[Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 juillet 1789.] 283 doit être sans égard aux distinctions d’ordre, qui pourraient ramener les dangers d’autant plus redoutables de l’aristocratie, gu’ils auraient le sceau de la légalité, mais en faisant ressortir leur différence de l’influence que l’on attribuerait à chacune d’elle, et de la nature même de leur constitution. C’en est assez, Messieurs, pour vous faire connaître les principaux rapports de la question qui exerce en ce moment vos commissaires : elle est susceptible des plus grands développements, et chacun de ces développements est susceptible lui-même des réflexions les plus graves et les plus sérieuses. Vous les modifierez avec l’application qu’ils exigent. Nous aurons rempli envers vous un premier devoir en la provoquant, et nous en remplirons un autre en accélérant de plus en plus nos travaux. (On applaudit .) M. le comte Stanislas de Clermont-Tonnerre fait au nom du même comité un second rapport contenant le résumé des cahiers, en ce qui concerne la constitution. Yoici le texte du rapport: Messieurs, vous êtes appelés à régénérer l’Empire français ; vous apportez à ce grand œuvre et votre propre sagesse, et la sagesse de vos commettants. Nous avons cru devoir d’abord rassembler et vous présenter les lumières éparses dans le plus grand nombre de vos cahiers. Nous vous présenterons ensuite, et les vues particulières de votre comité, et celles qu’il a pu ou pourra recueillir encore dans les divers plans, dans les diverses observations qui lui ont été ou qui lui seront communiqués ou remis par les membres de cette auguste Assemblée. C’est de la première partie de ce travail, Messieurs, que nous allons vous rendre compte. Nos commettants, Messieurs, sont tous d’accord sur un point: ils veulent la régénération de l’Etat; mais les uns l’ont attendue de la simple réforme des abus et du rétablissement d’une constitution existant depuis quatorze siècles, et qui leur a paru pouvoir revivre encore si l’on réparait les outrages que lui ont faits le temps et les nombreuses insurrections de l’intérêt personnel contre l’intérêt public. D’autres ont regardé le régime social existant comme tellement vicié, qu’ils ont demandé une constitution nouvelle, et qu’à l’exception du gouvernement et des formes monarchiques, qu’il est dans le cœur de tout Français de chérir et de respecter, et qu’il vous ont ordonné de maintenir; iis vous ont donné tous les pouvoirs nécessaires pour créer une constitution, et asseoir sur des principes certains, et sur la distinction et constitution régulière de tous les pouvoirs, la prospérité de l’empire français. Ceux-là, Messieurs, ont cru que le premier chapitre de la constitution devait contenir la déclaration des droits de l’homme; de ces droits imprescriptibles, pour le maintien desquels la société fut établie. > La demande de cette déclaration des droits de l’homme, si constamment méconnus, est, pour ainsi dire, la seule différence qui existe entre les cahiers qui désirent une constitution nouvelle, et ceux qui ne demandent que le rétablissement de ce qu’ils regardent comme la constitution existante. Les uns et les autres ont également tixé leurs idées sur les principes du gouvernement monarchique, sur l’existence du pouvoir et sur l’organisation du Corps législatif, sur la nécessité du consentement national à l’impôt, sur l'organisation des corps administratifs, et sur les droits des citoyens. Nous allons, Messieurs, parcourir ces divers objets, et vous offrir sur chacun d’eux, comme décisions, les résultats uniformes, et comme questions à examiner, les résultats différents ou contradictoires que nous ont présentés ceux de vos cahiers dont il nous a été possible de faire ou de nous procurer le dépouillement. 1° Le gouvernement monarchique, l’inviolabilité de la personne sacrée du Roi, et l’hérédité de la couronne de mâle en mâle, sont également reconnus et consacrés par le plus grand nombre des cahiers, et ne sont mis en question dans aucun. 2° Le Roi est également reconnu comme dépositaire de toute la plénitude du pouvoir exécutif. 3° La responsabilité de tous les agents de l’autorité est demandée généralement. 4» Quelques cahiers reconnaissent au Roi le pouvoir législatif, limité par les lois constitutionnelles et fondamentales du royaume; d’autres reconnaissent que le Roi, dans l’intervalle d’une assemblée d’Etats généraux à l’autre, peut faire seul les lois de police et d’administration qui ne seront que provisoires, et pour lesquelles ils exigent l’enregistrement libre dans les cours souveraines. Un bailliage a même exigé que l'enregistrement ne put avoir lieu qu’avec le consentement des deux tiers des commissions intermédiaires des Assemblées de districts. Le plus grand nombre des cahiers reconnaît la nécessité de la sanction royale pour la promulgation des lois. Quant au pouvoir législatif, la pluralité des cahiers le reconnaît comme résidant dans la représentation nationale, sous la clause de la sanction royale; et il paraît que cette maxime ancienne des capitulaires lex fit consensu populi et constitutione regis, est presque généralement consacrée par vos commettants. Quant à l’organisation de la représentation nationale, les questions sur lesquelles vous avez à prononcer, se rapportent à la convocation, ou à la durée, ou à la composition de la représentation nationale, ou au mode de délibération que lui proposaient vos commettants. • Quant à la convocation, les uns ont déclaré que les Etats généraux ne pouvaient être dissous que par eux-mêmes ; les autres, que le droit de convoquer, proroger et dissoudre, appartenait au Roi, sous la seule condition, en cas de dissolution, de faire sur-le-champ, une nouvelle convocation. Quant à la durée, les uns ont demandé la périodicité des Etats généraux, et ils ont voulu que le retour périodique ne dépendît ni des volontés ni de l’intérêt des dépositaires de l’autorité; d’autres, mais en plus petit nombre, ont demandé la permanence des Etats généraux, de manière que la séparation des membres n’entraînât pas la dissolution des Etats. Le système de la périodicité a fait naître une seconde question: y aura-t-il ou n’y aura-t-il pas de commission intermédiaire pendant l’intervalle des séances? La majorité de vos commettants a regardé l’établissement d’une commission intermédiaire comme un établissement dangereux. Quant à la composition, les uns ont tenu à la séparation des trois ordres ; mais à cet égard, l’extension des pouvoirs qu’ont déjà obtenue plusieurs représentants, laisse sans doute une plus grande latitude pour la solution de cette question. 284 [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 juillet 1789.] Quelques bailliages ont demandé la réunion des deux premiers ordres dans une même Chambre ; d’autres, la suppression du clergé et la division de ses' membres dans les deux autres ordres ; d’autres, que la représentation de la noblesse fût double de celle du clergé, et que toutes deux réunies fussent égales à celle des communes. Un bailliage, en demandant la réunion des deux premiers ordres, a demandé l’établissement d’un troisième, sous le titre d’ordre des campagnes ; il a été également demandé que toute personne exerçant charge, emploi ou place à la cour, ne pût pas* être députée aux Etats généraux ; enfin, l’inviolabilité de la personne des députés est reconnue par le plus grand nombre des bailliages, et n’est contestée par aucun. Quant au mode de délibération, la question de l’opinion par tète et de l’opinion par ordre est résolue ; quelques bailliages demandent les deux tiers des opinions pour former une résolution. La nécessité du consentement national à l’impôt est généralement reconnue par vos commettants, établie par tous vos cahiers : tous! bornent la durée de l’impôt au terme que vous lui aurez fixé, terme qui ne pourra jamais s’étendre au-delà d’une tenue à l’autre ; et cette clause impérative a paru à tous vos commettants le garant le plus sûr de la perpétuité de vos Assemblées nationales. L’emprunt, n’étant qu’un impôt indirect, leur a paru devoir être assujetti aux mêmes principes. Quelques bailliages ont excepté des impôts à terme, ceux qui auraient pour objet la liquidation de la dette nationale, et ont cru qu’ils devaient être perçus jusqu’à son entière extinction. Quant aux corps administratifs, ou Etats provinciaux, tous les cahiers vous demandent leur établissement, et la plupart s’en rapportent à votre sagesse sur leur organisation. Enfin, les droits des citoyens, la liberté, la propriété sont réclamées avec force par toute la nation française. Elle réclame pour chacun de ses membres l’inviolabilité des propriétés particulières, comme elle réclame pour elle-même l’inviolabilité de la propriété publique ; elle réclame dans toute son étendue la liberté individuelle, comme elle vient d’établir à jamais la liberté nationale ; elle réclame la liberté de la presse, ou la libre communication des pensées ; elle s’élève avec indignation contre les lettres de cachet, qui disposaient arbitrairement des personnes, et contre la violation du secret de la poste, l’une des plus absurdes et des plus infâmes inventions du despotisme. Au milieu de ce concours de réclamations, nous avons remarqué, Messieurs, quelques modifications particulières relatives et aux lettres de cachet et à la liberté de la presse. Vous les pèserez dans votre sagesse, vous rassurerez sans doute ce sentiment de l’honneur français, qui, par son horreur pour la honte, a quelquefois méconnu la justice, et qui mettra sans doute autant d’empressement à se soumettre à la loi, lorsqu’elle commandera aux forts, qu’il en mettait à s’y soustraire, lorsqu’elle ne pesait que sur le faible. Vous calmerez les inquiétudes de la religion, si souvent outragée par des libelles dans le temps du régime prohibitif ; et le clergé, se rappelant que la licence fut longtemps la compagne de l’esclavage, reconnaîtra lui-même que le premier et le naturel effet de la liberté, est le retour de l’ordre, de la décence et du respect pour les objets de la vénération publique. Tel est, Messieurs, le compte que votre comité a cru devoir vous rendre de la partie de vos cahiers qui traite de la constitution ; vous y trouverez sans doute toutes les pierres fondamentales de l’édifice que vous êtes chargés d’élever à toute sa hauteur, mais vous y désirerez peut-être cet ordre, cet ensemble de combinaisons politiques sans lesquelles le régime social présentera toujours de nombreuses défectuosités. Les pouvoirs y sont indiqués, mais ne sont pas encore distingués avec la précision nécessaire. L’organisation de la représentation nationale n’y est pas suffisamment établie ; les principes de l’éligibilité n’y sont point posés : c’est de votre travail que naîtront ces résultats. La nation a voulu être libre, et c’est vous qu’elle a chargés de son affranchissement. Le génie de la France a précipité, pour ainsi dire, la marche de l’esprit public ; il a accumulé pour vous, en peu d’heures, l’expérience que l’on pouvait à peine attendre de plusieurs siècles. Vous pouvez, Messieurs, donner une constitution à la France; le Roi et le peuple la demandent ; l’un et l’autre l’ont méritée. Résultat du dépouillement des cahiers. PRINCIPES AVOUÉS. Art. 1er. Le gouvernement français est un gouvernement monarchique. Art. 2. La personne du Roi est inviolable et sacrée. Art. 3. Sa couronne est héréditaire de mâle en mâle. Art. 4. Le Roi est dépositaire du pouvoir exécutif. Art. 5. Les agents de l’autorité sont responsables. Art, 6. La sanction royale est nécessaire pour la promulgation des lois. Art. 7. La nation fait la loi avec la sanction royale. Art. 8. Le consentement national est nécessaire à l’emprunt et à l’impôt. Art. 9. L’impôt ne peut être accordé que d’une tenue d’Etats généraux à l’autre. Art. 40. La propriété sera sacrée. Art. 11. La liberté individuelle sera sacrée. QUESTIONS Sur lesquelles l'universalité des cahiers ne s'est point expliquée d'une manière uniforme. Art. 1er. Le Roi a-t-il le pouvoir législatif, limité parles lois constitutionnelles du royaume? Art. 2. Le Roi peut-il faire seul des lois provisoires de police et d’adininistration, dans l’intervalle des tenues des États généraux ? Art. 3. Ces lois seront-elles soumises à l’enregistrement libre des cours souveraines ? Art. 4. Les Etats généraux ne peuvent-ils être dissous par eux-mêmes ? Art. 5. Le Roi peut-il seul convoquer, proroger et dissoudre les Etats généraux ? Art. 6. En cas de dissolution, le Roi est-il obligé de faire sur-le-champ une nouvelle convocation. Art. 7. Les Etats généraux seront-ils permanents ou périodiques ? Art. 8. S’ils sont périodiques, y aura-t-il, ou [Assemblée nationale.] ARCHIVES PARLEMENTAIRES. [27 juillet 1789.] 285 n’y aura-t-il pas une commission intermédiaire ? Art. 9. Les deux premiers ordres seront-ils réunis dans une même Chambre? Art. 10. Les deux Chambres seront-elles formées sans distinction d’ordre? Art. U. Les membres de l’ordre du clergé seront-ils répartis dans les deux autres ordres? Art. 12. La représentation du clergé, de la noblesse et des communes sera-t-elle dans la proportion d’une, deux et trois ? Art. 13. Sera-t-il établi un troisième ordre, sous le titre d’ordre des campagnes ? Art. 14. Les personnes possédant charges emplois ou places à la cour, peuvent-elles être députées aux Etats généraux ? Art. 15. Les deux tiers des voix seront-ils nécessaires pour former une résolution ? Art. 16. Les impôts ayant pour objet la liquidation de la dette nationale, seront-ils perçus jusqu’à son entière extinction ? Art. 17. Les lettres de cachet seront-elles abolies ou modifiées? Art. 18. La liberté de la presse sera-t-elle indéfinie ou modifiée? M. Mouiller donne ensuite lecture du projet contenant les premiers articles de la constitution. Nous, les représentants de la nation française, convoqués par le Roi, réunis en Assemblée nationale, en vertu des pouvoirs qui nous ont été confiés par les citoyens de toutes les classes, chargés par eux spécialement de fixer la constitution de la France, et d’assureFTTT prospérité publique; déclarons et établissons, par l’autorité de nos comhTBTtants, comme constitution de V Empire français, les maximes et règles fondamentales et la forme du gouvernement, telles qu’elles seront ci-après exprimées ; et lorsqu’elles auront été reconnues et ratifiées par le Roi, on ne pourra changer aucun des articles qu’elles renferment, si ce n’est par les moyens qu’elles auront déterminés. CHAPITRE PREMIER. Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Art. 1er. Tous les hommes ont un penchant invincible vers la recherche du bonheur ; c’est pour y parvenir par la réunion de leurs efforts, qu’ils ont formé des sociétés et établi des gouvernements. Tout gouvernement doit donc avoir pour but la félicité générale. Art. 2. Les conséquences qui résultent de cette vérité incontestable sont, que le gouvernement existe pour l’intérêt de ceux qui sont gouvernés, et non de ceux qui gouvernent ; qu’aucune fonction publique ne peut être considérée comme la propriété de ceux qui l’exercent ; que le principe de toute souveraineté réside dans la nation et que nul corps, nul individu ne peut avoir une autorité qui n’en émane expressément. Art. 3. La nature a fait les hommes libres et égaux en droits ; les distinctions sociales doivent donc être fondées sur l’utilité commune. Art. 4. Les hommes, pour être heureux, doivent avoir le libre et entier exercice de toutes leurs facultés physiques et morales. Art. 5. Pour s’assurer le libre et entier exercice de ses facultés, chaque homme doit reconnaître, et faciliter dans ses semblables le libre exercice des leurs. Art. 6. De cet accord exprès ou taicit.e résulte entre les hommes la double relation des droits et des devoirs. ' Art. 7. Le droit de chacun consiste dans l’exercice de ses facultés, limité uniquement par le droit semblable dont jouissent les autres individus. Art. 8. Le devoir de chacun consiste à respecter le droit d’autrui. Art. 9. Le gouvernement, pour procurer la félicité générale, doit donc protéger les droits et prescrire les devoirs. Il ne doit mettre au libre exercice des facultés humaines d’autres limites que celles qui sont évidemment nécessaires pour en assurer la jouissance à tous les citoyens, et empêcher les actions nuisibles à la société. Il doit surtout garantir les droits imprescriptibles qui appartiennent à tous les hommes, tels que la liberté personnelle, la propriété, la sûreté, le soin de son honneur et de sa vie, la libre communication de ses pensées, et la résistance à l’oppression. Art. 10. C’est par des lois claires, précises et uniformes pour tous les citoyens, que les droits doivent être protégés, les devoirs tracés, et les actions nuisibles punies. Art. 11. Les citoyens ne peuvent être soumis à d’autres lois qu’à celles qu’ils ont librement consenties par eux ou par leurs représentants; et c’est dans ce sens que la loi est l’expression de la volonté générale. Art. 12. Tout ce qui n’est pas défendu par la loi est permis, et nul ne peut être contraint à faire ce qu’elle n’ordonne pas. Art. 13. Jamais la loi ne peut être invoquée pour des faits antérieurs à sa publication; et si elle était rendue pour déterminer le jugement de ces faits antérieurs, elle serait oppressive et tyrannique. Art. 14. Pour prévenir le despotisme et assurer l’empire de la loi, les pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire, doivent être distincts. Leur réunion dans les mêmes mains mettrait ceux qui en seraient les dépositaires au-dessus de toutes les lois, et leur permettraient d’y substituer leurs volontés. Art. 15. Tous les individus doivent pouvoir recourir aux lois, et y trouver de prompts secours pour tous les torts ou injures qu’ils auraient soufferts dans leurs biens ou dans leurs personnes, ou pour les obstacles qu'ils éprouveraient dans l’exercice de leur liberté. Art. 16. 11 est permis à tout homme de repousser la force par la force, à moins qu’elle ne soit employée en vertu de la loi. Art/ 17. Nul ne peut être arrêté ou emprisonné qu’en vertu de la loi, avec les formes qu’elle a prescrites, et dans les cas qu’elle a prévus. Art. 18. Aucun homme ne peut être jugé que dans le ressort qui lui a été assigné par la loi. Art. 19. Les peines ne doivent point être arbitraires, mais déterminées par les lois, et elles doivent être absolument semblables pour tous les citoyens, quels que soient leur rang et leur fortune. Art. 20. Chaque membre de la société ayant droit à la protection de l’Etat, doit concourir à sa prospérité, et contribuer aux frais nécessaires dans la proportion de ses biens, sans que nul puisse prétendre à aucune faveur ou exemption, quel que soit son rang ou son emploi. Art. 21. Aueun homme ne peut être inquiété pour ses opinions religieuses, pourvu qu’il se conforme aux lois et ne trouble pas le culte public. Art. 22. Tous les hommes ont le droit de quitter l’Etat dans lequel ils sont nés, et de se choisir