[4 janvier 1791. J [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 17 que nous soyons dans le calme qui convient à nos délibérations. Ces ordres sont sûrement exécutés maintenant. M. de Saint-Simon. Je déclare, au nom de mes commettants, que l’Assemblée n’est pas libre. M. Dnfraisse-Ducliey. Vous entendez ces scélérats qui, après avoir détruit la monarchie par d’in famés moyens, veulent maintenan �anéantir la religion. Je déclare que l’Assemblée n’est pas libre, et je proteste... Un très grand nombre de voix : Laissez faire l’appel ; laissez exécuter le décret. M. Dusson de Bonnac, évêque d' A g en. N ous avez fait une loi. Par l’article 4, vous avez dit que les ecclésiastiques, fonctionnaires publics, prêteraient un serment dont vous avez décrété la formule. Par l’article 5, que s’ils se refusaient à prêter ce serment, ils seraient déchus de leurs offices. Je ne donne aucun regret à ma place, aucun regret à ma fortune; j’en donnerais à la perte de votre estime que je veux mériter ; je vous prie donc d’agréer le témoignage de la peine que je ressens de ne pouvoir prêter le serment... ( Une partie du côté droit applaudit.) On continue l’appel nominal. — il/. Fournetz, curé de Puy-Miélan. M. Fournetz. Je dirai, avec la simplicité des premiers chrétiens : Je me fais gloire et honneur de suivre mon évêque, comme Laurent suivit son pasteur. On appelle M. Leclerc, curé de la Combe. M. licclerc. Je suis l’enfant de l’Eglise catholique... ( Bruits . — Murmures.) M. Rœderer. L’interpellation de prêter le serment ne permet pas d’autre réponse que de le prêter ou de refuser de le prêter. M. Faydel. Quand vous avez reçu le serment de M. l’abbé Grégoire, vous lui avez permis une explication. M. le Président. Pour se conformer au dé' cret, les fonctionnaires publics ecclésiastiques appelés doivent répondre : je jure, ou : je refuse. M. de Foucault de Fardimalie. C’est une tyrannie. Les empereurs qui persécutaient les martyrs leur laissaient prononcer le nom de Dieu et proférer les témoignages de leur fidélité à leur religion. M. de Bonnay. Il est de fait que l’appel nominal commencé n’a pas été décrété ; il est de fait que ce mode a été choisi par M. le président, pour exécuter le décret. Je n’ai pas l’honneur d’être de V ordre ecclésiastique. {Il s'élève beaucoup de murmures.) Vous avez connaissance d’un faux, commis dans la proclamation de la loi. On a voulu le réparer, mais il n’a pu l’être complètement. Cette erreur très grave a excité dans l’esprit des malintentionnés une animadversion très forte contre les ecclésiastiques, et un danger réel pour les fonctionnaires publics qui ne prêteraient pas le serment... Plusieurs serments individuels ont été prêtés ; les noms des ecclésiastiques qui s’y sont soumis sont con-lre Série. T. XXII. signés au procès-verbal. Le délai est expiré ; il ne reste donc plus qu’à demander collectivement aux autres fonctionnaires publics ecclésiastiques, membres de cette Assemblée, de se présenter à la tribune. Cette forme n’a pas les dangers de l’appel nominal. On inscrira sur le procès-verbal ceux qui auront prêté le serment; ceux qui ne s’y trouveront pas auront encouru la destitution. M. Cliasset. Vous ne pouvez vous dispenser d’adopter cette proposition. Le décret porte que chaque ecclésiastique fonctionnaire public, membre de cette Assemblée, sera tenu de retirer du procès-verbal et d’adresser à sa municipalité le certificat de son serment, à peine de déchéance de son office. Plusieurs membres demandent la question préalable sur la motion de M. de Bounay. (L’Assemblée décide qu’il y a lieu à délibérer ; et cette motion est adoptée.) M. le Président. En conséquence des ordres de rassemblée, j’interpelle les ecclésiastiques fonctionnaires publics, membres de cette Assemblée, présents, et qui n’ont pas prêté le serment décrété, de monter à la tribune pour se conformer au décret. Voici la formule : « Je jure de veiller avec soin sur les fidèles du diocèse (ou de la cure) qui m’est confié, d’être fidèle à la nation, à la loi et au roi, et de maintenir de tout mon pouvoir la Constitution décrétée par l’Assemblée nationale et acceptée par le roi. » Ceux qui voudront prêter le serment diront : Je le jure. M. Fandrin, curé de Garencières. Je prête le serment conformément au décret. {On applaudit.) M. Couturier, curé de Salives. J’offre de prêter le serment, en réservant ..... M. de Bonnal, évêque de Clermont, paraît à la tribune. Plusieurs voix .-Prêtez le serment pur et simple sans réserve. M. de Bonnal, évêque de Clermont. Il est bien étonnant qu'un certain nombre de membres s’arrogent la parole et nous obligent à rester comme des statues ; il est bien étonnant qu’on nous ferme fa bouche, pendant que d’autres parlent tant qu’ils veulent. Adoptant le sentiment de l’Assemblée que je prends pour modèle, et qui a dit n’avoir pas entendu toucher au spirituel, je prétends faire ainsi mon acte. M. le Président. L’Assemblée a décrété, dans toutes les circonstances, qu’elle n’entendait pas toucher au spirituel. {La partie gauche applaudit.) M. de Cazalès. Le devoir du président est de déclarer le vœu de l’Assemblée. Je demande si c’est là son vœu, et je fais la motion qu’elle le déclare positivement. M. le Président. Ne se présente-t-il plus personne pour prêter serment ? (Il se passe un quart d'heure dans le silence.) M. de Cazalès. Je demande que l’Assemblée 2 18 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. nationale adopte la motionfaite de déclarer qu’elle n’entend pas toucher au spirituel ..... Si tel est le vœu de l’Assemblée nationale ..... M. Beanpoil de Sainte-Aulaire, évêque de Poitiers. J’ai 70 ans, j’en ai passé 35 dans l’épiscopat, où j’ai fait tout le bien que je pouvais faire. Accablé d’années et d’études, je ne veux pas déshonorer ma vieillesse, je ne veux pas prêter un serment... (Il s'élève beaucoup de murmures.) Je prendrai mon sort en esprit de pénitence. (La partie droite applaudit.) M. de Cazalès. Je demande que dans le cas où les principes de l’Assemblée nationale seraient déterminés, et qu’elle n’auraitpas voulu toucher à ce qui est purement spirituel, elle le déclare. Si tels sont ses principes, il est facile de démontrer, jusqu’à l’évidence, qu’il n’y a aucun inconvénient à adopter la restriction proposée par M. l’évêque de Clermont. J’invite donc l’Assemblée nationale, et j’en fais la motion expresse, à accepter la formule de serment proposée par M. l’évêque de Clermont. M. Biquetti de Mirabeau, Vaîné. L’erreur du préopinant peut se démontrer par la substitution d’un seul mot. 11 veut que l’Assemblée déclare qu’elle n'a pas entendu toucher au spirituel, tandis que tout ce qu’on pourrait dire, c’est que l’Assemblée n'a pas touché au spirituel. (La partie gauche applaudit.) Voilà tout ce que le président, aux ordres de l’Assemblée, a dit, et pu dire, c’est que l’Assemblée n’a pas touché au spirituel. Plusieurs membres de la partie droite : Elle y a touché. M. Biquetti de Mirabeau, l'aîné. Il est bien évident que ce n’est point une véritable issue pour sortir de la difficulté qu’on veut faire naître : il n’y a plus de difficultés, car l’opération est consommée. Il est bien évident que ce n’est pas une véritable issue, car toute la difficulté, s’il pouvait y en avoir, serait que les dissidents appellent spirituel ce que l’Assemblée appelle temporel. (On applaudit.) Plusieurs voix de la droite : Ajoutez contre sa conscience. M. Biquetti de Mirabeau, l'ainé. Elle est fondée sur cette observation bien palpable que les démarcations diocésaines sont évidemment un fait temporel. Il ne nous reste donc qu’un parti à prendre. S’il est vrai qu’on n’ait pas une intention secrète de troubler la paix... (MM. l'abbé Maury et de Cazalès demandent la parole .) S’il est vrai que nous voulions tous concourir à la paix, s’il est vrai que cette résistance ne soit pas un moyen, trop connu dans nos annales, pour faire prévaloir l’autorité ultramontaine, on doit se contenter de la déclaration mille fois faite, et non à faire, que l’Assemblée n'a pas attenté au spirituel. (U s'élève des murmures da?is la partie droite.) Je supplie la partie de l’Assemblée qui m’interrompt d’observer que je ne vise pas à un évêché. Il est évident que l’heure fatale est arrivée, que l’opération commencée est légale. Pour qu’elle soit complètement consommée, je demande qu’après une nouvelle interpellation, on adopte la seconde motion de M. Barnave, alin que les mesures décrétées par l’Assemblée nationale soient graduellement exécutées. [4 janvier 1791.] M. de Cazalès. Je demande en amendement la restriction de M. l’évêque de Glermont. C’est un moyen sûr de ne jeter aucun trouble dans le royaume. M. l’abbé Maury monte à la tribune. (L’Assemblée décide qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur l’amendement de M. de Cazalès.) M. Chasset. Je demande de fermer la discussion et d’aller aux voix sur la motion de M. de Mirabeau. M. de Béihésy de Mézières, évêque d'Uzès. Il est impossible de ne pas répondre à M. de Mirabeau qui a établi un fait. On ne peut aller aux voix sans savoir si ce fait est vrai. Nous avons demandé à cette Assemblée la permission de nous assembler en concile national. Comme bons Français, nous nous soumettrons toujours à la religion. M. le Président. Je vais mettre aux voix la motion de M. de Mirabeau. M. l’abbé Maury. Quand vous m’aurez entendu. (L’Assemblée décide que M. l’abbé Maury ne sera pas entendu.) (La motion de M. de Mirabeau est adoptée.) M. le Président. J’interpelle pour la dernière fois les ecclésiastiques fonctionnaires publics de prêter le serment conformément au décret. (La partie droite est extrêmement agitée.) (Il s’écoule plusieurs minutes. — Personne ne paraît à la tribune.) Il est fait lecture de la motion de M. Barnave; elle est ainsi conçue : « L’Assemblée nationale charge son président de se retirer devers le roi, pour lui remettre les extraits des procès-verbaux des séances de l’Assemblée nationale, depuis le 26 décembre dernier, et le prier de donner des ordres pour la prompte et entière exécution du décret du 27 novembre dernier, envers les membres de l’Assemblée nationale, ecclésiastiques fonctionnaires publics, qui n’ont pas prêté le serment prescrit par ledit décret; sauf à ceux qui seraient retenus hors de l’Assemblée, nationale par maladie ou absence légitime, à faire valoir leur excuse dans le délai de quinzaine, en faisant ou en envoyant leur serment. » M. l’abbé Maury. Je propose un amendement qui a deux objets : le premier de maintenir la paix; le deuxième d’empêcher qu’on ne calomnie des gens qui, au lieu d’être les auteurs du trouble, en seraient les victimes. Pour remplir ce double objet, je demande que l’Assemblée nationale décrète que le décret ne sera exécutoire que dans 60 ans. (La motion de M. Barnave est mise en délibération et adoptée à une très grande majorité.) Plusieurs membres de la droite crient qu’ils De prennent point de voix. M. le Président prévient l'Assemblée qu’il n’y aura pas de séance ce soir et annonce l’ordre du jour de demain. La séance est levée à cinq heures.