K84 {Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. {8 avril 1*190.1 L’élat intérieur de la France, relativement à la justice, le voici : 1° les justices seigneuriales sont abolies ; et n’étant pas encore remplacées, on peut dire qu’il n’y a pas de justice primaire dans la presque totalité de la France; 2° les tribunaux royaux, d’une part, s’attendent à leur destruction ; de l’autre, les événements ont suspendu ou ralenti leur exercice; 3° les cours souveraines; vous connaissez leur position et leur conduite. Faites-y attention, Messieurs, il ne s’agit pas d’introduire plus ou moins de nouveautés dans une machine toute montée. La machine judiciaire n’existe plus, et pourtant la justice est le premier besoin des peuples : il est pressant d’y pourvoir, rien n’est plus urgent. Dans cet état de choses, vous convenez que les jurés seraient une belle institution tant au civil qu’au criminel, et pourtant vous voulez les retarder, sous le prétexte que leur établissement actuel occasionnerait une trop forte secousse. Je sais quelles impressions vives on doit faire sur les esprits en ce moment, toutes les fois qu’on prononce les mots de changement, d’innovation, et les préopinants se sont beaucoup servis de ce moyen pour jeter de la défaveur sur la cause du jury civil. Mais il est permis de demander au moins le sens de ce qu’ils ont voulu dire. 11 est de fait que le système judiciaire est désorganisé en France. Il est de fait que les principaux ministres de l’ancienne justice passent pour n’être point les partisans de la Révolution ; vous ne pouvez vous dispenser de reproduire un ordre quelconque de justice et de police dans le royaume. Ainsi, Messieurs, je vous supplie de faire attention à cette vérité ; il ne s’agit pas de laisser à une machine actuellement montée la continuation de son jeu, il s’agit d’en former une, parce qu’il n’en existe point ou à peu près ; il s’agit de la former ou sur l’ancien modèle ou d’après une combinaison plus appropriée à votre nouvelle Constitution. Au milieu des grands changements que cette opération suppose dans le régime entier de la justice, n’est-il pas étrange qu’on veuille vous faire considérer 1 ejury au civil comme fait pour bouleverser la monarchie entière? Nos adversaires veulent une nouvelle justice primaire dans les cantons; ils veulent un nouvel arrangement de tribunaux ou d’assises dans les districts et les départements ; à cette occasion, ils veulent s’exposer aux réclamations multipliées qui vont arriver de toutes les villes de la France, pour avoir le tribunal du ressort; ils veulent substituer, aux anciennes cours, des moyens nouveaux quelconques; ils veulent l’institution du jury pour les procès criminels; c’est-à-dire ils veulent tout changer, ils veulent très véritablement un nouvel ordre judiciaire. Cependant les innovations leur paraissent peu de chose ; ils ne conçoivent des alarmes que pour le jury au civil ; c’est le jury civil tout seul qui suppose un grand changement, et une secousse telle, qu’on ne répond plus de rien si on essaie de l’adopter pour ce moment. J’ose croire que le jury dont j’ai donné l’organisation n’a rien d’impraticable pour le moment, pas plus au civil qu’au criminel; mais j’ajoute, pour ceux qui veulent les jurés au criminel, qu’il est certainement bizarre de craindre les embarras, les difficultés qu’entraînerait l’institution des jurés pour les procès civils. Car vous ne pouvez pas monter un ordre de choses propre à vous donner des jurés au criminel, sans avoir tout ce qui vous serait nécessaire pour fournir les jurés au civil : soit que vous n’exigiez qu’un de ces deux jurys, soit que vous les adoptiez tous les deux, il vous faut, dans l’un et l’autre cas, un tableau d’éligibles, des règles pour appeler, pour assurer les membres du jury, des juges appropriés à cette nature de décision; en un mot, il vous faudra le même établissement que si vous adoptiez l’un et l’aure jury. Permettez-moi donc une comparaison: en refusant les jurés civils par les considérations des difficultés qui les accompagneraient, vous vous conduiriez comme un manufacturier qui ayant, je suppose, mille pièces à vendre, se bornerait à en fournir 500, par la crainte d’avoir à doubler son atelier, quoique très suffisant déjà pour la totalité de son débit. Cette comparaison est juste, si vous voulez bien vous rappeler que, quant à l’effet du jury civil, il est bon, il ne peut être que bon, si vous commencez par y admettre, comme je l’ai fait, les gens de loi. Ainsi, Messieurs, je crois pouvoir dire qu’il reste démontré, pour tout homme raisonnable, que tout ce qu’il y a à redouter de l’établissement d’un nouvel ordre judiciaire est commun et à ceux qui veulent et à ceux qui ne veulent pas le jury au civil : je dis plus, que les embarras du nouveau régime judiciaire seront bien plus nombreux pour ceux qui veulent se borner au jury criminel; car, d’une part, il faudra qu’ils conservent les anciens tribunaux; et, de l’autre, qu’ils établissent un ordre nouveau, c'est-à-dire qu’ils veulent vous procurertout l’attirail, tout le fatras de l’ancien régime, et toutes les difficultés en même temps qu’ils paraissent craindre du nouveau. S’il est bien vrai que nous soyons unis pour la liberté, nous devons l’être pour le jury civil comme pour le jury criminel ; si, au contraire, nous ne sommes pas dignes de la liberté, convenons-en, l’un et l’autre jury sont également prématurés. Je conclus, en adoptant l’établissement du jury organisé ainsi que je l’ai indiqué. M. Roederer. Je demande qu’il soit fait lecture du plan de M. Siéyès. M.Tronchet. La discussion étant présentement réduite à une des questions particulières qui naissent du plan de M. l’abbé Siéyès, il suffit de lire le titre relatif au jury. M. Ic comte Stanislas de Clermont-Tonnerre. Je crois nécessaire de lire le plan de M. Siéyès dans son entier, parce qu’il n’est pas possible de discuter utilement un projet de cette nature, sans le considérer dans son ensemble. M. Garat, l’aîné. Ce serait contrevenir à l’ordre qui a réglé la discussion de s’occuper de la lecture de la totalité du plan qui embrasse plusieurs objets étrangers à la question sur laquelle nous délibérons actuellement. M. le Président met les diverses propositions aux voix. L’Assemblée décide qu’il sera fait lecture du plan de M. l’àbbé Siéyès, mais seulement en ce qui concerne le jury. Un de MM. les secrétaires fait cette lecture ainsi qu’il suitj: DES JURYS. 81. Toute cause d’instance, tant au civil qu’au criminel, portée soit aux assises, soit aux chambres d’un tribunal de département, ne pourra être jugée que par le ministère d’un jury.