit, à son tour, contribuer au bonheur de la société. Mais, sans un nombre suffisant de ministres, on ne nous laissera de cette religion que le squelette. Elle ne fera que languir et aller tous les jours en dépérissant à nos yeux. C’est également par ce même esprit d’économie, qu’après avoir promis d’améliorer le sort des curés à portion congrue, il semble qu’on cherche à éluder, en quelque sorte, cette promesse, en prétendant substituer aux curés, qu’on a en vue de supprimer, de simples vicaires, dont le traitement sera au-dessous de ladite congrue. Tous ces plans d’économie, pour l’intérêt de la chose publique, sont très louables sans doute; mais il est fâcheux que ce soit au détriment de ta religion. La raison en est que le plus grand nombre des membres du comité écclésiastique étant composé de laïques, ils n’envisagent les objets qu’ils traitent que relativement aux finances, ne se croyant pas obligés de les considérer sous les rapports qu’ils ont, essentiellement, d’une manière plus ou moins éloignée avec la religion, § VI. — De la puissance spirituelle. Dans quelques articles du projet il est parlé de réforme, de police, de vacance, d’élection, de nomination, etc..., concernant le clergé; on en charge les municipalités, les districts, les départements, et l’on ne dit rien de la puissance spirituelle, qui ne doit pas moins influer dans l’organisation et le gouvernement du clergé. Les municipalités, les districts, les départements, l’Assemblée nationale elle-même, ne pourront jamais exercer qu’une puissance temporelle et civile. Il est une autre puissance, 'distinguée de la première, qui appartient exclusivement à l’Eglise. C’est la puissance spirituelle. Jésus-Christ fa lui a conférée; elle n’a pour objet que les choses spirituelles, et pour lin que le salut des âmes. Cette doctrine appartient à la foi. Tous les objets qui, quoique temporels, se rapportent à quelque chose de spirituel, comme ceux qui, étant spirituels, ont du rapport à quelque chose de temporel, sont du ressort des deux puissances, chacune en ce qui la concerne ; comme, par exemple, la solennité des vœux, le sacrement de mariage, etc... De même la puissance temporelle peut, si le bien de l’Etat l’exige, diviser les diocèses et les paroisses, ou les réunir en supprimant des évêchés et des cures; mais elle a besoin alors du concours de la puissance spirituelle, comme elle ne pourrait s’en passer si elle était dans le cas d’en ériger de nouveaux. De là cet axiome de droit : Hujus est destituere, cujus est instituere. Qui pourra donner, en effet, la juridiction à l’évêque et au curé dans les nouveaux diocèses et les nouvelles paroisses dont ils seront chargés, si ce n’est la puissance spirituelle? La juridiction de chaque évêque étant circonscrite dans son diocèse, ainsi que celle de chaque curé dans sa paroisse, si l’on augmente le territoire, et par conséquent le troupeau de l’un et de l’autre, aucune puissance temporelle ne saurait leur communiquer cette extension de juridiction sur leur nouvelles ouailles. Sans doute que le droit de présentation et d’élection n’a rien en soi qui puisse blesser la puissance spirituelle; mais, d’autre part, ce serait visiblement tomber dans Terreur des protestants, que de laisser à l’autorité et à la disposition des magistrats quelconques, exclusivement aux évé-ques, la police, l’administration, le gouvernement ecclésiastique, excepté en ce qui est purement temporel. L’autorité séculière a nécessairement, pour le bon ordre et la paix de la société, le droit de protection, de surveillance et même de correction vis-à-vis du clergé, puisque tous ses membres sont citoyens ; mais tout ce qui concerne l’exercice des choses spirituelles, même la collation des bénéfices, qui n’est autre chose que l’institution canonique, etc..., ne peut-être que l’effet de la puissance spirituelle, sans quoi il n’y aurait ni vraie juridiction, ni vrais pasteurs dans l’Eglise. L’auteur du projet rend hommage à cette vérité, puisque pour la dispense des vœux il renvoie à l’autorité légitime, c’est-à-dire, sans doute, à la puissance spirituelle; mais pourquoi ne pas en parler pour les autres objets qui sont également de son ressort? Il nous fut distribué, il y a quelque temps, un autre projet de loi sur la liberté de la presse , où l’on no trouve pas un seul mot en faveur de la [Assemblée nationale.) ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [13 novembre 1799.] 481 religion. Que ce silence est affligeant pour elle 1 On s’attendait à y voir une défense générale de composer, imprimer ou colporter ou rendre aucun ouvrage contre le gouvernement, contre la religion et les mœurs, et contre l’honneur des citoyens : voilà qui eût été clair et intelligible. On y a compris à la vérité les mœurs, parce qu’en effet sans les mœurs, il n’y aura jamais ni subordination, ni force, ni bonheur dans un Etat ; mais la religion devait-elle être séparée des mœurs, puisqu’elle en est la sauvegarde? On ne peut guère respecter les mœurs, quand on ne respecte pas la religion. En restreignant la liberté de la presse, ne serait-il pas nécessaire de réprimer encore la liberlé qu’on prend d’exposer publiquement, et quelquefois jusque dans les avenues de la salle nationale, des tableaux, gravures et estampes obscènes et de la plus grande indécence? Les écrits contre les mœurs sont bien moins dangereux pour le peuple : un grand nombre ne sait pas lire, et beaucoup n’en a pas le temps ; au lieu qu’il ne faut ni temps ni science, pour faire passer dans l’âme des images impures qui y causent souvent les plus grands ravages. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M. CHASSET. Séance du lundi 15 novembre 1790, au matin (1). La séance est ouverte à dix heures moins un quart du matin. MM. les secrétaires donnent lecture des procès-verbaux de la séance de samedi au soir et de la séance d’hier. Ces procès-verbaux sont adoptés. M. Malès, membre du comité des rapports , rend compte d’une pétition des accusés des troubles dans le département de la Corrèze et propose un projet de décret qui est adopté en ces termes : « L’Assemblée nationale, considérant que, par des motifs d’ordre et de justice, elle a, par son décret du 26 août dernier, sanctionné par le roi, renvoyé devant les officiers municipaux, juges ordinaires en matière criminelle à Bordeaux, tous les procès commencés par le tribunal prévôtal de Tulle, relativement aux troubles du département de la Corrèze, antérieurs au 1er mai dernier, pour en continuer l’instruction jusqu’au jugement définitif, et que partie de ces motifs subsistent encore, et ne permettent point que les accusés soient jugés dans des tribunaux du département de la Corrèze; après avoir entendu sou comité des rapports sur la pétition des accusés : « Décrète qu’attendu la cessation des fonctions judiciaires de la municipalité de Bordeaux, par l’effet des décrets concernant la nouvelle organisation de l’ordre judiciaire, sanctionnés par le roi, l’instruction et le jugement de tous lesdits procès sont renvoyés au tribunal du district de Bordeaux, auquel la connaissance en demeure attribuée de la même manière qu’elle l’avait été (1) Cette séance est incomplète au Moniteur . aux officiers municipaux de celte ville ; à l’effet de quoi les prisonniers seront transférés des prisons de la municipalité, où ils sont détenus, dans celles du tribunal de district, et les minutes de toutes les procédures faites contre eux, transportées au greffe dudit tribunal.» M. de Maubee. Je demande que l’Assemblée veuille bien faire un règlement pour sa police intérieure. Avant d’infliger des punitions, il faut établir des lois fixes. M. de IFolIcville. J’appuie l’opinant parce que, sous prétexte de discipline intérieure on ne doit être puni que pour avoir transgressé un règlement. Cependant voilà déjà plusieurs membres de l’Assemblée contre lesquels on prononce des peines qui ne sont point portées à son règlement. M. Delley. Les circonstances ont commandé la sévérité de l’Assemblée. Un règlement ne peut prévoir tous les cas ; un acte, un propos, devient plus ou moins répréhensible, suivant les circonstances. M. de Foucault. Alors conservons le régime de l’arbitraire et du bon plaisir. Plusieurs membres demandent l’ordre du jour qui est prononcé. M. Hernoux, membre du comité d'agriculture et de commerce , propose et fait adopter le décret suivant sur les troubles et les excès qui ont eu lieu dans la ci-devant province de Roussillon à l’occasion de l'incendie des barrières et du retard du payement du droit de traites : « L’Assemblée nationale, après avoir entendu son comité de commerce et d’agriculture sur les excès qui ont interrompu la perception des droits de traites, et la garde des frontières et des côtes de la ci-devant province de Roussillon, décrète ce qui suit : Art. 1er. « Les bureaux de perception des douanes nationales seront incessamment rétablis sur toutes les frontières et les côtes de la ci-devant province de Roussillon, dans les endroits où ils étaient au lor juillet de l’année dernière, et dans ceux qui seront ultérieurement indiqués. Art. 2. « Les municipalités seront tenue's de favoriser, par tous les moyens qui seront à leur disposition, le rétablissement de ces bureaux et de protéger les perceptions et les percepteurs, non seulement des douanes nationales, mais encore de toutes les impositions quelconques, directes ou indirectes ; faute de quoi, elles en resteront responsables, aux termes du décret du 23 février dernier. Art. 3. « Les directoires de district et de département veilleront à l’exécution du présent décret. Art. 4. « Le roi sera supplié de donner ordre aux commandants des troupes de ligne des ci-devant provinces du Languedoc et du Roussillon, de prêter raainforte à toutes les municipalités et directoires de district ou de département qui les en requerront; et, au cas que ces troupes ne fussent