[États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Paris hors les mars.] ggi primer et de rendre cette marchandise libre dans tout le royaume ; ou si cela ne se peut, d’adoucir la rigueur de la perception et abolir les peines que la loi impose au faux, saunage. Art. 10. Que la taille, imposition aussi onéreuse qu’accablante , sera supprimée ainsi que les vingtièmes. Que les Etats généraux pèseront, dans leur sagesse, les moyens de rétablir les impôts sous une autre forme, telle, par exemple, qu’une subvention en nature de fruits qui serait perçue dans une proportion déterminée suivant les différentes paroisses, la nature des sols et eu égard aux' frais de culture ; que cette perception en nature aurait lieu pour les blés, avoines, orges, grenailles, prés, luzernes, sainfoins etc., et qu’à l’égard des maisons, jardins et bois, il sera fait une perception pécuniaire et fixée sur le taux du placement des meilleures terres de chaque paroisse. Qu’à l’égard des vignes, il sera donné un nouveau régime; que tous les droits qui se perçoivent sur les boissons, de quelque nature qu’ils soient, même de débit en gros et en détail, vente et revente, trop bu, etc., soient abolis et supprimés; qu’une prestation en argent par chaque pièce de vin récoltée d’après l’inventaire fidèle qui en sera fait tous les ans, remplacera tous les droits qui existaient précédemment. Que ce régime, en facilitant la perception d’une part, ne mettra de l’autre aucune entrave dans la liberté du commerce, sauf à la nation à fixer ce qu’elle estimera pour la vente des vins à l’étranger. Art. 1 1 . Que la corvée sera perçue suivant le nouveau règlement, mais que le produit de cette imposition sera employé à l’utilité publique, dans chaque paroisse où il est levé, s’en rapportant, d’ailleurs, à la sagesse des Etats généraux pour demander la construction des chemins nouveaux, la suppression de plusieurs inutiles, et l’entretien de tous ceux qui existent. Art. 12. Que les milices, que l’on tire annuellement, causent le plus grand préjudice aux habitants des campagnes; qu’il serait important qu’elles fussent entièrement supprimées : on pourrait y suppléer par des levées de troupes dans chaque province, en raison de sa population. Art. 13. Que les administrations provinciales, qu’on doit regarder comme très-utiles , seront soumises à un nouvel examen; que la nation assemblée réglera leur nombre et l’étendue de leur pouvoir, présentera des règlements sages. qui, en leur confiant la surveillance de l’assiette et de la répartition des impôts, préviennent les abus et les malversations ; que l’autorité des commissaires départis sera entièrement détruite, et qu’enfin chaque citoyen, se trouvant encouragé et animé de l’amour du bien public, soit dans un rapport si continuel avec tous les individus de l’Etat, qu’en assurant la confiance publique, ils rendent la France le plus redoutable de tous les empires. Art. 14. Que les droits et casuels des curés de campagne sont arbitraires ; que dans un même diocèse dans deux paroisses voisines, l’un des curés se fait payer pour ses droits et honoraires plus ou moins que l’autre. Ne serait-il pas à désirer que leurs droits fussent fixés d’une manière uniforme dans tout le royaume? Art. 15. Que dans les paroisses des campagnes où il n’y a point de pacages et bois communs, il soit permis aux habitants de ces paroisses de mener leurs bestiaux dans les bois et remises non enclos de murs de leur terroir, et lorsque les bois auront atteint l’âge de quatre ans, d’en emporter les bois secs et y faire de l’herbe. Fait et arrêté en l’assemblée générale de la paroisse de Marolles en Hurepoix, le 13 avril 1789, sous les seings des soussignés : Bauchais ; Gahouet ; Bailly ; René Mozun ; Fos-sard; J. Courtin; Courtin; P. Courtin; J. Ducloud fils ; Pierre Mahieu ; Courtin ; L. Mony ; Chevalier; Louis Loiseau ; J. Chevalier; Etienne Chapart; Jadart; Regner; Antoine Thanoran ; Antoine Mosne H. Chapeau; Charles Leroy; Rochefort; F. Fou-guet ; Mosny ; Yillier ; Etienne Delaveau; Groulet ; Laisné. CAHIER Des pouvoirs et instructions que les habitants et communautés de la paroisse de Massy donnent à leurs représentants, députés à V assemblée générale de la prévôté et vicomté de Paris, indiquée au 8 du présent mois (1) ; Ledit cahier arrêté en l’assemblée générale desdits habitants, tenue cejourd’hui et présidée par M. François-Denis Tronchet, avocat au parlement, bailli de Longjumeau, Massy et dépendances, en la nef de l’église dudit Massy. 1° Nous chargeons nos députés de représenter à l’assemblée générale de la prévôté que l’imposition de la taille et de tous ses accessoires est devenue un fardeau d’autant plus intolérable, que cet impôt ne se supporte point par les deux ordres du clergé et de la noblesse et par des privilégiés, qui forment une espèce mixte entre le tiers-état et la noblesse. Nos députés demanderont donc que cet impôt, dont le nom seul est humiliant pour le tiers-état, soit commué en une autre imposition réelle et foncière, qui porte également sur tous les propriétaires, de quelque nature qu’ils soient, et dont la répartition soit établie dans une forme telle, que l’imposition soit supportée par les propriétaires dans une égalité de proportion entière. 2° Nos députés représenteront fortement combien les aides sur les boissons, surtout en ce qui concerne le gros manquant, vulgairement dit le trop bu, est onéreux au peuple ; et ils demanderont, en conséquence, que tous les droits sur le vin soient convertis en une imposition foncière sur les vignobles. 3° Ils représenteront encore l’abus de la gabelle, qui soumet à une imposition très-forte un aliment de première nécessité, et qui devient vexatoire par l’obligation imposée au peuple d’acheter même le sel qu’il ne peut pas consommer. Et dans le cas où les nécessités de l’Etat ne permettraient pas de supprimer, dès àprésent, ou de commuer ces deux genres d’impôts, ils insisteront pour qu’il soit du moins accordé, dès à présent, au peuple un soulagement à cet égard, par la suppression de ce que ces impôts ont de trop vexa-toire, tels que le gros manquant et la taxe du sel par ménage. 4° Les pigeons causent des dégâts considérables aux récoltes, et l’excès de ce dégât provenant de ce que plusieurs bourgeois et particuliers, sans droits, et qui n’ont point la quantité de terre prescrite par les règlements, ont des colombiers avec un plus grand nombre de boulins que ceux qu’ils devraient avoir, ils demanderont que les règlements relatifs à cet objet soient sévèrement exécutés. 5° La trop grande quantité de gibier, et surtout des lapins, nuisant beaucoup à la culture dester-(1) Nous publions ce cahier d’après un manuscrit des Archives de l’Empire. g82 [États gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Paris hors les murs.] res et aux récoltes, en telle manière que, dans la paroisse, on a été obligé de retourner un assez grand nombre de terre ensemencée, cette année, ils demanderont la destruction totale des lapins, et qu’il soit pourvu à un règlement, pour empêcher la trop grande multiplication du gibier, tel que les perdrix et lièvres. 6° Ils demanderont la suppression du tirage de la milice. 7° lis demanderont la suppression des droits de contrôle et autres droits sur les actes, soit notariés, soit sous seing privé, et qu’en tout cas, ces droits soient tarifés d’une manière si claire et si précise, qu’ils ne puissent être susceptibles d’extension, et que le jugement de toutes les contestations qui pourraient survenir sur l’exécuiion de ce tarif soit renvoyé aux juges ordinaires, ou à des tribunaux judiciaires réglés. 8° Qu’il soit pourvu à un règlement ou pris les précautions convenables, pour prévenir la cherté excessive des blés dans des années qui ne seraient pas véritablement de disette, et pour diminuer cette cherté, même dans les années désastreuses. 9° Ils demanderont la faculté, même dans la capitainerie, de soyer les blés et grains et faucher les prés, quand les propriétaires le jugeront à propos. 10° Ils demanderont la suppression du chemin de chasse qui conduit de Migneaux à Longjumeau, comme inutile et retirant une partie des terres à l’agriculture. 11° Ils demanderont qu’il soit rendu compte de l’argent qu’ils ont payé pour les corvées, et qui n’a point été employé à la réparation des chemins de la paroisse. 12° Us demanderont que le seigneur de cette paroisse soit tenu de leur rendre les communes qu’il a usurpées sur la paroisse. 13° Ils demanderont encore que le seigneur soit tenu de commettre un procureur fiscal pour cette paroisse et qui y résidera. 14° Que les dîmes soient payées en nature ainsi que les champarts. 15° Ils se plaindront de ce que l’abbé Josset perçoit la dîme au-dessus du droit ordinaire, qui est de quatre gerbes par arpent. Nous référant., au surplus, et pour tous les objets dans le détail desquels nous n’avons pas cru devoir entrer, à tout ce que nos députés, par eux-mêmes ou par les commissaires qu’ils nommeront, croiront devoir ajouter aux articles ci-dessus dans le cahier général du bailliage, pour l’intérêt général de tous les habitants du ressort et le bien public, leur donnant à cet effet tous pouvoirs nécessaires. Fait en la susdite assemblée, le 14 avril 1789, et ont signé avec nous et notre commis-greffier ordinaire, tous ceux des habitants présents qui savent signer, les autres ayant déclaré ne le savoir. Signé Baron; Noël Fredet; Louis Lescat; Aragon; Aubry; Charles Baron ; Aubry ; Bonnet; Et. Boucorps ; Et. Boutigny ; Cahoreau ; Carré ; Carré Chrétien; Ghristophe ; Collet; Desommes ; Et. Fourée; Fournier ; Fredet; Fredet ; Fredet; Germain Fredet ; Girard ; Huart; Leclau ; Plaia; Ambroise Legrand ; Meuge; Michau ; Julien Mouly; Picard; Saunier; N. Saunier; Ymé ; Jacques Yaude; Verger ; Vilaine; Tronchet ; Camus, commis-greffier. Nous, habitants de Massy, ayant entendu dans notre assemblée du 14 de ce mois la lecture du mémoire qui nous a été adressé par M. Tenon, bourgeois de Massy, demandons que le mémoire soit ajouté à la suite de notre cahier, comme faisant partie de nos demandes, et comme une instruction à laquelle nous voulons que nos représentants aient égard. A Massy, ce 17 avril 1789. Signé Noël Saunier, membre; Massé, membre ; Picard ; Denis Picard ; Cahoreau ; Julien Mouchy ; Charles Baron; Girard ; Fredet ; Lemend, greffier. DEMANDES Des habitants de la paroisse de Massy aux États généraux de 1789. Nous offrons au Tout-Puissant de très-humbles actions de grâces d’avoir inspiré au Roi le dessein de régénérer la nation en rendant à la France ses Etats généraux ; nous le supplions de veiller sur les jours de ce prince équitable, l’objet de nos vœux, de notre amour et de nos espérances, de lui conserver un ministre vertueux qui répond si dignement à ses intentions bienfaisantes. Puisse le ciel nous éciairer sur les grandes questions dont s’occuperont les futurs Etals, verser dans nos cœurs une étincelle de cette justice qui embrasse les intérêts de tous, afin que, dans nos faibles conceptions , il n’entre d’autres vues que celles qui peuvent tendre au bonheur de nos' compatriotes , à la gloire du Roi et à la prospérité de l’empire! Animés de ces sentiments, nous recommandons à nos représentants aux Etats généraux de consentir à toutes délibérations qui seront justes et de ne pas oublier qu’il n’est de contrat durable que celui où repose l’équité, parce que, étant avantageux à chacun , qui que ce soit n’a intérêt ni de l’enfreindre ni de le rompre. Nous voulons en conséquence qu’ils y aient l’influence nécessaire pour rappeler, faire valoir, établir les droits du Roi, ceux des sujets, ceux de la nation, droits inséparables les uns des autres ; nous leur enjoignons très-expressément de ne prendre part à aucune délibération autrement que par tête; ce point de droit national est la base de. toute constitution légitime et durable, le garant de nos propriétés et de l’ordre public ; les motifs de ce principe constitutionnel sont fondés sur les droits de chacun relativement à ses possessions. Les lois humaines, qui feront la matière la plus étendue des délibérations des Etats généraux, se rapportent essentiellement à deux chefs : Aux propriétés personnelles, foncières, mobilières, honorifiques, à celles d’industrie et de talents ; Et aux influences de ces propriétés sur la conservation , l’accroissement et la prospérité de l’Etat. Car leur bonne direction affermit et élève la puissance nationale, de sorte que les propriétés doivent être considérées sous leurs rapports avec les individus et avec la commune ; avec les individus pour les leur assurer toutes ; avec la commune pour en maintenir et augmenter la force, qui est un bien commun appartenant à tous sous la dénomination générique de l’Etat. DE LA PROPRIÉTÉ PERSONNELLE. H n’est point de propriété plus importante à conserver que la propriété personnelle; elle réunit ce double avantage, qu’elle assure à chacun la libre jouissance et toute la valeur de son individu, qu’elle donne à l’homme sous la loi une égalité sociale, parce que la loi protège sans excep- 683 fÉtats gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Paris hors les mars. J tion, et que nul ne peut la violer impunément; vingt-quatre millions d’hommes en France ont droit à cette propriété ; comme elle est incontestablement la même pour chacun, chacun a incontestablement un égal intérêt de la conserver, le même droit de surveiller cet intérêt de si grande importance. De là vient que, s’il était possible d’assembler la nation entière, il faudrait prendre la voix de tous pour leur assurer cette propriété sur laquelle personne n’a de droit que soi-même. Dans la nécessité où se trouve la nation’ de se faire représenter, aucun individu ne perd ses droits, il ne fait que les transmettre avec la même faculté de les excercer comme il ferait, c’est-à-dire d’opiner par tête. Vouloir au contraire opiner par ordre, serait convertir une délibération qui devrait être prise par la nation et pour la nation, en une délibération de corps qui ne satisfait que des intérêts particuliers, toujours nuisibles à l’intérêt général; serait annuler l’effet de l’égalité du nombre des représentants du tiers-état, comparé au nombre des représentants des deux ordres ; serait établir que la propriété personnelle de cinq cent mille privilégiés est préférable à la propriété personnelle de vingt-trois millions cinq cent mille hommes du tiers, et que dans la balance de la nature des droits du genre humain, des droits du citoyen, la propriété individuelle d’un seul serait supérieure à celle de quarante-sept hommes; car telle est la proportion entre le nombre des individus des ordres privilégiés et celui des individus de l’ordre du tiers-état. Ce n’est point comme homme, mais comme citoyen, diront quelques-uns, que l’on débute et que l’on est admis aux Etats généraux. Sans vouloir embrasser cette proposition dans tout ce qu’elle offre d’intéressant, parce que cela n’est pas nécessaire à notre but, et que d’ailleurs il en résulterait de trop longues discussions, bornons-nous simplement à l’examen de ce qui constitue parmi nous le citoyen, pour montrer que, même sous ce nouveau rapport, on ne peut et on ne doit prendre les voix autrement que par tête. Le citoyen est celui qui a droit à la formation et au maintien de la loi. Trois conditions sont toujours essentielles pour jouir du droit de citoyen : être libre et non esclave, Français et non étranger; posséder dans le royaume ou ses colonies des propriétés foncières, mobilières ou propriétés d’industrie, qui mettent en état de contribuer aux charges publiques. Les deux premières deces conditions disposent, pour jouir de l’état du citoyen : un mendiant, un auvre retiré dans les hôpitaux, l’un et Rautre rançais et nés libres, mais sans propriété que celle de leur personne et à la charge publique, sont citoyens, mais n’en exercent pas les droits ; car ce titre implique une qualité ou attribut différent de l’essence de l’individu ; c’est ainsi qu’à Rome on n’était pas citoyen pour être libre et Romain, on ne le devenait que lorsque, avec ces deux conditions, on occupait une place dans une tribu. C’est encore ainsi qu’il ne suffit pas d’être libre et Anglais pour être citoyen, il faut de plus justifier d’un revenu qui s’élève à une somme déterminée. De là vient qu’en France, tout homme libre, né Français, propriétaire de bénéfices, de biens nobles ou qui ne le sont point, de biens mobiliers ou de biens d’industrie qui mettent en état-de supporter les charges publiques, a un droit incontestable à celui de citoyen ; que tout soldat né Français, qui garde les lois de sa patrie, la défend coqtre l’étranger, est citoyen ; que si ce droit est suspendu pour lui durant qu’il est au service, c’est qu’alors l’usage de sa liberté est également suspendu; mais, rentrant dans ses foyers après son congé, il le reprend comme imprescriptible. Ce titre, cependant, paraîtrait devoir se fortifier de certaines circonstances dans l’homme du tiers-état et le gentilhomme, lorsqu’ils sont mariés. Nous ne parlerons en ce moment que de Dun de nous, simple habitant des campagnes. Que de longs travaux nous aient fait acquérir un champ d’un arpent, une vache, ce sont là nos propriétés étrangères à nos personnes; mais c’est sous un autre rapport qu’il nous convient d’entrer avec nos concitoyens dans quelques détails de notre petit ménage, et de faire connaître jusqu’à quel point nous cimentons en nous les droits réels de citoyen. Lorsque la Providence a béni notre mariage, elle nous donne communément depuis quatre jusqu’à six enfants ; supposons six : il en périt volontiers deux en bas âge , un troisième à un terme plus avancé ; nous en élevons trois ; deux remplaceront les auteurs de leurs jours, le troisième sera une extension de population pour le hameau. Chacun de nos enfants , jusqu’à l’âge de sept ans, nous coûte 100 livres pa'r année pour l’élever; c’est un tribut que nous payons à l’Etat, Si, parvenu à sa dix-huitième année, l’un d’eux tombe à la milice, nous sommes privés d’une somme de 600 livres ou envirou que vaudraient ses travaux à la maison paternelle, s’il n’était pas six ans au service. Ainsi, après nous être soumis aux ordres de la nature qui nous a retiré nos premiers enfants, nous élevons à nos frais des sujets pour l’Etat, des hommes qui, en liant notre durée à la leur, perpétueront la nation, en soutiendront et en accroîtront la force. Qu’au lieu de ce tableau on se représente nosseigneurs les évêques, MM. les abbés et prieurs commendataires (car pour la classe de MM. les curés et vicaires on ne la comprendra pas dans cette énumération , parce que beaucoup de ces dignes et laborieux pasteurs ont à peine le nécessaire); leur bien provient de nos ancêtres; ils le tiennent de la libéralité delà patrie, non pour s’en faire un moyen d’atténuation de nos droits sur nos propriétés, mais pour en jouir paisiblement à titre d’usufruitiers. Ils ne l’améliorent pas comme nous ferions du nôtre ; de sa nature la propriété usufruitière ne les attache pas autant que s’ils la remettaient à leurs propres enfants ; elle ne les attache point non plus autant à l’Etat. Si en ce moment nous insistons pour obtenir des lois justes, c’est-à-dire avantageuses à tous, consenties librement par tous, qui donnent au gouvernement une force consistante qu’aucun parti ne puisse ébranler , c’est que , comme citoyens, nous avons le même droit que les autres citoyens à leur formation ; comme pères, nous devons en surveiller l’effet sur notre postérité que nous confions après nous à l’Etat, et que, comme liés inévitablement à la perpétuité de la nation par nos descendants, nous ne pouvons ni ne devons consentir qu’un ordre qui ne la répare point, qu’un ordre dont les individus n’ont qu’une existence momentanée, qu’un ordre enfin que nous avons enrichi, puisse, par ses convenances dans les délibérations en opinant autrement que par tète, donner lieu à des lois désavantageuses ou en écarter d’utiles. Mais, dira-t-on , à raison de l’immensité de leurs biens, le clergé et la noblesse ne devront-ils pas prétendre à la prépondérance dans les Etatsf 684 ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Paris hors les murs.] [États gén. 1789. Cahiers.] Cette question conduit à l’examen du droit que j donnent les propriétés foncières et mobilières. DES PROPRIÉTÉS FONCIÈRES ET MOBILIÈRES. Ce n’est point par la quotité plus grande ou plus petite de sa propriété foncière ou mobilière qu’on acquiert plus ou moins de droits aux Etats généraux. Le petit comme le grand propriétaire y ont précisément la même étendue de pouvoir. Si l’excessive propriété donnait un avantage aux Etats de la nation sur la moindre propriété, il serait impossible de le refuser, cet avantage, aux gens du tiers-état. Sans doute les deux ordres privilégiés possèdent de grandes propriétés ; fùt-il vrai, ce qui n’est pas prouvé, qu’ils jouissent de la moitié des terres du royaume, dès que ce bien leur appartient, il est indubitable qu’il faut le leur conserver. Il resterait donc aux gens du tiers-état seulement l'autre moitié des propriétés foncières, ce qui est infiniment peu pour une population de vingt-trois millions cinq cent mille hommes ; mais ce n’est point par cette modique quantité de terres qu’il faut évaluer la richesse de la classe du tiers. En effet , indépendamment des maisons, des meubles et de ces terres que nous possédons, nous devons ajouter nos récoltes en grains de toute espèce, en foin, chanvre, lin, fruits, huile, vins, etc., soit qu’elles proviennent de nos propres domaines, soit que nous les recueillions sur Je domaine d’autrui. Presque tous les bestiaux du royaume nous appartiennent ; les métiers, arts, sciences, manufactures, le commerce de terre et de mer sont dans nos mains ; nous avons des fonds immenses en outils, instruments, machines dans nos boutiques, nos ateliers, nos laboratoires, nos cabinets, nos manufactures ; par deux articles seulement, on pourra juger des efforts de notre industrie et de l’étendue de nos richesses. On évalue à 3/4 de livre de pain la consommation moyenne de chaque personne par jour, laquelle quantité, multipliée par vingt-quatre millions d’hommes par 365 jours, porterait la dépense annuelle, à compter le sac de farine sur le pied de 40 livres, prix moyen , à la somme de 744,600,000 livres pour le prix ordinaire seulement de la consommation de blé en France, non compris la quantité de blé pour ensemencer, celle qui passe dans le commerce et à l’étranger ainsi que le produit des autres récoltes de toute espèce. 11 serait impossible de savoir à quelle somme peuvent monter les outils des divers métiers ; mais on voit que le commerce maritime seul emploie six mille vaisseaux évalués à un millard; à quelle autre somme ne s’élève pas encore le prix des barques, celui des bateaux, le prix de cette multitude de voitures, de charrettes, de chariots qui serven t au transport et qui sont employés à la culture, etc., etc.? C’est donc nous, habitants des campagnes, nous nous en glorifions, qui sommes la classe laborieuse, la classe productrice ; ces hameaux, ces villages, ces châteaux, ces bourgs, ces villes qui couvrent la France, ne sont-ce pas nos mains qui les ont élevés, qui leur procurent la communication par des grands chemins, des canaux navigables; et par nos travaux, nos engrais, nos plantations, n’avons-nous pas augmenté la valeur des propriétés foncières des trois ordres? Voilà ce que nous mettons dans l’Etat, notre contingent au contrat social, nos droits à des lois justes consenties par tête. Que si nos propriétés : foncières et mobilières sont de plus grande valeur que les propriétés foncières des deux autres ordres, nous ne prétendons pas en tirer avantage à leur préjudice; nous voulons au contraire que tout citoyen jouisse comme nous du même droit, savoir : d’opiner par tête, parce que chacun opinant par tête, a une voix égale pour assurer sa propriété, au lieu qu’en opinant par ordre, et deux ordres venant à se réunir, le troisième sera nécessairement subjugué, ou bien on n’aura pas de délibération, et l’on tombera dans l’anarchie ; l’ancien exemple de la réunion des ordres privilégiés en France, des ordres privilégiés en Pologne, des ordres privilégiés en Bretagne, prouve évidemment ce qui serait à redouter pour la classe du tiers aux prochains Etats généraux si on opinait par ordre et non par tête. DES PROPRIÉTÉS HONORIFIQUES. Les propriétés honorifiques sont de trois espèces : les unes dépendent des propriétés foncières, perpétuelles et usufruitières ; elles appartiennent de droit aux possesseurs de ces biens ; ce n’est point d’elles dont il s’agit en ce moment ; les autres sont propriétés honorifiques, purement d’opinion, qui consistent à revêtir la personne qui en jouit d’un titre ou d’un signe extérieur qui indique la considération qu’on lui porte. Cette distinction en général, le fruit d’un service rendu à la nation, présente deux avantages : d’exciter à la vertu en intéressant à la chose publique, et de tenir lieu d’une récompense en argent ; elle offre un but utile sans être à charge à la société ; par cela même elle mérite d’être conservée. La troisième espèce est celle qui est attachée à l’état de noble, état qui fait jouir d’une infinité de privilèges, comme de droits de préséance sur d’autres citoyens, d’approcher de la personne du Roi, d’être admis exclusivement dans certains chapitres, certaines maisons, d’être habiles à tous les grades supérieurs dans le militaire, à toutes les premières charges de la couronne, du royaume, aux gouvernements, etc. Il est juste que ces avantages, qui annoncent une récompense pour des services marqués rendus à la patrie par eux-mêmes ou par des ancêtres qui Font bien servie à la guerre, leur soient conservés comme une véritable et légitime propriété. Afin d asseoir à ce sujet nos idées sur des bases encore plus solides , ne conviendrait-il pas de considérer les services de la noblesse dans les temps reculés et dans les temps modernes? Anciennement les comtes et les barons rendaient la justice ; aujourd’hui c’est en général le tiers-état. Anciennement la noblesse seule accompagnait le Roi à la guerre, entretenait à ses frais des compagnies d’ordonnance ; aujourd’hui, à consulter les troupes de terre, il est prouvé par un relevé de la composition des cent seize régiments d’infanterie, des soixante-deux régiments de troupes à cheval, que ces troupes, non compris la maison du Roi, le corps du génie et les soixante-douze mille hommes de milice, sont formés de cent soixante-treize mille six cent trente-deux hommes, sur lesquels il se trouve dix mille deux ! cent quarante-quatre officiers gentilshommes et cent soixante-trois mille trois cent quatre-vingt-huit de gens du tiers-état, de manière que les hommes sont dans ce corps d’armée, relativement aux gens du tiers, dans le rapport de un à seize, et que si un jour de bataille la perte montait à huit mille citoyens français, celle des gentilshommes y entrerait pour cinq cents, et celle des ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Paris hors le s murs.] 685 [États gén. 1789- Cahiers.] personnes du tiers-état pour sept raille cinq cents ; ce n’est pas tout : il périt moins de monde dans une bataille que dans les hôpitaux, et cette perte dans les hôpitaux porte essentiellement sur le soldat, qui est plus exposé au froid, à l’humidité, à la fatigue, moins bien nourri, vêtu et logé que l’officier. De ceci il résulte que c’était avec raison que la noblesse autrefois se vantait de verser son sang pour la partie ; elle le versait en effet exclusivement; aujourd’hui encore, c’est avec raison qu’elle se glorifie de le verser pour la nation, mais ce n’est pas exclusivement à l’ordre du tiers ; il est prouvé, au contraire, par la composition actuelle de notre armée, que le tiers-état entre dans cette perte pour les quinze seizièmes, sans comprendre, nous le répétons, cette autre perte encore plus considérable qu’il fait dans les hôpitaux; de manière que c’est principalement et très-certainement sur nous, gens du tiers, qu’en ce moment portent le risque et les dangers de la guerre. Ajoutez que, dans tous les temps, la noblesse a été payée; qu’autrefois, pour prix de son service militaire, elle recevait des fiefs ; qu’actuel-•lement elle obtient des appointements, des retraites, des décorations, des gouvernements, des lieutenances générales, des majorités, etc., tandis que le tiers-état, qui compose le fond de nos armées, ne participe aucunement à ces avantages. 11 suit encore de là, qu’ayant partagé les dangers à la guerre avec la noblesse, cet ordre, à la paix, dans les Etats de la nation, n’est pas en droit de se prévaloir contre celui du tiers, des sacrifices quhl a faits de son sang à l’Etat et au Roi ; que si l’un de ces deux ordres, d’après la considération de ses pertes à la guerre, pouvait prétendre à des plus grands avantages, ce serait celui qui verse plus de sang et qui supporte une. plus grande consommation d’hommes. Quant au clergé, il n’entre pas dans cette considération, puisqu’il ne va pas à la guerre. Aussi, sous cet autre rapport, ni la noblesse ni le clergé ne peuvent, vis-à-vis du tiers, aux Etats généraux, prétendre au droit d’opiner par ordre, droit qui, en réunissant les ordres privilégiés, leur donnerait dans les délibérations un ascendant irrésistible sur l’ordre du tiers-état. Passons à ce qui regarde la propriété de talents et d’industrie. DE LA PROPRIÉTÉ DE TALENTS ET D’INDUSTRIE. Les métiers, les arts, les sciences sont à la plupart des gens du tiers-état ce que les bénéfices sont aux bénéficiers, les biens-fonds aux propriétaires, de véritables propriétés dont la jouissance appartient à ceux qui les exercent. Ce qui les distingue, ces propriétés, c’est qu’elles émanent de nos personnes, qu’elles se perfectionnent en raison de notre aptitude, de notre intelligence, des soins que nous y apportons ; de sorte que c’est à élever nos facultés intellectuelles qu’il faut tendre, si l’on se propose de nous accorder l’entière et libre possession de ces biens. Or, jamais l’union des deux ordres privilégiés n’a conduit à ce résultat. Toute union de deux contre un est oppressive du dernier, et l’effet prochain de l’oppression est d’écarter des méditations, ainsi que des recherches qui conduisent au perfectionnement, d’étouffer l’esprit créateur des arts. Qu’on jette les yeux sur la surface du globe, et l’on verra que les arts ne résident qu’à l’ombre de la liberté; de manière qu’énerver le génie des gens de métier et des artistes, c’est à coup sûr restreindre leur propriété d’industrie et l’empêcher de s’étendre jusqu’où elle pourrait s’élever, comme ce serait grever une propriété foncière que de forcer son possesseur à la laisser dévaster par le gibier et à ne la point cultiver à son plus grand avantage. Nous avons vu que le rapport des propriétés personnelles des deux ordres privilégiés, comparé à celui du tiers-état, était parmi nous d’un à quarante-sept. Vouloir qu’une seule personne pût en opprimer quarante-sept ne serait point juste. Que les ordres privilégiés possèdent moins de richesses en propriétés foncières, mobilières et d’industrie que celui des non privilégiés. Vouloir que qui possède moins puisse opprimer qui possède plus, ne serait point juste. Que les ordres privilégiés sont simplement consommateurs, tandis que l’ordre non privilégié est l’ordre qui produit, qui nourrit et qui enrichit. Vouloir que qui consomme puisse opprimer qui produit, qui nourrit et qui enrichit, ne serait point juste. Nous avons vu encore qu’il est des propriétés honorifiques appartenant à des propriétaires de fonds, d’autres qui décorent des personnes qui ont bien mérité de la patrie, d’autres enfin qui sont le fruit des vertus militaires, et que toutes iis les font conserver à qui y a droit; c’est justice, et nous demandons que cette justice soit fidèlement observée. Nous avons fait voir aussi qu’aujourd’hui, nos armées sont formées de gentilshommes et de gens du tiers-état, et lorsqu’il périt seize citoyens dans une bataille, il en succombe un de la noblesse et quinze du tiers-état. Vouloir, parce qu’il périt un noble dans cette circonstance, s’en faire un droit contre l’ordre du tiers qui, dans la même occasion, a perdu quinze des siens, ne serait point juste. Nous avons vu que les propriétés de talents et d’industrie appartiennent à qui exerce les arts, les métiers, etc., comme les propriétés foncières à ceux qui en jouissent, et qu’opprimer les talents les arts, les métiers, l’industrie par des prétentions avilissantes, ne serait point juste. Il est évident, comme nous croyons l’avoir démontré, que c’est le tiers-état surtout qui régénère la nation, que le clergé ne la reproduit point. Vouloir que qui ne la reproduit pas puisse opprimer qui la perpétue ne serait point juste. Ce qui est juste, c’est de laisser à chacun ce qui lui appartient; c’est que chacun soit défenseur de sa propriété sous l’empire de la loi; c’est que, comme tout citoyen est égal aux yeux de la loi et de la nation quand il la représente aux Etats généraux, il doit résulter de cette égalité que tout représentant de la nation opine par tête pour la tranquillité et la sûreté de tous. Nous n’avops encore examiné que le droit de chacun pour opiner par voix, lorsqu’il s’agit des propriétés particulières; il en est une supérieure, la propriété de la commune; dans celle-ci la prise des voix par tête est bien plus importante que pour la conservation des propriétés particulières. DE LA PROPRIÉTÉ DE LA COMMUNE. La propriété de la commune est une émanation de toutes les propriétés particulières; de là vient que plus celles-ci sont étendues et nombreuses, plus la propriété de la commune a de facilité pour s’accroître. C’est donc à étendre, à multiplier les propriétés particulières qu’on doit s’appliquer, puisqu’on se propose d’élever l’Etat à la puissance à laquelle il a droit de prétendre ; mais comme on ue saurait augmenter l’étendue du sol dans le royaume, ni priver aucun citoyen de sa propriété ARCHIVES PARLEMENTAIRES. jParis hors les murs.] 680 [États gén. 1789. Cahiers.] foncière, il ne reste d’autres moyens d’accroître ces propriétés particulières, et dès lors la fortune publique, que de cultiver les terres qui ne le sont pas. de mieux cultiver celles qui le sont mal, de perfectionner les arts, les métiers, les manufactures, d’étendre le commerce, d’augmenter la population en même temps, et surtout de la porter à toute sa valeur, en procurant une instruction plus forte et plus généralement répandue, en laissant relever le citoyen de l’accablement sous lequel le tient l’oppression de toute espèce des ministres, des intendants, des grands, des financiers et, par surcroît, de l’opinion ; oppression flétrissante dont l’effet est de contrister l’âme, de lui enlever ses facultés, de la détacher de l’amour de soi-même, de l’amour du bien et trop malheureusement de l’amour de la patrie. Rappelons donc au citoyen, il en est temps, la douce image de la liberté garantie par la loi; ren-dotis-le patriote en l’attachant par une constitution juste à la nation. Assuré que ses travaux tourneront à son profit, il ne craindra pas de faire de plus grands efforts; sa fortune et l’Etat y gagneront. C’est à cette impulsion générale qu’il faut tendre pour le bonheur commun et la prospérité de l’empire; ce bien n’appartient à aucun en particulier, il appartient également à tous; ainsi tous, en s’excitant à l’accroître, ont droit de le surveiller, et ce droit ne peut être éndncé et conservé que par la prise des voix par tête. Ainsi, soit qu’il s’agisse des propriétés particulières, soit de la propriété de la commune, il importe essentiellement d’opiner par tôle et jamais par ordre. A ces considérations s’en joint une autre : que dans les Etats généraux qui ont précédé ceux d’Orléans, l’usage était d’opiner par tête; ce ne fut qu’à l’occasion de débals en Ire les catholiques et les protestants que les trois ordres consentirent, pour se rendre maîtres des opinions, à prendre les voix par ordre, dans la vue d’écarter le protestantisme; et le succès qu’eut cette manière d’opiner est la preuve évidente de la défectuosité de cette méthode et du danger qu’il y aurait pour l’ordre du tiers de l’adopter. Craindrait-on qu’en opinant par tête, le tiers-état, gagné par les dons de la cour, ne prit des délibérations contraires aux intérêts de la commune? 1° Le moyen que l’on propose pour éviter ce danger étant d’opiner par ordre, ne saurait avoir son effet qu’autant qu’il sera assez puissant pour annuler aux Etats généraux les voix des représentants du tiers-état. Mais si cette méthode a la faculté d’annuler les voix de nos représentants dans un cas, elle l’aura pareillement dans tous les autres cas à la convenance des ordres privilégiés ; dès lors l’ordre non privilégié avec ses représentants ne sera point représenté. 2° Quand on suppose que les représentants de l’ordre du tiers-état seront gagnés par la cour au préjudice de la commune, on ne veut point se rappeler que nos représentants sont pris parmi les plus honnêtes gens. En accordant toutefois qu’il fut possible d’en gagner quelques-uns qui auraient été mal choisis, que le reste des trois ordres se réunisse pour le bien général, nul ne peut alors gêner le suffrage et contrarier leur délibération. Admettons que les prochains Etats généraux seront composés de douze cents membres: trois cents du clergé, trois cents de la noblesse six cents du tiers-état; pour que les ordres privilégiés eussent à craindre l’influence de la cour sur le tiers, si Ton opinait par voix, il faudrait qu’elle gagnât les six cents représentants du tiers-état, plus un représentant des deux ordres privilégiés, pour obtenir du moins la pluralité, d’une voix. Qui n’aperçoit l’impossibilité d’une telle entreprise? Indépendamment de ce que six cents personnes d’un pareil choix ne se concerteront jamais pour manquer à leurs commettants, à la nation, à leur honneur, ne seraient-elles pas contenues par la crainte de l’improbation publique, en donnant leur avis dans une assemblée de douze cents personnes qui correspondent à toutes les parties du royaume? D’ailleurs, qui pourrait acheter les voix de six cents personnes du tiers-état. Il n’a part ni aux bénéfices ni aux grâces militaires. De l’argent ? il n’y en a point. C’est donc sans fondement qu’on redoute la prise des voix par tête, sous prétexte que la cour pourra gagner celles des représentants du tiers-état. 3° Si aucun ordre doit redouter l’oppression, c’est le tiers ; des lois injustes, c’est le tiers; désirer des lois équitables, c’est le tiers : les premières l’écrasent, les dernières le protègent. C’est donc encore sans fondement qu’on redouterait qu’il pût jamais concourir à l’établissement de mauvaises lois. 4° Qu’au lieu de prendre les voix par tête en présence de tous les ordres, on les prenne par ordre et chaque ordre en particulier, il arrivera que 302 voix enprimeront 898. En effet, pour décider l’opinion dans la chambre du clergé, il n’est nécessaire que de 151 voix contre 149; il n’en faut pas davantage dans celle de la noblesse; de sorte que l’avis de ces deux chambres sera arrêté à la pluralité d’une voix dans chaque chambre, et que 302 voix l’emporteront sur les 149 voix différentes dans l’ordre du clergé, sur les 149 voix différentes dans l’ordre de la noblesse, et sur les 600 voix de l’ordre du tiers-état, par conséquent, sur 898, ou sur une majorité de 598 voix, ce qui serait une monstruosité en fait de contrat national, de droit public et particulier, et le plus grand malheur qui pût arriver, parce que jamais un contrat de cette nature ne pourrait subsister. Nous ne soupçonnerons point MM. du clergé et de la noblesse de se prêter aux suggestions de la cour; nous observons seulement qu’il serait plus facile de gagner trois cent deux représentants du clergé et de la noblesse avec des bénéfices et des grâces militaires, que six cents personnes avec de l’argent que l’on n’a pas. Ajoutons que si les voix étaient prises dans les chambres pour opiner par ordre, personne ne serait garant de sa voix particulière à la nation, ni retenu par la honte qu’il encourrait de la desservir, comme si l’on opinait devant les douze cents représentants, c’est-à-dire devant des gens qui feraient connaître élans tout le royaume, et ceux qui auraient bien servi et ceux qui auraient mal servi la chose publique. L’opinion publique est un frein contre les entreprises injustes, et tout homme de bien, tout citoyen vertueux ne doit pas souffrir qu’on cherche à s’y soustraire. Disons plus : pourquoi l’empire français fut-il porté au faîte de la gloire, sous Charlemagne? pourquoi ne put-il résister aux entreprises des grands efaux incursionsde l’étranger, sous Charles le Chauve? C’est que la constitution, sous le règne du premier, avait assuré au peuple sa liberté ; c’est que, sous 1e second, la constitution était détruite et le peuple sous l’esclavage des nobles; c’est que les nobles seuls ne sauraient soutenir les efforts de l’ennemi ; c’est enfin parce que le [Étals gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Paris hors les murs»] peuple, qui fait la force des armées, fait aussi celle des empires. En veut-on la preuve subsistante ? Que l’on compare le peuple anglais et le peuple polonais, et qu’on juge comment et à quel point la libeité assure le bonheur particulier et la puissance nationale : deux ordres de choses tellement liés , que qui détruit l’un, renverse l’autre, que qui s’oppose à la liberté du peuple agit directement contre l’Etat. Les entreprises de la noblesse, sous la première et la deuxième dynastie de nos rois, sont une autre preuve continuelle et manifeste de cette importante, mais trop cruelle vérité. Quand, par supposition, nous accorderions que la cour gagnerait quelquefois un nombre suffisant de représentants du peuple pour faire pencher en sa faveur les délibérations, du moins conviendra-t-on qu’il n’est pas certain qu’à chaque tenue d’Etats ces représentants soient corrompus; qu’oppose-t-on à cette crainte incertaine? une décision certaine dont l’effet indubitable serait d’enchaîner le tiers-état au lieu de recourir aux moyens éprouvés de contenir dans leur devoir les représentants d’une nation. Qui ne sait qu’on obtient la suggestion des représentants en augmentant leur nombre, en rendant inhabile à représenter quiconque a des grâces de la cour, quiconque est reconnu pour avoir été pratiqué, en prenant pour représentant celui qui justifiera d’uii revenu suffisant pour le mettre au-dessus de la corruption, en éloignant les troupes des lieux où se tiennent les assemblées, en diffamant quiconque oserait faire le vil métier de corrupteur? Voilà ce que demande la sûreté publique et non pas d’opiner par ordre, méthode qui, sous quelque face qu’on l’envisage, ne saurait avoir d’autre fin que de continuer d’enchaîner le peuple et de restreindre infailliblement la puissance nationale. Mais, dira-t-on, le veto accordé pour arrêter les entreprises d’un ordre sur l’autre pare à tout inconvénient; le véritable et seul moyen d’empêcher toute entreprise préjudiciable à autrui, c’est de laisser à chacun la voix qui lui est due, et que, dans le lieu où l’on se rassemble pour obtenir la liberté, on ne commence pas par la détruire. D’opiner par voix, on a nécessairement une délibération, on l’a prompte; d’opiner par ordre, ensuite de recourir au.oefo, on n’obtient pas de délibération , ce qui est contraire à ce que l’on se propose. D’ailleurs l’exemple du veto en Pologne et de la situation de ce malheureux gouvernement apprend ce qu’on doit attendre, chez nous, de ce moyen aussi funeste qu’insuffisant. Ceux qui s’autorisent de l’exemple de l’Angleterre, pour opiner par ordre, sont assurément dans l’erreur. En Angleterre, le clergé et la noblesse ne sont pas des ordres comme en France; une ligne de démarcation fortement prononcée sépare le haut clergé d’avec le bas clergé, les pairs du royaume d’avec le reste de la noblesse : tellement qu’aucune personne du bas clergé ni de la seconde noblesse n’est admise à la Chambre haute, laquelle n’est composée que de deux archevêques, de vingt-quatre évêques et des pairs laïques. Ils y entrent non par voie d’élection et avec les pouvoirs d’aucun ordre, mais en vertu, les uns de leurs sièges, les autres de leurs pairies. Des personnes du bas clergé ou de la noblesse qui n’ont point droit à la Chambre haute voudraient-elles prendre part à l’administration , ce ne saurait être qu’en se conciliant l’affection du peuple qui, seul, peut les nommer ses représentants à la Chambre des communes. 687 Une autre considération importante dont ne parlent point ceux qui proposent de faire deux Chambres comme en Angleterre, c’est qu’à Lon-dre la Chambre haute n’est composée que de deux cent cinquante-sept membres, tandis que le peuple est représenté à celle des communes par cinq cent cinquante-huit. Les conséquences prochaines et directes de cette constitution sont donc que, dans la Grande-Bretagne, le bas clergé confond ses intérêts avec ceux du tiers-état et non pas avec ceux du haut clergé. Que toute la noblesse qui ne jouit pas du titre de pairie a plus d’intérêt à se lier avec le peuple pour en conserver les droits, qu’avec les membres de la Chambre haute. Que les membres laïques de la Chambre haute préjudicieraient aux droits de leurs maisons, de leurs alliés, s’ils faisaient des entreprises contre la noblesse qui ne jouit point de la pairie et contre le reste de la nation, ce qui garantit les droits du peuple. Qu’au lieu d’écraser le peuple dans les provinces, par le gibier, les chasses et autres genres de vexations, la noblesse anglaise, au contraire, a grand soin de se ménager sa bienveillance; il en résulte que le peuple lui est affectionné et qu’il a plus de disposition à lui donner sa voix pour le représenter. Que les communes, au lieu d’avoir simplement égalité de voix avec la Chambre des lords ecclésiastiques et laïques, en ont plus du double :• le contraire de ce qui serait en France. Qu’en Angleterre, au lieu de former des ordres, d’élever entre eux des rivalités, des prétentions destructives de l’intérêt commun, on s’est garanti de ces écueils funestes à la généralité, en liant le peuple, le bas clergé et la noblesse non titrée, en donnant à la Chambre basse une grande force qu’elle tire, et du plus grand nombre et de la diversité de ses représentants, et en laissant à cette Chambre le droit exclusif de proposer l’impôt, le tout fondé sur ce que le peuple ayant plus de connaissance des localités, de la culture, des métiers, des manufactures, du commerce, de la navigation, des besoins et des ressources, il pourrait porter au parlement, sur chacun de ces objets, des lumières propres au maintien et à l’accroissement de la propriété et de la richesse de son pays; de manière que cette vigoureuse nation, au lieu de se consumer en prétention d’ordres et d’intérêts séparés, d’appauvrir la classe laborieuse et productive, d’en affaiblir les facultés intellectuelles par l’avilissement et par l’oppression, de la tenir dans la méfiance, la crainte et sur la défensive, lui a procuré, au contraire, avec la liberté et la confiance, celte énergie qu’elle déploie avec tant de succès contre l’industrie opprimée et la force languissante des puissances, ses voisines et ses rivales. Qu’on ne s’autorise donc point de l’exemple dissemblable de l’Angleterre pour opiner par ordre aux Etats généraux de France, puisqu’il se trouve de si grandes différences entre ce qui se passe en Angleterre et ce qu’on voudrait établir en France. Il est une autre manière d’opiner par tête que nos représentants pourront également adopter. Elle consisterait à former des douze cents représentants de la nation, douze bureaux, composés chacun de vingt-cinq personnes de l’ordre-du clergé, de vingt-cinq de celui de la noblesse et de cinquante de l’ordre du tiers-état; à distribuer les différentes matières par bureaux, à 1er 688 [Etats gén. 1789. Cahiers.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Paris hors les murs.] y approfondir, les discuter, à délibérer par tête sur chaque objet, et à soumettre ensuite et le travail et la délibération à l’examen de chacun des trois ordres. Dans le cas où leur suffrage se réunirait en faveur de cette délibération, elle serait admise ; dans le cas de diversité d’opinion entre les ordres, l’affaire serait portée à l’assemblée générale et décidée à la pluralité des voix prises par tête. Après que nos représentants auront obtenu d’opiner par tête selon l’une ou l’autre des méthodes précédentes, leur premier devoir sera de s’occuper des intérêts du Roi. Le chef d’une nation de vingt-quatre millions d’hommes, c’est-à-dire d’une nation très-puissante, doit disposer d’un grand pouvoir et doit être infiniment respecté. Sa puissance répand de l’éclat sur la nation, le respect qu’on lui porte préserve les citoyens du danger d’enfreindre les lois ; il assure la félicité au dedans, la tranquillité au dehors. Nous voulons que nos représentants reconnaissent dans sa personne la puissance co-législatrice avec la nation, son droit incontestable d’exercer seul le pouvoir exécutif. Qu’ils se procurent la connaissance de l’état actif et passif du trésor royal. Qu’ils recherchent les causes du déficit dans les finances afin d’en prévenir le retour. Qu’fis prennent pour le compte de la nation la dette de l’Etat après s’être convaincus de sa légitimité. Nous les autorisons, dès le commencement des Etats généraux, à consentir un don gratuit provisoire, suffisant pour soutenir le serviceet le crédit. A n’accorder la totalité de l’impôt qu’après que les points essentiels de la constitution auront été arrêtés et reconnus et le retour périodique des Etats généraux assuré. Que l’impôt, sons quelque dénomination qu’on le perçoive, soit supporté également par chaque citoyen en raison de sa propriété. Qu’il soit établi une caisse nationale où se versera le produit de l’impôt. Que tout impôt cesse au bout de trois ans. Que le retour des Etats généraux ait d’abord lieu de deux ans en deux ans, à commencer les seconds en avril 1791, et qu’ensuite ils s’assemblent tous les cinq ans. Que l’impôt accordé ne cesse d’être perçu que tous les six ans, afin de faciliter les baux des fermes générales et d’obtenir des fermiers un meilleur prix de leurs baux. Qu’arrivant décès, minorité, maladie du Roi ou autres causes qui l’emp.êcheraient de gouverner, les Etats généraux soient aussi assemblés extraordinairement et de droit. Qu’il soit établi une commission intermédiaire chargée d’exécuter les ordres des Etats et révocable par eux. Nous demandons la responsabilité des ministres, celle de tous les caissiers d’hôtels de ville, des communes, des hôpitaux, etc. La liberté de la presse avec prise à partie aux tribunaux des auteurs ou imprimeurs, s’il y avait lieu. Que l’héritier'présomptif de la ccmronne, comme appartenant à l’Etat, soit élevé suivant les principes constitutionnels de la monarchie. Que dans les universités on établisse des chaires de droit public français ; que l’instruction publique y soit perfectionnée; qu’elle soit plus répandue dans les campagnes ; qu’on s’occupe soigneusement d’apprendre au peuple à lire, à écrire et à calculer. Que chaque province ait ses Etats provinciaux. Que l’inamovibilité des charges de judicature, sans forfaiture jugée, soit sanctionnée parles Etats. Que les arrêtés des Etats généraux, convertis en lois et confirmés par le Roi, soient envoyés à tous les parlements, conseils supérieurs, non pour les vérifier, mais pour qu’ils les connaissent, les enregistrent et tiennent la main à leur exécution. Que la jurisprudence civile et criminelle soit réformée. Que les lettres de cachet et autres ordres arbitraires, les commissions du conseil en matière criminelle, soient supprimés. Que les droits de transit sur les rivières soient levés. Que toutes les rivières qui en sont susceptibles et qui peuvent faciliter un commerce étendu, ouvrir des débouchés utiles, soient rendues navigables; qu’autant qu’il se pourra elles soient jointes à d’autres rivières ; que partout on creuse des canaux pour le transport des denrées, ce qui fournira des travaux utiles à des militaires qu’il ne faut pas laisser amollir en temps de paix dans l’oisiveté ou par des occupations destinées aux femmes ; ce qui rendra aussi des chevaux à l’agriculture, ménagera et débarrassera les grandes routes, augmentera le nombre des mariniers. Que la taille des chevaux propres à la culture soit élevée, en tirant des juments poulinières pleines et non des chevaux d’Allemagne, duHolstein, de la Frise et surtout de l’Angleterre, où les chevaux pour le labourage sont de la plus forte taille. Que. la pêche des poissons huileux dans les mers du Nord soit encouragée. Nous demandons en particulier la suppression des chasses, des remises, des garennes non encloses, des banalités, en indemnisant les propriétaires. Nous demandons aussi le renfermement des pigeons, la diminution du prix du sel, des droits d’aides, la conversion de la corvée en argent, la conversion delà milice également en argent prélevé sans distinction et par feu pour en faire une dot, et que cette dot, ainsi que les intérêts déposés dans la paroisse, ne puissent être remis au milicien qu’à l’expiration de son service et sur la représentation de son congé absolu, ce qui préviendrait la désertion, le rendrait plus attentif à ses devoirs, ferait des citoyens et les ramènerait au lieu de leur naissance. Qu’il soit permis à quiconque voudra construire des moulins à vent ou mus par d’autres agents, dans notre canton, d’y en bâtir autant qu’il le jugera à propos, afin de nous faciliter les moyens de moudre nos grains, d’opérer une concurrence favorable, de nous garantir des inconvénients des basses eaux et des longues gelées. Nous terminons ces demandes en témoignant notre reconnaissance à Monsieur, frère du Roi, à M. le duc d’Orléans, et à chacun de Messieurs du bureau présidé par Monsieur à la dernière assemblée des notables, à plusieurs de MM. les évêques, à beaucoup de membres de la noblesse du royaume, en particulier à toute celle du Dauphiné, de" nous avoir prévenus dans la demande légitime de n’opiner que par tête et non par ordre aux prochains Etats généraux.