[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES, [21 mai 1790.] Le tour de la parole appartient à M. l’archevêque d'Aix. M. de Roisgelin, archevêque d’Aix (1). Messieurs, la nation a recouvré ses droits, la liberté publique est établie; ce serait accuser les droits de la couronne et non les défendre que de les mettre en opposition avec les principes de la liberté publique et les droits de la nation. Le droit de faire la paix et la guerre est une partie des droits de la souveraineté; il appartient à la nation; la nation ne peut pas l’exercer par elle-même; il faut qu’elle en confie l’exercice à ceux qui peuvent agir pour elle. C’est cet exercice du droit de la nation qu’on appelle le droit de ceux à qui la nation le donne. Soit que le droit de faire la paix et la guerre Appartienne au roi ou à l’Assemblée nationale, c’est toujours, dans son principe le droit de la nation. Il n’y a point de doute et d’opposition sur le principe. Il ne s’agit que de son exécution. Ce n’est donc point un procès qui s’élève entre la nation et le roi. C'est une question proposée, c’est une discussion établie sur les droits respectifs du roi et de l’Assemblée nationale. Il s’agit de savoir si la nation doit déléguer au roi ou à l’Assemblée nationale, le droit de faire la paix et la guerre? Je commence par rappeler à l’Assemblée un principe qu’elle a justement regardé comme le principe de tout bon gouvernement, la distinction des pouvoirs. Si les pouvoirs, dans un Etat, sont exactement divisés, si leur division est constamment maintenue par une Constitution inaltérable, il n’y, a plus rien à craindre pour les citoyens. La liberté, la sûreté, la propriété, ces trois grands objets des bons gouvernements*- sont à l’abri de toute atteinte. Ce que doivent craindre les citoyens, c’est un pouvoir exécutif qui s’arroge l’empire de la loi; ce que doivent craindre les citoyens, c’est une puissance législative qui s’empare de la force publique, pour exécuter ses propres lois. Il s’agit donc de savoir si le droit de faire la paix et la guerre appartient au pouvoir législatif. Il faut le réunir au pouvoir auquel il appartient. Vous formez une assemblée législative; c’est là votre Constitution. Faites des lois pour les cas présumés et connus des déclarations de guerre. Faites des lois sur les objets des traités d’alliance ou de paix. Faites des lois contre les traités purement offensifs, si seulement vous ne les confondez pas avec ces précautions vives et promptes qu’exige et justifie l’ambition d’un ennemi puissant, et qui sont quelquefois les seuls moyens de prévenir une agression certaine et de veiller à la défense. Faites des lois; ne craignez pas d’usurper le pouvoir exécutif. Vous ne l’usurpez pas quand vous lui marquez son objet. Faites des lois : Voilà votre pouvoir et votre devoir. Vous sentez à quel point vous pouvez diriger, tempérer circonscrire le droit de guerre; à quel point vous pouvez établir des règles utiles, qui (1) Le Moniteur ne donne qu’une courte analyse du discours de M. de Boisgelin. 633 doivent rendre les traités, plus simples, plus naturels et plus durables. Combien il est à désirer que le gouvernement vous rende lui-même un compte fidèle de la situation des affaires générales de l’Europe et des rapports de la France avec les puissances étrangères. Combien il y a de faits et de circonstances qui ne sont plus enveloppés dans le secret des intérêts présents qui deviennent les éléments d’un système politique et qui doivent être les fondements de vos lois. Mais comment peut-on se dissimuler que des négociateurs toujours subordonnés aux circonstances, des négociations nécessairement dépendantes des intérêts, des passions et des erreurs des hommes, sont une partie inséparable du pouvoir exécutif? est-ce la loi qui connaît les actions des hommes? La loi leur marque ce qu’ils doivent faire et ne soit pas ce qu’ils sont. La loi n’agit point par elle-même ; elle n’est qu’une règle et tel est cependant l’ordre admirable d’un empire bien constitué, que cette règle immuable, immobile, et toujours la même, devient la mesure la plus exacte de toutes les combinaisons, de toutes les actions et de tous les mouvements du pouvoir exécutif. La loi doit se former sans passions. Les passions sont concentrées dans les bornes des intérêts présents. La loi, toujours uniforme et générale est bien supérieure aux intérêts d’un homme et d’un moment; elle étend ses vues; elle multiplie ses rapports; elle suffit seule aux infinies variétés de son application. C’est le long souvenir des temps passés, c’est la prévoyance lointaine de l’avenir; c’est la connaissance approfondie des principes et des motifs des actions des hommes qui doit former la loi. Si vous vous renfermez dans le cercle étroit d’un seul événement, si vous ne remontez pas aux causes, si vous ne suivez pas les effets, vous pouvez agir avec faiblesse ou violence, avec force ou sagesse. Vous pouvez donner unexemple, vous ne donnez pas une règle. C’est une action; ce n’est pas une loi. La loi seule est votre empire, et l’action n’appartient qu’au pouvoir exécutif. On dit : une déclaration de guerre est l’expression de la volonté générale de la nation qui dit: Je veux combattre un peuple qui m’offense. Ce n’est pas au pouvoir exécutif à déclarer la volonté générale de la nation. Ce n’est donc pas au pouvoir exécutif à déclarer la guerre. Si ce raisonnement est juste, il n’y a plus de pouvoir exécutif. Le pouvoir exécutif n’agit lui-même et ne peut agir qu’au nom de la nation. Quand le roi commande dans l’ordre de l’administration, c’est la nation qui dit : Je veux que cette loi soit obéie, que cette mesure soit suivie, que ces ordres soient exécutés. Si le roi ne peut déclarer en aucun genre la volonté de la nation, il ne peut en aucun genre agir et commander pour elle. Il faut distinguer les idées. La nation a des volontés générales et des volontés particulières. Ses volontés générales sont les lois. Les actions de ceux qui font exécuter les lois sont ses volontés particulières. Ces volontés générales qui sont les lois ne sont pas les mouvements unanimes d’une nation pour un intérêt d’un moment. Il est possible qu’une nation se soulève tout entière par l’impression prompte et subite d’un événement qui ne peut pas être l’objet d’une loi. Les volontés qui sont les lois, sont celles dont les objets sont suscepti- 634 [Assemblée nationale.) blés de généralité. Les lois sont l’expression du vœu de la nation pour l’établissement d’une règle uniforme. Les lois ont leur sanction ; la sanction donne le droit de punir ceux qui manquent aux lois. Comment peut-on manquer à des volontés particulières qui n’ont pour principe qu’une opinion fugitive, un mouvement qui passe et dont l’objet s’évanouit avec l’action du moment. Il est des lois constantes pour les nations entre elles, comme pour chaque nation dans le sein de son gouvernement. Celles qui régissent lesnations entre elles doivent être puisées dans les principes des lois naturelles et dans les droits acquis et possédés par les différentes nations. C’est aussi pour faire exécuter les lois et pour en réparer les infractions qu’on déclare la guerre. Il n’y a point de manifeste qui ne réclame les lois violées et qui ne justifie la guerre par la nécessité de la défense. Voulez-vous donner des lois à la puissance à laquelle il appartient de déclarer la guerre? Il faut former un Code du droit des gens. Il faut établir les principes du droit public comme ceux du droit civil. Il faut dicter les lois auxquelles la nation française veut conformer sa conduite et celle de son gouvernement ; et ce serait, sans doute, l’obstacle le plus respectable que vous pussiez opposer aux déclarations de guerre indiscrètes et précipitées, et le véritable moyen de concilier l’exercice du terrible droit de la guerre avec les intérêts de l’humanité. Il faut le dire, dans l’état actuel des choses c’est une faible barrière contre le droit de la guerre, que la responsabilité des ministres. Qu’est-ce que la responsabilité quand il n’y a point de lois? Il me semble qu’on n’a pas une idée assez exacte de cette responsabilité des ministres, dont on parle sans cesse et qu’on n’explique jamais. On pense qu’on peut juger un ministre sur des intentions suspectes, sur une conduite imprudente, et sur les effets qui peuvent résulter de ses dispositions. Il faut un crime pour condamner un ministre, comme pour condamner un citoyen.il n’y a point de crime quand il n’y a point de loi. La responsabilité des ministres commence avec la loi et cesse avec elle. Vous donnerez donc des lois aux ministres dans l’ordre du droit public comme dans l’ordre civil? Vous leur donnerez des lois et vous les punirez s’ils y manquent; et vous pouvez encore leur ôter les moyens d’y manquer. Il n’en est plus du droit de déclarer la guerre, quand une Assemblée nationale est établie et quand elle est permanente, comme sous l’empire d’une puissance absolue et d’un gouvernement arbitraire. On ne peut pas déclarer la guerre sans emprunt et sans subside. Vous avez justement regardé les emprunts comme des impôts anticipés. On ne peut plus faire une dépense sans votre autorisation. Songez qu’on ne peut pas vous demander des subsides, sans en donner les raisons et sans en justifier la nécessité. Songez que vous ne pouvez juger de la justice et de l’utilité de la guerre quand on vous demande des impôts pour soutenir la guerre. Vous [21 mai 1790. J jugerez des moyens de la faire et de ceux aussi de l’empêcher ; et si vous pensez qu’une guerre est inutile, et qu’il est possible de l’épargner à la nation, vous indiquerez les moyens de rétablir la paix et vous refuserez les subsides. Que pourriez-vous faire de plus si vous aviez le droit de faire la paix et la guerre ? Chaque année renouvelle les besoins de la guerre : chaque année renouvelle les demandes des subsides et vos pouvoirs. La puissance est à ceux sans lesquels on ne peut rien entreprendre et rien souteuir. Comment un ministre oserait-il déclarer une guerre inutile, à laquelle la nation pourrait se refuser� Comment oserait-il déclarer une guerre injuste, quand la déclaration que vous feriez vous-mêmes de son injustice en serait la plus noble réparation et quand vous pourriez condamner un ministre coupable en maintenant la paix? Il n’y a pas un exemple, en Angleterre, depuis la Révolution, il n’y a pas, quoi qu’on ait dit, un seul exemple d’une guerre entreprise sans l’approbation du Parlement. On a dit qu’on ne pourrait pas refuser les subsides, on a dénoncé le refus d’un impôt comme une injure à la majesté royale, comme une insurrection et comme un crime. Comment la liberté peut-elle emprunter le langage de la servitude ? Les représentants de la nation ne font pas injure au roi quand ils exercent leurs pouvoirs en respectant les siens. Leurs inviolables pouvoirs sont la sauvegarde des propriétés. Ce n’est pas un crime de défendre les propriétés d’un impôt qui n’est pas nécessaire à l’État. Il faut refuser l’impôt pour épargner une guerre, qui n’a pas l’excuse de la guerre, la nécessité. On a comparé lesnations aux cités. C’est à la cité, c’est à la municipalité qu’on confie l’exécution de la loi martiale. La nation est la municipalité générale. La loi martiale envers les ennemis de l’Etat doit être exercée par les représentants de. la nation. C’est par cette comparaison extrêmement juste qu’on peut juger si l’exécution de la loi martiale ne devait pas être, ainsi que le droit de guerre, une partie essentielle du pouvoir exécutif. On aurait le droit de faire le même raisonnement dans un sens contraire. C’est le roi qui doit exercer le droit de guerre envers les étrangers qui troublent le repos de la nation. C’est donc le roi qui doit exercer le droit de guerre envers les citoyens qui troublent le repos de la cité. Quoi qu’il en soit, cette comparaison ne peut servir à rien dans la question présente, parce qu’on sent bien que son résultat dépend du principe qu’on admet ou qu’on rejette. Je ne nierai point que le pouvoir de déclarer la guerre ne puisse s’exercer par une Assemblée nationale, comme par le Sénat de l’ancienne Rome. Mais le Sénat, à Rome, en confiait l’exercice aux consuls et aux généraux des armées, et ce n’est pas la peine, sans doute, de ravir au roi le même pouvoir qu’il faudrait lui rendre. Mais le Sénat, à Rome, établissait, dans les circonstances intéressantes, une dictature d’un moment pour que la République ne pût éprouver aucun dommage. Mais le Sénat, à Rome, n’était pas législateur. ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 mai 1790.] 635 Le peuple faisait les lois; le Sénat exerçait le pouvoir exécutif. Comment peut-on refuser au pouvoir exécutif, dans une monarchie, ce qu’on ne lui contestait pas dans une république et dans une démocratie ? Quelle terrible puissance s’élèverait tout à coup au milieu de la nation ; et qui pourrait être à l’abri de son pouvoir, quand la puissance législative armée du droit de déclarer la guerre sentirait bientôt la nécessité de diriger elle-même tous les progrès des négociations et tous les mouvements des armées. Une déclaration de guerre ne consiste pas dans un manifeste; c’est pour un objet fixe et déterminé; c’est pour un intérêt qui dépend des circonstances; c’est pour des opérations à faire et des avantages à remporter dans un pays étranger, qu’on déclare la guerre. Il faut qu’on établisse et qu’on suive un système de négociations nouvelles, dans un ordre de vues plus ou moins étendues: il faut qu’on médite et qu’on prépare un plan de campagne et des dispositions, militaires, pour provoquer avec assurance et pourbraver tous les efforts d’une puissance ennemie. Le succès dépend du choix des négociateurs et des généraux. Gomment peut-on déclarer laguerre sans avoir les dispositions des moyens qui peuvent en assurer le succès? �Le Sénat, à Rome, nommait les généraux. Il n’y a pas une seule nation dans laquelle le droit de disposer du commandement des armées n’appartienne au même pouvoir qui déclare et qui fait la guerre. On craint que les armées ne soient dirigées par des chefs ambitieux. On regarde la nation elle-même, pendant laguerre, comme dans un état de guerre avec un roi victorienx. On craint sa gloire et son retour funestes à la patrie. Il faudra que l’Assemblée nationale nomme les emplois pour assurer les succès de la guerre, sans mettre la Constitution en danger. Il faudra nommer et révoquer, au gré de l’Assemblée nationale, tous les ministres, tous les agents, tous les correspondants employés dans les cours étrangères. Ainsi le pouvoir exécutif passerait tout entier dans les mains de la puissance législative, c’est-à-dire de la seule puissance qui soit toujours dominante et qui ne soit jamais responsable; et nul despotisme ne serait plus à craindre que celui qui réunirait, à la fois, le pouvoir de la force armée et de la loi. J’ose le dire; quand on ôterait au roi le pouvoir de� déclarer la guerre, il ne faudrait pas le donner à l’Assemblée nationale. La seule question serait de savoir s’il faudrait balancer, diviser l’action du pouvoir exécutif; si le terrible droit de déclarer la guerre ne devrait pas être confié à des conseils plus étendus ; s’il est utile et juste qu’un seul ministre soit responsable de la mort d’un million d’hommes, et du malheur de deux ou de plusieurs nations? Ce n’est pas dans l’état actuel que nous pouvons trouver desinoyens convenables. Peut-être sinous donnons une autre forme aux législateurs suivants, nous pourrons puiser dans leur Constitution, des moyens que la nôtre ne nous donne pas, des moyens de concilier les droits de la couronne et tous les principes de la distinction des pouvoirs avec les précautions sages et sévères qu’on peut ajouter à celle des lois, pour rendre les guerres plus rares et pour préparer l’union et le bonheur des nations. J’ai parlé du droit de déclarer la guerre ; je parlerai du droit de faire la paix. Il faut mettre des obstacles à la guerre; il faut donner des facilités à la paix. Le droit de faire la paix ne peut pas inspirer les mêmes craintes que celui de faire la guerre. Un roi, même, a besoin d’être encouragé par la nation pour continuer la guerre, quand la nation a le droit d’établir des subsides et de régler les dépenses. Quels sont, quels peuvent être les objets des différents traités de paix? Premièrement les dispositions des conquêtes ou des acquisitions nouvelles; Secondement, la cession de quelques anciennes possessions, telles que des villes, ou des provinces, ou dos colonies ; Troisièmement, des subsides ou des indemnités a donner ou à recevoir ; Quatrièmement, des conventions pour l’intérêt du commerce; Cinquièmement, des précautions à prendre, soit par des garanties, soit par des alliances, contre le retour et les dangers d’une nouvelle guerre. Il n’y a point de raison pour dissimuler aux Assemblées nationales les conventions à faire pour l’intérêt du commerce; il est même à désirer qu’elles leur soient communiquées, afin que le ministère mieux instruit, puisse refuser à des conventions nuisibles et provoquer les conventions utiles. C’est là que le secret n’est pas nécessaire et que l’indiscrétion n’est pas à craindre; et nous remarquerons qu’on avait réservé en discussion et la rédaction du dernier traité de commerce avec l’Angleterre après la paix et que les articles en étaient connus longtemps avant la conclusion et la signature du traité de commerce. 11 n’est pas dans la nature des choses de stipuler des subsides ou des indemnités sans obtenir d’avance le vœu des Assemblées nationales, qui devient d’une indispensable nécessité. Il est encore impossible de céder, sans le consentement des Assemblées nationales d’anciennes possessions, des villes, des provinces ou des colonies. C’est un droit que la nation a plus d’une fois exercé de donner ou de refuser son consentement au démenbrement du royaume; et le droit de la nation est tellement incontestable que les puissances étrangères, elles-mêmes exigeraient la ratification de l’Assemblée nationale. Ainsi, le secret des négociations serait renfermé, s’il y avait lieu, dans la disposition des conquêtes, dans la concession des acquisitions nouvelles et dans l’établissement et les formes des garanties ou des alliances. Les alliances ne pourront plus être offensives ; les garanties sans subside ne peuvent pas être onéreuses; nous n'ambitionnons point les conquêtes, nous n’envions point des acquisitions nouvelles et nous n’aurions rien à craindre, par là même, du secret d’une politique qui tendrait à l’accroissement du royaume. Quel serait à présent, j’ose le demander, quel serait l’intérêt d’ôter au pouvoir exécutif le droit de faire la paix ? et comment l’exercice d’un droit toujours utile et jamais uuisible, peut-il nous inspirer des soupçons et des craintes? Il suffit souvent d’analyser ses idées et de fixer le point précis auquel on doit les réduire, pour se préserver de l’illusion commune que peuvent faire des expressions fortement prononcées dans des discussions vagues et générales. Je me demande à moi-même, à présent, comment un pouvoir circonscrit et renfermé dans de si justes bornes peut éprouver tant de difficultés et d’oppositions ? Je crois en voir les raisons dans les circonstances présentes. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 mai 1790.] 636 Vous craignez la guerre pour l’intérêt de la Constitution ; vous craignez la guerre : On a mis sous vos yeux la situation intérieure de la France; une première Assemblée nationale à peine établie, une Constitution naissante, un gouvernement incertain, les anciennes habitudes détruites, le sentiment des pertes présentes, les inquiétudes sur l’avenir, les troubles, les agitations populaires, les doutes et les alarmes sur les progrès, sur le succès, sur la durée de la Révolution. La paix, lapaix seule est le rernparldela Constitution; la guerre veut la détruire. C’est pour prévenir la guerre que vous croyez devoir ôter au gouvernement le droit de la faire, et c’est en le privant de tous ses droits que vous vous privez vous-mêmes de tous les moyens de maintenir la paix. On vous a dit ce que la France est au dedans. Je vous dirai ce qu’elle est au dehors, et tout ce que la situation nous laisse à craindre, si nous ne rendons pas au roi ces pouvoirs renfermés dans leurs justes bornes, sans lesquels les négociations ne peuvent pas être utiles : nous voulons lui ravir tous ses pouvoirs dans les mêmes circonstances où le peuple romain aurait établi la dictature. J’ai dit les principes, j’en ferai l’application aux circonstances présentes. La réunion des principes et des intérêts doit être la leçon la plus inlructive et la plus sensible pour tous les hommes. Je vous ferai voir dans une seule affaire, et dans l’affaire du moment, tous les intérêts de la France réunis et les dangers à craindre et le besoin de les prévenir par des négociations, et la nécessité de rendre au roi l’exercice d’un pouvoir sagement dirigé par vos lois, pour rendre les négociations utiles et les moyens d’établir le concours de l’Assemblée nationale et du gouvernement. Nous n’avons pas le droit d’accuser une puissance plutôt qu’une autre, mais nous avons le droit de supposer tout ce que nous avons à craindre, et nous devons prévoir ce que les intérêts dictent et ce que les circonstances annoncent. L’Angleterre menace l’Espagne de la guerre, quand elle a suscité la Porte contre la Russie et la maison d’Autriche ; Quand la Suède est en guerre avec la Russie, et le Danemarck avec la Suède ; Quand la Pologne armée est prête à céder à tous les mouvements dont elle est environnée; Quand la Prusse, cette puissance toujours agissante, semble entretenir et répandre à son gré les mouvements de la guerre dans le sein même de la paix; Et quand enfin, une révolution nouvelle divise et suspend toutes les forces de la France. L’Angleterre seule, et sans alliés, peut rassembler toutes les forces que lui donnent ses possessions de l’Asie et les secours qu’elle retrouve dans les colonies qu’elle a conservées et dans ses relations même avec celles qu’elle a perdues. L’Angleterre menace l’Espagne isolée et réduite à ses propres forces et déjà, peut-être, envisageant de loin nos colonies plus faibles parleurs dissensions et par les nôtres, elle les compte d’avance au nombre de ses conquêtes. C’est bien à présent que nous pouvons estimer les effets de ces cessions faites sans le conseil et le consentement d’une Assemblée nationale. C’est à présent que nous pouvons nous rendre compte de ce dernier et funeste traité de paix qui lit perdre à la France, et de grandes possessions et toutes ses relations dans une partie du monde, où l’ambition d’une puissance rivale devait mieux nous en faire sentir toute l’importance. C’est à présent que nous pouvons connaître le mal que peut faire à la mère-patrie cette effervescence répandue dans nos colonies, nos colonies qui pouvaient attendre en paix qu’une Constitution régulièrement établie leur fut transmise, pour ainsi dire, tout entière et comme d’un seul mouvement, sans trouble et sans division. Il faut nous interroger nous-mêmes, il faut nous demander si l’Espagne, si la France seule et sans alliés, peut défendre son commerce etses colonies de la prépondérance de l’Angleterre? On nous assure la paix et c’est l’opinion de cette paix forcée qui devient la guerre la plus funeste pour nous. C’est à l’abri de cette paix à laquelle on nous croit condamnés, qu’on attaque le seul allié dont les intérêts nous soient communs et dont les forces puissent nous être utiles. Quand nous avons protégé laliberlé des colonies anglaises, l’Espagne ne voulut point leur prêter son concours; mais elle vint au secoursdelaFrance. Elle n’approuva point nos déclarations hostiles; mais elle ne voulut pointabandonner nos intérêts. Un allié fidèle nous apprit à ses dépens, dans le cours d’une guerre malheureuse, comment on doit remplir ses obligations envers ses alliés. Son alliance nous impose aujourd’hui tous les devoirs que peuvent nous dicter et la reconnaissance de ses services, et la correspondance de nos intérêts communs. L’Espagne a des droits à réclamer sur nous : Pouvons-nous lui contester ses droits, ou faut-ii que nous soyons dans un état de guerre avec l’Espagne et dans un état de paix avec l’Angleterre? Il s’agit de perdre une alliance naturelle qui n’est plus, comme ou a voulu le faire entendre, un pacte momentané de deux familles unies par le sang, mais le pacte inviolable et perpétuel de deux nations dont tous les intérêts unis par un commerce sans rivalité ne peuvent plus se séparer. 11 s’agit de perdre nos colonies dans les deux mondes. Il s’agit de laisser s’accroître sans bornes cette puissance rivale dont tous les mouvements font pencher la balance de l’Europe et que, bientôt, devenue la maîtresse et l’arbitre du commerce, nous ravirait à la fois et tous les trésors de la paix et toutes les ressources de la guerre. Il semble qu’on nous dise : nous ne voulons point vous attaquer, nous n’en voulons qu'au seul allié qui puisse vous servir contre nous. Laissez nous prendre ses colonies, afin que les vôtres restent sans défense, ou, ce qui est la même chose, laissez-nous prendre vos colonies qui tomberont d'elles-mêmes, et nous jurons la paix. Quelle doit être notre réponse? L’Espagne est notre alliée; ses colonies sont nos remparts; ses intérêts sont les nôtres. Il faut que l’Espagne repose dans notre paix ou que nous combattions dans sa guerre. C’est cette négociation ferme et décidée qui peut et qui doit seule arrêter les menaces et réprimer les desseins de l’Angleterre. Sont-ce des paroles à dire que je vous propose? Des paroles sont sans effets. Vous perdez tout à parler avec faiblesse; vous ne gagnez rien à parler avec force. Telle est la politique; raisonner c’est vouloir, et vouloir c’est agir. Il est bien temps, à présent, de troubler ou de suspendre, par de longues et difficiles questions, des délibérations nécessaires au moment même, des délibérations que devait dicter un sentiment [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 mai!790.] unanime, des délibérations qui ne pouvaient avoir toute leur force que par la franchise et l’impétuosité d’un premier mouvement. Quand on cherche dans un péri), au moins probable, le parti qu’il faut prendre, on ne s’égare pas dans les discussions qui rendent tous les partis impossibles. Il ne faut pas que l’Assemblée nationale soit jalouse du pouvoir exécutif dont elle doit elle-même accélérer l’action pour la rendre utile; il ne faut pas que le gouvernement soit jaloux du concours de l’Assemblée nationale qui doit seconder utilement l’action du pouvoir exécutif. Il convient au gouvernement de se munir lui-même de toute la force de l’Assemblée nationale. Il appartient à l’Assemblée nationale de prévoir et de connaître tous les besoins de la guerre et depourvoir à ses moyens qui sont aussi les moyens de la paix. Déjà, par les soins de Sa Majesté, quatorze vaisseaux de guerre sont prêts à mettre en mer. Déjà les ordres sont donnés aux commandants des ports, pour veiller à tous les préparatifs que peuvent exiger les circonstances. Il faut demander quels sont les moyens de défense nécessaires dans les colonies des deux Indes. Il faut demander quels sont les engagements que nous avons à remplir par le traité d’alliance. Il faut regarder comme une des premières dettes de l’Etat les précautions à prendre pour la sûreté de nos engagements et pour la défense de nos colonies. Que deviendraient toutes les fortunes des citoyens si l’Etat restait sans défense? Que deviendrait le commerce de France, si l’Espagne abandonnée perdait ses possessions et son commerce? Je ne dis pas : faites la guerre avec l’Espagne; faites la guerre à l’Angleterre. Je dis : ayez des vaisseaux, des matelots et des soldats; armez les négociations de vos ministres, de ces délibérations puissantes qui doivent enfanter au besoin les flottes et les armées; et, sans doute, alors vous n’aurez la guerre àerain-dre ni pour vos alliés ni pour vous-mêmes. Quand une fois vous aurez pris le parti de concourir à l’action de votre gouvernement, au lieu de lui ravir son pouvoir et sa force; quand la même idée toujours présente et toujours suivie dirigera toutes vos opérations, vous ne manquerez pas de moyens pour l’exécuter; et c’est alors que vos ministres, forts de la puissance du roi et de celle de la nation, pourront faire entendre auxpuissances étrangères une voix qu’elles apprendront à respecter. Ne craignez point, dans le cours d’une négociation à laquelle vous donnerez toute la force de la nation, ne craignez point ces mystères d’une politique vulgaire qui couvre bien plus souvent le secret des ministres que celui des affaires. C’est vous qui, maintenant les droits du monarque, rendrez toutes ses négociations plus imposantes. C’est en vous rendaut compte de leurs progrès qu’on en assurera les succès. Les ministres diront avec ladignitéqui convientauxinterprètes d’unegrande nation : Tel est le vœu de l’Assemblée nationale de France, de maintenir une paix honorable, mais telle est aussi sa résolution qu’elle emploiera tout son pouvoir pour soutenir ses alliés et pour contenir ses ennemis, et tels son t, en fi n , ses moyens et ses ressources. Lisez ses délibérations. Cette superbe négociation ne sera point secrète, parce qu’elle empruntera toute la force de sa publicité. Il est possible, quelles que soient sa nature et sa en publicité, qu’il y ait quelques mesures que la prudence dicte et dont on ne peut pas, au moment môme révéler le secret; mais il suffit que le gouvernement ait un intérêt évident à vous faire connaître tout ce que les circonstances les plus impérieuses ne lui défendront pas de redire, et chacun sent quelle est l’utilité qui doit résulter, pour le maintien de la paix, de la correspondance de l’Assemblée nationale et du gouvernement. J’ose croire qu’une seule délibération ferme et décisive deviendrait le fondement de la plus glorieuse négociation que la France eut jamais entreprise. C’est dans le sein de nos divisions, c’est parmi les projets d’une Constitution naissante, c’est dans les troubles d’une révolution, c’est lorsque nos rivaux ont pu croire que nous étions dans l’impuissance de nous défendre nous-mêmes que nous osons envisager sans crainte tous les intérêts de la France au dehors comme au dedans, et que nous faisons sentir dans toute son étendue ce que peut faire une nation libre et puissante. Tel est, tel doit être, dans une monarchie bien constituée, l’accord de l'autorité royale et de la liberté publique. Le roi le plus puissant, quand sa puissance n’est pas fondée sur la liberté de sa nation, peut s’affaiblir par ses triomphes mêmes ; il épuise ses trésors et son crédit. La volonté d’un seul a ses bornes. La réunion de toutes les volontés semble exercer une force infinie parce qu’elle peut employer toute la puissance d’une nation. Quand Louis XIV ranima, par ses adversités, un peuple qu’il avait lassé par ses victoires, on vit ce peuple entier se soulever tout à coup par un généreux effort, pour repousser les ennemis de l’Etat. En vain les calamités des saisons semblaient conspirer avec celles de la guerre pour achever la perte du royaume. L’hiver de 1709 ne servit qu’à montrer ce que peuvent des citoyens quand chacun, animé du môme sentiment, concourt, selon sa place et son pouvoir, au succès de la chose publique. Ce fut l’effort unanime des provinces, des villes et des particuliers qui renouvela les ressources en proportion des besoins et qui donna le temps au retour de la fortune. Nous sommes loin d’être réduits dans le même état : et sans doute une Assemblée nationale doit être pénétrée tout entière de ces sentiments nobles et généreux, dont l’unanimité fait la véritable force des nations. L’Assemblée nationale ne manquera pas de moyens pour maintenir la paix, quand elle ne négligera pas les moyens de soutenir la guerre. L’Angleterre n’aurait point menacé l’Espagne, si la France, concentrée dans les efforts d’une Révolution, n’avait pas elle-même retiré sa puissance et n’avait pas fait paraître aux yeux de l’Europe étonnée comme un grand vide immense au milieu du continent de l’Europe. La France, au fond, n’a rien perdu; elle possède ses terres, ses colonies et son commerce, elle possède les richesses réelles, les hommes. La France est toujours la même, elle a comprimé le ressort de sa puissance. Elle peut le déployer dans sa force, et l’Angleterre peut s’arrêter encore, si seulement la France montre ses ressources et veut en faire usage. Il faut diriger les principes du pouvoir exécutif, et lui marquer ses bornes par vos lois. Il faut seconder son action par le concours de vos délibérations; et c’est la correspondance de l’Assemblée nationale et du gouvernement, qui peut 638 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 mai 1790.] seule assurer le succès des négociations utiles et le maintien de la paix. Tel est le projet de décret que je propose : L’Assemblée nationale, considérant que la guerre est le plus grand des maux du genre humain, et que le premier devoir des législateurs est d’établir les lois qui peuvent rendre lesguerres plus rares, et préparer l’union et le bonheur des nations, A décrété et décrète : Premièrement, qu’il sera nommé un comité pour rédiger et pour établir, sur les principes des fois naturelles et sur le respect inviolable pour les droits des différentes nations, un Gode de droit public auquel la nation française veut et entend conformer sa conduite et celle de son gouvernement ; Secondement, qu’il ne sera fait à l’avenir aucuns traités offensifs, sauf à distinguer les mesures offensives, des précautions indispensables pour prévenir l’agression et pour veiller à la défense ; Troisièmement, qu’il ne sera fait aucun traité de commerce sans le consentement de l’Assemblée nationale; Quatrièment, qu’il ne sera stipulé aucun subside sans le consentement de l’Assemblée nationale sauf à déterminer une somme fixe pour les dépenses secrètes des affaires étrangères; Cinquièmement, qu’il no sera fait aucun démembrement des possessions de la nation, sans le consentement de l’Assemblée nationale; Sixièmement, que le roi ne pourra faire la paix et la guerre que conformément aux lois établies par l’Assemblée nationale, sur les cas de déclaration de guerre et sur les objets de traités de paix et d’alliance, ainsi qu’aux décrets de l’Assemblée nationale concernant les traités de commerce ou de subsides, et les cessions ou démembrements des possessions de la nation; Septièmement, que les ministres seront responsables de la violation des lois ou des décrets de l’Assemblée nationale, tels qu’ils sont énoncés dans les articles précédents, sur le fait de paix et de guerre. M. Oarat le jeune. Dans une institution représentative, est-ce au gouvernement, est-ce à la nation que la Constitution doit déléguer le droit de faire la paix et la guerre? Vous avez déjà divisé tous les pouvoirs ; vous avez assigné à chacun ses fonctions suivant sa nature et son but ; il faut voir avec quelles fondions le pouvoir de déclarer la guerre a le plus de rapport ; est-ce aux fonctions du Corps législatif? Examinons si les difficultés opposées à l’affirmative sont insurmontables. Le pouvoir exécutif, partout armé, s’est emparé du droit de déclarer la guerre; voyons ce qui en est résulté. Les questions de ce genre se compliquent dans une institution représentative; commençons par les examiner en les appliquant à un petit peuple qui s’assemble, qui fait ses règles lui-même et qui en confie l’exécution. Si, faisant toutes les lois, il ne faisait pas celle de la guerre; si, au lieu de consulter tous les citoyens, un ou deux étaient seulement consultés, il ferait une absurdité. Tout ce que le peuple fait par lui-même dans une démocratie, il doit le faire par ses représentants : autrement il aurait des représentants sans être représenté. Déclarer ta guerre, c’est la vouloir; c’est exprimer la volonté générale. M. de Mirabeau a cru que déclarer la guerre, c’était le concours de la volonté et de l’action ; la volonté et l’action concourent pour la faire, mais elle est déclarée par la volonté. Faire la guerre, c’est la mission du pouvoir exécutif; la déclarer, c’est celle de la nation. Les Anglais ont donné au roi le droit de déclarer la guerre et au Parlement les moyeus d’empêcher le roi d’user de ce droit. Vous marcherez d’une manière plus loyale; vous fixerez nettement les bornes du pouvoir du monarque : ainsi l’objection tirée de l’exemple de l’Angleterre est mauvaise. M. de Clermont-Tonnerre a dit que déclarer la guerre, ce n’est pas faire une loi; que la loi embrasse tous les temps, toutes les personnes, toutes les circonstances; que la déclaration de la guerre n’a en vue qu’un temps, qu’une circonstance, qu’un petit nombre de personnes. Si chacune de autres lois est une volonté générale, l’acte par lequel la guerre est déclarée est aussi une volonté générale, puisqu’il statue sur la yie des citoyens, sur tous les intérêts de deux nations, sur les intérêts mêmes de toutes les nations. Une nation tient à tout dans l’univers par ses relations extérieures; elle tient à toutes les nations, à tous les temps, à toutes les circonstances. Lorsqu’on ne peut contester les principes ni les conséquence?, il reste la ressource de prétendre que les principes eux-mêmes sont une théorie dangereuse; on dit; Mais Philippe est à vos portes et vous délibérez! Ce n’est pas ce dont il s’agit : quand Philippe est à nos portes, la guerre est déjà déclarée. Ces attaques imprévues, qui ne laissent pas le temps de délibérer, sont extrêmement rares. Quand les puissances redoutent la guerre, elles ne peuvent préparer dans le secret et dans le silence les moyens de désoler le monde. Sur un grand nombre de guerres il n’y en a pas dix qui aient été imprévues. Les sujets de guerre formaient des procès, longtemps débattus par écrit, avant qu’on employât le canon pour presser le jugement. Presque tous ces procès sont des questions de droit. Le petit-fils de Louis XIV est-il exclu du trône d’Espagne? il faut examiner les contrats et les traités: cet examen a précédé la guerre de la succession. La France doit-elle soutenir les colonies anglaises écrasées sous le despotisme d’un peuple libre? C’était ici une question de droit naturel, autant que de droit public. Ou dit qu’il faut un secret profond. Oui, our suivre la guerre, mais non pour la déclarer. es négociations exigent du secret : si elles sont commencées avec des nations ennemies, leurs motifs sont connus; sic’estavecune nation qu’on veut avoir pour alliée, lescoDsidérations naturelles et les rapports politiques sont également reconnus. Ainsi on aurait beau faire, le secret serait toujours inutile. Vous avancez vers votre ennemi par une mine : il vient à votre rencontre par une contre-mine. C’est du droit de déclarer la guerre, accordé au prince, qu’est né le despotisme des rois. Des peuples libres doivent donc confier ce droit avec prudence... Les cas des attaques imprévues sont étrangers à la question : c’est alors l’ennemi qui déclare la guerre, et le pouvoir exécutif ne fait que repousser la force par la force. Dans toutes les circonstances nationales, c’est Je pouvoir législatif qui prononcera si la nation doit se couvrir de ses armes et faire la guerre. M. de Gaultier de Biauzat. C’est sous le point de vue des principes de la Constitution que cette cause doit être discutée. Si l’on se rappelle le principe, on verra s’écrouler tous les moyens factices qu’on a mis en usage pour détruire notre ouvrage. — Le droit de déclarer la guerre, confié au roi, serait contraire au pouvoir exécutif, il [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 mai 1790.] ne s’agit pas de dénaturer les prérogatives de la f couronne, et ce le serait que de lui attribuer le | droit de manifester la volonté générale : ses fonctions sont réduites à faire exécuter cette volonté : je le sais, celui qui nous gouverne n’en abuserait pas; mais il peut y avoir des rois faibles et c’est contre eux qu’il faut se mettre en garde. Je considère ces deux pouvoirs, de déclarer la volonté générale et celui de la faire exécuter, comme absolument incompatibles. On prétend que nous détruirons le pouvoir exécutif, que nous romprons les traités d’alliance, qu’il en résultera une subversion de ce qu’on appelle balance politique. En décernant au roi le droit de déclarer la guerre, ce serait détruire la Constitution , et je te prouve : la déclaration de la guerre doit dépendre d’une loi fixe. Faites cette loi, a-t-on dit, prévoyez les cas. Vous reconnaissez donc que la guerre ne peut être déclarée sans une loi qui la détermine. Mais les cas ne peuvent être jugés que par l’examen des circonstances; il faut donc les attendre et laisser au Corps législatif le droit de les décider à mesure qu’ils se présenteront. Vous vous exposez, dit-on, à rompre les traités d’alliance et à les écarter pour l’avenir, en révélant tous vos secrets politiques. Pourquoi parler de secrets? Ignore-t-on combien il est facile de percer les secrets des princes? N’a-t-on pas publié jusqu’à leurs conversations particulières? On parle de secrets, vous n’étiez pas prévenus vendredi qu’on vous exposerait à une décision de laquelle on espérait le renversement de la Constitution. Les ministres des puissances étrangères étaient à vos tribunes ; il était donc connu, ce secret, de ceux qui ne devaient pas le connaître, et ignoré de ceux qui devaient délibérer. Cette politique dont on nous parle ne se coule ainsi dans l’obscurité que pour ne pas laisser apercevoir les contradictions et les perfidies. Est-il besoin du secret lorsqu’il s’agit d’une coalition pour le bien général? Un des préopinants, dont l’opinion m’a surpris et à laquelle je répondrai avec toute l’indignation que j’ai conçue, lie le succès d’une guerre à la nécessité de la promptitude ; il n’a pas suivi ce raisonnement. Lorsqu’une guerre se présente on la considère sous divers rapports; le ministre trouve un moyen de s’arroger une autorité souveraine. L’Assemblée législative, au contraire, la regarde comme le plus grand des malheurs. C’est pour le ministre un moyen de se faire des créatures, de jeter un voile sur l’emploi des fonds qui lui sont confiés, de prendre à pleines mains dans la caisse les sommes qu’il feint de destiner à la guerre : par là, il signale son nom et sa famille ; il s’approprie les triomphes sans avoir couru le danger des combats. Je passe à la responsabilité et je dis qu’elle est impossible, qu’elle pourrait même être injuste. Un ministre vient-il d’apprendre l’insulte faite au pavillon français, par un principe de vertu, il déclare la guerre, parce qu’il croit que la majesté de la nation est compromise. Si, au contraire, ce rapport était fait à l’Assemblée nationale, elle s’échaufferait aussi : mais bientôt arriverait la prudence ; elle examinerait qu’il ne suffit pas qu’une guerre soit injuste, mais qu’il faut encore qu’elle soit utile. Que risque un ministre dans les inconvénients de la guerre ? Ils ne retombent jamais sur lui ; c’est toujours le malheureux qui souffre. L’Assemblée législative, au contraire, en voit tous les dangers ; elle sait qu’une guerre répand la désolation dans l’empire ; qu’elle rend 639 les enfants orphelins et qu’elle dépeuple les campagnes. Quant à ce qu’on appelle balance politique de l’Europe, ce doit être un motif de plus pour déléguer ce droit au Corps législatif. Qu’est-ce que la fédération entre des puissances voisines ? C’est une oppression pour les puissances qui ne sont pas dans le traité ; c’est la loi du plus fort; c’est le principe contraire à la base de toute bonne Constitution. Je ne crains pas que le roi qui nous gouverne abuse de ce droit terrible ; mais il peut avoir du danger à consacrer le principe, car ouis XYI ne sera pas toujours sur le trône ; et pour réfuter cette opinion, on ne me présentera pas, comme on l’a déjà fait, l’alliance du trône . et de l’échafaud. L’honneur des ministres consiste dans une haute fortune ; la fortune des représentants de la nation consiste dans l’honneur. M. de Mirabeau a feint de prendre un parti intermédiaire par une orgueilleusehumilité ; il a feint de s’en rapporter à un tiers, à qui il a prodigué les éloges les plus fastueux, comme ces prêtres impies de l’antiquité qui embellissaient les idoles pour rendre, en leurs noms, des oracles trompeurs. M. de Cazalès. L’Assemblée nationale a reconnu que le gouvernement français est monarchique ; par un second décret, elle a déterminé d’une manière précise ce qu’elle entend par une monarchie, en disant que la plénitude du pouvoir exécutif suprême réside entre les mains du roi. Ce second décret n’offre pas d’équivoque. Il n’est pas de publiciste qui ne soit convenu que le droit de faire la paix et la guerre est une partie essentielle du pouvoir exécutif. Toutes les nations qui ont connu la division des pouvoirs ont confié ce droit au pouvoir exécutif. A Rome, ce peuple roi, jaloux jusqu’au délire du pouvoir législatif, avait confié au Sénat le pouvoir de faire la paix et la guerre, avec le pouvoir exécutif. Il n’est pas possible de méconnaître l’utilité de cette combinaison ; le Sénat a souvent prévenu les guerres civiles par les guerres étrangères : il conservait, il réglait le saint amour de la patrie, en réveillant l’amour de la gloire. Il est donc prouvé que le droit de paix et de guerre est une partie inhérente du pouvoir exécutif. Vous l’avez reconnu, vous l’avez encore décrété, en disant que les fonctions du Corps législatif étaient de faire la loi. Il n’est pas un membre de cette Assemblée qui osât soutenir que faire un traité de paix c’est faire une loi. Dans un gouvernement libre, le Corps législatif doit se borner à déterminer les principes des traités et des déclarations de guerre. Arrêtez que le pouvoir exécutif ne s’écartera jamais de ces principes ; c’est à lui qu’il appartient d’en faire l’application. J’en atteste la bonne foi de l’Assemblée nationale ; est-il un seul de ses membres qui, quand il a voté pour que le pouvoir exécutif appartînt au roi, n'ait pas cru lui donner le droit de faire la paix et la guerre ? ( Une grande partie de l’Assemblée crie : Non, non!) Je réponds à ceux qui m’interrompent en ce moment, qu’il a existé une discussion à Versailles lors de ce décret. Le mot suprême a été longtemps débattu; et, sans doute, ceux qui viennent de me répondre n’ont pas été d’avis du mot suprême. (Il s'élève encore des murmures.) Il n’est pas douteux que si l’Assemblée nationale était composée des mêmes individus, et si nos collègues n’avaient pas déserté lâchement le poste où laconfiance publique les avait placés, cette question ne serait pas même l’objet d’une délibération. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. Mais puisqu’il est malheureusement vrai que cette Assemblée ne peut-être liée par ses propres décrets; qu’ils ne sont, à son égard, que de simples résolutions, et qu’elle détruit le lendemain ce qu’elle a fait la veille ( Les murmures redoublent)-, puisque l’Assemblée nationale a décidé que cette question doit être discutée; persuadé j qu’elle n’a pas changé de principes en six mois, j et qu’elle ne donnera pas l’exemple d’une mobi-j lité dans les lois de l’empire, mobilité vraiment déshonorante pour les législateurs, et vraiment effrayante pour Jes peuples que ses lois doivent i régir. . . ( Nouveaux murmures.) Plusieurs orateurs ont dit dans cette tribune qu’il n’y a pas de guerre offensive qui soit juste; ils ont étalé les principes qu’affiche la philosophie moderne; mais ce n’est pas sur les principes vagues de l’humanité que des législateurs doivent établir leurs opérations : ces principes embrassent tous les peuples du monde, laissez ce sentiment qui n’est qu’ostentation; la patrie doit être l’objet exclusif de notre amour. L’amour de la patrie fait plus que des hommes, il fait des citoyens. Il a créé les Spartiates, à l’existence desquels nous sommes tentés de ne pas croire, en voyant combien nous sommes indignes de les imiter. Quant à moi, je le déclare, ce ne sont pas les Russes, les Allemands, les Anglais que j’aime, ce sont les Français que je chéris; le sang d’un seul de mes concitoyens m’est plus précieux que celui de tous les peuples du monde... {Le murmure devient général.) Pardonnez à la chaleur, et peut-être à l’exagération de mon discours; il est l’élan d’un citoyen qui idolâtre sa patrie; il est produit par l’indignation que me font éprouver les manœuvres dont on se sert pour vous circonscrire dans les adages de la philosophie moderne; cette philosophie qui flétrit le cœur, qui rapetisse l’esprit... Tout ce qui est nécessaire, pour la conservation de la liberté est légitime : quand une guerre offensive est nécessaire, elle est légitime. Je prendrai mes exemples dans la circonstance où nous nous trouvons. Dans la dernière guerre, l’Angleterre a été forcée de souscrire à une paix désavantageuse; toutes ses démarches ont tendu à diviser nos alliés pour les combattre séparément. Ce peuple, qu’on vous a dit généreux, a puissamment contribué à l’asservissement de la Hollande. Aujourd’hui que la France est travaillée de divisions intestines, il fomente peut-être ces divisions. 11 y a quelques mois que des contrebandiers ont été arrêtés sur les côtes de la Californie. La cour de Londres a longtemps dissimulé cette prétendue injure; mais quand elle vous a vus occupés des grands intérêts qui agitent la France, qui paralysent toutes vos forces et tous vos moyens, elle a réclamé : l’Espagne a rendu les vaisseaux qui avaient été saisis. Alors l’Angleterre a exigé que l’Espagne s’expliquât sur la navigation du Sud, c’est-à-dire qu’elle abandonnât ses possessions dans ces contrées, car elle doit renoncer à ses propriétés, si elle abandonne la navigation exclusive dans ces mers. Si l’Angleterre persiste, il est impossible que l’Espagne se soumette. Si vous n’allez à son secours, cette puissance alliée sera forcée, après une campagne, de conclure une paix désastreuse. Il e� certain qu’alors l’Angleterre vous attaquera. Travaillés par des dissensions intestines, privés de vos alliés, elle vous attaquera avec succès... J’ai longtemps hésité pour savoir si je répondrais à cette flatterie grossière, à cette assertion imprudente, que vous n’avez rien à craindre de vos voisins. Je ne sais ce que vous [21 mai 1790.] ferez, ce que vous deviendrez parla Constitution; mais dans ce moment vous êtes le royaume le plus faible de l’Europe... (Oramarmure.) Au murmure qui m’interrompt, je reconnais la nécessité de prouver ce que j’avance. Une partie de votre ar-méea déserté; l’autre partie est dans une insubordination manifeste. Dans cet état, une armée n’existe plus. L’ébranlement de toutes les propriétés a tari jusqu’à la source des revenus publics ; vos finances ne se soutiennent qu’à l’aide d’une monnaie factice; vos dépenses ne sont plus soldées que sur vos capitaux; vous avez perdu une partie considérable de votre population; votre numéraire est passé chez l’étranger; vos concitoyens, riches ou pauvres, vous ont abandonnés; ils fuient les horreurs des séditions, de la misère et de la famine. Enfin, et voici ce qui présage les plus affreux malheurs, il existe une division entre toutes les classes de citoyens ; il n’est pas un village où les citoyens ne soient divisés en deux partis. {Il s'élève des murmures .) Ne vous dissimulez pas les maux qui travaillent l’empire : il est de votre devoir de les prévenir et d’annoncer qu’ils vous affligent. Parlez quelquefois à ce peuple de ses devoirs. Bannissez, proscrivez ces mots affreux d’ aristocratie et de démocratie ; ils servent de ralliement à des factieux. Prêchez l’union à tous les Français; réunissez-les de sentiment et de pensée, d’intérêt et d’affection ; que tous les intérêts particuliers se confondent dans l’intérêt public; vous verrez alors ce que vous pouvez. A présent vous êtes dans un état de faiblesse, inséparable peut-être de toutes les révolutions, mais qui vous rend le royaume le moins redoutable de l’Europe. Et si vous rompez avec vos alliés, vos colonies seront envahies, votre commerce sera détruit. Je ne réponds pas sérieusement à ceux qui ont dit que la France doit s’isoler du système politique de l’Europe, ce qui nécessiterait conséquemment à renoncer à tout commerce extérieur ; mais ce n’est pas sans surprise que j’ai vu mettre en question, parmi les représentants delà plus loyale de toutes les nations, d’une nation qui a porté jusqu’au scrupule son respect pour les créanciers de l’Etat, si les traités d’alliance seront maintenus, si vous abandonnerez des alliés Fidèles. Je ne puis croire que les objections auxquelles je viens de répondre aient produit assez d’effet pour que la majorité ne convienne pas qu’une guerre offensive peut être juste; qu’il est absurde de s’isoler du système politique de l’Europe ; qu’il est de notre intérêt, de notre honneur et de notre loyauté, de ne pas abandonner de fidèles alliés. La question est uniquement de savoir à qui, pour le bonheur du peuple, serait délégué le droit de la paix et de la guerre? Si vous l’attribuez à l’Assemblée nationale, il s’ensuivra qu’elle pourra nommer les ambassadeurs, les généraux d’armée, et disposer de tout ce qui concerne la paix ou la guerre. Si la conduite des affaires exige du secret, de la rapidité, de l’adresse, tant que la politique de l’Europe existera, il est impossible qu’une Assemblée nombreuse en tienne le fil et le dirige. M. de Sérent l’a prouvé, et je me réfère à son opinion. On vous a trop exagéré le danger des passions des rois et de celles des ministres. Le Corps législatif est-il donc exempt de passions? Comme si de tous les temps les Assemblées nationales n’avaient pas été le foyer de la corruption. C’est pourcelaqueleGorpslégislatif ne fera jamais de bonnes lois que des lois générales, et que l’intérêt des individus influera toujours sur les lois particulières... On vous a fait des distinctions [Assemblés nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 mai 1790.) 041 métaphysique de la guerre défensive et offensive : dans toutes les guerres où l’histoire nous a laissé le fastidieux récit, peut-on voir quel était l’agresseur? Faudra-t-il que la Fi ance perde le précieux avantage de porter, la première, les malheurs de la guerre dans un terre voisine?... M. de Mirabeau vous a proposé de rassembler près du Corps législatif la milice nationale. Comment se peut-il qu’on veuille établir le germe de la guerre civile? Réunir le Corps législatif quand la guerre est déclarée ne me paraît pas sans inconvénients. Ne doit-on pas redouter la tendance naturelle des hommes à augmenter leur autorité? Le Corps législatif tendrait à s’emparer de la guerre. Rappelez-vous les principes de la monarchie et de la liberté ; ils vous disent que tout doit se rallier au roi, pourvu que la liberté ne soit point attaquée. Tant que nulle autorité ne pourra sauver un ministre prévaricateur, tant que l’Assemblée aura droit de voter les impôts, une guerre pourra être légèrement entreprise, mais elle ne sera pas longue. Le dernier degré de sagesse est d’établir un tel ordre de choses, que le délit soit puni, que l’imprudence soit réparée. Décrétons que toutes les forces de la nation reposent entre les mains du roi, qui ne peut avoir d’intérêt à en abuser ; décrétons des récautions si sévères, une responsabilité si terri-le, que le ministère devienne un poste tellement périlleux, que les brigands tremblent d’en approcher, et que le patriotisme seul puisse y faire monter des hommes pleins de confiance dans leurs vertus et dans leurs talents. Ceux qui prétendent que le droit de déclarer la guerre appartient au pouvoir législatif veulent ou rendre la législature perpétuelle, en la chargeant de la guerre qu’elle aura commencée, et tel est le but de M. de Mirabeau, ou se venger du décret qu’ils ont rendu à Versailles au sujet du droit de la branche d’Espagne au trône de France. Vous avez déjà ôté au roi deux de ses droits ; l’administration intérieure et l’administration de la justice : si vos décrets lui ôtent le troisième, il faut révéler un grand secret au peuple : ce jour il n’aura plus de roi. Je propose enfin que vous décrétiez que le droit de paix et de guerre appartient au monarque ; que le comité de Constitution fixera les premières règles de l’exercice de ce droit ; qu’il déterminera les formes les plus sévères pour la responsabilité des ministres, et que la question des traités et des alliances sera ajournée. Cette question mérite une discussion particulière. M. Barnave. Jamais objet plus important n’a fixé les regards de cette Assemblée; la question qui s’agite aujourd’hui intéresse essentiellement votre Constitution ; c’est de là que dépend sa conservation. Il ne vous reste plus à constituer que la force publique ; il faut le faire de manière qu’elle s’emploie avec succès pour repousser les étrangers et arrêter les invasions, mais qu’elle ne puisse jamais retomber sur nous. Au point où nous en sommes, il ne s’agit plus de discuter sur les principes et sur les faits historiques, ou sur toute autre considération ; il faut réduire la question à ses termes les plus simples, en chercher les difficultés et lâcher de les résoudre. Excepté ceux qui, depuis le commencement de nos travaux, ont contesté tous les principes, personne ici n’a nié les principes théoriques qui doivent déterminer votre décision. Je ne parlerai point de la souveraineté du peuple; elle a été consacrée dans la Déclaration des droits ; quand i" Série. T. XV. vous avez commencé la Constitution, vous avez commencé à appliquer ce grand principe. Il est donc utile de le rappeler ; il s’agit seulement de savoir à qui doit être délégué le droit de déclarer la guerre ou la paix, de chercher à qui l’utilité publique invite à le déléguer. Ou a universellement reconnu le principe de la division des pouvoirs, ou a reconnu que l’expression de la volonté générale ne pouvait être donnée que dans les assemblées élues par le peuple, renouvelées sans cesse, et par là même propres à en imprimer l’opinion, parce que, sans cesse, on en reconnaît l’impression. Vous avez senti que l’exécution de cette volonté exigeait promptitude et ensemble, et que, pour combiner cet ensemble, il fallait absolument la confier à un seul homme. De Jà vous avez conclu que l’Assemblée nationale aura le droit de faire la loi, et le roi celui de la faire exécuter. De là il résulte que la détermination de faire la guerre, qui n’est pas autre chose que l’acte de la volonté générale, doit être dévolue aux représentants du peuple. On ne peut contester que l’acte qui nécessite après lui l’augmentation des impositions, la disposition des propriétés, que l’acte qui peut anéantir la liberté publique, dissoudre la machine' politique, doit être confié à ceux qui doivent exprimer la volonté générale. Les fonctions du monarque ne sont pas moins évidentes : il a l’inspection des résolutions nationales ; il peut prendre les précautions nécessaires pour la sûreté de l’empire. Non seulement il doit diriger la guerre, avoir en sa disposition les forces destinées au secours de l’Etat, nommer des négociateurs, mais encore il est chargé de pourvoir, de son propre mouvement, à la sûreté de ses frontières ; il a le droit de faire les préparatifs de guerre ; il a encore un plus grand caractère, celui de représenter le peuple français auprès des antres peuples. Les actes dévolus au Corps législatif sont indispensables pour la liberté. Tout ce qui porte un caractère de majesté, nous l’avons mis sur la tête du roi : pourvoir à la sûreté de cet empire, veiller à ce qu’il ne soit porté aucune atteinte à sa dignité, tel est le caractère du chef de la nation. Voilà, d’après les différentes discussions, quel m’a paru être le but de tous ceux qui avaient des principes conformes à notre Constitution. Je laisse de côté tous les projets de décrets qui attribuent au roi le droit de faire la guerre ; ils sont incompatibles avec la liberté; ils n’ont pas besoin d’être approfondis. La contestation existe entre ies décrets puisés dans le système général. Plusieurs opinants, MM. Pétion, de Saint-Fargeau, deMenou, ont présenté des décrets qui, avec des différences de rédaction, arrivent aux mêmes résultats. M.de Mirabeau en a offert un autre qui, destiné je crois à remplir le même objet, ne le remplit pas à mes yeux ; c’est celui-là que je vais discuter. L’examen que j’en ferai est tellement lié à la question principale, que lorsque j’en aurai examiné toutes les parties, j’arriverai immédiatement à mon résultat. Je présenterai d’abord deux observations de détail: le premier article est inutile, j’en ai déduit la raison : c’est que la souverainetédu peuple est consacrée. Le second article ne renferme pas ce qu’il veut dire, ou il est vicieux ; dans tous les cas, il doit être rejeté. Il est impossible que le pouvoir de déclarer la guerre soit exercé concurremment et par le roi et par les représentants du peuple. Cette concurrence n’est autre chose qu’une confusion de pouvoirs politiques et une anarchie constitutionnelle. Ce défaut de rédaction ne serait rien si ie résultat du décret ne l’interprétait point. 41 642 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 mai 1790.] Le vice radical du projet deM. de Mirabeau, c’est u’il donne de fait au roi, exclusivement, le droit e faire la guerre. C’est par la confusion d’une chose bien différente de celle de déclarer la guerre, qu’il a attribué ce droit au roi. Il est universellement reconnu que le roi doit pourvoir à la défense des frontières et à la conservation des possessions nationales. Il est reconnu ue, sans la volonté du roi, il peut exister des ifférends entre les individus de la nation et des individus étrangers. M. de Mirabeau a paru penser que c’était là que commençait la guerre ; qu’en conséquence, le commencement de la guerre étant spontané, le droit de déclarer la guerre ne pouvait appartenir au Corps législatif. En partant de cette erreur, en donnant une grande latitude aux hostilités, en les portant jusqu’à la nécessité de défendre les droits nationaux, M. de Mirabeau a donné au roi le droit de faire toute espèce de guerres, même les guerres injustes, et a laissé à la nation la frivole ressource, le moyen impuissant d’arrêter la guerre, quand sa cessation devient impossible. Cependantilestuniversellement reconnu, je ne dis pas seulement par les militaires, par les marins, par les rois, mais par tous ceux qui connaissent le droit des gens, mais d’après le sentiment de Montesquieu et de Mably, que des hostilités ne sont rien moins qu’une déclaration de guerre ; que les hostilités premières ne sont que des duels de particuliers à particuliers; mais que l’approbation et la protection que donne la nation à ces hostilités constituent seules la déclaration de la guerre. En effet, si le commencement des hostilités constituait les nations en état de guerre, ce ne serait plus ni le pouvoir législatif ni le pouvoir exécutif qui la déclarerait, ce serait le premier capitaine de vaisseau, le premier marchand, le premier officier, qui, en attaquant un individu, ou en résistant à son attaque, s’emparerait du droit de déclarer la guerre. Il est bien vrai que ces hostilités deviennent souvent des principes de guerre, mais c’est toujours par la volonté de la nation que la guerre commence; on rapporte l’offense à ceux qui ont l’exercice de ce droit; ils examinent s’il y a intérêt à soutenir l’offense, à demander une réparation. Si on la refuse, c’est alors que la guerre est ou repoussée ou entreprise par la volonté nationale. J’en présente un exemple récent, chacun sait ce qui s’est passé sur la mer du Sud entre l’Angleterre et l’Espagne. Eh bien ! je demande s’il y a actuellement guerre entre ces deux nations, si le pouvoir qui dispose de ce droit l’a déclarée, si les choses ne sont pas entières ? Qu’arriverait-il si l’Espagne avait une Assemblée nationale?Les agents du pouvoir exécutif donneraient aux représentants de la nation espagnole connaissance des hostilités commencées; d’après ces connaissances, l’Assemblée examinerait s’il est de la justice, de l’intérêt de la nation de continuer la guerre. Si la justice l’exigeait, elle accorderait une réparation ; si, au contraire, elle trouvait j uste de refuser cette réparation, elle déciderait la guerre, et chargerait le roi d’exécuter cette décision. Voilà le cas où se trouve la nation française. Des hostilités, de quelque nature qu’elles soient, seront toujours de simples hostilités du moment que la législature n’aura pas déclaré la guerre; ainsi, des hostilités peuvent conduire la nation à la guerre, mais ne peuvent jamais la priver de déclarer qu’elle préfère se soumettre aux plus grands sacrifices. Donc jamais un Etat ne peut être constitué en guerre sans l’an-probation de ceux en qui réside le droit de la faire. Le raisonnement de M. de Mirabeau n’est qu’un moyen d’éluder la question, qu’un écart de la question. Quelque résolution que vous preniez, soit que vous déléguiez ce pouvoir au Corps législatif, soi t que vous le déléguiezau pouvoir exécutif, le décret deM. de Mirabeau sera toujours imparfait: car il est indispensable de savoir le moment où la nation est en guerre, il est indispensable de savoir à qui il appartiendra de la déclarer en son nom, et, dans les deux cas, il nous laisse la même incertitude. Du moment où l’on décide que le roi la déclarera concurremment avec la nation, il est évident que l’on confère ce droit au pouvoir exécutif, puisque ses fonctions précèdent l’agression, et que c’est lui qui prononce si les hostilités seront continuées. Je demande si la faculté qu’on laisse au Corps législatif de décider si la guerre cessera n'est pas illusoire ; si, lorsque la guerre sera commencée, lorsqu’elle aura excité les mouvements de puissances redoutables, il sera possible alors de déclarer qu’elle ne sera pas continuée? C’est donc au roi qu’il attribue constitutionnellement le droit de déclarer la guerre ; c’est si bien là son système, qu’il l’a appuyé par tous les raisonnements dont s’étaient servies les personnes qui soutiennent cette opinion. Les propositions et les maximes qu’il a présentées sont tellement tendantes à prouver qu’il faut déléguer au roi le droit de faire la guerre, que pour répondre à son système, je ne vais qu’examiner ses propositions et ses maximes. Deux points sont divisés dans le discours deM. de Mirabeau : 1° Les inconvénients d’attribuer aux législatures le droit de déclarer la guerre ; 2° Les inconvénients de l’accorder au pouvoir exécutif et le moyen de remédier à ces mêmes inconvénients. Il s’est attaché à établir qu’ils étaient immenses pour les législatures, et qu’ils étaient moindres pour le pouvoir exécutif; enfin II a proposé les moyens de pallier ces derniers inconvénients; il a dit que le droit de faire la guerre exigeait de l’unité, de la promptitude et du secret, et qu’il ne pouvait en supposer dans les délibérations du Corps législatif. Eq s’appuyant de l’exemple des républiques anciennes, on n’a pas cessé de comparer notre Constitution avec la démocratie de la place publique d’Athènes, avec le Sénat aristocratique de Rome, qui tâchait de distraire le peuple de la liberté par la gloire; on l’a confondue avec celle de Suède, où il existe quatre ordres différents divisés en quatre chambres, le roi et le Sénat, où les pouvoirs publics sont dispersés entre six pouvoirs différents, qui sans cesse se combattent, et qui, après avoir combattu la délibération, combattent encore l’exécution, ainsi que vous l’avez vu dans la dernière révolution; on l’a comparéeavec celle delaHollande; on n’a pas craint même de l’assimiler à celle de Pologne, où des aristocrates rassemblés, exerçant personnellement un veto personnel, sont obligés de prendre à l’unanimité leurs délibérations, où les guerres extérieures doivent toujours être malheureuses, puisque la guerre intestine est presque constitutionnelle dans ce pays. Il est donc impossible de tirer aucunes conséquences de ces constitutions pour les appliquer à la France, où les intérêts sont discutés par une assemblée unique composée d’hommes qui n’existent pas parleurs droits, mais élus parle peuple, renouvelée tous les deux ans, suffisamment nombreuse pour parvenir à un résultat mûr. Cherchons maintenant dans la nature même des choses. Il est vrai qu’accorder aux législatures le droit de faire la guerre, ce serait enlever la prompti- 643 [Assemblée nationale.] tude et le secret qu’on regarde comme absolument ■ nécessaires; quant à la promptitude, il me semble qu’en confiant au roi le droit de faire tous les préparatifs qu’exige pour le moment la sûreté de l’Etat, et les mesures nécessaires pour l’avenir, on a levétous les inconvénients. Ilfaitmouvoir toutes les troupes à son gré, quand il juge quelle mouvement d’un empire exige qu’on s’oppose avec célérité à ses dispositions nuisibles, s’il pouvait en avoir. Le Corps législatif s’assemble tous les ans pendant quatre mois; s’il est séparé, il serait aisé de le convoquer; ce rassemblement se fera pendant les préparatifs qui précèdent toujours une action. Le roi et ses agents auront tous les moyens de repousser une attaque subite, et de prendre les mesures pour le danger à venir; ainsi la promptitude sera la même, et vous aurez pourvu à votre indépendance et à votre liberté. Quant au secret, je demanderai d’abord si ce secret existe; on a prouvé, avant moi, qu’il n’existe pas réellement; mais s’il pouvait exister, serait-il utile? Je pourrais, pour répondre, m’appuver de l’autorité bien imposante de M. l’abbé deMably ; il a constamment pensé que la politique de la nation française devait exister, non dans le secret, mais dans la justice : ce n’était pas, comme on l’a dit, un simple théoricien. Il a écrit plusieurs volumes sur la politique moderne; il a fait le meilleur traité sur le droit politique de l’Europe. S’il n’a pas négocié lui-même, c’est uniquement à cause de ses vertus; c’est qu’il a échappé aux sollicitations du gouvernement. M. de Mably pensait que, pour la puissance dominante de l’Europe, il n’y avait pas d'autre politique que la loyauté et une fidélité constante. Il a démontré que, de même que dans les finances, la confiance double le crédit; de même il existe un crédit politique qui place en vous la confiance des nations, et qui double votre influence. Mais dans quel cas le secret serait-il nécessaire? C’est lorsqu’il s’agit des mesures provisoires, des négociations, des opérations d’une nation avec une autre; tout cela doit être attribué au pouvoir exécutif. Il aura donc encore le moyen de s’appuyer du secret, les seules choses que vous ferez sont inutiles à cacher. L’acceptation définitive des articles d’un traité de paix, la résolution de faire la guerre, rien de tout cela ne peut être dissimulé. Tout ce que vousvous réservez ne peut et ne doit donc être fait qu’au grand jour. Dans toute Constitution où le peuple a une influence quelconque, la faculté de délibérer oblige à la même publicité. Lorsque l’Angleterredélibère sur l’octroi des subsides, n’est-elle pas obligée de discuter en même temps si la guerre qui les rend nécessaires est juste et légitime? Après avoir écarté les principaux motifs par lesquels on a cherché à prouver que le droit de la guerre ne pouvait être attribué au Corps législatif, il reste à examiner les inconvénients qui résulteraient de confier ce droit au pouvoir exécutif. On a dit qu’en te confiant anx législatures, elles se laisseraient entraîner par l’enthousiasme des passions, et même par la corruption. Est-il un seul de ces dangers qui ne soit plus grand dans la personne des ministres que dans l’Assemblée nationale? Gontestera-t-on qu’il ne soit plus facile de corrompre le conseil du roi que 720 personnes élues parle peuple? Je pourrais continuer cette comparaison entre les législatures et le ministre unique qui guide les délibérations du conseil, soit dans le dangerdes passions, des ressentiments et des motifs d’intérêt personnel... Il arrivera peut-être que la législature pourra s’égarer; mais elle reviendra, parce que sonopi-[41 mai 1790.] nion sera celle de la uatiou, au lieu que le ministre s’égarera presque toujours, parce que ses intérêts ne sont pas les mêmes que ceux de la nation. Le gouvernement dontil est agent est pour la guerre, et par conséquent opposé aux intérêts de la nation ; il est de l’intérêt d’un ministre qu’on déclare la guerre, parce qu’alors on est forcé de lui attribuer le maniement des subsides immenses dont on a besoin, parce qu’alors son autorité est augmentée sans mesure; il crée des commissions, parce qu’il nomme à une multitude d’emplois; il conduit la nation à préférer la gloire des conquêtes à la liberté; il change les caractères des peuples et les dispose à l’esclavage : c’est par la guerre surtout qu’il change le caractère et les principes des soldats. Les braves militaires qui disputent aujourd’hui de patriotisme avec les citoyens, rapporteraient un esprit bien différent s’ils avaient suivi un roi conquérant, un de ces héros de l’his toire, qui sont presque toujours des fléaux pour les nations. Enfin, tout sollicite le Corps législatif de conserver la paix, tandis que les intérêts les plus puissants des ministres les engagent à entreprendre la guerre. Vainement on oppose la responsabilité et le refus des impôts, et dans le cas où le roi lui-même irait à la tête de ses troupes, on propose d’autoriser le Corps législatif à rassembler les milices nationales. La responsabilité ne s’applique qu’à des crimes. La responsabilité est absolument impossible tant que dure la guerre, au succès de laquelle est nécessairement lié le ministre qui i’a commencée. Ce n’est pas alors qu’on cherche à exercer contre lui la responsabilité. Elle est nécessaire quand la guerre est terminée, lorsque la fortune publique est diminuée. Lorsque vos concitoyens et vos frères auront péri, à quoi servira la mort d’un ministre? Sans cloute, elle présentera aux nations un grand exemple de justice; mais vous rendra-t-elle ce que vous aurez perdu? Non seulementla responsabilité est impossible en cas de guerre, mais chacun sait qu’une entreprise de guerre est un moyen banal pour échapper à une responsabilité déjà encourue lorsqu’un déficit est encore ignoré : le ministre déclare la guerre pour couvrir, par des dépenses simulées, le fruit de ses déprédations. L’expérience du peuple a prouvé que le meilleur moyen que puisse prendre un ministre habile pour ensevelir ses crimes, est de se les faire pardonner par des triomphes : on n’en trouverait que trop d’exemples ailleurs que chez nous. Il n’y avait point de responsabilité quand nous étions esclaves. J’en cite un seul ; je le prends chez le peuple le plus libre qui ait existé. Périclès entreprit la guerre du Péloponèse quand il se vit dans l’impossibilité de rendre ses comptes. Voilà la responsabilité : le moyen du refus des subsides est tellement jugé et décrié dans cette Assemblée que je crois inutile de m’eu occuper. Je dirai seulement que i’expérienee l’a démontré inutile en Angleterre. Mais il n’y a pas’ de comparaison à cet égard entre l’Angleterre et et nous. L’indépendance nationale y est mise à couvert et protégée par la nature : il ne faut en Angleterre qu’une flotte. Vous avez des voisins puissants ; il vous faut une armée. Refuser le3 subsides, ce ne serait pas cesser la guerre, ce serait cesser de se défendre, ce serait mettre les frontières à la merci de l’ennemi. Il ne me reste à examiner que le dernier moyen offertparM.de Mirabeau. Dans le cas où le roi ferait la guerre en personne, le Corps législatif aurait le droit de réunir des gardes nationales, en tel lieu et en tel ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [21 mai 1790.] nombre qu’il jugerait convenable pour les opposer à l’abus de la force publique, à l’usurpation d’un roi général d’armée. Il me semble que ce moyen n’est autre chose que de proposer la guerre civile pour s’opposer à la guerre. Un des avantages aominants du gouvernement monarchique, un des plus grands motifs d’attachement à la monarchie pour ceux qui cherchent la liberté, c’est que le monarque fait le désespoir de tous les usurpateurs. Or, avec le moyen proposé, je demande s’il ne se trouvera jamais un législateur ambitieux qui veuille devenir usurpateur; un homme qui, par ses talents et son éloquence, aura assez de créait sur la législature pour l’égarer, sur le peuple pour l’entraîner? Si le roi est éloigné, ne pourra-t-il pas lui reprocher ses succès et ses triomphes? Ne peut-il pas lui venir dans la tête d’empêcher le monarque des Français de rentrer dans la France ? Il y a plus : la législature ne commanderait pas elle-même ; il lui faudrait un chef, et l’on sait qu’avec des vertus, des talents et des grâces, on se fait aisément aimer de la troupe que l’on commande. Je demande quel serait le vrai roi et si vous n’auriez pas alors un changement de race ou une guerre civile ? Je ne m’attacheraipasplus longtemps àréfuter ce moyen : mais j’en tire une conséquence très naturelle. Il faut que M. de Mirabeau ait aperçu de très grands inconvénients dans le plan qu’il a présenté, puisqu’il a cru nécessaire d’employer un remède si terrible. On m’objectera qu’une partie des maux que je redoute se trouvera dans la faculté de déclarer la guerre, accordée au pouvoir législatif. Le Corps législatif se décidera difficilement à faire la guerre. Chacun de nous a des propriétés, des amis, une famille, des enfants, une foule d’intérêts personnels que la guerre pourrait compromettre. Le Corps législatif déclarera donc la guerre plus rarement que le ministre; il ne la déclarera que quand notre commerce sera insulté, persécuté, les intérêts les plus chers de la nation attaqués. Les guerres seront presque toujours heureuses. L’histoire de tous les siècles prouve u’elles le sont quand la nation les entreprend. Ile s’y porte avec enthousiasme ; elle y prodigue ses ressources et ses trésors : c’est alors qu’on fait rarement la guerre et qu’on la fait toujours glorieusement. Les guerres entreprises par les ministres sont souvent injustes, souvent malheureuses. arce que la nation les réprouve, parce que le orps législatif fournit avec parcimonie les moyens de les soutenir. Si les ministres font seuls la guerre, ne pensez pas à être consultés. Les ministres calculent froidement dans leur cabinet; c’est l’effusion du sang de vos frères, de vos enfants qu’ils ordonnent. Ils ne voient que l’intérêt de leurs agents, de ceux qui alimentent leur gloire; leur fortune est tout; l’infortune des nations n’est rien : voilà une guerre ministérielle. Consultez aujourd’hui l’opinion publique ; vous verrez, d’un côté, des hommes qui espèrent s’avancer dans les armées, parvenir à gérer les affaires étrangères; les hommes qui sont liés avec les ministres et leurs agents : voilà les partisans du système qui consiste à donner au roi, c’est-à-dire aux ministres, ce droit terrible. Mais vous n’y verrez pas le peuple, le citoyen paisible, vertueux, ignoré, sans ambition, qui trouve son bonheur et son existence dans l’existence commune, dans le bonheur commun. Les vrais citoyens, les vrais amis de la liberté, n’ont donc aucune incertitude. Consultez-les, ils vous diront : Donnez au roi tout ce qui peut faire sa gloire et sa grandeur, qu’il commande seul, qu’il dispose de nos armées, qu’il nous défende quand la nation l’aura voulu : mais n’affligez pas son cœur en lui confiant le droit terrible de nous entraîner dans une guerre, de faire couler le sang avec abondance, de perpétuer ce système de rivalité, d’inimitié réciproque, ce système faux et perfide qui déshonorait les nations. Les vrais amis de la liberté refuseront de conférer au gouvernement ce droit funeste, non seulement pour les Français, mais encore pour les autres nations, qui doivent tôt ou tard imiter notre exemple. — Je vais vous lire un projet de décret, qui ne vaut peut-être pas mieux, qui vaut peut-être moins que ceux de MM. Pélion, de Saint-Fargeau, de Menou : n’importe; je vais vous le soumettre : — « Au roi, dépositaire suprême du pouvoir exécutif, appartient de droit d’assurer la défense des frontières, de protr-ger les propriétés nationales, de faire à cet effet les préparatifs nécessaires, de diriger les forces de terre et de mer, de commencer les négociations, de nommer les ambassadeurs, de signer les traités, de proposer au Corps législatif, sur la paix et la guerre, les propositions qui lui paraîtront convenables; mais le Corps législatif exercera exclusivement le droit de déclarer la guerre et la paix, et de conclure les traités. Dans le cas où la situation politique des nations voisines obligerait à faire des armements extraordinaires, il les notifiera au Corps législatif s’il est assemblé, ou s’il ne l’est pas, il le convoquera sans délai. » (On demande à aller aux voix.) M. de Cazalès demande la parole sur la question de savoir si la discussion sera fermée. Après quelques discussions, l’Assemblée décide qu’il sera entendu. M. de Cazalès. L’intention de l’Assemblée ne peut pas être douteuse. M. Barnave vient de présenter des raisons infiniment spécieuses et qui ont grand besoin d’être discutées. Si l’Assemblée voulait fermer la discussion, elle serait déterminée par le désir d’économiser le temps: on ne peut délibérer à l’heure qu’il est. Je demande qu’on ajourne à demain, en déclarant que la discussion sera fermée et la question décidée. M. le comte de Mirabeau. Je monte à la tribune pour appuyer la proposition qui vous est faite; mais je demande une explication sur ces mots : « La discussion sera fermée. » Le grand nombre des membres de cette Assemblée qui paraissent séduits, persuadés ou convaincus par le discours de M. Barnave, croient que ce discours triomphera de toutes les répliques, ou ils ne le croient pas. S’ils le croient, il me semble qu’on peut attendre de la générosité de leur admiration qu’ils ne craindront pas une réplique et qu’ils laisseront la liberté de répondre : s’ils ne le croient pas, leur devoir est de s’instruire. En reconnaissant une très grande habileté dans le discours de M. Barnave, il me paraît que son argumentation tout entière peut être détruite, qu’il n’a pas posé les véritables points de difficulté et qu’il a négligé ou quelques-uns de mes arguments, ou quelques-uns des aspects sous lesquels ils se présentent. Je prétends du moins au droit de répliquer à mon tour. Je demande que la question soit encore discutée demain et qu’elle ne soit décidée qu’après que, par un sentiment de confiance ou de méfiance, d’ennui ou d’intérêt, l’Assemblée aum fermé la discussion. Mon principal argument, en ce moment, est la chaleur même que vous montrez contre ma demande.