[10 novembre 1789.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. 730 [Assemblée nationale.] pies : enfin, quand on a vu ce prince, digne à jamais du respect des nations, bravant tous lès dangers, venir au milieu de sa capitale essayer encore, par l’exemple de ses vertus et îles témoignages touchants de sa popularité, de ramener ses sujets égarés; de vrais et fidèles magistrats ne peuvent que bénir tant de bonté, et gémir en silence sur l’erreür de leurs concitoyens. « Par ces différentes considérations, la chambre des vacations a arrêté d’enregistrer provisoirement la déclaration du Roi du 3 de ce mois, portant prorogation des vacances du parlement et des séances de ladite chambre. a Déclare néanmoins que si elle se détermine à procéder à cet enregistrement, ce n’est que pour donner au seigneur Roi de nouvelles preuves de son amour inviolable, de son respect profond et de sa soumission sans bornes, et aussi dans la crainte de contrarier les vues de Sa Majesté et d’augmenter peut-être par une juste résistance les troubles affreux qui déchirent l’Etat; mais qu’au surplus il ne pourra en aucun cas être tiré de conséquence dudit enregistrement, attendu que ladite chambre y a procédé sans liberté ni qualité suffisantes, et uniquement entraînée par la force des circonstances; qu’en conséquence elle ne cessera jamais de regarder ladite déclaration comme lui attribuant indûment une compétence formellement contraire au titre même de son institution, comme interdisant et dépouillant injurieusement, et par une force inouïe, des magistrats dignes de la confiance ne leurs justiciables, comme tendant, par l’absence forcée des parlements, à établir plus que jamais l’anarchie dans le royaume, comme contraire aux droits et aüx vrais intérêts de la province qu’on veut, arbitrairement et sans aucun motif raisonnable, priver des lumières et des travaux du plus grand nombre de ses juges supérieurs; surtout enfin comme entraînant infailliblement la ruine des justiciables, dont toutes les affaires resteront nécessairement, par l’immense diminution du nombre de leurs juges, dans l’état de stagnation le plus affligeant. « Arrête en outre qu’expéditions en forme du présent seront envoyées à Monseigneur le garde des sceaux et à M. le comte de Saint-Priest, et que M. de Guichainville, doyen, leur écrira pouf les prier de mettre ledit arrêté sous les yeux de Sa Majesté, et lui protester que jamais elle n’aura de sujets plus fidèles que les magistrats qui composent la chambre des vacations de son parlement de Rouen ; qu’ils ne veulent vivre que pour servir et respecter son autorité légitime, ainsi que les lois dont on leur a confié le dépôt, et qu’ils périront plutôt que de consacrer jamais les atteintes qu’on pourrait y apporter. » M. Barrère de Vieiiatac (1). Messieurs, tandis que la première cour du royaume donnait l’exemple de la soumission à vos" décrets et de l’administration gratuite de la justice, une autre cour vient de donner celui de mépriser l’autorité souveraine de la nation. Vous venez d’entendre l’arrêté du 6 novembre. Je ne vous dirai pas que c’est là une violation répréhensible du droit national, un abus d’autorité, une prévarication dans les fonctions, une véritable forfaiture. Je dirai plus, Messieurs, c’est un crime de lèse-nation par les paroles incendiaires employées dans cet arrêté. Quelle serait donc votre situation? quel serait l’état du royaume si de pareilles entreprises pouvaient être tolérées? Ce serait le signal d’une insurrection d’autant plus dangereuse, qu’elle serait excitée par quelques membres de ces corps qui, joignant au droit de vie et de mort une grande influence sur la fortune des citoyens, conservent encore des souvenirs d’une antique puissance. C’est alors que vous sentiriez le danger d’une désobéissance aussi marquée envers la seule autorité légitime, celle de la nation. La moindre indulgence serait ici faiblesse, et la faiblesse un véritable oubli de vos devoirs : car, lorsqu’il s’agit de corruptioh , l’exemple devient bientôt contagieux, et les suites sont faciles à prévoir. Vous devez donc, Messieurs, donner un grand exemple à tous les corps qui sont revêtus de quelque pouvoir dans le royaume; voyez ce qu’a fait le pouvoir exécutif, et voyez ce que les législateurs doivent faire. Je propose de renvoyer l’arrêté de la chambre des vacations du parlement de Normandie devant le tribunal que vous avez chargé provisoirement de prendre connaissance des crimes de lèse -nation pour le procès être fait aux auteurs dudit arrêté pour causes de forfaiture ; et» qu’en attendant, il soit donné aux présidiaux de son ressort droit et attribution de juger conformément aux pouvoirs donnés par le précédent décret à la chambre des vacations. M. le comte de Clermont-Tonnerre. Messieurs, en appuyant la motion (1), je soutiens que l’arrêté de la chambre des vacations présente une véritable forfaiture; que celte chambre, en obéissant d’une manière dérisoire, a véritablement encouru Vempachement ou l’accusation nationale par les expressions insolentes dont elle s’est servie; car les termes les plus forts ne pourraient s’élever à la hauteur de ce délit. Je demande que l’arrêté soit envoyé au Ghâtelet de Paris, chargé de juger les crimés de lèse-nation. M. Demeunier pense que, selon les règles et les principes, il faut nommer quatre commissaires, qui seront chargés de poursuivre au nom de la nation... M. Pétion de Villeneuve. Je demande que le président se retire par devers le Roi pour remercier Sa Majesté de la célérité avec laquelle elle a proscrit l’arrêté séditieux du parlement de Rouen. Plusieurs amendements, relatifs à l’attribution à donner aux tribunaux qui devront remplacer la chambre des vacations du parlement de Rouen, sont proposés. La suite de la discussion est ajournée à demain ; la nomination des officiers l’est également. La séance est levée à quatre heures. ASSEMBLÉE NATIONALE. PRÉSIDENCE DE M, CAMUS. Séance du lundi 10 novembre 1789 (2). L’Assemblée s’est réunie après avoir procédé (1) Le discours de M. Barrère de Vieuzac est incomplet au Moniteur. (1) D’envoyer au Châtelet les membres de la chambre des vacations de Rouen. (2) Cette séance est incomplète au Moniteur, 731 [AsSêïnblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [10 novembre 178#.] dans les bureaux à l’élection d’un nouveau prési-~ dent et de trois secrétaires. La séance a commencé par la lecture du procès-verbal de celle du jour précédent, et de plusieurs adresses portant adhésion aux décrets de l’Assemblée natio-h nale t 1° Adresse des dames religieuses de l’abbaye royale de Notre-Dame de Soissons, ordre de Saint-Benoît, qui demandent leur conservation et celle > des maisons religieuses; elles assurent à l’Assemblée qü’il n’est aucune d’entre elles qui ne préfère * la mort à leur destruction ou désunion. 2° Adresse de la ville de dois en Dunois, con-► tenant félicitations, remerciements et adhésion aux décrets de l’Assemblée nationale-, elle demande une justice royale. 3° Cahiers des remontrances, pétitions et do-P léances fournis par la communauté de Mialet en Limousin, lors de la convocation des Etats généraux. 4° Adresse des habitants de la ville de Ghàte-t laudren en Bretagne, où ils adhèrent avec une respectueuse admiration aux décrels de l’Assemblée nationale, et surtout à celui concernant la contribution patriotique du quart des révenus. 5° Adresse de la communauté de Sommcrance * en Champagne, où elle adhère aux décrets de l’Assemblée nationale des 4 août et jours suivants, et la supplie delà mettre en possession de ses bois et pacages, qu’elle dit avoir ôté usurpés par les k religieux de l’ordre de Saint-Bernard de Ghehery. 6° Adresse de la municipalité de la ville de Beaumont en Gâtinais, tendant à obtenir un bailliage royal. � 7° Délibérations de la ville de Saïllans en Dauphiné, contenant l’adhésion la plus entière aux décrets de l’Assemblée nationale, et les protestations les plus fortes contre la convocation des Etats de la province, et du doublement, faite par la commission intermédiaire. 8b Adresse de la communauté des Feuillants de l’abbaye de Belle-Fontaine, où ils abandonnent tous ieurs biens à la nation, s’en rapportant à ce que l’Assemblée nationale jugera nécessaire pour la conservation de leur existence. > 9° Adresse de la municipalité de la ville de Chalon-sur-Saône, qui demande l’interprétation du décret de l’Assemblée nationale sur les gabelles, étant à cel égard en contestation avec les agents de la Ferme. 10° Adresse de la ville de Guéménée en Bretagne, qui demande l’interprétation de l’article IV du décret de l’Assemblée nationale, du 6 octobre , dernier, concernant la contribution patriotique. 11° Délibération de la ville de Couches, où elle prononce la confiscation de marchandises, chevaux et voitures contre les faux-sauniers et contrebandiers. 12° Adresse du comité général et permanent de la ville de Caen en Normandie où il exprime d’une manière énergique les sentiments d’admiration et de reconnaissance dont il est � pénétré pour l’Assemblée nationale, la supplie de s’occuper sans cesse de l’organisation des assemblées provinciales et des municipalités, et soumet à sa sagesse un plan de municipalité propre à ladite ville de Caen. 13° Arrêté du juge royal de la ville de Pertuis en Provence, de rendre la justice gratuitement, jusqu’à ce qu’il ait été pourvu à un nouvel ordre > judiciaire. 14» Délibération des officiers municipaux et habitants de la ville de Montmédy, contenant félicitations, remerciements et adhésion aux décrets de l’Assemblée nationale; néanmoins ils réclament avec instance l’abolition entière de la gabelle, et offrent de compenser dès à présent cet impôt par une contribution égale à sa perception, pour être versée immédiatement entre les mains de l’administration. 15° Délibération des huissiers-commissaires-priseurs de Paris, par laquelle ils offrent gratuitement et sans aucune rétribution, non-seulement les prisées et les ventes d’effets appartenant à la chose publique , mais également le service, comme huissiers dans l’intérieur de la salle de l’Assemblée nationale; ils la supplient d’accueillir favorablement leurs offres. 16° Adresse des religieux bénédictins du monastère de Notre-Dame-de-Novy en Champagne, où ils supplient l’Assemblée nationale de les conserver, offrant de fournir à l’Etat tous les secours qui seront en leur pouvoir. 17° Adresse des officiers de judicature et municipaux du marquisat de la Pierre et bourg de Collonges, contenant félicitations, remerciements et adhésion aux décrets de l’Assemblée. Ils offrent de rendre la justice gratuitement, renoncent à tous leurs privilèges particuliers et demandent une justice royale. M. le Président a arinoncé que le maire de Paris avait demandé à obtenir audience : l'Assemblée a décidé qu’elle lui serait accordée demain à deux heures. M. Se Président a fait lecture d’une lettre de M. de Sassenay, député à l’Assemblée nationale, par laquelle il annonce avoir donné sa démission ; ce député ayant un suppléant, M. le comte de Rully, prêt à le remplacer, l’Assemblée a consenti à le recevoir. M. le Président a également annoncé que MM. Darche, Petiot, Picard de la Pointe, et de Harchies, membres de l’Assemblée nationale , avaient demandé des passe-ports pour une absence de quinze jours; ces passe-ports leur ont été accordés. M. le Président fait lecture d’une lettre de M. üuval d’Eprémesnil, député de la vicomté de Paris, qui demande la permission de se rendre à Malfosse, près Bolbec, où il est appelé par la mauvaise santé de son épouse. La permission lui est accordée. La discussion est reprise sur le plan de division du royaume. M. le comte de Mirabeau. Messieurs, je n’ai pas besoin de vous faire sentir l’importance de l’examen qui vous occupe; si le plan que voüs aurez adopté s’exécute dans les provinces, la plus heureuse des révolutions sera consommée, le crédit rétabli, et la force publique affermie. Tous nos succès tiennent à ce succès; il renferme à la fois toutes nos espérances et toutes nos craintes, et jamais plus grande cause ne fut plus digne de votre attention. De grandes objections se sont élevées contre le plan du comité et contre le mien, je me propose de les discuter et de les comparer ; mais , avant tout, je dois voüs tracer la marche des idées qui m’ont conduit à vous proposer un plan particulier sur une matière que vous aviez confiée aux mains les plus habiles. Mon objet n’a point été de chercher des objections ; je me suis au contraire défié de la facilité